Mauvais traitements (I) : quand ça se termine mal pour Schubert

Depuis quatorze ans que je tiens un blog (il y en eut d’autres avant celui-ci !), je n’ai quasiment jamais dit de mal d’un musicien, d’un compositeur, d’un artiste que j’admire. Ou pour illustrer la maxime « Qui aime bien châtie bien »!

Le confinement, le travail à distance, m’ont donné l’occasion de « revisiter » – pour reprendre un terme très à la mode ! – ma discothèque, de réécouter des disques que j’avais oubliés, négligés, parfois pour de bonnes raisons !

Je me décide à ouvrir une série que j’aurais aussi bien pu intituler Ratages, mais le mot est excessif pour qualifier une erreur de « casting », un mariage compositeur/oeuvre/interprète malheureux, bref quelque chose qui, loin de nuire à l’image d’un grand musicien qu’on aime, révèle sa part d’humanité, son droit à l’erreur.

Ainsi je réécoutais ce week-end ce bien chiche coffret consacré au pianiste Geza Anda, né il y a 100 ans (tiens un coffret hommage est-il prévu ?), que je citais le 17 décembre dernier pour sa merveilleuse version des Etudes op.25 de Chopin

Je ne me rappelais plus qu’il y avait, dans ce coffret de 5 CD seulement, la dernière sonate – D.960 – de Schubert, à laquelle j’ai consacré naguère tout un billet (Ma non troppo).

Le dernier mouvement de cette sonate est indiqué : allegro, ma non troppo. Et comme je l’écrivais dans mon billet : Je n’entends pas ce dernier mouvement comme une récréation guillerette, anodine. Et surtout je respecte l’indication de Schubert lui-même : ma non troppo! Ce n’est donc pas youpie tagada , fonçons droit devant, comme un accompagnement de Tom et Jerry »

Or c’est exactement ce que fait Geza Anda, pour ma plus grande déception ! Une caricature ! à écouter à 29’50 »

Même l’immense et tant admiré Artur Rubinstein succombe inexplicablement au syndrome de la machine à tricoter à 27’35 »

On se console en écoutant Rafael Orozco et Sergio Fiorentino

à 1h 20’30 »

ou encore Peter Rösel

Les mystères du public

Il y a une quinzaine de jours, on se désolait qu’un artiste comme Peter Rösel n’ait pas attiré plus de monde à la salle Gaveau (L’évidence de la simplicité) et on soulignait le courage qu’il fallait à un organisateur privé, en l’occurrence Yves Rieselpour programmer à Paris une série de récitals avec de grands pianistes qui, pour de bonnes ou surtout mauvaises raisons, ne sont pas sous les feux des projecteurs.

Il y a deux jours, Yves Riesel annonçait, sans donner de raisons, que le récital du pianiste russe Evgueni Sudbin prévu ce 27 novembre, était purement et simplement annulé. Hier matin on lisait dans Le Figaro ce papier de Christian Merlin

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On peut imaginer à quel déchaînement de « commentaires » se sont livrés les vrais et faux amis d’Yves Riesel sur Facebook.

D’abord un mot sur le pianiste que le public parisien n’aura pas la chance d’entendre. Je l’avais, pour ma part, découvert à New York, il y a plus d’une dizaine d’années, dans le cadre du festival Mostly Mozart qu’anime le chef français Louis Langrée. J’avais beaucoup aimé un artiste impérial dans son jeu, mais si modeste et élégant dans son allure.

Les Parisiens n’entendront donc pas ce musicien si raffiné, libre, dégagé des contingences d’une technique infaillible. L’éditeur BIS lui fait une confiance absolue, de longue date. Et la critique lui fait fête à chaque nouvelle parution.

 

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Mais cela ne suffit manifestement pas à attirer l’attention d’un public que je crois moins blasé qu’on ne le dit. Certes quand je voyais l’autre soir les auditeurs s’agglutiner dans la Philharmonie de Paris, pour écouter un pianiste célèbre, mais usé (Maurizio Pollini). je mesure le défi que doit relever une organisation indépendante, défi parfois impossible comme en témoigne cette annulation.

Et pourtant, c’est grâce à des amoureux de musique, audacieux, intrépides, enthousiastes, on les nommait jadis imprésarios, aujourd’hui agents, organisateurs, animateurs de festivals, que des musiciens de talent peuvent toucher, conquérir de nouveaux publics, développer leur carrière, prendre leur essor.

Le Monde rendait compte, le 22 novembre, d’un concert de Michel Dalbertoà Lyon, et évoquait en ces termes le succès d’une entreprise née il y a quinze ans :

« En quinze ans, Jérôme Chabannes, fondateur et directeur artistique de la saison de concerts « Piano à Lyon », a fait de la capitale des Gaules un haut lieu du piano en France. Chaque année, la Salle Molière, écrin de 586 places à l’acoustique idéale, se fait repaire de talents, accueillant en récital ou en musique de chambre la fine fleur du clavier international. Un mérite d’autant plus grand que la manifestation, dont le taux de financement par la billetterie atteint les 70 %, n’a jamais obtenu de subventions publiques » (Marie-Aude Roux, Le Monde, 22/11/19).

71KordYM8RL._SL1200_Le dernier double album de Michel Dalberto a été enregistré à Lyon.

 

Rach 3

Dans le jargon des pianistes, on a ses raccourcis pour désigner certaines oeuvres du répertoire, surtout si ce sont des must des grands concours internationaux. Ainsi le 3ème concerto pour piano de Rachmaninov est-il appelé le Rach 3 ! (On fait de même pour la Rhapsodie sur un thème de Paganini du même Rachmaninov qu’on désigne en abrégé par Rach Pag).

J’évoque aujourd’hui ce sommet de la littérature concertante pour piano parce que je viens, coup sur coup, d’en entendre deux versions extraordinaires.

La première c’était hier soir, à Montpellier, lors du concert qui célébrait le 40ème anniversaire de l’Orchestre National Montpellier Occitanie. Je retrouvais mon très cher Nelson Goerner, six ans après que je l’eus invité à Liège à jouer ce même Rach 3 dans le cadre du festival I love Rachmaninov qui présentait l’intégrale des concertos (avec Bertrand Chamayou dans le 2ème, Benedetto Lupo dans le 1er et Claire-Marie Le Guay dans le 4ème).

IMG_7200(Michael Schonwandt, Nelson Goerner et l’Orchestre National Montpellier Occitanie le 15 novembre 2019)

Ce n’est pas un hasard si, lors de plusieurs écoutes comparatives, la version, captée en concert il y a une vingtaine d’années, du pianiste genevois d’origine argentine est toujours arrivée en tête.

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Nelson Goerner y est souverain, dans cette manière supérieure de faire oublier la technique – un concentré de difficultés redoutables – pour ne donner à entendre que le chant, les élans rhapsodiques, la densité d’une partition qui n’est pas qu’un numéro d’esbroufe. Le soliste me confiait à l’entracte : « Tu es d’accord, on ne doit pas « taper » dans ce concerto ». 

On ne manquera pas d’écouter ce concert le 3 janvier sur France Musique.

Seconde version extraordinaire écoutée ce matin. Hier, Bruno Fontaine écrivait sur sa page Facebook : Ébloui…fasciné …mais surtout ému à l’écoute de ce nouveau Rach 3…
Nul besoin de s’étendre sur la fabuleuse technique de Daniel Trifon.ov .mais plutôt sur sa merveilleuse maîtrise des lignes, du contrepoint…jamais entravée par sa virtuosité …et puis…et j’allais dire, surtout…!!!
La beauté absolue de l’orchestre de Philadelphie, dirigé avec une science admirable des équilibres et des couleurs par Nézet-Séguin…!!!

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Je n’écrivais pas autre chose quand étaient parus les 2ème et 4ème concertos : Quand Rachmaninov rime avec Trifonov. « … le tandem Trifonov/Nézet-Séguin est d’une telle qualité d’écoute réciproque, de liberté poétique, qu’on accepte sans réticence leurs tempi buissonniers. Et pour le Quatrième concerto l’on tient certainement la meilleure version de la discographie rachmaninovienne (malgré les beautés du piano d’Arturo Benedetti Michelangeli, si pâlement secondé par Ettore Gracis dans la légendaire version EMI de 1957).

On imagine que le Troisième concerto suivra bientôt ». 

Voeu exaucé, ô combien. A écouter absolument ! Cette nouvelle intégrale des concertos de Rachmaninov due au trio magique que constituent Trifonov, Nézet-Séguin ET l’orchestre de Philadelphie se hisse dans le peloton de tête de la discographie pléthorique de ce corpus (où figure le légendaire tandem Peter Rösel / Kurt Sanderling)

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Un souvenir me revient, que j’avais naguère évoqué sur un précédent blog. Il y a presque trente ans j’avais été convié à un dîner à Chamonix par une relation professionnelle qui m’avait promis une surprise, quelqu’un qu’elle voulait me présenter ! Pour une surprise c’en fut une ! A peine arrivé dans le bel hôtel où se tenait ce dîner, j’eus l’impression de me trouver face à… Rachmaninov !

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Mêmes traits, même stature.

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Il s’agissait du petit-fils du compositeur, Alexandre Rachmaninoff (il tenait à cette orthographe usitée hors de Russie) – 1933-2012 – Alexandre était le fils de Tatiana Rachmaninova (1907-1961), la cadette des deux filles de Rachmaninov, Tatiana avait épousé Boris Conus (prononcer Ko-niouss), fils du violoniste et compositeur Julius Conus   (1869-1942), auteur d’un concerto pour violon jadis joué par les plus grands, aujourd’hui un peu oublié. Alexandre était né Conus et avait relevé le nom de son grand-père.

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Le piano venu de l’Est (II) : Annerose Schmidt

J’avais ouvert avec Peter Rösel une série sur ces remarquables musiciens nés, éduqués en Allemagne de l’Est, dont la carrière a été, politique oblige, confinée dans la sphère orientale de l’Europe : Le piano venu de l’Est

Le concert et la présence à Paris de Peter Rösel (L’évidence de la simplicité), ses interventions sur les antennes de France Musique et de France Inter, à l’occasion du trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin, ont rappelé à nos oreilles occidentales ce qu’il en était de l’organisation de la vie musicale à l’est du Rideau de fer.

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(Peter Rösel et Jean-Baptiste Urbain à France Musique le 7 novembre / Photo Yves Riesel)

Autre exemple d’une carrière brillante qui n’a jamais rencontré les faveurs du public occidental, sauf par le disque et encore !, celle de la pianiste Annerose Schmidt, de son vrai nom Annerose Boeck.

Annerose Schmidt naît le 5 octobre 1936 à Wittenberg au nord de Leipzig. Son père est le directeur de l’école de musique et commence à lui enseigner le piano en 1941. Elle donne son premier concert en public en 1945 et reçoit en 1948 un diplôme de concert et un permis professionnel en tant que pianiste de concert officiellement reconnu dans ce qui était zone d’occupation soviétique. Elle donna le premier de ses concerts à la radio berlinoise en 1949. Après avoir passé son examen de fin d’études (« Abitur »), Annerose Schmidt part étudier à l’Académie de musique de Leipzig entre 1953 et 1957.

En 1955, elle reçoit une mention spéciale au Concours international de piano Chopin à Varsovie. L’année suivante elle remporte le tout premier concours international Robert Schumann pour pianistes et chanteurs, qui se tient à Berlin. Ces succès lancent efficace sa carrière internationale… en Pologne, Roumanie, Hongrie, Bulgarie et en Union soviétique.

Son répertoire comprend près de quatre-vingts concertos pour piano, dont ceux de Mozart, Beethoven, Bartók, Chopin et Ravel. Elle joue tout le répertoire pour piano de Schumann et Brahms, mais aussi de la musique contemporaine.

À partir de 1958, elle peut se rendre épisodiquement en Allemagne de l’Ouest et se produire avec des chefs et des orchestres renommés en Finlande, en Suède, en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg et en Autriche.  Jamais en France !

En 1985, elle est nommée professeure au Conservatoire Hanns Eisler de Berlin, qu’elle dirige entre 1990 et 1995. Annerose Schmidt a mis fin à sa carrière d’interprète pour raisons de santé en 2006.

ums_photos_01735J’ai d’abord connu Annerose Schmidt par la formidable intégrale des concertos de Mozart qu’elle a gravée au mitan des années 70 avec Kurt Masur et l’orchestre philharmonique de Dresde (le concurrent de la Staatskapelle). J’aime ce jeu franc, direct, qui donne à entendre toutes les facettes de Mozart, un piano très bien enregistré avec des partenaires qui ne surchargent pas d’intentions les ombres et lumières de l’orchestre mozartien.

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Puis j’ai recherché les quelques autres rares disques disponibles en Occident, les concertos de Chopin, toujours avec Masur (et Leipzig) – nettement moins convaincants – les Schumann et Brahms pour le piano seul, qui réservent de belles surprises.

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L’évidence de la simplicité

IMG_7061Il n’y avait pas foule à Gaveau hier soir, malgré tous les efforts déployés par l’organisateur des Concerts de Monsieur Croche, l’enthousiaste Yves Riesel, et le support de France Musique à cette série de récitals garantis produits « sans subvention ».

Peter Rösel, le pianiste venu de l’Est, 74 ans, bardé de prix, n’avait pas joué à Paris en récital depuis quarante ans. Et il proposait rien moins que les dernières sonates de Haydn, Beethoven, Schubert. Frilosité, manque de curiosité, du public parisien ? Les absents auront eu bien tort… Ils pourront se rattraper bientôt en écoutant France Musique qui a capté le concert.

Quand on est familier d’un interprète, mais qu’on n’a toujours écouté qu’au disque (lire Le piano venu de l’Est), on peut craindre l’expérience du concert. Craintes vite levées hier soir dès l’attaque de la pré-beethovénienne Sonate n° 62 Hob.XVI.52 de HaydnLe son est rond, chaud, le style authentiquement classique, et la technique pianistique infaillible. Aucune esbroufe, pas de forte foudroyants, de pianissimi murmurés, juste un magnifique piano qui chante et un musicien qui dit la partition sans se hausser du col.

Mêmes qualités suprêmes dans la 32ème sonate de Beethoven. 

Peter Rösel a joué et enregistré plusieurs fois les sonates de Beethoven (comme ici au Japon l’an dernier). Peu comme lui, et comme lui hier soir à Gaveau, parviennent à unifier le si complexe second mouvement de cette ultime sonate, comme s’il en avait percé tous les secrets.

https://www.youtube.com/watch?v=9VVwX30Pdq4

Quant à la dernière sonate de Schubert, j’avais, il y a deux mois, exprimé l’admiration que je porte à l’interprétation, pour moi idéale, de Peter Rösel : lire Ma non troppo.

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D’un bout à l’autre de cette longue, très longue sonate, Rösel nous captive, épouse les mouvements d’humeur, les échappées soudaines, les répétitions obsessionnelles d’un Schubert de 31 ans qui mourra moins de deux mois après avoir achevé son ultime sonate. Et toujours cette évidente simplicité, cette absence d’épate.

Trente ans après la chute du Mur de Berlin, cette soirée parisienne venait rappeler que les berceaux de la musique allemande, les grands centres d’enseignement et de diffusion de la musique que sont Dresde, Leipzig, Weimar, Berlin, pour ne citer que les principaux, n’ont pas cessé de vivre et de prospérer dans ce qui a été l’Allemagne de l’Est sous le joug communiste. Mais que les grands artistes qui y sont nés (comme Peter Rösel), y ont grandi et appris, sont, à quelques rares exceptions près, restés confinés dans la sphère orientale de l’Europe.

Au moment de clore ce billet, je vois la critique qu’Alain Lompech vient d’écrire sur Bachtrack : Le chant serein de l’architecte Peter Rösel.

Il me semble qu’avec d’autres mots, lui et moi disons la même chose : admiration.

Ma non troppo

Je vous ai récemment parlé de ce pianiste italien quasi-oublié, Sergio Fiorentino(L’autre pianiste italien)Et d’un coffret en particulier

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Je viens de me replonger dedans, et en particulier dans le 3ème CD de ce boîtier, que j’avais dû écouter distraitement, alors qu’il contient deux absolues merveilles : la 3ème sonate de Chopin et la dernière sonate (la D.960 en si b majeur) de Schubert !

Comment ai-je pu passer à côté d’une interprétation dans laquelle j’entends enfin ce que j’ai toujours rêvé d’entendre dans cette ultime chef-d’oeuvre de Schubert ? En particulier dans son dernier mouvement intitulé allegro ma non troppo.

Cela fait des années que j’écoute cette ultime sonate de Schubert, que je la joue (pour moi  seul !) et que je compare des dizaines de versions. Tous les grands pianistes l’ont abordée mais rares sont ceux qui m’ont totalement convaincu. Beaucoup réussissent le périlleux premier mouvement, Molto moderato :

La mélodie initiale du Molto moderato semble surgir d’un rêve avant de s’affirmer avec une sérénité qui caractérisera toute l’œuvre. Puis surgit, sous l’ample mélodie, à la 9ème mesure un grondement de basses (trille dissonant en sol bémol) qui jouera un rôle structurel et cadenciel ; c’est la clé de l’organisation du mouvement, c’est lui qui introduit la reprise féerique en sol bémol majeur. Le second thème, en fa dièse mineur, est plutôt un complément lyrique qu’une antithèse. Des modulations magiques mènent au long apaisement qui signale la fin de l’exposition et fixe la musique de manière toute classique au ton de la dominante, fa majeur. Une brusque modulation en ut dièse mineur introduit le développement qui travaille les deux thèmes avec une grande richesse harmonique, et qui culmine en un dramatique fortissimo en ré mineur. Une lente et graduelle accalmie, d’une atmosphère raréfiée précède la réexposition, enrichie d’harmonies nouvelles et suivie d’une grande coda où le thème initial reparaît encore par trois fois, en des éclairages sans cesse renouvelés, pour retourner enfin doucement au silence d’où il avait surgi.

IMG_5866Un Sviatoslav Richter y est impressionnant de lenteur, un Wilhelm Kempff fait surgir le mystère comme personne.

Le second mouvement, Andante sostenuto, en ut dièse mineur, est d’une grande simplicité. C’est pourtant le cœur émotionnel et l’apogée de la Sonate. Une mélodie calme et recueillie, doucement plaintive, s’expose sur un fond de cloches solennelles, étagées sur trois octaves aux basses en pédale rythmiques obstinées et progresse comme en état second. Son expression s’intensifie progressivement jusqu’à l’entrée du thème central en la majeur. La reprise variée du début atteint aux cimes les plus hautes de l’inspiration : la douleur étreint, plus pressante, plus lancinante, lorsque, soudain, une modulation de sol dièse mineur à ut majeur crée un merveilleux changement d’éclairage qui nous conduit à la conclusion, spirituelle et épurée, en ut dièse majeur.

Le troisième mouvement est un Scherzo, dont l’indication Allegro vivace con delicatezza  décrit l’atmosphère légère, détendue, bienvenue après un premier et un deuxième mouvements intenses.

Arrive le quatrième mouvement, explicitement indiqué Allegro ma non troppo. Le thème, quelque peu badin et même espiègle, démarre en ut mineur avant de regagner le ton principal. Une seconde mélodie, large, hymnique, en noires liées, nous porte en sol majeur et retrouve passagèrement le climat du premier mouvement lorsque, soudain, deux accords violents affirment le fa mineur et introduisent un troisième élément, aux rythmes fortement pointés. Le refrain est alors repris, toujours annoncé par son sol initial, et développé au cours d’un épisode vigoureux et très modulé. Comme dans le premier mouvement, c’est une longue accalmie graduelle qui prépare la reprise, relativement régulière. Après un dernier épisode qui s’attarde à plaisir dans la joie de moduler, une brève strette, Presto, brillante et allègre, termine la sonate.

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Je n’entends pas ce dernier mouvement comme une récréation guillerette, anodine. Et surtout je respecte l’indication de Schubert lui-même : ma non troppo! Ce n’est donc pas youpie tagada , fonçons droit devant, comme un accompagnement de Tom et Jerry.

C’est malheureusement ce à quoi se livrent des artistes aussi illustres que Stephen Kovacevich ou Artur Rubinstein, que je révère et aime infiniment. Je ne comprends simplement pas comment ils peuvent expédier à ce point ce mouvement final.

 

Richter est moins primesautier que ses deux confrères, mais il est étrangement prosaïque, presque banal, après l’extrême hauteur de vues du premier mouvement.

Et puis aujourd’hui en lisant les annonces que fait Yves Riesel, notamment sur Facebook, pour promouvoir sa nouvelle saison des Concerts de Monsieur Croche, je lis tout un tas de choses passionnantes sur le pianiste qui va ouvrir cette saison, sur sa discographie, disponible ou pas, le grand Peter Röselà qui j’avais consacré un portrait il y a quelques mois (Le piano venu de l’Est : Peter Rösel).

En élargissant mes recherches sur la discographie du pianiste est-allemand, je tombe sur un double album, qui m’avait complètement échappé, de plusieurs sonates de Schubert, dont l’ultime D 960. Et là c’est le choc : du début à la toute fin, plus encore que Fiorentino évoqué au début de ce billet, Peter Rösel me livre une version magistrale, admirable, poétique, et me donne à entendre – enfin – ce quatrième mouvement comme j’imagine que Schubert l’a conçu…

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Le piano venu de l’Est (I) : Peter Rösel

C’est Alain Lompech, spécialiste ès piano, auteur d’un ouvrage de référence sur Les Grands pianistes du XXème siècle (on attend avec impatience un deuxième tome)

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débatteur infatigable, qui, sur Facebook, braquait avant-hier le projecteur sur lui : Voici ce qu’on appelle un maître ! Peter Rösel (prononcer : Reu-zeul), pianiste allemand formé à Moscou, assurément scandaleusement négligé par le milieu musical. 

Et, à propos d’une autre vidéo, Lompech ajoutait : Où l’on voit que l’on peut jouer vite, clair et articulé sans lever les doigts au plafond ! Peter Rösel, grand, grand artiste et pianiste… Le minimum de gestes pour le maximum de résultat. Et son Mendelssohn avec Masur est splendide.

Voilà bien longtemps que, pour ma part, j’admire ce très grand musicien, sans malheureusement l’avoir jamais entendu en concert. Il fait partie de cette cohorte d’artistes de grande envergure qui, par choix ou par obligation, n’ont jamais pu ou voulu faire carrière en dehors du bloc soviétique. Heureusement pour nous mélomanes, les remarquables micros de la VEB Deutsche Schallplatten Berlin, dans des prises de son remarquables de précision et d’aération, ont capté tous ces musiciens, et le label Berlin Classics, qui a pris le relais d’Eternanous a restitué la majeure partie de cet inestimable legs discographique.

Pour ce qui est de Peter Rösel, deux beaux coffrets ont documenté ses jeunes années. Tout y est admirable, avec des sommets comme ses concertos de Rachmaninov avec Kurt Sanderling, les Weber avec Blomstedt, le 2ème concerto de Prokofiev évoqué par Alain Lompech, son anthologie Brahms, mais aussi des Beethoven, Schumann, Debussy, d’exceptionnels Tableaux d’une exposition, etc.

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Peter Rösel est toujours en activité, sa discographie s’est enrichie ces dernières années d’une intégrale des Sonates de Beethoven notamment.

Pour ce qui est des coffrets ci-dessus, on les trouve facilement sur le site allemand d’Amazon (amazon.de).