Une fête pour la musique à la radio

La célèbre Maison ronde du quai Kennedy, inaugurée par le général de Gaulle en 1963, a changé de nom hier : c’est désormais la Maison de la radio et de la musique.

Y avait-il une raison de rebaptiser la maison de la radio ? La sortie d’une crise qui a profondément affecté Radio France, comme tous les Français, en a été le prétexte.

Mais, comme l’a rappelé excellement Jean-Michel Jarre, la radio de service public, est depuis toujours une maison de musique, pas seulement parce qu’on y donne plus de 300 concerts par an, pas seulement parce qu’elle héberge quatre formations prestigieuses – l’Orchestre National de France, l’Orchestre philharmonique de Radio France, le Choeur et la Maîtrise de Radio France – (lire Ma part de vérité), mais aussi parce que, depuis des décennies, on y a expérimenté, créé, innové dans le champ des musiques électroniques, les techniques de captation, de prise de son – les équipes de Radio France sont réputées et recherchées pour cela -. Et bien entendu, parce que, depuis la mi-novembre 2014, cette maison dispose de deux magnifiques salles de concert (voir La Fête), l’Auditorium et le Studio 104.

On a retrouvé avec plaisir bien sûr les actuels dirigeants de la Maison de la radio … et de la Musique, la présidente de Radio France depuis 2018, Sibyle Veil, le directeur de la musique et de la création Michel Orier, les patrons de toutes les chaînes du groupe, à commencer par Marc Voinchet (France Musique) et Sandrine Treiner (France-Culture), rejoints pour la photo par la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, qui, règles électorales obligent, est restée muette.

(de gauche à droite, Jean-Michel Jarre, Didier Varrod, Sibyle Veil, Michel Orier, Roselyne Bachelot)

Beaucoup de visages familiers, Frédéric Lodéon, les anciens présidents de Radio France, Jean-Paul Cluzel (celui qui avait lancé le chantier de l’Auditorium en 2005), Mathieu Gallet (qui l’avait inauguré en 2014), le président du CSA Roch-Olivier Maistre, Antoine de Caunes, Nicolas Droin (le directeur de l’Orchestre de chambre de Paris), beaucoup de musiciens, le quatuor Hermès, Félicien Brut, Edouard Macarez, Marie Perbost, le Bastet (l’ensemble de contrebasses du Philharmonique de Radio France), des gens qu’on connaît bien au Festival Radio France

Le public présent a pu aussi bénéficier d’une répétition de l’Orchestre National de France, en prélude au concert de ce jeudi soir.

Le retour au concert

On ne pensait pas que le seul fait d’aller au concert constituerait un événement ! Et pourtant c’est ce que j’ai ressenti jeudi soir en revenant à la Maison de la Radio (et de la Musique!), huit mois après le concert inaugural (lire Inauguration) du chef roumain Cristian Măcelaru, le nouveau directeur musical de l’Orchestre National de France.

Peu de monde dans l’Auditorium de Radio France (jauge à 35 % oblige), un programme sortant vraiment des sentiers battus.

J’ai aimé retrouver cette très belle salle, dont j’ai eu naguère la charge de préparer l’inauguration – en novembre 2014 – .

Le concert – sans entracte – s’ouvrait par le Concerto pour piano et vents de Stravinsky (1924).
Bertrand Chamayou était le soliste – parfait – d’une oeuvre qui n’est jamais parvenue à me passionner, ni même à m’intéresser.
On parle de période « néo-classique » pour Stravinsky, comme une manière d’expliquer, d’excuser la baisse, voire l’absence d’inspiration pour l’auteur glorieux, dix ans plus tôt, d’une trilogie fondatrice de la musique du XXème siècle (L’Oiseau de feu, Petrouchka et, plus encore, le Sacre du Printemps). Pupitres de bois et cuivres resplendissants du National.

La deuxième oeuvre au programme est une rareté absolue, peut-être même une première française ? Les Trois pièces pour cordes sont l’oeuvre d’un très jeune homme : le chef d’orchestre roumain Constantin Silvestri (1913-1969) a 17 ans lorsqu’il compose cette partition, qui se situe dans l’orbite d’un Bartok ou d’un Kodaly, d’inspiration populaire, et qui agit en parfait révélateur de la cohésion d’un orchestre. Si Cristian Măcelaru voulait nous prouver que l’entente entre le National et lui est plus que cordiale, alors c’est réussi. Avec un atout-maître pour le chef roumain, la présence au pupitre de premier violon solo de sa compatriote Sarah Nemtanu)

En septembre 2020, pour son premier concert (Inauguration), Cristian Măcelaru avait déjà choisi une symphonie de Saint-Saëns. Jeudi c’était la toute première, oeuvre d’un adolescent, pleine de belles intentions, de mélodies et de rythmes entraînants, pleine aussi de maladresses et de lourdeurs.

À connaître bien sûr, même si le jeune Saint-Saëns en 1853 est loin d’un Georges Bizet qui écrit, lui, son unique Symphonie en do majeur, à 17 ans lui aussi en 1855. La promesse d’un côté, une juvénilité déjà accomplie de l’autre.

Un concert, celui de jeudi soir, à réécouter sur le site de France Musique : Concert en trois temps.

On peut aussi revoir avec plaisir la Symphonie n°2 donnée en septembre dernier :

L’Orchestre National, Bertrand Chamayou et Cristian Măcelaru seront à Montpellier, le 20 juillet prochain, dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellier. A découvrir absolument : lefestival.eu

Déconfinement

Lorsque j’ai fait cette annonce – c’était le 7 avril dernier ! – je me suis heurté à ceux, y compris dans mon entourage, qui me trouvaient, au choix, inconscient, imprudent, excessivement optimiste. Certains faisaient le rapprochement avec l’an dernier : le 2 avril j’avais annoncé l’édition 2020 du Festival Radio France, pour finalement devoir l’annuler le 24 avril (et pourtant nous avons fait un Festival malgré tout !)

La meilleure réponse nous a été apportée par le public qui, dès l’ouverture des réservations le 8 avril, s’est précipité sur la billetterie en ligne du Festival et a, ainsi, validé notre optimisme et surtout la programmation festive de cette édition 2021 (lefestival.eu)

Chaque concert est une fête

C’est plus que le slogan de ce prochain Festival, c’est une conviction, une promesse.

Des preuves ? Un premier florilège des oeuvres et des artistes programmés (il y a aura une suite !)

Le 14 juillet, l’Umlaut Big Band ouvre le Bal à Montpellier

Le lendemain du feu d’artifice de la Fête nationale, Hervé Niquet lance les Feux d’artifice royaux

Ce même 15 juillet, un duo de charme, Sophie Karthäuser et Cédric Tiberghien, ouvre la série Musique ensemble

Le lendemain, le très talentueux Dmitry Shishkin, 2ème prix du Concours Tchaikovski 2019*- l’un des 30 pianistes invités du Festival ! – figure parmi les Découvertes de cette édition 2021.

Le 16 juillet, dans la grande salle de l’Opéra Berlioz, une séance de sonates au sommet : Richard Strauss, Elgar, Fauré sous les doigts et l’archet de Michel Dalberto et Renaud Capuçon

Le 18 juillet, le Festival retrouve son chef porte-bonheur, Santtu-Matias Rouvali. Découvert, pour ma part, en 2014 lorsqu’il était venu diriger deux concerts, deux programmes, déjà à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France

SMR était revenu avec les mêmes en 2018 pour un Sacre du printemps mémorable, et en 2019 pour deux concerts tout aussi exceptionnels avec l’orchestre philharmonique de Tampere (Finlande) dont il est le directeur musical depuis 2013

(de gauche à droite, Santtu-Matias Rouvali, JPR, Jean-Luc Votano qui venait de jouer l’extraordinaire concerto pour clarinette de Magnus Lindberg)

Thibaut Garcia est un autre invité de choix du #FestivalRF21. Il sera de la soirée du 18 juillet, et de plusieurs autres à Montpellier et dans la Région Occitanie.

Le 19 juillet, François-Xavier Roth, son orchestre « Les Siècles » et la violoncelliste argentine Sol Gabetta nous offrent un programme tout Saint-Saëns, dont le rare 2ème concerto pour violoncelle.

Je ne peux m’empêcher de redonner un coup de projecteur sur un projet discographique qui m’avait passionné : l’intégrale des oeuvres concertantes de Saint-Saëns pour violon et violoncelle.

Saint-Saëns est à l’honneur du concert de l’Orchestre National de France et de son chef Cristian Măcelaru, avec une vraie rareté, pour ma part, jamais entendue en concert, l’une des cinq symphonies du compositeur français, Urbs Roma. On se réjouit de l’appétit que manifeste le nouveau directeur musical de l’ONF pour le répertoire français, comme en témoigne cet enregistrement – sans public – réalisé durant le confinement.

On poursuivra bientôt ces invitations aux concerts de l’été.

Tout le programme est à retrouver et télécharger ici. Et les réservations sont plus que recommandées : https://lefestival.eu

*Le premier Prix du Concours Tchaikovski 2019 sera aussi présent au Festival le 24 juillet (Alexandre Kantorow)

De la terre aux étoiles

Thomas Pesquet décolle aujourd’hui de Cap Canaveral pour une nouvelle mission de six mois dans la station spatiale internationale et le monde entier va rêver avec lui.

La fascination pour l’immensité de l’univers, pour les étoiles, les planètes, la vie céleste, est vieille comme le monde. Et chez les musiciens une source d’inspiration inépuisable.

Quelques exemples :

Les Pléiades

L’édition 2021 du Festival Radio France Occitanie Montpellier a placé deux journées de concerts, les 24 et 25 juillet, sous l’égide De la terre aux étoiles (voir le programme ici), et sous le ciel étoilé de Montpellier, les Percussions de l’Orchestre National de France donneront la fascinante partition de Iannis Xenakis (1922-2001), Pléiades, une oeuvre de 1978 créée par les Percussions de Strasbourg, dont le titre fait explicitement référence aux Pléiades de la mythologie et, bien entendu, à la constellation des Pléiades

Les Planètes

Le vaste poème symphonique de Gustav Holst (1874-1934) – The Planets – est l’oeuvre qui a assuré la célébrité internationale, et la postérité, du compositeur anglais, et celle qui a occulté le reste de son oeuvre.

L’œuvre est écrite entre 1914 et 1917, et créée à Londres le 29 septembre 1918, sous la direction d’Adrian Boult.

À la suite de l’échec de The Cloud Messenger en 1913, Holst est invité en villégiature chez son ami Balfour Gardiner. La même année, son ami, le compositeur Arnold Bax et son frère Clifford les rejoignent afin d’apporter leurs lumières sur la composition et l’orchestration. Les frères Bax vont lui parler d’astrologie mais surtout lui inspirer l’idée de « personnifier » chaque planète du système solaire. D’où les 7 mouvements correspondant aux 7 planètes connues à l’époque de la composition (ainsi Pluton – découverte en 1930 et déclassifiée en 2006 – est absente du cycle de Holst, et fera l’objet d’un « ajout » de Colin Matthews en 1999 à la demande de Kent Nagano pour sa dernière saison à la tête du Hallé Orchestra)

Le premier mouvement Mars est composé juste avant le début de la Première Guerre mondiale (1914). Il s’agit, pour Holst, d’exprimer plus son sentiment d’une fin du monde, qu’une réaction face à la tragédie de la guerre. Le troisième mouvement Mercure, composé en dernier, sera achevé en 1916. Holst rangera ses partitions après les avoir terminées, croyant que personne ne pourrait monter en temps de guerre une œuvre demandant un aussi grand orchestre.

En septembre 1918, Balfour Gardiner loue le Queen’s Hall pour une représentation semi-privée. Le chef Adrian Boult n’aura que deux heures pour répéter cette pièce très complexe, ce qui fera dire plus tard à Imogen Holst, la fille du compositeur :

« Ils [les deux à trois cents amis et musiciens qui étaient venus écouter] trouvèrent les clameurs de Mars presque insupportables après quatre années d’une guerre qui se poursuivait. […] Mais c’est la fin de Neptune qui fut inoubliable, avec son chœur de voix féminines s’évanouissant au loin, jusqu’à ce que l’imagination ne pût faire la différence entre le son et le silence. »

Mars, celui qui apporte la guerre (Mars, the Bringer of War)

Vénus, celle qui apporte la paix (Venus, the Bringer of Peace)

Mercure, le messager ailé (Mercury, the Winged Messenger)

Jupiter, celui qui apporte la gaieté (Jupiter, the Bringer of Jollity)

Saturne, celui qui apporte la vieillesse (Saturn, the Bringer of Old Age)

Neptune, le mystique (Neptune, the Mystic)

Uranus, le magicien (Uranus, the Magician)

Le premier « mouvement » Mars a inspiré nombre de groupes de rock, été utilisé abondamment au cinéma et dans la publicité, notamment John Williams pour la musique de Stars Wars

Il existe d’innombrables versions des Planètes de Holst, à commencer par celles du créateur de l’oeuvre, Adrian Boult

Tous les grands chefs du XXème siècle ont enregistré leurs Planètes, souvent pour faire une démonstration de virtuosité orchestrale… et de prise de son spectaculaire !

Ma préférée est définitivement la radieuse version de James Levine (lire Une vie pour la musique) et du somptueux Chicago Symphony.

Le roi des étoiles

Quelques années avant Holst, Stravinsky conçoit, à Paris, en 1911, Le roi des étoiles (звездолики/zvezdoliki), une cantate pour grand orchestre et choeur d’hommes sur un texte du grand poète symboliste russe Constantin Balmont (dont Rachmaninov s’inspirera aussi pour ses Cloches)… d’une durée d’un peu plus de 5 minutes ! On ne s’étonnera pas que l’oeuvre soit rarement donnée, compte-tenu des effectifs qu’elle requiert. Il faudra d’ailleurs attendre 1939 pour que ce Roi des étoiles soit créé à Bruxelles sous la direction de Franz André.

L’oeuvre est dédiée à Debussy, qui ne l’entendit jamais, mais qui en reçut la partition de Stravinsky et qui en écrivit ceci : « La musique pour le Roi des étoiles reste extraordinaire… C’est probablement l’« harmonie des sphères éternelles » dont parle Platon (ne me demandez pas à quelle page !). Et je ne vois que dans Sirius ou Aldébaran une exécution possible de cette cantate pour « mondes » ! Quant à notre plus modeste planète, j’ose dire qu’elle restera telle une gaufre, à l’audition de cette œuvre.

Debussy qui écrit, en 1880, sa première mélodie, Nuit d’étoiles

Nuit d’étoiles
Sous tes voiles
Sous ta brise et tes parfums
Triste lyre
Qui soupire
Je rêve aux amours défunts
Je rêve aux amours défuntsLa sereine mélancolie
Vient éclore au fond de mon cœur
Et j’entends l’âme de ma mie
Tressallir dans le bois rêveurNuit d’étoiles
Sous tes voiles
Sous ta brise et tes parfums
Triste lyre
Qui soupire
Je rêve aux amours défunts
Je rêve aux amours défuntsJe revois à notre fontaine
Tes regards bleus comme les cieux
Cette rose, c’est ton haleine
Et ces étoiles sont tes yeuxNuit d’étoiles
Sous tes voiles
Sous ta brise et tes parfums
Triste lyre
Qui soupire
Je rêve aux amours défunts
Je rêve aux amours défunts

(Théodore de Banville)

(Van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône, 1888 / Musée d’Orsay)

Musique des sphères

Sur la théorie pythagoricienne de Musique des sphères ou d’Harmonie des sphères, on renvoie à l’article très documenté de Wikipedia.

Deux oeuvres au moins portent ce nom.

C’est d’abord l’une des grandes valses de Josef Strauss (1827-1870), Sphärenklänge, composée en 1868. Ici sublimée par Carlos Kleiber et les Wiener Philharmoniker lors du concert de Nouvel an 1992.

Mais c’est aussi une oeuvre beaucoup plus énigmatique d’un compositeur complètement atypique, le Danois Ruud Langgaard (1893-1952), contemporaine des Planètes de Holst, qui requiert un effectif monstrueux – soprano, choeur et deux orchestres !

Liste à compléter évidemment…

En attendant, on souhaite bon vol et belle mission à Thomas Pesquet, dont on est impatient de retrouver les magnifiques photos qu’il nous enverra de là-haut !

Petits et grands arrangements (II) : les Français

J’ai lancé, le 5 mars dernier, ce qui va ressembler à une série : Petits et grands arrangements, en commençant par les Anglais (et sans aucune ambition d’exhaustivité !).

En France aussi, les compositeurs « arrangeurs » sont légion, en particulier au XXème siècle. Ils sont plus ou moins célèbres.

Gaîté parisienne

Le plus connu d’entre eux, grâce à l’oeuvre qu’il a laissée (et qui a fait sa fortune !), est sans doute Manuel Rosenthal (1904-2003) avec sa Gaîté parisienne, flamboyant « arrangement » d’airs d’Offenbach. J’ai raconté dans quelles circonstances j’avais rencontré le chef d’orchestre/compositeur (Anniversaires : privé/public), en 2000. Parmi de multiples souvenirs qu’il évoquait sans se faire prier, il me raconta pourquoi et comment il avait accepté d’écrire en 1938 cette partition à l’intention des Ballets russes de Monte Carlo, lointain successeur des Ballets russes de Diaghilev qui s’étaient installés à Paris en 1909. C’est à un autre chef, Roger Désormière (1898-1963), qui avait été le dernier directeur musical des Ballets russes de 1925 à 1929, qu’on avait proposé cette « Offenbachiade« . Désormière avait refusé, Rosenthal avait accepté non sans hésitations.

Bien lui en prit, puisque c’est aujourd’hui un tube, dont les plus grands chefs se sont emparés, comme un emblème de « l’esprit français » ! Un peu caricatural tout ça, mais une partition brillante, l’un de ces « showpieces » qui fait rutiler les orchestres.

Toutes les versions ne retiennent pas l’intégralité de cette Gaîté parisienne.

Le compositeur a lui-même gravé deux versions de son oeuvre, deux fois d’ailleurs avec le même orchestre, celui qui avait créé l’oeuvre, Monte Carlo. Pour idiomatiques qu’elles soient, on hésite à les recommander comme références, la phalange monégasque montrant ses limites, et supportant difficilement la comparaison avec les formations berlinoises, londoniennes ou américaines.

La liste des chefs et des orchestres qui se sont frottés à cette Gaîté parisienne est assez impressionnante. Mais c’est peu dire que tous n’ont pas été également inspirés, confondant rutilance et vulgarité dans le traitement de l’orchestre, élégance et racolage dans l’énoncé des mélodies, légèreté et lourdeur dans la conduite rythmique. Parmi les beaux ratages il me faut malheureusement nommer des chefs que j’admire infiniment par ailleurs :

Inattendus dans cette liste, mais beaucoup plus convaincants que leurs illustres collègues américains, Felix Slatkin et Arthur Fiedler :

Autre inattendu dans la série, et récidiviste de surcroît, Georg Solti ! Les alanguissements, les lourdeurs, pas vraiment pour lui, ça court la poste et ça manque souvent d’un peu de charme, de tendresse. L’avantage de cette version gravée à Londres en 1958 c’est qu’elle reprend la totalité des numéros.

On découvre même Solti en concert sur cette vidéo :

Mais tout bien écouté, la palme revient incontestablement à Karajan, le chic, le charme, l’esprit, et la perfection de la réalisation orchestrale.

J’ai du mal à départager les versions berlinoise (1971) et londonienne (1958).

Si je devais n’en retenir qu’une, ce serait peut-être le Philharmonia…

Le beau Danube parisien

Où l’on retrouve Roger Désormière

Au printemps 1924, le comte Étienne de Beaumont organise les Soirées de Paris (titre-hommage à Apollinaire) au Théâtre de la Cigale à Montmartre, soirées artistiques et de ballet avec Léonide Massine en danseur-étoile et chorégraphe et Roger Désormière en directeur musical et chef d’orchestre. Les compositeurs sont Erik Satie, Darius Milhaud… Henri Sauguet réinterprète Olvier Métra… les costumes et les décors sont de Pablo Picasso et Georges Braque… Jean Cocteau livre sa propre vision de Roméo et Juliette. Pour cette musique, c’est Auric qui est pressenti, Poulenc devant donner sa propre version des valses de Vienne. Mais Diaghilev va mettre son veto à leur participation, c’est donc Désormière qui va composer ces deux dernières musiques, l’hommage à Vienne devenant le Beau Danube

Et cette œuvre de circonstance va être souvent reprise et grande source de royalties

Malgré ce succès, Désormière n’enregistrera jamais cette musique sur disque lui-même.

Selon le même principe que plus tard Rosenthal avec Offenbach, Désormière procède par collage de thèmes empruntés à des oeuvres plus ou moins connues de Johann Strauss. Mais quelque chose ne fonctionne pas, le charme n’opère pas. Ce Beau Danube sent l’exercice de style, rapidement troussé. D’ailleurs, à la différence de Gaîté parisienne, l’oeuvre n’a quasiment pas survécu à la Seconde Guerre mondiale. Elle a été peu enregistrée. Je reparlerai dans une autre billet d’arrangements beaucoup plus réussis d’oeuvres de Strauss.

Un seul disque réunit les deux oeuvres, Gaîté parisienne d’Offenbach/Rosenthal et Le Beau Danube de Strauss/Désormière. A la tête de l’orchestre de la radio de Berlin, un expert, le chef américain Paul Strauss (1922-2007), qui commença sa carrière en dirigeant nombre de ballets à … Monte Carlo, Londres, Berlin – j’ai eu la chance de connaître à la fin de sa vie celui qui fut de 1967 à 1977 le patron, redouté et admiré, de l’Orchestre philharmonique royal de Liège.

Le chapitre des « arrangeurs » français est très loin d’être clos. A moins qu’il faille plutôt ouvrir un nouveau chapitre « orchestrateurs », où on retrouvera d’illustres figures comme Ravel, Caplet, Büsser…

La belle carrière de Claude

L’annonce de la mort de Claude Carrière m’a touché. Tant de souvenirs liés à sa longue présence sur France Musique. Le souvenir d’une personnalité singulière et chaleureuse.

L’oeil qui frise, la bienveillance d’un visage rarement triste, on ne pouvait qu’aimer Claude. Jamais du temps où je fus son directeur – de France Musique – , Claude Carrière n’est venu revendiquer quoi que ce soit. Pourtant de remaniement en réaménagement de grille – les « contraintes budgétaires » déjà comme prétexte ! – son incontournable Jazz Club du vendredi soir fut plusieurs fois menacé non pas de disparaître mais d’horaires réduits, de « directs » supprimés. Il faut savoir, se rappeler qu’un directeur d’antenne à Radio France n’est pas complètement libre de ses décisions. En l’occurrence, Claude venait plaider tranquillement mais fermement sa cause, que je partageais. Et le Jazz Club survécut, avec Claude et son complice Jean Delmas, aux velléités des « budgétaires » de la maison de la Radio.

Le dernier souvenir que j’ai de lui est récent : il y a quelques mois, je le voyais quasiment à chaque concert de Radio France, concert classique de l’Orchestre National ou de l’Orchestre philharmonique de Radio France. Il m’avait confié sa gourmandise de musique classique, après un si long compagnonnage avec le jazz, une gourmandise informée.

Me revient à ce sujet un autre souvenir, que je cite souvent quand je parle de ma « période France Musique » : j’avais souvent remarqué, déjà à la Radio Suisse romande, qu’en dehors des journalistes, les producteurs de radio qui « font » de l’antenne ne bénéficiaient d’aucune formation spécifique. Certains n’en avaient pas besoin, ils étaient comme naturellement doués pour l’exercice (la réalité c’est qu’ils travaillaient beaucoup ce « naturel »), mais d’autres le souhaitaient, y compris parmi les plus chevronnés. C’est ainsi que j’organisai durant une journée, et sur une base volontaire, une session qui réunit une dizaine de producteurs de France Musique désireux de confronter leurs expériences et de progresser encore. Claude Carrière qui n’en avait vraiment pas besoin, était du lot. Lorsque parmi les exercices proposés, je mis les présents dans une situation d’urgence – la nécessité d’annoncer un concert classique sans aucune préparation préalable – celui qui s’en tira avec tous les honneurs – et les félicitations de ses camarades spécialisés dans le classique – ce fut Claude. Tout simplement parce qu’en homme de direct, habitué aux aléas d’un club de jazz, il dit les choses sans fioritures, sans commentaires pseudo-musicologiques, et avec les seules informations dont avait besoin l’auditeur : les oeuvres au programme, les compositeurs, les interprètes.

Grâce à Renaud Machart, à qui j’emprunte ces photos postées sur Twitter, je me remémore aussi une sacrée aventure menée à l’automne 1998. Renaud et Claude m’avaient proposé un projet fou, de ceux qui seraient inimaginables aujourd’hui : une semaine en direct de New York ! Avec de vrais artistes, classiques et jazz, qui acceptaient de jouer le matin… pour être, décalage horaire oblige, en direct à 18 h sur France Musique.

Si je me rappelle bien, nous avions eu l’aide de l’Alliance française de New York, nous nous retrouvions dans un restaurant français, à partager les jeux de mots laids, et les blagues pourries dont Claude était un fabuleux pourvoyeur (Renaud Machart-Cuterie n’était pas en reste !).

Mais, comme il y a prescription, je veux raconter ici un souvenir cuisant, qu’à l’époque je n’avais raconté à personne (sauf à Claude, Renaud et l’administratrice de France Musique). Nous avions obtenu l’accord des artistes new-yorkais de se produire en direct, à la seule condition de ne pas passer par les circuits très réglementés des cachets, syndicats d’artistes etc… Tous avaient accepté un « dédommagement » forfaitaire de frais, mais le total était tout de même conséquent. Hors de question de procéder par virement international ! J’étais donc parti de Paris, et du bureau de l’administratrice de France Musique, avec une enveloppe bourrée de billets de banque (je me demande rétrospectivement ce qui serait arrivé si les douanes française ou américaine m’avaient interrogé sur ce « transfert »). Arrivé le dimanche – précédant la semaine de directs – dans l’après-midi à Manhattan, je m’en fus d’abord courir au magasin Tower Records près de Washington square, puis boire un verre dans un café. Mes « biftons » soigneusement planqués dans une poche intérieure de ma veste. Le café en question était quasi-désert, je m’installai à une table, posai ma veste sur une chaise à côté de la mienne, et entamai la discussion avec deux amis que je venais de retrouver.

Au moment de régler l’addition, plus de portefeuille, plus d’argent, plus de cartes bancaires ! Je n’avais pas pris garde à ce consommateur qui était venu se placer à la table à côté de la nôtre… La police new-yorkaise me dira que c’était le « truc » le plus utilisé par les voleurs. J’avais heureusement le ticket de caisse de Tower Records qui comportait le numéro de la carte bancaire avec laquelle j’avais réglé mes achats. Sinon plus rien ! et donc plus d’argent pour régler les artistes. Je ne raconte pas les complications à mon retour à Paris…

Salut Claude ! On sait que tu es en bonne compagnie là où tu les a rejoints…

Les raretés du confinement (IX) : Mazeppa, l’été des festivals, Chick Corea, Kleiber, Britten et Bedford

#Confinement

Sur le confinement de la culture, cette phrase alambiquée de la ministre de la Culture française, Roselyne Bachelot : « L’hypothèse d’un été sans festival est exclue » (France 5, C à vous, 10 février).

Je n’ai pas attendu la déclaration ministérielle pour écrire ceci sur le site du Festival Radio France Occitanie Montpellier :

Sous le signe de la fête

Voici des mois que la culture est confinée, qu’une part essentielle de nous-mêmes est privée d’une liberté, d’une nourriture, indispensables. Pourtant nous avons besoin de musique, d’art, de beauté, nous avons besoin de retrouver la réalité vivante du concert, du spectacle. C’est tout le sens de l’édition 2021 du Festival qui aura lieu du 10 au 30 juillet, à Montpellier et dans toute l’Occitanie.

Chaque concert sera une fête ! Une fête pour ces milliers d’artistes, de travailleurs du spectacle, privés depuis trop longtemps de la liberté d’exercer leur métier, une fête pour tous les publics, une fête de la musique et de la culture partagées.

Les nouvelles stars

Ils s’appellent Jakub Józef Orliński, Benjamin Grosvenor, Alexandre Kantorow, Yoav Levanon, Filippo Gorini, Thibaut Garcia ou Adriana Gonzalez, ce sont les nouvelles étoiles de la musique, pour beaucoup des découvertes du Festival. Ils sont nombreux au Festival 2021 !

La famille du Festival

Eux aussi ont furieusement envie de faire la fête cet été : les chefs Hervé Niquet, Santtu-Matias Rouvali, Cristian Măcelaru, François Xavier Roth, Michael Schønwandt, Domingo Garcia Hindoyan, mais aussi Sonya Yoncheva, Renaud Capuçon, Michel Dalberto, Bertrand Chamayou, ou encore Félicien Brut, Thom Enhco, Magic Malik, le quatuor Ellipsos. Liste non exhaustive !

La grande famille du Festival s’est donnée rendez-vous en juillet à Montpellier.

De la Terre aux étoiles

Le Festival 2021 c’est aussi la promesse d’aventures exceptionnelles, de journées entières de musiques de fête venues du monde entier. Comme le cycle des Leçons de Ténèbres dans sept des plus hauts lieux de patrimoine de l’Occitanie. Comme les spectaculaires Pléiades de Xenakis, confiées aux percussionnistes de l’Orchestre national de France, une musique de plein air qui tutoie les étoiles. Comme ces temps forts au Mémorial du Camp de Rivesaltes, au nouveau musée #NarboVia de la Narbonne antique, à l’Abbaye de Valmagne (Festival de Thau) au festival des Lumières de Sorèze, au nouveau Conservatoire de Montpellier… Nous sommes prêts à faire la fête avec vous l’été prochain, plus résolus que jamais à retrouver la musique et les musiciens en liberté. (Jean-Pierre Rousseau Directeur)

6 février : Mazeppa

La vie et le destin d’Іван Степанович Мазепа/ Ivan Mazepa (1639-1706) devenu héros de la nation ukrainienne a inspiré les poètes romantiques, Lord Byron, Victor Hugo (dans Les Orientales), Pouchkine (Poltava), les peintres, Delacroix, Géricault, Vernet, et bien sûr les compositeurs, Tchaikovski avec son opéra Mazeppa, et Liszt d’abord avec la 4ème de ses Etudes d’exécution transcendante, puis avec son poème symphonique éponyme, datant de 1851, créé à Weimar sous la direction du compositeur le 16 avril 1854. Liszt a retenu trois éléments de la légende de Mazeppa :la course folle sur le dos du cheval, la chute qui semble annoncer la mort, le réveil et le triomphe. Mazeppa est l’un des poèmes symphoniques les plus flamboyants de Liszt. Peu de chefs ont, à mon goût, restitué la dimension épique, le caractère tourmenté, de cette musique puissamment romantique. Herbert von Karajan en a gravé, en 1959, à Berlin, une version qui reste une référence insurpassée.

7 février : Shura Cherkassky encore

Retour à ce grand musicien très singulier, Shura Cherkassky (1909-1995), à qui j’avais consacré mon « post » dans cette rubrique le 4 février, et qui a suscité nombre de commentaires et de souvenirs. Un répertoire absolument incroyable, je crois sans équivalent parmi ses contemporains et des interprètes de cette envergure.

La preuve, ces Trois pièces chinoises du quasi-contemporain de Cherkassky, élève comme lui de Josef Hofmann, le pianiste virtuose et compositeur américain Abram Chasins (1903-1987). Ici la troisième de ces pièces « Rush Hour in Hong Kong » que Shura Cherkassky adorait jouer dans la série de « bis » (jusqu’à six) qu’il offrait inévitablement à la fin de chaque récital.

On ne saurait trop conseiller le double CD publié par First Hand contenant « the complete HMV stereo recordings » de Cherkassky.

8 février : la disparition de Stefano Mazzonis, Mozart

J’ai appris hier tard dans la soirée la disparition soudaine de Stefano Mazzonis di Pralafera, qui dirigeait l’Opéra royal de Wallonie, à Liège, depuis 2007. On le savait malade, mais sa mort brutale a surpris ses amis, dont j’étais.

Nous savions, lui et moi, quelle était notre responsabilité de conduire les deux magnifiques vaisseaux amiraux de la flotte culturelle de Liège, lui l’Opéra, son choeur, son orchestre, moi l’Orchestre philharmonique royal de Liège, chacun dans deux magnifiques écrins – un luxe inouï pour une ville comme Liège – le « Théâtre royal » pour lui, la Salle Philharmonique pour moi. Il nous est arrivé d’être concurrents, parce que nous visions l’excellence, la conquête de nouveaux publics, il m’est arrivé de ne pas partager certaines des options artistiques de Stefano, mais l’amitié n’a jamais faibli ni failli. Je me rappelle encore cette grande entreprise menée de concert, cette soirée au Théâtre des Champs-Elysées le 31 octobre 2012, où ensemble nous étions allés promouvoir les couleurs de Liège (lire Giscard et la princesse). Je me rappelle aussi ma dernière venue à Liège, il y a plus d’un an, avant la crise sanitaire. Une belle soirée d’opéra, dans la loge royale, avec Stefano et Alexise. Un moment de bonheur. Pensées affectueuses pour celles et ceux qu’il laisse dans la tristesse.

Ce 8 février je publiais cet article : Mauvais traitements, la Quarantième rugissante. Parmi les multiples versions de la 40ème symphonie de Mozart que j’y comparais, j’avais oublié celle, miraculeuse d’élan et d’équilibre, de George Szell

9 février : Raymond, Bernstein et l’Orchestre National

Le 21 novembre 1981, Leonard Bernstein dirigeait l’Orchestre National de France au théâtre des Champs-Elysées. Un programme tout français, avec la 3ème symphonie de Roussel et la Symphonie de Franck (lire Un été Bernstein). Et l’ouverture de « Raymond » d’Ambroise Thomas ! Je me rappelle avoir vu ce concert à la télévision et un Leonard Bernstein déchaîné qui sautait sur son podium.

Cette version a été éditée en CD dans le cadre du coffret anniversaire des 80 ans de l’ONF et figure sur un copieux DVD/Blu-Ray.

Ici c’est l’enregistrement réalisé à New York en 1966.

10 février : Muti et l’ONF

Dans le prolongement de mon billet d’hier (Leonard Bernstein et l’Orchestre National de France) une autre pépite du très beau coffret d’inédits publié en 2015 à l’occasion des 80 ans de l’ONF (voir les détails L’Orchestre national de France : 80 ans)

Le 15 janvier 2004, au Théâtre des Champs-Elysées Riccardo Muti dirige l’ouverture de l’opéra Lodoiska de Cherubini, à la tête de l’ Orchestre national de France

11 février : Carlos Kleiber et Richter

Une double rareté dans le répertoire de ces deux géants : le concerto pour piano de Dvorak sous les doigts de Sviatoslav Richter et la direction ô combien passionnée de Carlos Kleiber (1930-2004) – voir la discographie du grand chef : Carlos Kleiber

12 février : Hommage à Chick Corea

Quand le jazzman jouait Mozart avec Friedrich Gulda et Nikolaus Harnoncourt, un enregistrement rare et jubilatoire du concerto pour 2 pianos de Mozart (1989)

14 février : Hans Richter-Haaser

Le pianiste Hans Richter-Haaser (1912-1980) est un magnifique artiste, un interprète d’élection de Beethoven et Brahms, il a eu une carrière tardive et plutôt brève, mais sa discographie est exceptionnelle : L’autre Richter.

En 1957, il participe au seul enregistrement que Karl Böhm ait fait de la Fantaisie chorale de Beethoven, avec d’illustres partenaires – Teresa Stich-Randall, Hilde Rössel-Majdan, Erich Majkut, Paul Schöffler – et l’Orchestre symphonique de Vienne :

15 février : le Suisse oublié

Aujourd’hui une absolue rareté :un grand compositeur suisse – Othmar Schoeck (1886-1957) – complètement méconnu en dehors de son pays natal, son concerto pour violoncelle d’un lyrisme sans âge, des interprètes magnifiques : le violoncelliste Antoine Lederlin, jadis musicien de l’ Orchestre Philharmonique de Radio France, aujourd’hui membre du Belcea Quartet, l’ Orchestre national d’Auvergne dirigé par Armin Jordan (1932-2006)

16 février : deux décès

Hier soir on apprenait le décès, à 93 ans, des suites du Covid, de la cantatrice Andréa Guiot, dont j’avais raconté quelques souvenirs le 9 décembre dernier (voir Les raretés du confinement V)

Et aujourd’hui celui du chef d’orchestre britannique qui n’a jamais eu une grande notoriété sur le continent Steuart Bedford (1939-2021). Steuart Bedford a voué une grande part de sa vie et de sa carrière de chef à servir un compositeur qui l’avait pris sous son aile Benjamin Britten (1913-1976)

C’est Steuart Bedford qui dirige en 1973 la création du dernier opéra de Britten Death in Venice / Mort à Venise. C’est lui qui reprend en 1974 – jusqu’en 1998 ! – la direction du Festival d’Aldeburgh (sur l’impossible prononciation de cette charmante bourgade du Suffolk relire mon article : Comment prononcer les noms étrangers ?) fondé par Britten en 1948.

J’ai un souvenir à la fois émouvant et cocasse de Steuart Bedford. Je l’avais invité au début des années 90 à diriger un concert de l’Orchestre de la Suisse romande, qui devait se dérouler dans le cadre de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny (dans le Valais). Pour aller de Genève à Martigny, et y conduire le chef, j’avais pris une voiture de la Radio suisse romande et choisi d’emprunter l’itinéraire sud du lac Léman (une route que je connaissais par coeur puisque je l’empruntais chaque jour pour faire le trajet Thonon-Genève). Moi qui passais la frontière franco-suisse sans jamais être arrêté par la douane, lorsque j’étais dans ma voiture personnelle, je fus stoppé au moment d’entrer en Haute-Savoie par des douaniers qui firent semblant de ne pas me reconnaître, qui m’interrogèrent sur le but de mon voyage, demandèrent les papiers de mon hôte… et – cerise sur le gâteau – l’autorisation de circuler en France pour un véhicule de la Radio suisse romande !! A l’époque, pas de téléphone portable, pas de possibilité de prouver qu’une répétition générale et un concert nous attendaient. Je jouai le tout pour le tout, en exigeant l’accès à un téléphone, pour prévenir qu’empêchés par la douane française, le chef et l’orchestre devaient annuler le concert… Le chef de poste finit par comprendre la totale absurdité de la situation… et nous laissa filer.

Ce long intermède et la route que nous fîmes ce jour-là me permirent de faire parler Steuart Bedford de Benjamin Britten, de son travail de chef, de ses passions musicales. Humour, calme, flegme, immense culture, il incarnait le parfait musicien britannique.

Eléments d’une discographie :

Les raretés du confinement (VII) : Cziffra, Brel, la fièvre de Lehar, le Chopin d’Askenase, le Boeuf sur le toit etc.

22 janvier 2021 : Romances latino

Warner avait publié un beau coffret récapitulatif des quinze années (2002-2016) que Martha Argerich a passées, chaque été, à Lugano : Martha Live

Une véritable malle aux trésors où le connu (le coeur de répertoire de la pianiste argentine) côtoie beaucoup d’inconnu. Ainsi ces délicieuses romances de Carlos Guastavino (1912-2000), un des compatriotes de Martha Argerich.

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Des romances jouées à Lugano par Martha Argerich et le pianiste cubain Mauricio Vallina (présent sur la photo ci-dessus prise à Liège en novembre 2001, avec Armin Jordan)

21 janvier 2021 : Le Chopin de mon enfance

Souvenir d’enfance, le premier disque Chopin vu à la maison, le cliché absolu de la musique classique. Mais un pianiste dont je n’ai jamais oublié le nom : Stefan Askenase naît polonais le 10 juillet 1896 à Lemberg/Lvov/Lviv, meurt belge à Cologne le 18 octobre 1985. Son Chopin semble venir en droite ligne du compositeur lui-même. Il a pour moi un parfum d’éternité

20 janvier 2021 : La bannière étoilée

Jour de fête aux Etats-Unis, le 46ème président, Joe Biden, est officiellement installé, la première vice-présidente de l’histoire de la démocratie amércaine, Kamala Harris, a prêté serment : Inauguration

L’hymne national américain The Star-Spangled Banner a été cité par Puccini (dans Madame Butterfly) , revu par Stravinsky (et Jimi Hendrix), et transcrit pour piano par Rachmaninov lui-même en 1918.

19 janvier 2021 : des chansons de négresses

Poursuivant sur ma lancée, illustrative de l’activité du Groupe des Six (lire Groupe de Six), je livre cette absolue rareté dans l’oeuvre surabondante de Darius Milhaud et dans la discographie de l’interprète.Un cycle de mélodies bien peu « politiquement correct », intitulé : Trois Chansons de négresse, sur des poèmes de Jules Supervielle, créé en 1936. Ici l’immense Brigitte Fassbaender en public, accompagnée par Irvin Gage.

18 janvier 2021 : la valse de Nelson et Martha

Je ne me lasse jamais d’entendre Martha Argerich (lire La reine dans ses oeuvres), de surprendre comme ici sa fabuleuse complicité avec son ami de toujours Nelson Freire. La Valse de Ravel a-t-elle jamais été plus sensuelle ?

17 janvier 2021 : un violon sur le toit

Comme promis hier, je tire de ma discothèque un disque devenu rare, enregistré en 1980 pour Philips, où Riccardo Chailly (27 ans à l’époque) accompagne Gidon Kremer (32 ans) dans un programme aussi rare d’oeuvres pour violon et orchestre, dont la version du Boeuf sur le Toit (1920) de Darius Milhaud, pour violon et orchestre.Ici une vidéo contemporaine de l’enregistrement, une captation en public avec le chef russe Woldemar Nelsson (1938-2006) passé à l’Ouest en 1976.

16 janvier 2021 : le Boeuf sur le toit

La neige, le couvre-feu à l’heure où le soleil d’hiver se couche me donnent une furieuse envie d’Amérique du Sud, celle que Darius Milhaud (1892-1974) a rapportée dans sa musique après son séjour au Brésil comme secrétaire de Paul Claudel, ambassadeur de France à Rio de Janeiro.Il compose plusieurs versions de son célèbre Boeuf sur le toit (1920), une version pour violon et orchestre (Cinéma-fantaisie) que je diffuserai demain, et puis la version purement orchestrale, la plus connue. Comment résister au swing de Leonard Bernstein dirigeant, en 1976, l’ Orchestre national de France ?

15 janvier 2021 : le cadeau du père

En 1957, Dmitri Chostakovitch écrit son 2ème concerto pour piano pour le 19ème anniversaire de son fils Maxim, qui le crée pour ses examens au Conservatoire de Moscou. Le mouvement lent est romantique en diable. Ici Leonard Bernstein dirige du piano l’Orchestre philharmonique de New York (1962)

14 janvier 2021 : les flots du Danube

Quand le tube du concert viennois de Nouvel an – Le beau Danube bleu – est confié au piano, à l’orgue ou à l’accordéon (lire Le Danube en blanc et noir/) ça donne quelques merveilles, comme cette captation en concert de l’époustouflant Mikhail Pletnev

13 janvier 2021 : la Nuit transfigurée

Zubin Mehta a tellement enregistré que, dans le flot des reparutions (lire: Felix et Zubin), on néglige de s’attarder à ce qui ne paraît pas a priori comme son coeur de répertoire. Et on a tort ! La preuve cet unique enregistrement de studio de la Nuit transfigurée (Verklärte Nacht) de Schoenberg, réalisé avec le Los Angeles Philharmonic en 1976.

12 janvier 2021 : loin de la Veuve joyeuse

Le 9 janvier, j’évoquais l’un des tubes de l’auteur comblé de La Veuve joyeuse, Franz Lehar (1870-1948), la valse L’Or et l’argent, et son interprète d’élection, Rudolf Kempe (lire L’Or et l’Argent ). Ce nouveau disque de mon cher Ed Gardner met en lumière un aspect beaucoup moins connu de l’oeuvre de Lehar, un cycle de mélodies avec orchestre écrit durant la Première Guerre mondiale, dont le titre est explicite : Aus eiserner Zeit. La cinquième de ces mélodies est intitulée Fieber (Fièvre) et écrite pour ténor. On est loin des viennoiseries légères, beaucoup plus près de Schoenberg, Korngold ou Zemlinsky. Un disque à paraître début février.

11 janvier 2021 : Hollywood en 12 CD

En 12 CD, un fabuleux voyage dans les studios de Hollywood grâce aux musiques de Korngold, Newman, Herrmann, Steiner, Waxman, Tiomkin, sous la houlette d’un exceptionnel producteur, et chef d’orchestre, Charles Gerhardt. A découvrir ici : Monsieur Cinéma

10 janvier 2021 : Liszt, Brel, Cziffra

J’ai eu la chance de voir une fois dans ma vie, à Poitiers, Cziffra en récital. Je n’ai jamais compris comment il parvenait à cette pyrotechnie digitale qui était autant musique que démonstration de virtuosité. Singulièrement dans le piano de Liszt.Ici dans la 6ème Rhapsodie hongroise de Liszt. Le thème qu’on entend à 2’12 a été emprunté par Jacques Brel dans sa célèbre chanson « Ne me quitte pas » (… » je t’offrirai des perles de pluie »…)

Inauguration

Cristian Măcelaru inaugurait hier soir son mandat anticipé* de directeur musical de l’Orchestre National de France, avec un programme emblématique de ses ambitions de répertoire.

La musique française

J’ai eu le privilège de rencontrer longuement, en juillet dernier, le chef originaire de Timisoara, tout jeune quadragénaire, pour parler projets pour les prochaines éditions du Festival Radio France Occitanie Montpellier – puisque l’Orchestre National comme l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le Choeur et la Maîtrise de Radio France sont des invités réguliers du festival !

Je dois confesser avoir rarement rencontré un chef aussi curieux de répertoires moins rebattus, qui ne réduit pas la musique française à Berlioz, Debussy et Ravel, et qui paraît bien décidé à entraîner ses musiciens et le public à des découvertes salutaires. Quand on pense que la dernière intégrale des symphonies de Saint-Saëns par un orchestre français remonte à quarante-cinq ans ! C’était Jean Martinon et le même orchestre alors appelé Orchestre national de l’ORTF.

Pour son programme inaugural, Cristian Măcelaru avait d’ailleurs choisi la symphonie op.55 de Saint-Saëns, présentée comme la n°2 alors que c’est la quatrième écrite, une symphonie brève (20 minutes) en quatre mouvements, dont un finale virtuose, créée à Leipzig le 20 février 1859.

Benjamin Grosvenor

L’autre bonne nouvelle de cette saison 20-21 de Radio France c’est la résidence du pianiste anglais Benjamin Grosvenor, 28 ans tout juste, que j’avais invité à Liège le 17 mai 2014 pour un récital magique, qui avait impressionné le public nombreux de la Salle philharmonique.

L’intelligence musicale, la technique superlative de ce jeune homme ne cessent de m’enchanter depuis ses débuts. Sa discographie en témoigne éloquemment. Je peux livrer un scoop à mes lecteurs : Benjamin Grosvenor sera de l’édition 2021 du Festival Radio France !

Hier soir il jouait le deuxième concerto de Rachmaninov. Placé au premier balcon, en surplomb du piano et du pianiste – ce qui m’arrive rarement dans une salle de concert – j’ai pu apprécier l’extraordinaire maîtrise de l’interprète sur son clavier. Et j’ai entendu ce « tube » comme j’aime l’entendre : poétique, d’une virtuosité qui ne passe jamais avant l’expression, le pianiste en osmose avec l’orchestre – sublime deuxième mouvement dans le dialogue avec les bois, en particulier la clarinette – bienvenue à Carlos Ferreira arrivé en juillet dernier à l’orchestre !

Le concert était diffusé en direct sur France Musique et Arte Concert et on peut évidemment le revoir et l’entendre ici :

* Le chef roumain ne devait entrer en fonction qu’en septembre 2021, la démission d’Emmanuel Krivine au printemps dernier l’a conduit à avancer d’un an sa prise de fonction.

Les inattendus (III) : Maazel l’Espagnol

Je ne peux avoir oublié la date de sa mort, le 13 juillet 2014, la veille du « concert de Paris » le 14 juillet 2014 avec l’Orchestre National de France, le choeur et la Maîtrise de Radio France et toute une pléiade de stars du chant sous la Tour Eiffel.

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(Seule « survivante » de cette photo prise ce 14 juillet 2014, la maire de Paris Anne Hidalgo,  à sa gauche, Bruno Juilliard son ex-premier adjoint, François Hollande, JPR ex-directeur de la musique de Radio France, Manuel Valls. Figuraient aussi sur la photo Mathieu Gallet, ex-PDG de Radio France et Rémy Pflimlin, ex-PDG de France-Télévisions prématurément disparu en 2016)

Nous avions décidé de dédier ce concert à Lorin Maazel, cet Américain de Paris, né à Neuilly le 6 mars 1930, mort dans sa maison de Virgine le 13 juillet 2014. Pour une double raison, d’abord parce qu’il avait été le directeur musical de fait de l’Orchestre National de France de 1977 à 1991 – même si Maazel avait pris soin de gommer cette période de sa biographie officielle, en raison des conditions calamiteuses de la fin de son contrat à Radio France – mais aussi parce que son premier enregistrement symphonique avait été réalisé en 1957 avec l’Orchestre National !

Les jeunes années

Dans un article d’août 2015 – Les jeunes années – à l’occasion de la réédition des premiers enregistrements réalisés par Lorin Maazel pour Deutsche Grammophon, j’écrivais ceci :

« Les références sont par exemple L’Enfant et les sortilèges de Ravel, un petit miracle jamais détrôné depuis 50 ans, la poésie des timbres de l’Orchestre National, une distribution parfaite, une sorte d’état de grâce permanent. Mais, bien moins cités, une 3eme symphonie de Brahms emportée, vive, presque violente, la plus rapide de toute la discographie, comme une Ouverture tragique de la même eau. Toutes les « espagnolades » d’une puissance, d’une acuité rythmique, en même temps d’un raffinement, d’une transparence, inouïs : Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, Tricorne et Amour sorcier de Falla, époustouflants. »

Rimski-Korsakov, Falla

Je viens de réécouter ces « espagnolades »

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en commençant par le Capriccio espagnol de Rimski-Korsakovle type même d’ouvrage « exotique » qu’on écoute distraitement en complément en général de la Shéhérazade du même Rimski.

Ecoutez ce qu’en fait un Lorin Maazel de 28 ans, écoutez ce qu’il tire d’un orchestre philharmonique de Berlin qui, entre Furtwängler et Karajan, était loin de sonner avec cette vivacité, cette transparence, cette alacrité. Plus jamais Maazel ne retrouvera ce « jus » – lorsqu’il récidive vingt ans plus tard à Cleveland, c’est empois et boursouflure !  –

L’Amour sorcier capté avec l’autre orchestre de Berlin-Ouest, celui du RIAS (Rundfunk im Amerikanischen Sektor) devenu ensuite Radio-Symphonie-Orchester Berlin, puis après la chute du Mur, Deutsches Symphonie-Orchestre Berlinà la même époque, et avec la toute jeune Grace Bumbryest de la même veine.

Les danses du Tricorne sont moins exceptionnelles, mais elles ne déparent pas cette collection.