Bucarest en fête

C’est ma cinquième venue à Bucarest (voir les images de ma précédente visite ici : Bucarest).

J’ai raconté les premiers voyages (dès 1973 !) dans Retour à Bucarest.

Mais c’est la première fois que j’assiste à ce qui est parfaitement exposé dans cette vidéo, le premier festival de musique classique d’Europe, le festival Enesco, du nom du plus célèbre compositeur/pianiste/violoniste roumain George Enescu (ou Georges Enesco comme on l’appelait à Paris)

C’est bien le directeur d’un festival qui rassemble, hors pandémie, plus de 100000 spectateurs chaque été, en plus de 150 concerts – l’auteur de ces lignes !- qui l’affirme : le Festival Enesco, qui fête ses 25 ans cette année sous la houlette de son infatigable directeur Mihai Constantinescu, n’a pas d’équivalent ni en Europe ni dans le monde. Les plus grands orchestres, solistes, chefs, s’y donnent rendez-vous en un tourbillon incessant de concerts.

En ce dimanche 12 septembre, pas moins de cinq propositions, trois à Bucarest, deux dans d’autres villes de Roumanie.

Les concerts du soir sont radiodiffusés, télévisés par la radio-télévision publique roumaine.. et disponibles gratuitement en streaming ! De ce point de vue là aussi, le Festival Enesco est unique !

Cela n’empêche pas le public de se presser en nombre au concert dans la gigantesque Sala Palatului, construite en 1960 et d’abord destinée aux grands congrès communistes. Un public de tous âges, qui s’habille encore, sans ostentation mais avec goût – pas de shorts, de baskets ou de sandales ici ! -, qui ne ménage pas ses applaudissements aux artistes qui le font vibrer.



Ce dimanche 12 septembre, c’était l’Orchestre philharmonique de Rotterdam, son nouveau chef Lahav Shani (32 ans)- découvert il y a cinq ans déjà à la Maison de la Radio à Paris (lire Le classique c’est jeune) et un pianiste – Yefim Bronfman – que je n’avais encore jamais entendu en concert !

Programme peu aventureux : Troisième concerto de Rachmaninov et Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski/Ravel.

Mais de là où j’étais placé, j’ai enfin pu comprendre, voir, entendre, la complexité du piano de Rachmaninov… et le talent qu’il faut à l’interprète pour maîtriser une matière aussi dense et en tirer la substance poétique au-delà de la performance virtuose. C’est peu dire que Yefim Bronfman – dont je connaissais les Rachmaninov qu’ils a gravés avec Esa-Pekka Salonen – y parvient, sans aucun sentimentalisme ni esbroufe tapageuse.

Ce n’est pas non plus un hasard si on entend aussi bien l’orchestre de Rachmaninov et l’osmose entre chef et soliste, Lahav Shani est aussi pianiste ! Les deux en feront la démonstration après que Bronfman, ovationné, nous aura donné un nocturne de Chopin en bis, d’une simplicité, d’une pureté de ligne (qui font penser à Rachmaninov jouant Chopin), en jouant à quatre mains une joyeuse Danse hongroise n°5 de Brahms.

Ce soir c’est l’enfant du pays qui joue à domicile : Cristian Măcelaru dirige l’Orchestre national de France, avec en soliste Maxime Vengerov (que je n’ai plus entendu depuis des lustres).

Le temps du muguet

Les Français connaissent (par coeur ?) la chanson Le Temps du muguet, écrite en 1959 par Francis Lemarque (1917-2002)

Il est revenu le temps du muguet
Comme un vieil ami retrouvé
Il est revenu flâner le long des quais
Jusqu’au banc où je t’attendais
Et j’ai vu refleurir
L’éclat de ton sourire
Aujourd’hui plus beau que jamais

Le temps du muguet ne dure jamais
Plus longtemps que le mois de mai
Quand tous ses bouquets déjà seront fanés
Pour nous deux, rien n’aura changé
Aussi belle qu’avant
Notre chanson d’amour
Chantera comme au premier jour

Il s’en est allé, le temps du muguet
Comme un vieil ami fatigué
Pour toute une année, pour se faire oublier

En partant, il nous a laissé
Un peu de son printemps
Un peu de ses vingt ans
Pour s’aimer, pour s’aimer longtemps

Dès sa publication, Danielle Darrieux s’est approprié la chanson. Normal l’actrice/chanteuse était née un 1er mai (1917)

On lit dans les notices écrites sur Lemarque que cette chanson s’inspire d’une « mélodie populaire traditionnelle russe ». Rien n’est plus faux. Francis Lemarque, compagnon de route du Parti communiste… et de l’Union soviétique, a très vite vu le parti qu’il pourrait tirer de la chanson composée, en 1955, par Vassili Soloviov-Sedoï (musique) et Mikhaïl Matoussovski (paroles).

Les soirées de Moscou / Подмосковные вечера

Не слышны в саду даже шорохи,

Всё здесь замерло до утра.

Eсли б знали вы, как мне дороги

Подмосковные вечера

Rien à voir avec le Premier Mai, ni avec le muguet, dans cette chanson qui devait d’abord s’appeler Les nuits de Leningrad, le compositeur étant natif de l’actuelle Saint-Pétersbourg. A la demande du ministère soviétique de la Culture, elle devient Les nuits de Moscou.

C’est l’acteur/chanteur Vladimir Trochine qui la crée dans un petit film de propagande destiné à illustrer le bonheur de vivre dans la capitale de l’Union Soviétique !

Mais ce n’est qu’en 1957 qu’elle acquiert une popularité internationale : elle est primée au Festival mondial de la jeunesse et des étudiants – une manifestation très prisée des régimes communistes (le premier « festival » eut lieu à Moscou en 1957, le treizième et dernier en 1989 à Pyongyang… en Corée du Nord !). Elle va aussi servir d’indicatif à Radio Moscou.

Elle a depuis acquis son statut de « chanson traditionnelle ».

Ce n’est pas sans une grande émotion qu’on revoit cet extrait d’un concert donné en 2013 sur la Place Rouge à Moscou, avec le duo le plus glamour de l’opéra russe, le très regretté Dmitri Hvorostovski (1962-2017) – lire Le combat perdu de Dmitri H., et la sémillante Anna Netrebko.

En 1958, en pleine guerre froide entre le bloc soviétique et l’Occident, la victoire d’un jeune pianiste américain Van Cliburn (lire Un Texan conquiert Moscou) au Concours Tchaikovski fait figure d’événement mondial.

L’Américain sait recueillir les faveurs du public moscovite en choisissant un bis très particulier :

La petite histoire (V) : les politiques au micro

Je l’avais promis dans cet article L’aventure France Musique : fortes têtes : Je raconterai une autre fois quelques rendez-vous savoureux, étonnants ou émouvants, que nous eûmes, François Serrette et moi, avec des personnalités que nous souhaitions inviter dans « Domaine privé », notamment une belle brochette d’hommes politiques…

« Domaine privé » était une émission quotidienne de France Musique, voulue par Claude Samuel, qui souhaitait y inviter des personnalités à livrer leurs souvenirs et leurs dilections musicales.

861502_4662915090120_1586218311_n(De gauche à droite, Gérard Courchelle, grand mélomane, alors présentateur vedette du journal de 8h sur France Inter, Claude Samuel, Janine Reiss, François Serrette, le comédien Pierre Vaneck, Michel Larigaudrie, le réalisateur de l’émission, l’écrivain et académicien Frédéric Vitoux, Peter Diamand, alors conseiller artistique de l’Orchestre de Paris et JPR)

J’avais suggéré, avant une élection importante (présidentielle de 1995?), qu’on consacre une semaine de ce « Domaine privé » à des hommes politiques mélomanes. Idée retenue, mais pas évidente à réaliser : il nous fallait des personnalités connues, aux goûts musicaux avérés, mais pas directement impliquées dans la vie politique ni a fortiori dans l’élection à venir, et reflétant l’éventail des sensibilités politiques de l’époque.

Pour ce qui était alors le RPR, le mouvement d’inspiration gaulliste fondé par Jacques Chirac en 1976, le choix n’était pas large. On ne pouvait pas inviter le ministre de la Culture de l’époque, Jacques Toubon. Olivier Morel-Maroger, qui travaillait auprès de Claude Samuel (et qui sera directeur de France Musique de 2011 à 2014), donna le nom d’un député de Paris dont il était proche et qui portait un patronyme qui ne pouvait laisser personne indifférent, Jean de Gaulle

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Pour la mouvance écologiste, mêmes interrogations. Je ne sais plus qui nous suggéra finalement de rencontrer Brice Lalonde, ce que nous fîmes François Serrette et moi. L’ancien ministre de Michel Rocard fut d’abord surpris de notre démarche, et accepta avec enthousiasme de se plier à l’exercice, il raconterait les musiques qui avaient bercé son enfance et son adolescence.

Les trois autres invités s’imposèrent comme des évidences.

Pour le Parti Communiste, la figure de Jack Ralite, longtemps maire d’aubervilliers, éphémère ministre de la Santé de Mitterrand – il n’aura jamais été ministre de la Culture – était incontournable. Je n’ai pas le souvenir d’une programmation musicale marquante, mais Ralite était intarissable et eut d’ailleurs du mal à respecter les contraintes horaires de l’émission.

Pour le Parti Socialiste, notre choix ne surprit que ceux qui ne fréquentaient pas les salles de concert parisiennes (assurément très nombreux !). Même du temps qu’il était ministre, Pierre Joxe était un auditeur/spectateur assidu. Il était devenu premier président de la Cour des Comptes en 1993. François Serrette et moi nous rendîmes donc rue Cambon après avoir sollicité un entretien avec l’ancien ministre de François Mitterrand. Erreur de secrétariat ? Après une longue attente, nous vîmes arriver dans le sombre couloir orné de tapisseries d’Aubusson où nous patientions, Pierre Joxe accompagné d’un personnage qui se présenta comme le premier rapporteur de la Cour. Manifestement, l’un et l’autre attendaient d’autres visiteurs que nous. Je dus insister auprès d’un premier président bien peu aimable pour qu’il écoute au moins l’objet de notre visite. Et soudain l’austère visage s’éclaira : « D’accord je ferai votre émission, mais je veux carte blanche, je ferai moi-même le programme, le découpage » 

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Ce qui fut promis fut tenu, Pierre Joxe arriva le jour dit, parfaitement préparé, refusant qu’on le dérange dans les minutes précédant le direct (même Jean Maheu, le PDG descendu tout exprès au studio, en fut pour ses frais).

Pour l’UDFle nom de l’ancien Premier ministre de Giscard, Raymond Barre tombait sous le sens. Retiré de la vie politique nationale depuis son échec à l’élection présidentielle de 1988, Barre soignait son image d’économiste réputé et de politique rigoureux (l’actualité récente a sévèrement écorné cette image : La fortune secrète de Raymond Barre). Serrette et moi avions obtenu, non sans mal, un rendez-vous avec lui, à ses bureaux du boulevard Saint-Germain (« mais pas plus de vingt minutes, l’agenda du Premier ministre est très chargé » !. 

Ambiance club anglais, fauteuils profonds, Raymond Barre nous accueillit courtoisement mais, encore une fois mal informé du propos de notre visite, nous dissuada d’emblée : « Je ne donne plus d’interview, je n’ai rien à dire » ! Mais comme avec Pierre Joxe, le changement de ton fut immédiat lorsque nous commençâmes à évoquer Mozart, Aix, Salzbourg, les festivals que l’ancien premier ministre aimait fréquenter. Je lui rappelai l’inauguration, quelques années auparavant, de la Grange aux Lacs à EvianEt lui d’évoquer ses compositeurs, ses opéras, ses disques préférés, avec une vraie pertinence et une vraie connaissance de mélomane averti. A deux reprises, une secrétaire vint l’interrompre (« Vous êtes attendu à l’Assemblée Nationale », « Vous allez être en retard« ) et s’entendit répondre : Les députés attendront, ce n’est pas tous les jours que j’ai l’occasion de parler musique en excellente compagnie ! Laissez moi tranquille !

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La présence de Raymond Barre dans les studios de France Musique fit sensation. Ce fut sans doute, des cinq émissions « politiques », la plus suivie et commentée positivement. A la différence de Pierre Joxe, l’ancien premier ministre parut très soucieux de l’avis et du conseil des collaborateurs de la chaîne, du réalisateur de l’émission en particulier. Il sembla savourer le moment, cette parenthèse musicale et radiophonique, jusqu’à nous avouer que, s’il avait été plus jeune, il aurait peut-être envisagé une nouvelle carrière… sur France Musique !

 

La mort de Staline

Je n’ai pas lu les BD de Fabien Nury et Thierry Robin – La Mort de Staline

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qui ont inspiré le film du réalisateur britannique Armando Iannucci.

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Je viens de voir ce film.

Dans la nuit du 2 mars 1953, Staline est victime d’une attaque dans sa datcha surprotégée des environs de Moscou. Sa mort ne sera annoncée que le 5, le temps que le sinistre Beria et les autres membres de la garde rapprochée – Khrouchtchov, Malenkov – arrangent la succession et se positionnent pour le poste suprême de Secrétaire Général du Parti communiste de l’URSS laissé vacant.

Voilà pour le pitch du film, qui, pour être fidèle à la BD et donc à la réalité des faits historiques, n’en prend pas moins quelques libertés avec la chronologie des événements.

Première remarque sur la « pub » censée attirer le public : « La comédie anglaise la plus drôle depuis des années ». Ridicule, voire insultante lorsqu’on mesure la gravité du sujet et surtout des circonstances. Je n’ai pas entendu un spectateur de la salle où je me trouvais s’esclaffer bruyamment, ni même sourire. On est loin de « Papy fait de la résistance » ! 

Certes on rit souvent jaune, devant l’absurdité ou le burlesque involontaire des situations, mais on est surtout happé par une réalisation virtuose, placé aux premières loges d’un système terrifiant, au coeur d’une dictature impitoyable où même les plus proches de Staline savent qu’ils peuvent à tout moment être inscrits sur la liste des promis à la torture, au goulag et à la mort. La veulerie, la vulgarité, la pleutrerie de cet entourage – les Malenkov, Khrouchtchov, Molotov – et l’ignoble Beria (extraordinaire Simon Russell Beale) sont dépeints sans complaisance par Iannucci. Pour les fans de la série Homelandle fils de Staline, Vassily, est joué par Rupert Friend (Peter Quinn)

Le film s’ouvre sur une séquence qui a bien existé, mais pas dans ce contexte ni à cette date : la grande pianiste russe Maria Yudina joue le 23ème concerto de Mozart. Un appel téléphonique à la régie de la salle fait savoir que Staline lui-même a entendu le concert à la radio et souhaite qu’on lui apporte l’enregistrement du concert. Mais celui-ci n’a pas été au sens propre ni gravé ni enregistré puisqu’il était diffusé en direct ! On ne racontera pas la suite, mais dans le film le malaise fatal de Staline survient alors qu’il s’apprête à écouter le disque qu’on a fini par graver pour lui et qu’il lit le message que la pianiste a glissé in extremis dans la pochette du disque…

https://www.youtube.com/watch?v=YGZoKplBhfo

Autre « liberté » prise avec l’histoire : l’élimination de Beria n’est survenue qu’à la fin de l’année 1953, dans le film elle a lieu dans la foulée des obsèques de Staline.

La bande-son est signée Christopher Willisplus « chostakovienne » que nature. Une réussite !

https://www.youtube.com/watch?list=PLZdRmoWUXSff-X9uPShzyAKNSHAGPS_B3&v=7ukv7e-XHHk

Un film à voir évidemment.

Et, pour ceux qui ne la connaissent pas déjà, une pianiste tout à fait extraordinaire qui se serait bien passée de rester dans l’histoire comme ‘la préférée de Staline », Maria Yudina (1899-1970), dont on ne se lasse pas de réécouter les enregistrements.

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