Deux fois Lalo

Lalo Schifrin (1932-2025)

Comme tout le monde, j’ai découvert Lalo Schifrin grâce au générique d’un feuilleton dont je n’aurais pas voulu rater un épisode :

Comme tous les grands compositeurs de musiques de film ou de séries, Lalo Schifrin, a eu une formation tout ce qu’il y a de plus classique (rappelons ici qu’à ses débuts Maurice Jarre était un compositeur plus radical encore que son contemporain Pierre Boulez !). C’est assez sympathique de découvrir qu’en 1952, Lalo Schifrin, au consulat de France à Buenos Aires, passe le concours d’entrée au Conservatoire de Paris. Il étudiera auprès d’Olivier Messiaen (qu’il écoutera régulièrement à la tribune de l’orgue de la Trinité) et fréquentera les clubs de jazz.

Il faut écouter les hommages que France Musique a rendus au compositeur, avec Max Dozolme par exemple

Lalo par Beecham

J’ai, à plusieurs reprises, raconté ma découverte de l’unique symphonie en sol mineur d’Edouard Lalo (Lalo ou l’éternel second) grâce à un disque de Thomas Beecham et de l’Orchestre national à l’époque de la RTF ! C’est d’ailleurs avec le même disque que j’avais découvert la symphonie de Bizet (lire Le jeune homme et l’orchestre).

Warner vient de rééditer l’ensemble des enregistrements stéréo du chef britannique après un « remastering » très réussi, réalisé par Art et Son à Annecy (*)

Ne me demandez pas pourquoi mon admiration pour Thomas Beecham (1879-1961) n’a jamais baissé, et qu’au contraire, plus je l’écoute, plus j’aime son art si singulier fait d’une élégance rare, d’une justesse stylistique absolue en particulier dans la musique française dont il est l »un des serviteurs les plus exceptionnels. C’est tout de même celui qui nous a laissé la version de référence de Carmen de Bizet (malgré toutes les difficultés qu’a connues cet enregistrement : lire L’impossible Carmen). Tout est à entendre, à aimer dans ce coffret, à part peut-être des Haendel un peu surannés, mais les rares Beethoven et Mozart, les « Londoniennes » de Haydn, les trois symphonies de Schubert d’une grâce inouïe (exception faite du scherzo inexplicablement lent de la 3e symphonie) sans parler des Delius juste parfaits..

Ce qui frappe aussi chez Beecham – c’est bien la caractéristique des plus grands ! – c’est la capacité de saisir l’architecture d’une oeuvre, les rapports de tempo entre les mouvements, la manière unique qu’il a de faire vivre la musique de l’intérieur. Un très bel exemple nous en est fourni par la 5e symphonie de Schubert : Beecham prend son temps dans l’énoncé du 1er mouvement, y crée une atmosphère pastorale, qui n’est pas pour autant placide et molle.

Que dire de l’excitation, de l’exaltation qui nous saisit à l’écoute de la 7e symphonie de Beethoven, le vivace du 1er mouvement est pure folie ! Et quel sens des transitions !

On voudrait aussi citer un Peer Gynt de Grieg d’anthologie :

Contenu du coffret Warner (enregistrements stéréo de 1955 à 1959)

Sibelius: The Oceanides, Op. 73

Sibelius: Symphony No. 7 in C major, Op. 105

Sibelius: Pelléas and Mélisande

Schubert: Symphony No. 6 in C major, D589

Grieg: In Autumn, Op. 11

Grieg: Old Norwegian Romance with Variations, Op. 51

Balakirev: Symphony No. 1 in C major

Borodin: Prince Igor: Polovtsian Dances

Handel: Samson

Brahms: Schicksalslied, Op. 54

Brahms: Academic Festival Overture, Op. 80

Liszt: Psalm XIII 3 “Herr, wie lange willst du » lange willst du”

Mozart: Symphony No. 41 in C major, K551 ‘Jupiter’

Mozart: Divertimento No. 2

Mozart: Die Entführung aus dem Serail

Beethoven: Symphony No. 2

Beethoven: Incidental music to The Ruins of Athens

Bizet: L’Arlésienne Suites 1 & 2

Sibelius: Tapiola

Fauré: Pavane

Delius: Summer Evening

Delius: Irmelin Prelude

Dvořák: Legend in B flat major, B. 117

Grieg: Symphonic Dance, Op. 64 No. 2

Delius: Brigg Fair

Delius: A Song Before Sunrise

Delius: Marche Caprice

Delius: Pieces (2) for Small Orchestra

Delius: Sleigh Ride

Delius: Intermezzo

Delius: Florida Suite

Delius: Dance Rhapsody No. 2

Delius: Over the hills and far away

Delius: Songs of Sunset (John Cameron, Maureen Forrester)

Grieg: Peer Gynt

Haydn: The Seasons

Handel: Love in Bath (suite on Handel arias by Sir Thomas Beecham)

Rimsky Korsakov: Scheherazade

Lollipops

Fauré: Dolly Suite

Bizet: Carmen Suite No. 1

Franck: Symphony in D minor

Liszt: A Faust Symphony

Liszt: Orpheus, symphonic poem No. 4

Strauss, R: Ein Heldenleben

Beethoven: Mass in C major

Handel: The Gods go A’Begging (Ballet Suite)

Handel: Amaryllis Suite arr. By Beecham

Handel: Arrival of the Queen of Sheba (from Solomon)

Mozart: Die Entführung aus dem Serail, ouv.

Rossini: Semiramide our.

Haydn: Symphony No. 99

Haydn: Symphony No. 100

Haydn: Symphony No. 103

Haydn: Symphony No. 101

Haydn: Symphony No. 102

Haydn: Symphony No. 104

Schubert: Symphony No. 3

Schubert: Symphony No. 5

Mozart: Bassoon Concerto (Gwydion Brooke)

Mozart: Clarinet Concerto (Jack Brymer)

Bizet: Carmen

Beethoven: Symphony No. 7

Brahms: Symphony No. 2

Rossini: La gazza ladra Overture

Rossini: La cambiale di matrimonio Overture

Mendelssohn: A Midsummer Night’s Dream Overture, Op. 21

Mendelssohn: The Fair Melusine

Delibes: Le roi s’amuse

Berlioz : Symphonie fantastique

Bizet : Symphonie

Lalo : Symphonie

*Apparemment, la remasterisation n’a pas permis d’effacer un téléphone intempestif qu’on entend très nettement (au casque) sonner dans le 2e mouvement « Un bal » de la Symphonie fantastique de Berlioz (à 0’56 du début du mouvement) !)

Et toujours les bonnes ou moins bonnes nouvelles des jours sur mes brèves de blog

Peer Gynt versions S.F.

Les magazines de musique classique (Diapason, Classica, Gramophone) – que je lis toujours régulièrement – ont insensiblement mais résolument pris le pli de combler la raréfaction de la production discographique, qui, il n’y a pas encore si longtemps, occupait l’essentiel de leurs pages, par des articles de fond.

Le numéro d’avril de Diapason contient un passionnant dossier sur le Peer Gynt de Grieg, qu’on n’attendait pas signé de Sylvain Fort, grand maître ès vocalités, lyriques ou mélodiques. Même si la musique de scène que le compositeur norvégien a écrite pour la pièce éponyme d’Ibsen contient des parties chantées. On s’attendait encore moins à être surpris par les références discographiques choisies par l’auteur. Leçon de modestie pour qui croyait si bien connaître la discographie de l’oeuvre…

Sans dévoiler les conclusions de Sylvain Fort – il faut acheter et lire Diapason pour cela ! -, je commencerai par faire état des versions qui m’ont accompagné depuis mes jeunes années, versions que tient Fort en haute estime – le contraire m’eût étonné et n’eût pas manqué de susciter une vive protestation à son endroit ! -, à commencer par l’ineffable Sir Thomas, Beecham du nom des pilules laxatives qui ont fait la fortune de sa famille (!!).

Y a-t-il plus terrifiant que cet « Antre du roi de la montagne » ?

Arrivé peu après dans ma discothèque, John Barbirolli, dans une collection économique allemande, nous tire des larmes de la Mort d’Ase

Si je continue à la lettre B, je trouve deux fois l’actuel vétéran de la direction, le Suédois devenu Américain Herbert Blomstedt, 96 ans en juillet prochain, une fois à Dresde, l’autre à San Francisco. Sylvain Fort les relève l’une et l’autre, je ne dirai pas celle qu’il préfère !

Toujours en suivant l’ordre alphabétique, j’arrive aux Järvi, père et fils. Me revient, si vif, le souvenir de l’intégrale de la musique de scène qu’avait donnée l’Opéra de Paris, le 19 avril 1995, à Bastille, dirigée si parfaitement par Neeme Järvi. Sa gravure à Göteborg est idiomatique.

Marchant sur les traces de son père (il faudra un jour dire à quel point l’ombre de Neeme influence le parcours… et la discographie du fils aîné) Paavo trouve avec ses forces estoniennes les couleurs fauves qui conviennent.

J’ai encore en rayon Neville Marriner (première version avec l’Academy of St Martin in the Fields), Hans Cristian Ruud dans l’édition Grieg du label BIS, et Esa-Pekka Salonen à Oslo.

Mais la grande surprise pour moi, au point que je me suis un instant demandé si un poisson d’avril ne s’était pas glissé dans le dossier de Diapason, est la présence d’une version qui m’avait complètement échappé : Jeffrey Tate dirigeant l’orchestre philharmonique de Berlin ! Je n’ai jamais eu, à tort, une grande considération pour ce chef, qu’à l’opéra ou en concert, je trouvais toujours « honnête » mais guère palpitant. Je vais donc grâce à Diapason enrichir ma discothèque d’un nouvel élément

Il y a bien d’autres informations et découvertes à faire dans le dossier de Sylvain Fort. Comme la version récente d’Edward Gardner avec l’orchestre « natal » de Grieg (Bergen) et cette précision qui ravira tous ceux qui ont subi tant de publicités laitières et autres : « Au matin » n’évoque nullement la fraîcheur des fjords scandinaves mais la douceur d’une oasis marocaine !

Les classiques de Gainsbourg

Eh oui ! Serge Gainsbourg, mort il y a trente ans, le 2 mars 1991, était un emprunteur. Il n’a jamais renié son amour de la musique classique (« J’aime la grande musique. Moi je fais de la petite musique. De la musiquette. Un art mineur. Donc j’emprunte »), ni a fortiori les sources d’inspiration de plusieurs de ses chansons (une vingtaine au moins).

Il en parle dans le beau documentaire – Gainsbourg, toute une vie – diffusé vendredi dernier sur France 3 (qu’on peut encore revoir sur france.tv).

Max Dozolme en parlait ce matin sur France Musique : Gainsbourg au piano avec Chopin.

Nous l’avions illustré à Liège, lors d’une fête de la musique mémorable, en 2009 (lire l’article de Sylvain Rouvroy sur ResMusica : Salut Gainsbourg !) : dans la même soirée, une quinzaine de chanteurs s’étaient succédé sur la scène de la Salle Philharmonique de Liège, puis l’Orchestre philharmonique de Liège dirigé par Jean-Pierre Haeck avait joué cinq extraits « classiques ».

Je ne vais pas me livrer à une recension exhaustive des « emprunts » classiques de Gainsbourg, mais plutôt souligner les moins connus ou les plus originaux.

  1. Poupée beethovénienne

La plus célèbre des chansons de Gainsbourg pour France Gall, Poupée de cire, Poupée de son (1965)

a un furieux air de parenté avec l’un des thèmes du dernier mouvement de la 1ère sonate pour piano de Beethoven. La preuve : écouter Daniel Barenboim à 0’38

2. My Lady sur un marché persan

Gainsbourg, pour son sulfureux Lady Heroïne, va chercher une mélodie chez le Britannique Albert Ketelbey (1875-1959), auteur à succès de musiques « exotiques », comme Sur un marché persan à écouter à partir de 1’45 »

3. La chanson perdue de Solveig

Enregistrée en concert, dans la ville natale de Grieg, par l’excellent orchestre de Bergen et son excellent chef Edward Gardner, la chanson de Solveig, faisant partie de la musique de scène de Peer Gynt, est à entendre à 14’50.

4. Jane et Frédéric

Chopin a inspiré plusieurs des mélodies de Gainsbourg, et pas nécessairement les pièces les plus connues. Ainsi le 4ème des Préludes op.28, si mélancolique, donne Jane B. en 1969

5. La Tristesse de Charlotte

Lemon Incest s’inspire directement de la plus célèbre des Etudes de Chopin, la 3ème de l’opus 10, surnommée « Tristesse »

6. Chopin dépressif

Toujours Chopin dans Dépression au-dessus du jardin

Cette fois c’est la 9ème des études de l’opus 10 qui est convoquée. Ici sous les doigts inimitablement poétiques d’Artur Rubinstein

7.8. Son Nouveau Monde

Gainsbourg utilise, à deux reprises, des thèmes de la Symphonie n°9 dite « du Nouveau monde » de Dvorak.

Le moins évident des emprunts – dans le 4ème mouvement de la symphonie – se trouve dans le film Le Pacha de Georges Lautner (1968) et la chanson Requiem pour un con que Gainsbourg chante et joue devant Jean Gabin

à partir de 0’22 »

Pas non plus immédiate la référence au Nouveau monde dans Initials BB

on repère l’emprunt à 4’45 »

9. Lou Appassionnata

Le rapport entre cette chanson et Beethoven ? Pas évident du tout. Mais Gainsbourg qui connaissait ses classiques trouve le thème du refrain de cette chanson dans l’un des thèmes de la sonate n°23 dite « Appassionata » de Beethoven…

Et pour finir cette liste non limitative, le plus célèbre des emprunts gainsbourgiens à la musique classique :

Brahms et le charme mélancolique du troisième mouvement de sa 3ème symphonie ne pouvaient pas ne pas séduire Gainsbourg.

J’ai pour cette intégrale viennoise de John Barbirolli une tendresse toute particulière, même s’il y a bien des versions plus idiomatiques (lire Barbirolli le Viennois)