L’Amérique d’avant : Ives, Bolet, Stokowski

J’ai bien fait de faire un saut aux Etats-Unis il y a un an (New York toujours, Sur les rives de l’Ohio). Je ne suis pas près d’y retourner dans les quatre ans à venir…

Pour entretenir l’admiration que j’ai pour ce pays et sa culture, il y a heureusement la musique, et d’innombrables témoignages d’un glorieux passé, comme le prouvent trois superbes rééditions.

Charles Ives (1874-1955) le sesquicentenaire

Il n’y a pas eu beaucoup de précipitation chez les éditeurs pour célébrer le 150e anniversaire de la naissance du compositeur : « L’intérêt de Charles Ives pour le mélomane européen est qu’il n’entre dans aucune case, aucune catégorie pré-définie. Et s’il nous fallait simplement des oreilles neuves, débarrassées de références, de comparaisons, pour écouter une oeuvre disparate, audacieuse, singulière » (Ives l’Américain)

Sony vient de publier l’un des coffrets les plus intelligents et documentés qui soient, une « anthologie » d’albums enregistrés par et pour la Columbia entre 1945 et 1970. Avec une excellente présentation – en anglais – du compositeur, de ses oeuvres et de ses interprètes.

Pour un prix – pour une fois – très modique, c’est l’occasion ou jamais de pénétrer un univers surprenant, parfois déconcertant, toujours passionnant.

Ainsi son oeuvre chorale :

Charles Ives est encore admiré par les compositeurs d’aujourd’hui, comme ici Matthias Pintscher dirigeant l’Ensemble Intercontemporain dans ce qui reste l’une des oeuvres les plus jouées de l’Américain : Three Places in New England

Dans ce coffret, il y a du connu, les 4 symphonies – Bernstein, Ormandy, Stokowski pour la 4e – et les pièces d’orchestre connues (Central Park in the Dark, The unanswered question, les variations sur America), la musique de chambre peu nombreuse, le piano (les 2 sonates)

et surtout peut-être un extraordinaire bouquet de mélodies chantées par Evelyn Lear etThomas Stewart, excusez du peu !

De La Havane à la Californie

J’ai eu la chance de voir une fois en concert, à Genève, avec l’Orchestre de la Suisse romande, le pianiste cubain Jorge Bolet (1914-1990), né à La Havane, mort en Californie. En réalité, je le connais par le disque et quelques vidéos. Je lui ai toujours trouvé tant dans le port que dans son jeu une allure aristocratique, un faux air de colonel de l’armée des Indes.

Peut-être parce qu’ils avaient oublié le centenaire de sa naissance, les responsables de Decca sortent… pour ses 110 ans, une intégrale vraiment intégrale de ses enregistrements, déjà connus, souvent réédités (notamment un coffret Liszt). C’est un bonheur de retrouver cette noblesse, ce quelque chose qui nous paraît venu d’un temps oublié, où la chaleur du son, l’éloquence de la diction, imposaient une personnalité.

Peut-on mieux jouer ces pièces si célèbres qu’on ne les entend plus au concert….

Stokowski et l’Everest

Leopold Stokowski (1882-1977) est un sujet inépuisable de polémiques… et d’admiration. Encore récemment (Vive le live) j’évoquais la parution d’un coffret de prises de concert réalisées par la BBC avec le chef anglais (en dépit d’un patronyme qu’il tient d’un père aux ascendances polonaises, Stokowski n’a jamais été russe ni assimilé !). Et j’écrivais : On est à nouveau frappé par l’immensité du répertoire que Stokowski a abordé tout au long de sa carrière et jusqu’à un âge très avancé. Il a longtemps passé pour un chef excentrique, privilégiant le spectaculaire au respect de la partition. Stokowski vaut infiniment mieux que cette caricature. Stokowski a bénéficié d’un nombre impressionnant de rééditions, à la mesure d’une carrière et d’une discographie gigantesques.

J’ai dans ma discothèque bon nombre d’autres disques isolés, trouvés souvent par hasard lorsqu’il y avait encore, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, des disquaires spécialisés, et en France chez Gibert ou Melomania. Notamment pour des labels toujours tenus en très haute estime pour la qualité de ses prises de son.. Vanguard et Everest. Le label britannique Alto qui recycle nombre d’enregistrements, parfois devenus introuvables, a l’excellente idée de regrouper dans un coffret de 10 CD tout le legs Stokowski pour Everest.

Parmi les « spécialités » de Stokowski, il y avait outre ses arrangements spectaculaires de Bach, les suites symphoniques qu’il réalisait de grands opéras de Wagner ou… Moussorgski. Mais le chef fut surtout l’un des plus ardents promoteurs, voire créateurs, de la musique de son temps, de ses contemporains du XXe siècle. Témoins certaines des pépites de ce coffret :

Le vrai Fauré (suite)

Nous y voilà : Gabriel Fauré, né le 12 mai 1845 est mort il y a cent ans exactement, le 4 novembre 1924. En juin dernier j’avais déjà consacré un article au compositeur ariégeois (Le vrai Fauré) en citant quelques disques qui comptent pour moi. Entre-temps sont parues plusieurs nouveautés (au piano) et rééditions, qui ont suscité des critiques très partagées, par exemple sur les disques de Théo Fouchenneret et Aline Piboule

Je connais l’une et l’autre (Ils ont fait Montpellier : En blanc et noir), mais comme je n’ai pas écouté leurs disques, je me garderai bien d’en parler. Je peux seulement les féliciter d’apporter leur pierre à un édifice discographique qui n’a guère évolué depuis une trentaine d’années pour ce qui est du piano seul (relire Le vrai Fauré).

C’est vrai de l’ensemble de l’oeuvre de Fauré, comme en témoigne le coffret récapitulatif que publie Warner/Erato.

Le plus étonnant – à moins que ce ne soit un choix ? – est qu’il ne s’y trouve aucun des enregistrements d’une intégrale de la musique de chambre réalisée, un peu à la va-vite, pour le même éditeur il y a quatorze ans, intégrale aujourd’hui indisponible (à l’exception du Quatuor Ebène)

Une adresse à l’éditeur : en dehors d’un index des oeuvres en anglais, le livret ne donne aucune indication sur le contenu des 26 CD ni sur les interprètes !

Seul apport à une discographie déjà multi-rééditée, la tragédie lyrique Prométhée dénichée dans les archives de l’INA, un « live » réalisé le 19 mai 1961 à l’Orangerie du parc de Sceaux par Louis de Froment dirigeant l’Orchestre national et le choeur de la RTF avec une distribution grand format : Berthe Monmart, Jeannine Collard, Janine Micheau, Emile Belcourt, André Vessières et Jean Mollien. Plus une palanquée d’archives. Et des versions connues et reconnues qui n’ont rien perdu de leur superbe !

Mon Fauré

En plus des versions que j’ai déjà signalées (Le vrai Fauré) j’aimerais signaler quelques-uns des disques auxquels je reviens régulièrement

Ai-je besoin de rappeler l’admiration que j’éprouve pour ces deux amis de longue date, Tedi Papavrami et Nelson Goerner ?

Mention aussi de Giulio Biddau, un jeune pianiste sarde, dont j’avais découvert le disque il y a quelques années :

On ne sera pas surpris de trouver ici le nom de Felicity Lott, dont il faut thésauriser les disques, très épars, de mélodie française

Même admiration pour ma très chère Sophie Karthäuser et son merveilleux partenaire Cédric Tiberghien.

Dommage que le coffret Erato/Warner ne reprénne aucun des enregistrements d’Armin Jordan, comme un merveilleux Requiem

Version 1.0.0

Authentiques

Je m’apprêtais à évoquer la figure singulière du chef Christoph von Dohnányi et un nouveau coffret (voir ci-après) lorsque j’ai appris le décès, ce 9 octobre, d’un autre chef très singulier, le Finlandais Leif Segerstam

Leif Segerstam (1944-2024)

Le chef et compositeur finlandais Leif Segerstam est mort le 9 octobre, sans susciter de réaction notable en France où il a été plutôt rare. Mais nul discophile n’ignore son nom.

J’ai un souvenir personnel de ce chef à Genève. Je ne me rappelle plus pourquoi (ni par qui) il avait été engagé pour diriger l’Orchestre de la Suisse Romande dans le studio Ansermet de la maison de la Radio suisse romande, bd Carl Vogt. Mais c’est moi qui avais « négocié » une partie du programme, l’autre étant imposée (un concert UER ?). En première partie, une symphonie (la 21e ou 25e ?) parmi les 371 (oui 371 !) qu’a laissées le chef-compositeur, la création d’un concerto pour trompette d’un compositeur ayant remporté, je crois, le concours de composition Reine Marie-José* – le soliste étant Jouko Harjanne – et en deuxième partie les quatre Légendes de Sibelius.

Segerstam à l’époque – vers la fin des années 80 – portait déjà barbe nourrie et embonpoint certain. En le voyant se mouvoir et diriger, j’avais toujours l’image de Brahms à la fin de sa vie.

On ne peut pas dire que la comparaison soit forcée !

Les deux ou trois fois où j’ai entendu et vu diriger Leif Segerstam comme les disques que j’ai de lui, laissent l’empreinte d’une personnalité profondément originale, d’un musicien qui n’a cure d’aucun dogme, d’aucune convenance dans sa manière d’approcher une oeuvre. Et cela donne toujours, toujours, un résultat étonnant. Surtout ne pas limiter Segerstam à la sphère scandinave, où il est bien entendu chez lui, mais pas seul. Il n’est que d’essayer de consulter sa discographie pour constater qu’il a embrassé un répertoire incroyablement vaste.

J’ai ainsi découvert l’oeuvre symphonique du Français Louis Aubert (1877-1968) grâce à lui

J’aime beaucoup, même si ce n’est pas mon premier choix, sa version de l’opéra de Korngold, Die tote Stadt

Et puisque mon premier souvenir au concert des quatre Légendes de Sibelius, c’est à lui que je le dois, je découvre avec bonheur cette récente captation de concert à Turku, dont il était le chef depuis 2012.

On ne peut d’un seul article faire le tour d’une personnalité aussi protéiforme, mais encore un mot de son oeuvre de compositeur. Le nombre de ses symphonies fait sourire : 371 achevées. Voici au hasard l’une d’elles… sans chef !

Impossible d’établir une discographie. Quelques indispensables néanmoins pris dans ma discothèque :

Christoph von Dohnányi #95

Je l’annonçais à l’occasion d’un billet sur Bruckner. Il a fallu attendre qu’il fête ses 95 ans le 8 septembre dernier pour que son éditeur de toujours – Decca – songe à honorer Christoph von Dohnányi ! Pourquoi n’a-t-on retenu que les enregistrements réalisés à Cleveland, alors qu’en y adjoignant ceux de Vienne (avec les Wiener Philharmoniker) on n’aurait pas vraiment alourdi le coffret ?

Contenu du coffret :

CDs 1–5 MOZART
Symphonies 35, 36, 38, 39, 40, 41
Bassoon Concerto K.191
Clarinet Concerto K.622
Flute & Harp Concerto K.299
Oboe Concerto K.314 
Serenade No.13 “Eine kleine Nachtmusik”
Sinfonia concertante K.364

CD 6
BERLIOZ Symphonie fantastique
WEBER/BERLIOZ L’Invitation a la valse

CDs 7 & 8 SCHUMANN
Symphonies 1–4

CD 9
BRAHMS Violin Concerto
SCHUMANN Violin Concerto

CDs 10–16 BRUCKNER
Symphonies Nos. 3–9

CDs 17–22 WAGNER
Das Rheingold
Die Walküre

CD 23 R. STRAUSS
Ein Heldenleben
Till Eulenspiegels lustige Streiche

CDs 24–28 MAHLER
Symphonies Nos. 1, 4, 5, 6 & 9

CD 29 SMETANA
Dvě vdovy (The Two Widows): Overture & Polka
Hubička (The Kiss): Overture
Libuše: Overture
Prodana nevěsta (The Bartered Bride):
Overture & 3 Dances
Vltava (The Moldau)

CDs 30–36
BARTÓK Concerto for Orchestra
Music for strings, percussion & celesta
DVOŘAK Symphonies 6, 7, 8 & 9 ・ Scherzo capriccioso
Slavonic Dances Opp. 46 & 72
JANAČEK Rhapsody for Orchestra “Taras Bulba”
Capriccio
LUTOSŁAWSKI Concerto for Orchestra ・ Musique funebre
MARTINŮ Concerto for string quartet & orchestra
SHOSTAKOVICH Symphony No.10

CD 37 WEBERN
Fuga (Ricercata) aus dem Musikalischen Opfer
Im Sommerwind ・ Passacaglia ・ 5 Pieces Op.10 ・ 6 Pieces Op.6a
Symphony Op.21 ・ Variations Op.30

CDs 38 & 39
CRAWFORD SEEGER Andante for Strings
IVES Orchestral Set No.2
Symphony No.4
Three Places in New England (Orchestral Set No.1)
The Unanswered Question
RUGGLES Men and Mountains ・ Sun-treader
VARESE Ameriques

CD 40
BIRTWISTLE Earth Dances
HARTMANN Adagio (Symphony No.2)
SCHOENBERG 5 Orchesterstücke Op.16

Tous ces disques ont été à un moment ou un autre disponibles, mais plus dans les pays anglo-saxons qu’en France, où pourtant le chef allemand a officié plusieurs années à la tête de l’Orchestre de Paris. On m’a rapporté naguère que son mauvais caractère ne lui avait pas toujours attiré les sympathies des musiciens…

Je vois sur le site de la Philharmonie de Paris la captation d’un concert de 2019 – que j’ai manqué ! – où l’on remarque avec émotion la présence à la première chaise du regretté Philippe Aïche, disparu il y a deux ans déjà (lire Les morts et les jours)

https://philharmoniedeparis.fr/fr/live/concert/1104230-orchestre-de-paris-christoph-von-dohnanyi

Ecouter Dohnanyi c’est comme respirer une tradition venue en ligne directe d’Europe centrale, un style, une rigueur, une puissance, qui conviennent autant à Haydn ou Mozart qu’à Brahms, Schumann, Bruckner, Mahler ou à Schoenberg. On a de tout cela dans ce coffret, et bien sûr le son inimitable de Cleveland.

Cette captation de la 2e symphonie de Schumann au Carnegie Hall de New York en 2000 est d’autant plus émouvante qu’elle est introduite par celui qui fut l’inamovible président de la mythique salle, le violoniste Isaac Stern, déjà très fatigué par la maladie qui allait l’emporter quelques mois plus tard.

* Marie-José de Belgique (1906-2001), dernière reine d’Italie par son mariage avec Umberto II qui a régné 35 jours de mai à juin 1946, vit à partir de 1947, séparée de son mari, au château de Thônex dans la banlieue de Genève, et participe activement à la vie musicale et culturelle de la région. C’est ainsi qu’elle fonde en 1959 un Prix international de composition musicale.Elle est la grand-tante de Philippe, l’actuel roi des Belges,

L’été 24 (IX) : Kurt Sanderling

J’ai passé une partie de l’été qui s’achève à réécouter les disques d’un très grand chef, Kurt Sanderling, né il y a 112 ans le 19 septembre 1912, mort 99 ans plus tard le 18 septembre 2011 ! Il y a un an j’avais consacré un billet à ces chefs d’orchestre pères et fils :

« Je pense ne pas être démenti si j’affirme que la famille Sanderling est unique en son genre : le père Kurt (1912-2011) a donné naissance à trois chefs, Thomas(1942), Stefan (1964) et Michael (1967). J’ai eu l’immense privilège de les voir diriger tous les quatre, et d’inviter Thomas et Stefan à Liège.

Je suis inconditionnel de Kurt Sanderling, dont il existe heureusement nombre de témoignages enregistrés, de disques qu’on chérit comme des trésors. Je me rappellerai jusqu’à la fin de mes jours les deux Neuvième – Mahler et Beethoven – que Sanderling avait dirigées à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande au début des années 90. » (Chefs pères et fils, 18 juin 2023).

Etablir une discographie de Kurt Sanderling relève du parcours du combattant. D’autant que la plupart de ses enregistrements de studio ont peu ou prou disparu des rayons, alors que surgissent ça et là des « live » bien cachés dans des coffrets récapitulatifs (lire Bruckner et alors ?)

Dans Bruckner comme dans Mahler, on perçoit bien les caractéristiques de l’art du grand chef allemand; le creusement continu des partitions, une maîtrise impérieuse des grands équilibres, le refus de l’esbroufe.

Celui qui a travaillé auprès du grand Mravinski à Leningrad adopte le même traitement pour les symphonies de Chostakovitch. On cherchera autant le studio que les « live » plutôt nombreux.

Comme tous les chefs de sa génération, Kurt Sanderling s’est d’abord nourri des grands classiques, Haydn, Beethoven, Brahms, curieusement pas de Mozart. Son intégrale des symphonies « parisiennes » est depuis longtemps dans mes préférées.

Tout comme une intégrale des symphonies de Beethoven captée au début des années 80 à Londres avec le Philharmonia.

Autres pépites d’une discographie dont aucun élément n’est négligeable :

Confidences et confidentialité

Aussi paradoxal que cela paraisse pour l’auteur d’un blog, je répugne à l’étalage des sentiments, et surtout à la divulgation de ce qui est et doit rester intime, voire secret. Or les réseaux sociaux ont, semble-t-il, levé tout scrupule même chez des personnages qu’on aurait pensé plus avertis des nécessités de la confidentialité.

Ainsi à propos de deux « moments » tout récents d’actualité, sans lien autre que chronologique entre eux : »l’affaire » François-Xavier Roth et la disparition d’Hugues Gall.

François-Xavier Roth, ce que je sais

J’ai écrit ici même hier: Difficile d’ignorer la tourmente dans laquelle se trouve plongé François-Xavier Roth depuis l’article que lui a consacré Le Canard enchaîné ce mercredi. Je n’entends pas participer à la curée. Je me suis déjà exprimé ici – Remugles – sur les « affaires » qui avaient déjà éclaboussé le monde musical. La prudence s’impose et seule la justice, pour autant qu’elle soit saisie, peut qualifier la réalité des faits allégués.

Si je m’en tenais à la période compliquée que j’ai traversée en 2009-2010 à cause de FXR (lire Le choix d’un chef) j’aurais des raisons de lui en vouloir, et peut-être d’aboyer avec la meute. Oui j’ai su, à l’époque, que, s’ennuyant sans doute dans l’appartement qu’il occupait à Liège, il lui arrivait de draguer par SMS, des musiciennes, des musiciens et sans doute pas qu’eux…Alors que, durant tout mon mandat de directeur à Liège, j’ai toujours été extrêmement attentif, et intransigeant, sur tout ce qui pouvait relever du harcèlement, en dehors parfois même des procédures légales, que j’ai en toutes circonstances été disponible pour celles ou ceux qui souhaitaient me confier leurs problèmes personnels, de quelque nature qu’ils fussent – parce que tous savaient que je conserverais le secret le plus absolu sur leurs..confidences (confidence = confiance). Je n’ai jamais dérogé à cette règle.

S’agissant de FX Roth, lorsqu’on me rapportait ses tentatives, c’était le plus souvent pour s’en amuser, évoquer les « râteaux » qu’il se prenait. Dans une communauté comme un orchestre, tout se sait ou finit par se savoir de qui « sort » avec qui, des comportements des uns et des autres. Jamais je n’ai reçu la moindre plainte à l’encontre du chef.

A ce jour, depuis l’article du Canard enchaîné, je ne sache pas d’ailleurs que la justice ait été saisie, en France ou en Allemagne, là où le chef français exerce ses responsabilités. Je rapprocherais plutôt la situation de FXR de l’épisode qui a valu à un ancien secrétaire d’Etat, candidat à la Mairie de Paris en 2020 – Benjamin Griveaux – son retrait forcé de la vie politique. Dans les deux cas, il n’y a pas eu de violence sur autrui, ni fait pénalement répréhensible, juste des situations ridicules dont la seule victime est l’auteur.

Mais dans l’esprit des abonnés aux réseaux sociaux, la cause est entendue : Griveaux comme Roth sont coupables !

Demain on révèlera que tel pianiste est sur Grindr, tel patron sur Tinder, et on balancera sur les réseaux le contenu de leurs échanges, leurs photos intimes ?

Hugues Gall l’homme d’honneurs

Depuis que Jean-Louis Grinda l’a, le premier, annoncé avant-hier soir sur Facebook, le décès d’Hugues Gall, ancien directeur du Grand Théâtre de Genève puis de l’Opéra de Paris, n’en finit pas de susciter des flots de confidences, qui ne ressortissent pas toutes – euphémisme ! – à des souvenirs professionnels. Et tout cela complaisamment étalé sur les réseaux sociaux…

Tel ancien collègue du disparu se répand en détails très personnels, ou à l’inverse un autre raconte par le menu des interventions d’Hugues Gall dans un dossier complexe, avec force détails et insinuations, auxquels évidemment l’intéressé ne peut plus répliquer.

Il se trouve que j’ai un peu connu Hugues Gall. D’abord à Genève, où il était le tout-puissant patron du Grand-Théâtre (l’opéra). J’étais alors à la Radio suisse romande, pas directement en charge des relations avec les institutions lyriques. Mais en 1992, j’avais été chargé d’organiser une journée/soirée commune entre la chaîne culturelle romande, Espace 2, et France Musique, qui devait s’achever par une diffusion en direct du Grand Théâtre. J’avais pris contact avec l’équipe du GTG pour régler tous les détails, ne sachant pas que Gall contrôlait tout, décidait de tout. Je reçus un coup de fil de sa part, courroucé – le terme est aimable ! – me reprochant de le tenir à l’écart, etc… Sous l’algarade, je ne pus que bafouiller quelques excuses. J’entendis mon interlocuteur se détendre et me dire : « Je sais très bien qui vous êtes, vous ne m’aimez pas ! ».Il insista : « Oui quand je vous vois au théâtre, vous m’ignorez« . J’en étais comme deux ronds de flan. Le personnage m’impressionnait, je ne lui avais jamais parlé, et je pensais évidemment qu’il ne m’avait jamais remarqué… On était à fronts renversés ! L’année qui suivit, jusqu’à mon départ pour France Musique à l’été 1993, fut plus sereine. Au point que quand j’annonçai mon départ de la Radio suisse romande à Hugues Gall, il me répondit un petit mot : « Vous me chaufferez la place ! ». Sa nomination à la direction de l’Opéra de Paris en 1995 venait d’être annoncée.

Je laisse à d’autres le soin de rappeler sa carrière et son engagement au service de la musique et de l’art lyrique, comme Emmanuel Dupuy pour Diapason : Le réformateur de l’Opéra de Paris

Je garde, tant à Genève qu’à Paris, de merveilleux souvenirs de représentations d’opéra, souvent liés à la mémoire d’Armin Jordan qu’Hugues Gall admirait profondément – c’est lui, qui sauf erreur de ma part, l’a invité pour la première fois à l’Opéra de Paris, pratiquement chaque année durant son mandat, et on en sait le résultat, puisque si Philippe Jordan en est devenu plus tard le directeur musical, c’est bien sûr en raison de son talent, mais aussi de la trace qu’avait laissée son père dans la fosse de Bastille ou de Garnier.

Pardon pour la piètre qualité de cette copie de cette Veuve joyeuse impérissable qui rassemblait, en 1997, Karina Mattila, Bo Skovhus.. et Armin Jordan, dans une mise en scène d’un autre récent disparu, Jorge Lavelli.

Pour l’ouverture de sa première saison parisienne, Hugues Gall avait frappé un grand coup avec un Nabucco extraordinaire, avec Julia Varady en Abigaille :

Hugues Gall aimait le pouvoir, et même s’il n’était dupe d’aucun des travers des puissants, auxquels il réservait une ironie jouissive, il aimait les honneurs. La liste de ses décorations m’a toujours fait sourire : Commandeur de la Légion d’honneur, Grand officier de l’Ordre national du Mérite, Commandeur des Arts et Lettres, Commandeur des Palmes académiques… et même Chevalier de l’ordre du Mérite agricole ! Sous la présidence Sarkozy, il jouait le rôle de ministre bis de la Culture. Il présida l’Orchestre français des jeunes et son influence y fut réelle (je me rappelle un échange de correspondances plutôt vif entre lui et Mathieu Gallet, alors PDG de Radio France, lorsque ce dernier envisageait de ne plus héberger l’OFJ dans les locaux de la Maison ronde, faute de place en raison des travaux de « réhabilitation » du bâtiment).

Le dernier souvenir que j’ai de lui, c’était il y a quelques mois : le hasard du protocole nous avait assis l’un à côté de l’autre à l’Opéra Bastille. Je ne l’avais pas revu depuis longtemps et je m’étonnais de sa présence, sachant qu’il avait refusé de revenir comme spectateur à l’Opéra de Paris durant tout le mandat de Stéphane Lissner… Il s’était montré charmant et apparemment très informé de mes activités, puisque nous étions « amis » sur Facebook et que, s’il s’exprimait peu sur ce réseau, il suivait manifestement de près les aventures des uns et des autres.

La Mer et les chefs

J’aurais préféré écrire une meilleure critique sur le concert auquel j’ai assisté jeudi dernier (le jour où on annonçait le nom du successeur de Louis Langrée à CincinnatiUne semaine pas très ordinaire). A lire sur Bachtrack : La Mer trop calme du National avec Cristian Măcelaru à Radio France.

La formule est schématique, mais elle traduit bien l’impression de statisme qu’on a éprouvée à l’écoute d’une interprétation qui ne manquait pas de qualités. Le National et son chef avaient déjà donné le triptyque debussyste en 2022 comme en témoigne cette captation :

J’ai pensé que c’était l’occasion de faire le point non pas sur la discographie de l’oeuvre – des centaines de versions ! – mais d’une part en comparant l’Orchestre national de France à lui-même sous les différentes baguettes qui l’ont dirigé, d’autre part en tirant de ma discothèque des versions qui m’accompagnent depuis longtemps

La Mer et le National

La fausse symphonie de Debussy est bien évidemment l’un des piliers du répertoire de l’orchestre radiophonique qui célèbre ses 90 ans d’existence cette année. Ce qui est doublement fascinant, c’est d’une part la constance dans les couleurs si françaises de « notre » Orchestre national, et d’autre part la marque qu’y impriment les différents directeurs musicaux, leurs tempéraments, et quelques invités prestigieux :

2018 : Emmanuel Krivine (2017-2020)

2012 Daniele Gatti (2008-2014)

Evgueni Svetlanov (1998) au festival Radio France Montpellier

1984 : Seiji Ozawa

1974 : Jean Martinon (1968-1973)

1956 : Charles Munch (1962-1967)

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement disponible de La Mer sous la direction de Lorin Maazel et Charles Dutoit qui se sont succédé à la tête de l’Orchestre National entre 1977 et 2001.

Les chefs de La Mer

Souvent les versions citées comme des « références » perdent de leur superbe au fil des années et de l’accroissement de la discographie d’une oeuvre. En l’occurrence, pour La Mer de Debussy, ces fameuses références demeurent inchangées, voire insurpassées.

Ernest Ansermet (1883-1969)

On ne sait pas toujours que le chef suisse, fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, a non seulement connu Debussy, mais le jeune homme qu’il était alors s’était même permis de suggérer au compositeur quelques corrections dans sa partition ! Le lien entre Ansermet et Debussy était tel que le programme inaugural de l’orchestre genevois était tout entier dédié à Debussy

J’ai beau la connaître par coeur, la version d’Ansermet de La Mer me paraît indépassable. Quand je dis à propos du dernier concert du National que les tempi sont trop lents, ce n’est pas seulement affaire de métronome, mais aussi et surtout de mouvement. Et Ansermet savait de qui et de quoi il parlait !

Pierre Boulez (1925-2016)

Avec d’autres moyens, et un luxe orchestral supérieur, qu’Ansermet, Pierre Boulez réalise avec Cleveland, deux fois pour Sony et DG, une version passionnante.

Herbert von Karajan (1908-1989)

Les deux seules fois où j’ai eu le privilège d’entendre Karajan en concert, en 1974 à Lucerne et en 1985 à Genève, La Mer était au programme. C’est dire si le chef autrichien aimait l’oeuvre. Il en a laissé pas moins de trois versions officielles au disque.

Ma liste n’est évidemment pas exhaustive, mais il y a ici pour l’amateur quelques heures passionnantes d’écoute en perspective !

Souvenirs (IV) : Martha Argerich et l’OSR à Tokyo (1987)

Au fil de mes activités professionnelles, j’ai beaucoup déménagé, emportant dans des cartons de précieux souvenirs enregistrés sur des cassettes audio et vidéo. Et puis lorsque je me suis fixé il y a quelques années dans une jolie maison près de la dernière demeure de Vincent et Theo Van Gogh, j’ai posé ces cartons dans ma cave, en attendant, en repoussant plutôt, le jour où j’aurais et prendrais le temps de les ouvrir. Ce jour est enfin venu, et j’ai trouvé près de chez moi un professionnel qui a accepté de numériser une série de vidéos qui ont plus ou moins bien résisté à l’usure du temps, à l’humidité, aux déménagements successifs. Voir les précédents épisodes : Hugues Cuénod, Karajan à Salzbourg, Le Grand Echiquier de Karajan.

Martha Argerich à Tokyo en novembre 1987

J’ai eu l’immense chance de pouvoir suivre la grande tournée de l’Orchestre de la Suisse romande au Japon et en Californie à l’automne 1987, avec Armin Jordan bien sûr et en solistes la pianiste Martha Argerich et le violoniste Gidon Kremer. J’ai déjà raconté une partie de ces souvenirs japonais ici : Les printemps de Martha A.

Mais jamais les circonstances de ce document vidéo. Quelques jours avant l’un des deux concerts que l’OSR devait donner à Tokyo, l’administrateur de l’orchestre est averti que la NHK veut enregistrer et diffuser le concert en direct. Or aucune répétition n’est prévue ni même possible pour la télé et la radio. La NHK répond qu’elle n’en a pas besoin, qu’elle a tout réglé sur plans, qu’elle a l’habitude de la salle (le Suntory Hall), qu’elle veut juste vérifier avec un responsable de l’OSR que ses plans sont corrects. On me demande de m’en occuper. Je suis impressionné par le professionnalisme des gens que je rencontre : les cameramen et preneurs de son sont tous musiciens, et n’auront donc aucun mal à capter le concert partition sous le nez ! Je profite de ce contact pour évidemment demander un droit de diffusion sur le antennes radio et télé de la Suisse romande. Et à la fin du concert on me remettra la bande mère en NTSC, un format qui n’était pas celui de l’Europe.

La vidéo que je livre ici est donc sans montage, et ce n’est pas celle qu’ont vue jadis les téléspectateurs suisses. Mais dans les premières images, l’un des cameramen a repéré dans la salle Gidon Kremer

Pour le reste, un programme tout Ravel, dans lequel Armin Jordan et l’OSR étaient sans rivaux, et une Martha Argerich en état de grâce :

Quelques années plus tard, en décembre 2001, à Liège, nous nous étions retrouvés, Armin Jordan, Martha Argerich et moi (le jeune homme à droite de Martha Argerich est le pianiste Mauricio Vallina)

(Liège, décembre 2001 / Photo JPR)

Mes symphonies de Sibelius

J’ai été vraiment très heureux de participer, la semaine dernière, à une aventure unique : l’intégrale en trois concerts consécutifs des symphonies de Sibelius par l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par son directeur musical, Mikko Franck. J’ai tout raconté sur Bachtrack : Le fascinant parcours de Mikko Franck dans les paysages de Sibelius.

Cette intégrale est à réécouter sur France Musique

Ce qui était unique ici, c’est l’immersion trois soirs de suite dans les sept symphonies de Sibelius, avec le même chef et le même orchestre.

Sibelius autorise une multiplicité d’approches, d’interprétations. Plutôt que les habituelles références toujours citées pour les intégrales, je voudrais distinguer quelques versions moins attendues, plus rares de chacune des symphonies, qui occupent une place de choix dans ma discothèque.

Symphonie n°1 : Carl von Garaguly / Orchestre philharmonique de Dresde

Carl von Garaguly (1900-1984) est un chef d’origine hongroise, qui a fait l’essentiel de sa carrière en Scandinavie et qui a laissé des enregistrements remarquables des 1e, 2e et 7e symphonies de Sibelius avec l’orchestre philharmonique de Dresde (à ne pas confondre avec la Staatskapelle de la même ville !)

Symphonie n°2 : Pierre Monteux / London Symphony Orchestra

Comme c’est de loin la plus enregistrée des symphonies de Sibelius, j’en compte un grand nombre de versions dans ma discothèque. La plus juvénile d’entre elles est celle d’un homme de 85 ans, l’immense Pierre Monteux (1875-1964), nommé en 1961 chef à vie du London Symphony Orchestra !

Symphonie n°3 : Okko Kamu / Orchestre philharmonique de Berlin (DG)

En 1969, le jeune chef finlandais gagne le concours de direction Herbert von Karajan. Dans la foulée, le chef de l’Orchestre philharmonique de Berlin lui confie son orchestre pour enregistrer la 2e symphonie, mais c’est à Helsinki en 1971 que Kamu grave la 3e avec l’orchestre de la radio finlandaise.

Symphonie n° 4 : Ernest Ansermet / Orchestre de la Suisse romande (Decca)

Le grand chef suisse, fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, s’est peu aventuré en terres nordiques, mais on n’est pas étonné qu’il ait été attiré par la plus « moderne » des symphonies de Sibelius, la Quatrième, dont il souligne l’âpreté et les audaces

Symphonie n° 5 : Herbert von Karajan / Orchestre philharmonique de Berlin (live 28 mai 1957)

Herbert von Karajan, justement, a été l’un des interprètes les plus constants et inspirés de Sibelius. Les enregistrements de studio avec le Philharmonia ou les Berlinois sont légendaires, mais cette captation d’un concert à Berlin, le 28 mai 1957, quelques mois avant la mort du compositeur, est vraiment exceptionnelle : le finale est époustouflant ;

Symphonie n° 6 : John Barbirolli / Hallé Orchestra

Le chef britannique John Barbirolli (1899-1970). a toujours été un interprète particulièrement inspiré de Sibelius. Il creuse cette 6e symphonie comme peu le font, lui donnant une dimension tragique peu banale.

Symphonie n°7 : Lorin Maazel / Orchestre philharmonique de Vienne (Decca)

Pour l’ultime symphonie, on a l’embarras du très bon choix. C’est par la version du jeune Lorin Maazel à Vienne (1964) que j’ai découvert l’oeuvre : les timbres des Viennois, la somptuosité de la prise de son, rendent pleinement justice à ce chef-d’oeuvre.

Tout cela n’est évidemment pas exhaustif ! Pour chaque symphonie, je pourrais citer tant d’autres versions qui, à un titre ou un autre, me séduisent ou m’intéressent. Sur ce blog, j’ai nombre souvent évoqué Sibelius et ses interprètes, comme Santtu-Matias Rouvali, Paavo Järvi (la première intégrale enregistrée avec un orchestre français, l’Orchestre de Paris !), Alexander Gibson, Paavo Berglund évidemment et ses trois intégrales plus quelques versions isolées, Eugene Ormandy et la photo, dont il n’était pas peu fier, de sa rencontre avec le compositeur en 1955

le formidable James Levine pour les 2e, 4e, 5e symphonies, Klaus Mäkelä à Oslo, Mariss Jansons, Neeme Järvi, Horst Stein, Esa-Pekka Salonen, plus étonnant peut-être dans cette liste Georges Prêtre…. Liste non exhaustive qu’on complètera à l’occasion…

Pour revenir à Mikko Franck, sa discographie sibélienne se résume à un seul disque enregistré au tout début de sa carrière avec une très belle version de la Suite de Lemminkäinen.

Noël est une fête

Le 25 décembre on a envie de croire que toutes les douleurs du monde s’effacent, que le sourire d’un enfant dans une crèche peut sauver le monde, qu’un message d’amour universel peut vaincre la haine ordinaire.

C’est le souvenir que j’ai des Noëls de mon enfance, des fêtes toujours marquées par de la musique et des chants. En remontant le cours de cette année 2023, j’ai l’embarras du choix pour ce qui est des musiciens qui ont joué, chanté Noël, en particulier aux Etats-Unis où c’était une étape obligée pour toutes les grandes formations et leurs chefs.

Eugene Ormandy à Philadelphie, avec le Temple University Choir (Les années Ormandy)

Leonard Bernstein et le Mormon Tabernacle Choir (Bernstein ou le génie à vif)

Je n’oublie pas le week-end passé à Cincinnati en octobre dernier (Sur les ailes de la musique). J’invite à lire ou relire l’interview que j’avais alors réalisée de Louis Langrée pour Bachtrack : « Le chef providentiel n’existe pas ».

Comme à Boston, et d’autres villes américaines, le Cincinnati Symphony devient, l’été venu, Cincinnati Pops Orchestra. Son chef fut pendant 32 ans Erich Kunzel (1935-2009)

Mais personne ne détrônera jamais dans ma discothèque les Boston Pops et leur légendaire chef Arthur Fiedler (1894-1979)

On l’avait tellement attendu, depuis 2019 et le cinquantenaire de sa disparition, qu’on avait cru ne jamais le voir paraître : Ernest Ansermet (1883-1969) a enfin été honoré d’abord par un coffret de ses enregistrements stéréo (un autre avec les disques mono est annoncé pour le début 2024 !) – Ansermet enfin -.

Dans ce coffret, deux indispensables, une rareté, la Nuit de Noël (1895) de Rimski-Korsakov

et une version de référence de Casse-Noisette de Tchaikovski

Klaus, Nicholas, Santtu, Vincent et les autres

D’un dimanche à l’autre, je suis passé par toutes sortes d’émotions « positives ».

Le Mahler de Mäkelä

Le festival Enesco de Bucarest s’achevait le week-end dernier par deux concerts de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dirigé par son futur chef Klaus Mäkelä. J’étais évidemment curieux de découvrir ce que donnerait la rencontre entre le jeune Finlandais, qui nous a habitués à Paris à tant de belles choses, et ce fabuleux orchestre hors ses murs. J’en ai fait le compte-rendu pour Bachtrack : Klaus Mäkelä et le Concertgebouw en majesté à Bucarest. Et comme je l’ai écrit, je ne veux retenir que le souvenir d’une Troisième symphonie de Mahler, dont le dernier mouvement continue de me hanter. Je n’ai pas l’habitude de recourir à l’exagération, mais je n’avais jusqu’alors jamais entendu d’aussi sublime.

J’emprunte à une consoeur de Bachtrack, une partie du papier (The definition of love) qu’elle fit à la mi-septembre après avoir entendu les mêmes in situ. J’aurais pu signer ces lignes :

In the finale, originally subtitled What Love Tells Me, one of the finest symphonic movements ever written, tears welled in my eyes after just the first few notes. The subdued restraint and beauty in the strings was quite overwhelming. Mahler asks the question: What is love? Words truly are not enough when we have music such as this.

The intense horn and string climax, the rising double bass figures, the warmth of the oboe entry – almost vocal in quality – displayed playing of the highest calibre/…/This was Mäkelä and the RCO at their best, finding long lines, the phrasing, the nuance and that special something in a score laden with Mahler’s detailed instructions while the music became ever more urgent. Horn bells aloft again, the final climax was perfectly timed before shimmering violas and a flute, wafting like a butterfly, led us to Mahler’s definition of love. This was not the usual triumphant ending, but something much more subtle. Tonight’s concert will stay long in the memory.  (Backtrack, 16 septembre 2023, Clare Varney)

Le chapeau de paille de Vincent Dedienne

Titre provocateur qui ne correspond en rien à la réalité du spectacle vu ce jeudi soir au théâtre de la Porte Saint Martin… même si la promotion s’appuie sur la notoriété de l’humoriste/comédien.

Suivant une mode très contestable, qui consiste à faire un « avant-papier » et non une critique a posteriori, Le Monde s’était fendu d’un long article (Alain Françon embarque sur le rêve de Labiche) qui, il est vrai, m’avait intrigué, ne serait-ce que parce qu’Alain Françon n’est pas réputé pour son appétit pour la gaudriole ou le vaudeville !

Eh bien, non seulement on n’a pas regretté sa soirée, mais on a redécouvert les ressorts du théâtre de Labiche, et cette pièce en particulier – Un chapeau de paille d’Italie – qu’on n’a pas le souvenir d’avoir jamais vue sur scène.

Je n’ai pas vu l’intérêt de la contribution de Feu! Chatterton à cette mise en scène, surtout après avoir assourdi toute la salle au lever de rideau… mais elle ne dénature pas l’esprit de Labiche. Esprit de Labiche qu’Alain Françon, au contraire, exalte, décuple, en exacerbant les effets comiques, poussant chacun de ses nombreux acteurs/actrices à l’extrême de leur fantaisie (qu’on veut tous citer ici : Vincent Dedienne, Anne Benoit, Eric Berger, Emmanuelle Bougerol, Rodolphe Congé, Laurence Côte, Suzanne De Baecque, Luc-Antoine Diquéro, Noémie Develay-Ressiguier, Antoine Heuillet, Tommy Luminet, Marie Rémond, Alexandre Ruby, Balthazar Gouzou, Victor Lalmanach, Noémie Moncel, Léa Constance Piette, Fiona Stellino, Baptiste Znamenak).

On ne s’aperçoit qu’aux saluts que c’est une actrice – fabuleuse Anne Benoît – qui joue le futur beau-père de Fadinard, le jeune rentier (Vincent Dedienne) et on applaudit absolument toute la troupe sans aucune exception! Spectacle évidemment chaudement recommandé… et bravo évidemment à Vincent Dedienne qui n’avait pas besoin de nous prouver qu’il est d’abord et surtout un formidable comédien.

Pour Chostakovitch

Les fidèles de ce blog savent ma fidélité à un compatriote de Klaus Mäkelä, presque un vétéran à 37 ans (!), mon très cher Santtu-Matias Rouvali, invité régulier du Festival Radio France à Montpellier, du temps où j’en avais la charge, entre 2014 et 2021. Je ne pouvais évidemment manquer le concert qu’il dirigeait à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France, à la maison de la radio, vendredi soir.

L’attraction de ce concert – sans entracte ! une « nouveauté » de la saison Radio France, il n’est jamais trop tard pour bien faire ! – était, paraît-il, la violoniste coréenne Bomsori. Dans un tube du répertoire, le concerto de Tchaikovski. La jeune femme, dans une robe rouge qu’elle arbore semble-t-il sur toutes les scènes, est bardée de prix et sort un premier disque chez Deutsche Grammophon (ce qui, aujourd’hui, compte-tenu de la politique artistique complètement erratique d’un label jadis prestigieux, ne représente au mieux que l’assurance d’un soutien promotionnel important). Jamais ce concerto ne m’a paru aussi ennuyeux que sous cet archet besogneux, non exempt d’accrocs et de traits bousculés, aussi banal et parfois de mauvais goût.

On était impatient de passer à la seconde partie du concert : la Sixième symphonie de Chostakovitch, qui tient une place particulière dans mon panthéon personnel

« Quant à la 6ème symphonie de Chostakovitch, c’est encore avec l’Orchestre de la Suisse romande que j’ai pu la programmer et l’entendre pour la première fois en concert ! Je me rappelle encore cette séance du comité de programmation de l’orchestre, présidé par Armin Jordan, lors duquel j’avais suggéré un programme qui me semblait original et cohérent, avec Les Fresques de Piero della Francesca de Martinu, les Chants et danses de la mort de Moussorgski (interprétés par Paata Burchuladze), et cette 6ème de Chostakovitch. Plusieurs membres dudit comité de se récrier, pas assez « grand public », deux oeuvres du XXème siècle ô horreur, même avec un soliste vedette ! Armin Jordan, qui devait diriger ce programme, trancha : « Je ne connais pas ni le Martinu, ni le Chostakovitch, mais si Jean-Pierre le propose, je suis son idée et je dirigerai ce programme ».  Point final ! Et le jour venu, devant un Victoria Hall comble (preuve que le public est toujours plus intelligent que les programmateurs frileux !), Armin Jordan dirigea l’un de ses plus beaux concerts ! » (extrait de mon billet du 18 janvier 2019).

Quand dans le concerto de Tchaikovski, chef et orchestre semblaient être en pilotage automatique, Santtu-Matias Rouvali et l’Orchestre philharmonique de Radio France allaient donner leur pleine puissance dans une oeuvre qui continue de fasciner, ce long mouvement lent qui l’ouvre, presque insoutenable, jusqu’à ce vide sidéral d’où seules émergent le piccolo et la flûte, suivi d’un allegro bien dans la veine sarcastique de son auteur et se terminant dans un presto grinçant à force de paraître si insouciamment guilleret.

Bernstein dans un formidable DVD explique, avec tellement d’évidence, le miroir que forment les deux 6e de Tchaikovski et Chostakovitch :

Pour cette 6e de Chostakovitch, et pour elle seule, on doit réécouter le concert de vendredi sur francemusique.fr.

Hommage incomplet

J’attendais impatiemment ce coffret d’hommage à Nicholas Angelich (lire Le piano était en noir)

On est évidemment très heureux de retrouver tous ces témoignages « live » de l’art d’un musicien si tôt disparu, mais à jamais installé parmi les très grands. Des Liszt captés à Radio France en 1999, la sonate de Berg, une rareté absolue, les quatre Fantaisies de Zemlinsky sur des poèmes de Dehmel (Douai 1995), la 2e suite anglaise de Bach (Québec 2011), les variations sur un thème de Haendel de Brahms (en avril 2019 en Bretagne, testamentaire), un programme tout Ravel, vraiment exceptionnel, au théâtre des Champs-Elysées en 2013, les variations Goldberg sur la meme scène deux ans plus tôt, le quintette de Franck avec les Ébène à Verbier, la sonate 2 pianos et percussions de Bartok avec Martha Argerich, une prodigieuse Waldstein (Lyon 2015) et des Tableaux d’une exposition idiomatiques (Paris 2013), et un seul CD de concertos (le 3e de Rachmaninov avec l’Orchestre philharmonique de Radio France en 2010, la Rhapsodie Paganini avec Tugan Sokhiev avec Toulouse en 2013).

Cet ensemble est formidable, mais on aurait pu/dû aisément le compléter par d’autres captations, tout aussi indispensables, réalisées en Belgique ou en Suisse par les radios publiques. Espérons qu’à défaut de figurer dans ce coffret, ces précieux témoignages seront bientôt disponibles pour le public. C’est le moins qu’on puisse faire pour rendre hommage à un musicien d’une telle envergure.