Les raretés de l’été (I) : ténors mozartiens

Nouvelle série pour cet été 2025, que je nourrirai au gré de mes humeurs et de ma fantaisie.

Le récent décès de deux grands ténors mozartiens me donne l’occasion d’ouvrir cette série. Je précise, à nouveau, qu’il ne s’agit ici que de mes inclinations personnelles, pas d’une revue exhaustive des chanteurs étiquetés comme mozartiens. Même si je reconnais le talent indéniable de certaines voix très célèbres, je n’aime pas leur manière de chanter Mozart, je ne trouve pas mon bonheur dans leur timbre, leur interprétation. De gustibus…

Stuart Burrows (1932-2025) / Luigi Alva (1927-2025)

Les deux grands ténors mozartiens de la deuxième moitié du XXe siècle sont morts à quelques semaines d’intervalle, le Gallois Stuart Burrows le 29 juin, le Péruvien Luigi Alva le 15 mai. Ils sont de tous les grands enregistrements d’opéras de Mozart des années 60 à 70 avec Colin Davis, Georg Solti, Giulini ou Karajan, pour ne citer que les plus illustres.

József Réti, un centenaire (1925-1973)

J’ai déjà raconté – Chanter Mozart – quand et comment j’avais découvert ce chanteur hongrois qui continue de m’émouvoir comme au premier jour. Cette vibration et cette plénitude dans la voix ! Je m’aperçois qu’il est né il y a 100 ans, le 8 juillet 1925, je doute évidemment que quiconque célèbre ce centenaire. Si vous voyez, trouvez ce disque, précipitez-vous

Kenneth Tarver

Il y a aussi ce ténor américain qui, par coquetterie, ne mentionne pas sa date de naissance dans ses biographies, Kenneth Tarver. Je l’avais convié à Liège pour chanter la Messe en ut de Mozart sous la direction de Louis Langrée, en décembre 2001 (aux côtés de Sophie Karthäuser et Céline Scheen !). Le chef, étant comme moi séduit par ce timbre si idéalement mozartien – je précise que je ne connaissais pas ce ténor auparavant ! – nous avions prévu le mercredi précédent – le 18 décembre 2001 – un récital d’airs de Mozart. Je ne sais comment et par qui des extraits de ce concert se sont retrouvés sur YouTube… mais on est bien heureux d’avoir ces témoignages.

On retrouve Kenneth Tarver dans les enregistrements de René Jacobs.

Abel Zamora, Stanislas de Barbeyrac

Dans la jeune génération française, voici quelques années déjà que Stanislas de Barbeyrac (lire Les airs du bonheur) s’est imposé sans mal dans Mozart.

A sa suite, le tout jeune Abel Zamora fait mieux que promettre. Il était de l’équipe du génial Don Giovanni dirigé par Julien Chauvin à l’Athénée en novembre 2024, dans ma critique pour Bachtrack, j’écrivais : « Mais c’est sans doute avec Abel Zamora qu’on éprouve les plus belles émotions : le jeune ténor compose un Don Ottavio dont le tempérament contredit le physique frêle et romantique, il a déjà une science du chant mozartien, cette légère vibration dans une tessiture admirablement tenue. On n’est pas près d’oublier son miraculeux « Dalla sua pace ».« 

Les grands anciens

Bien sûr il y a tous ces grands chanteurs du passé, souvent cités comme des références. J’ai une tendresse particulière pour deux d’entre eux : Fritz Wunderlich et Leopold Simoneau. Ce qui ne veut pas dire que ceux que je ne cite pas ne sont pas aussi admirables, mais leur voix, leur timbre, leur chant ne me touchent pas au même point.

Fritz Wunderlich (1930-1966)

Leopold Simoneau (1916-2006)

Et toujours mes humeurs du jour dans mes brèves de blog

Élégances, inélégances

Les mots que j’ai choisis pour le titre de cet article paraissent bien désuets, dépassés. Et pourtant, je trouve qu’ils résument tant d’attitudes, de comportements actuels. Florilège.

Des amours de violonistes

Je ne sais plus comment ça a commencé sur Facebook, ce devait être pour célébrer le centenaire d’une violoniste française aujourd’hui bien oubliée, Michèle Auclair, née le 16 novembre 1924, morte le 8 juin 2005.

J’ai découvert les concertos de Mendelssohn et Tchaikovski par ses 33 tours parus dans la collection Philitps/Fontana

C’est l’ami Laurent Korcia, lui-même élève de Michèle Auclair au conservatoire de Paris, qui a lancé la chasse aux souvenirs.

De nouveau, les souvenirs affluent : j’ai raconté (L’or des Liégeois) l’aventure, il y a bientôt 15 ans, de l’enregistrement des concertos de Korngold et Tchaikovski à Liège, et le Diapason d’Or qui a salué cette parution. Fierté et reconnaissance.

A cette « discussion » facebookienne sur l’héritage de Michèle Auclair, s’est greffé un dialogue inattendu, surprenant, magnifique entre Laurent Korcia et Tedi Papavrami. Les réseaux sociaux passent pour être des déversoirs de haine, de jalousie, d’insultes, et même Facebook n’y échappe pas toujours, y compris quand on échange sur la musique. Ici c’est au contraire un assaut de compliments, de témoignages d’admiration et d’amitié, auquel les « amis » de l’un et l’autre violonistes ont pu assister. J’approuve au centuple, concernant Tedi P. qui est une aussi belle personne qu’il est un fabuleux musicien. Il a raconté qu’un enregistrement de concert du 2e concerto de Paganini avait été longtemps bloqué par YouTube pour une histoire de cadence présumée couverte par des droits d’auteur. Et Laurent Korcia, rejoint par bien d’autres amis de l’intéressé, de redire haut et fort son absolue admiration pour ce « live » exceptionnel.

Voilà pourquoi j’ai tant aimé mon métier d’organisateur de concerts, de diffuseur de beauté.

A propos de réseaux sociaux, j’en profite pour signaler que comme des millions d’autres, je quitte X (ex-Twitter) pour rejoindre Bluesky

Nomination

Je n’ai pas été le dernier à me réjouir de l’annonce de la nomination de Philippe Jordan (lire Le Suisse de Paris) à la tête de l’Orchestre national de France… à compter de septembre 2027.

Tristan Labouret pour Bachtrack et Remy Louis pour Diapason ont rendu compte élogieusement du concert que dirigeait Philippe Jordan jeudi soir (qu’on peut réécouter sur France Musique), auquel je n’ai pu assister pour cause de perturbations météorologiques !

Mais au chapitre des élégances, ou plutôt des inélégances, on peut regretter que l’emballement qu’a suscité cette nouvelle ait fait perdre à certains la notion de calendrier. Il reste encore près de trois ans à Cristian Măcelaru à exercer son mandat de directeur musical (se rappeler ici les manifestations d’enthousiasme notamment de la direction de Radio France et des musiciens à l’annonce de sa nomination !). A lire les communiqués, les interviews, nombreux depuis jeudi, on peut avoir le sentiment qu’il a purement et simplement disparu de la circulation… Pas très élégant !

J’invite à relire le papier que j’écrivais pour Bachtrack en septembre 2023, et le numéro de décembre de Diapason qui évoque la liste des « Diapasons d’Or » décernée le 16 novembre dernier :

De manière générale – j’en ai parfois été le sujet ou l’objet – on ne gagne jamais rien, et jamais devant l’Histoire, à dénigrer, amoindrir, dissimuler l’action, le travail, voire la personnalité de celui auquel on succède. Certes il y a les formules toutes faites par lesquelles on lui « rend hommage », mais elles ne grandissent ni le nouveau nommé, ni ceux qui l’ont nommé.

Dans le cas d’un orchestre, comme le National, on ne mesure qu’après coup ce qu’ont apporté, construit, des chefs, des directeurs musicaux, qu’on a tour à tour admirés puis détestés, voire oubliés. C’est aussi vrai d’une grande entreprise comme Radio France.

L’autre Gould

Je lui ai déjà consacré tout un article : Le dossier Gould. J’invite à le relire. De nouveau, c’est une discussion sur Facebook qui me conduit à en reparler. L’un rappelait les formidables enregistrements de Morton Gould avec le Chicago Symphony, l’autre citait, parmi eux, son disque Ives comme une référence – je n’ai pas dit le contraire dans mon dernier article : L’Amérique d’avant

Pour Jodie

Trouvé par hasard dans une FNAC. Un disque qui m’avait échappé. Une lumière, un souvenir, celui de Jodie Devos, si douloureusement disparue il y a presque six mois (Jodie dans les étoiles)

Ubu, Nana, Martha, Mlle Liu etc.

Difficile d’imaginer semaine plus contrastée en matière de spectacles et d’actualité. Remontons le temps ;

Lundi : Les tribulations des Chinois à Paris

Lundi soir à la Philharmonie de Paris, concert de l’Orchestre national de Chine. J’en ai fait le compte-rendu pour Bachtrack : Les tribulations de l’orchestre de Chine à Paris

Dans l’oeuvre de Tan Dun, les musiciens brandissent leurs téléphones portables sur lesquels sont enregistrés les bruits de la nature…

Si vous ne savez pas ce qu’est le suona, voici la démonstration que nous en a faite Mlle Liu Wenwen. Impressionnant non ?

J’ai été content de retrouver Lise Berthaud, que je n’avais plus entendue depuis longtemps – souvenirs d’enregistrements Fauré avec Eric Le Sage à la Salle Philharmonique de Liège ! – et la chaleur de son alto, auprès de Liya Petrova dans la symphonie concertante de Mozart.

En bis elles jouaient une pièce étonnante, que j’avoue avoir découverte lundi soir, un arrangement pour violon et alto du Norvégien Halvorsen de la passacaille de la suite en ré mineur pour clavier de Haendel.

Martha et Ernesto

Lundi toujours je recevais deux coffrets commandés en Allemagne (www.jpc.de). Le 2e coffret – vendu à prix réduit – des Rendez-vous de Martha Argerich (un 3e vient de paraître à prix fort, on attendra un peu pour l’acheter !). Après de longues années à Lugano, la pianiste argentine a migré vers Hambourg où, depuis 2018 – avec l’interruption Covid – elle rassemble ses amis en juin. Ici ce sont les échos de la session 2019, et j’y découvre des pépites comme cette bouleversante Fantaisie en fa mineur de Schubert où Gabriela Montero tient la 1e partie.

ou cette sonate « à Kreutzer » de Beethoven avec le violon impérial de Tedi Papavrami

Comme la grande majorité des compositeurs centre- ou sud-américains, le compositeur cubain Ernesto Lecuona (1895-1963) reste très largement méconnu. Le pianiste (nord) américain Thomas Tirino s’en est fait le héraut et a gravé l’intégralité de son oeuvre pour piano, y compris les pièces concertantes. Pour une dégustation à petites doses, les soirs de spleen…

Nana 90#

Je n’ai pas vu l’émission que France 5 lui consacrait hier soir à l’occasion de son 90e anniversaire

mais je peux l’avouer ici – enfin ! – J’ai depuis toujours une passion pour Nana Mouskouri, ses premiers disques en grec, ses incursions dans le jazz. On lui pardonnerait presque de ne pas s’être arrêtée avant que sa voix ne soit plus que l’ombre de ce qu’elle fut.

Si l’expression existait, je désignerais « Pauvre Ruteboeuf » comme ma chanson de chevet.

Et ce n’est pas cette version, ce duo improbable, qui me fera changer d’avis

Ubu sans musique

Il faut sans conteste aller au théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet voir le nouveau spectacle proposé par les Frivolités parisiennes: Ubu Roi d’Alfred Jarry. Mais j’y allais jeudi dernier, missionné par Bachtrack, pour faire la critique d’un spectacle musical, puisqu’on nous annonçait la reconstitution de la musique composée par Claude Terrasse (1867-1923) pour une représentation de 1908. Mais de musique il y a bien peu (lire Ceci n’est pas une opérette) Donc pour ce théâtre de l’absurde et de la dérision, avec une excellente troupe, un spectacle à voir.

Relire Pompidou

Lorsque le livre était paru… il y a 50 ans, je l’avais dévoré.

Je suis en train de relire cette sorte de testament politique du deuxième président de la Ve République. C’est absolument fascinant d’actualité ! On pourrait en extraire des passages entiers qui n’ont absolument rien perdu de leur acuité, de leur pertinence, notamment sur l’éducation (l’analyse que fait Pompidou de Mai 68 est un modèle), les moeurs, les extrêmes en politique…

Humeurs d’automne

Cet octobre commence dans des couleurs plutôt sombres. Le dernier week-end avait plutôt bien commencé sous le frais soleil de Paris.

J’avais pratiquement toujours connu la Fontaine des Innocents en travaux ou à l’arrêt. Enfin la voici restaurée et remise en eau. Quel contraste avec la si laide canopée des Halles toute proche !

Autre fontaine qui a fait l’objet de deux ans de travaux de rénovation et que je n’avais pas revue depuis son inauguration il y a quelques mois, celle qui est installée sur la place Stravinsky, devant l’IRCAM et à côté du Centre Pompidou, dont les sculptures sont dues à Niki de Saint-Phalle et Jean Tinguely :

Je n’avais pas non plus aperçu jusque là ce « mural » sur un immeuble tout proche.

C’est l’oeuvre d’un jeune artiste ukrainien, Nikita Kravtsov, qui rappelle éloquemment une guerre qui s’éternise à nos portes (lire La Grande porte de Kiev).

Déception

Au terme de ce samedi ensoleillé, j’avais rendez-vous dans une salle que j’affectionne particulièrement – le Théâtre des Champs-Élysées – pour un concert que j’attendais avec impatience : l’Orchestre philharmonique de Vienne c’est toujours une promesse.

D’autant plus que je découvrais la nouvelle conque acoustique.

Je ne vais pas épiloguer sur la déception (le mot est faible) éprouvée. Lire mon compte-rendu sur Bachtrack : Daniele Gatti et les Wiener Philharmoniker au Théâtre des Champs-Élysées.

Le programme était pourtant très alléchant : Apollon musagète de Stravinsky et la 10e symphonie de Chostakovitch.

Pour me remettre de ma déception, j’ai réécouté les versions de mon coeur des deux oeuvres :

Pour la 10e de Chostakovitch, on a l’embarras du choix, mais on revient toujours à la source, au créateur de l’oeuvre, l’immense Evgueni Mravinski

Peut-on écouter « allegro » plus terrifiant que celui-ci ?

Le dernier mouvement dirigé par Kondrachine me met toujours au bord des larmes.

Deux Ozon pour un dimanche

Le soleil ayant déclaré forfait au-dessus de Paris ce dimanche, on s’est engouffré dans l’un des rares cinémas indépendants de la capitale pour voir le dernier Ozon… d’actualité : Quand vient l’automne

Ce n’est pas un grand cru, mais c’est un film bien ficelé qui se laisse regarder, surtout pour l’extraordinaire Hélène Vincent, qui en a le rôle principal. Josiane Balasko est remarquable, mais son personnage est secondaire par rapport à l’intrigue. Mention spéciale pour Pierre Lottin qui fait totalement oublier son rôle dans Les Tuche et l’inspectrice de police jouée par Sophie Guillemin. Pas indispensable, mais à voir un jour de pluie !

Ce même dimanche soir, France 2 programmait un autre film de François Ozon, sorti en 2021 : Tout s’est bien passé. André Dussollier y est magistral dans sa composition d’un vieux capitaine d’industrie après un AVC qui demande à mourir. Sophie Marceau endosse difficilement les aspects dramatiques de son rôle, mais elle y est crédible. L’apparition la plus surprenante et lumineuse est celle d’Hannah Schygulla, qui porte si bien son âge.

Les joies de juin

D Day #80 : Félicitations

Félicitations à France 2, à la télévision publique en général, pour cette journée très réussie de commémoration des 80 ans du Débarquement. De Télématin à la cérémonie de fin d’après-midi, j’ai appris beaucoup de choses, de détails historiques, que j’ignorais, et cela sans le recours à d’incessants micro-trottoirs qui tiennent trop souvent lieu de reportages. Musicalement, la cérémonie internationale d’Omaha Beach avait l’allure et la carrure nécessaires : tout et tous étaient à leur place. Lambert Wilson, magnifique récitant, Alexandre Tharaud et son piano poétique, le choeur de l’Armée française préparé par sa cheffe Aurore Tillac, et peut-être surtout la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique qui nous a profondément émus.

Chantilly sans crème

En septembre dernier, j’avais bien aimé le rendez-vous festif qu’Iddo Bar-Shai propose à Chantilly (Double crème). Je me réjouissais de retrouver le cadre imposant des anciennes écuries royales, en ce premier jour de juin, pour les Coups de coeur de Steven Isserlis.

Déception, frustration de ne pas plus et mieux entendre des musiciens que j’admire, comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Frustrations à Chantilly

Oslo à Paris

Mardi dernier en revanche, l’affiche a tenu ses promesses. Un programme tout Brahms proposé par l’Orchestre philharmonique d’Oslo en tournée, dirigé par un chef qu’on connaît bien à Paris, Klaus Mäkelä, jouant aussi la partie de violoncelle du double concerto de Brahms. En compagnie d’un violoniste, Daniel Lozakovich, qui ne cesse de nous impressionner, concert après concert. Compte-rendu enthousiaste à lire sur Bachtrack : Klaus Mäkelä voit double avec l’Orchestre philharmonique d’Oslo

En marge du concert, deux brèves rencontres inattendues. Dans le métro de retour d’abord, une vieille dame un peu voûtée, le regard pétillant, s’adressant à deux jeunes hommes qui venaient manifestement d’assister au concert, et une voix que je n’ai reconnue qu’au dernier moment avant qu’elle ne sorte à la station Stalingrad, l’une des productrices emblématiques de France Musique, Martine Kauffmann, que je n’avais plus revue depuis près de trente ans.

En revanche, je savais d’avance que j’apercevrais au pupitre de clarinettes, Pierre Xhonneux (prononcer O-noeud), un musicien que j’avais engagé tout jeune – il avait 18 ans ! – à l’Orchestre philharmonique de Liège, et qui avait rejoint les rangs du philharmonique d’Oslo en 2015. Impossible de le retrouver dans le dédale de couloirs et de salles qui forme les coulisses de la Philharmonie, au milieu des « flightcases » de l’orchestre. Le lendemain matin, sortant du Café Charlot, rue de Bretagne où j’ai mes habitudes pour le petit déjeuner, je tombe sur Pierre et deux de ses collègues norvégiens. Ou comment le hasard fait bien les choses…

Sawallisch inconnu

Je l’ai longuement évoqué il y a un mois (Sawallisch ou les retards d’un centenaire) à propos de deux publications récentes. Je n’avais pas encore reçu le premier des deux coffrets que Warner consacre au chef allemand, né en 1923, disparu en 2013. Par rapport à un premier coffret EMI, acheté naguère au Japon, qui était limité au répertoire symphonique et concertant, il y a bien sûr l’œuvre chorale (Schubert) et de nombreux disques de Lieder où Sawallisch est au piano, mais aussi quelques pépites que je n’avais jamais vues en CD parmi les premiers enregistrements du jeune chef avec le Philharmonia.

ou encore une complète découverte pour moi que ces mélodies de Pfitzner avec Dietrich Fischer-Dieskau

Et puis, last but not least, l’excellent texte de Remy Louis, qui est une mine d’informations de première main sur l’art de ce chef.

Mon marché de printemps

J’ai une dilection particulière pour ces musiques qu’Armin Jordan qualifiait de « décadentes » avec une gourmandise non feinte, comme celles de Schreker ou Zemlinsky. Christoph Eschenbach nous offre une belle nouveauté avec ce double album enregistré à Berlin, et deux solistes splendides, Chen Reiss et Mathias Goerne.

Trouvé à petit prix sur jpc.de, je n’avais jamais repéré ce CD paru en 1998 de Stephen Hough (pour la prononciation, je renvoie à Comment prononcer les noms de musiciens ?) consacré à un compositeur singulier autant qu’admirable, Federico Mompou

Confidences et confidentialité

Aussi paradoxal que cela paraisse pour l’auteur d’un blog, je répugne à l’étalage des sentiments, et surtout à la divulgation de ce qui est et doit rester intime, voire secret. Or les réseaux sociaux ont, semble-t-il, levé tout scrupule même chez des personnages qu’on aurait pensé plus avertis des nécessités de la confidentialité.

Ainsi à propos de deux « moments » tout récents d’actualité, sans lien autre que chronologique entre eux : »l’affaire » François-Xavier Roth et la disparition d’Hugues Gall.

François-Xavier Roth, ce que je sais

J’ai écrit ici même hier: Difficile d’ignorer la tourmente dans laquelle se trouve plongé François-Xavier Roth depuis l’article que lui a consacré Le Canard enchaîné ce mercredi. Je n’entends pas participer à la curée. Je me suis déjà exprimé ici – Remugles – sur les « affaires » qui avaient déjà éclaboussé le monde musical. La prudence s’impose et seule la justice, pour autant qu’elle soit saisie, peut qualifier la réalité des faits allégués.

Si je m’en tenais à la période compliquée que j’ai traversée en 2009-2010 à cause de FXR (lire Le choix d’un chef) j’aurais des raisons de lui en vouloir, et peut-être d’aboyer avec la meute. Oui j’ai su, à l’époque, que, s’ennuyant sans doute dans l’appartement qu’il occupait à Liège, il lui arrivait de draguer par SMS, des musiciennes, des musiciens et sans doute pas qu’eux…Alors que, durant tout mon mandat de directeur à Liège, j’ai toujours été extrêmement attentif, et intransigeant, sur tout ce qui pouvait relever du harcèlement, en dehors parfois même des procédures légales, que j’ai en toutes circonstances été disponible pour celles ou ceux qui souhaitaient me confier leurs problèmes personnels, de quelque nature qu’ils fussent – parce que tous savaient que je conserverais le secret le plus absolu sur leurs..confidences (confidence = confiance). Je n’ai jamais dérogé à cette règle.

S’agissant de FX Roth, lorsqu’on me rapportait ses tentatives, c’était le plus souvent pour s’en amuser, évoquer les « râteaux » qu’il se prenait. Dans une communauté comme un orchestre, tout se sait ou finit par se savoir de qui « sort » avec qui, des comportements des uns et des autres. Jamais je n’ai reçu la moindre plainte à l’encontre du chef.

A ce jour, depuis l’article du Canard enchaîné, je ne sache pas d’ailleurs que la justice ait été saisie, en France ou en Allemagne, là où le chef français exerce ses responsabilités. Je rapprocherais plutôt la situation de FXR de l’épisode qui a valu à un ancien secrétaire d’Etat, candidat à la Mairie de Paris en 2020 – Benjamin Griveaux – son retrait forcé de la vie politique. Dans les deux cas, il n’y a pas eu de violence sur autrui, ni fait pénalement répréhensible, juste des situations ridicules dont la seule victime est l’auteur.

Mais dans l’esprit des abonnés aux réseaux sociaux, la cause est entendue : Griveaux comme Roth sont coupables !

Demain on révèlera que tel pianiste est sur Grindr, tel patron sur Tinder, et on balancera sur les réseaux le contenu de leurs échanges, leurs photos intimes ?

Hugues Gall l’homme d’honneurs

Depuis que Jean-Louis Grinda l’a, le premier, annoncé avant-hier soir sur Facebook, le décès d’Hugues Gall, ancien directeur du Grand Théâtre de Genève puis de l’Opéra de Paris, n’en finit pas de susciter des flots de confidences, qui ne ressortissent pas toutes – euphémisme ! – à des souvenirs professionnels. Et tout cela complaisamment étalé sur les réseaux sociaux…

Tel ancien collègue du disparu se répand en détails très personnels, ou à l’inverse un autre raconte par le menu des interventions d’Hugues Gall dans un dossier complexe, avec force détails et insinuations, auxquels évidemment l’intéressé ne peut plus répliquer.

Il se trouve que j’ai un peu connu Hugues Gall. D’abord à Genève, où il était le tout-puissant patron du Grand-Théâtre (l’opéra). J’étais alors à la Radio suisse romande, pas directement en charge des relations avec les institutions lyriques. Mais en 1992, j’avais été chargé d’organiser une journée/soirée commune entre la chaîne culturelle romande, Espace 2, et France Musique, qui devait s’achever par une diffusion en direct du Grand Théâtre. J’avais pris contact avec l’équipe du GTG pour régler tous les détails, ne sachant pas que Gall contrôlait tout, décidait de tout. Je reçus un coup de fil de sa part, courroucé – le terme est aimable ! – me reprochant de le tenir à l’écart, etc… Sous l’algarade, je ne pus que bafouiller quelques excuses. J’entendis mon interlocuteur se détendre et me dire : « Je sais très bien qui vous êtes, vous ne m’aimez pas ! ».Il insista : « Oui quand je vous vois au théâtre, vous m’ignorez« . J’en étais comme deux ronds de flan. Le personnage m’impressionnait, je ne lui avais jamais parlé, et je pensais évidemment qu’il ne m’avait jamais remarqué… On était à fronts renversés ! L’année qui suivit, jusqu’à mon départ pour France Musique à l’été 1993, fut plus sereine. Au point que quand j’annonçai mon départ de la Radio suisse romande à Hugues Gall, il me répondit un petit mot : « Vous me chaufferez la place ! ». Sa nomination à la direction de l’Opéra de Paris en 1995 venait d’être annoncée.

Je laisse à d’autres le soin de rappeler sa carrière et son engagement au service de la musique et de l’art lyrique, comme Emmanuel Dupuy pour Diapason : Le réformateur de l’Opéra de Paris

Je garde, tant à Genève qu’à Paris, de merveilleux souvenirs de représentations d’opéra, souvent liés à la mémoire d’Armin Jordan qu’Hugues Gall admirait profondément – c’est lui, qui sauf erreur de ma part, l’a invité pour la première fois à l’Opéra de Paris, pratiquement chaque année durant son mandat, et on en sait le résultat, puisque si Philippe Jordan en est devenu plus tard le directeur musical, c’est bien sûr en raison de son talent, mais aussi de la trace qu’avait laissée son père dans la fosse de Bastille ou de Garnier.

Pardon pour la piètre qualité de cette copie de cette Veuve joyeuse impérissable qui rassemblait, en 1997, Karina Mattila, Bo Skovhus.. et Armin Jordan, dans une mise en scène d’un autre récent disparu, Jorge Lavelli.

Pour l’ouverture de sa première saison parisienne, Hugues Gall avait frappé un grand coup avec un Nabucco extraordinaire, avec Julia Varady en Abigaille :

Hugues Gall aimait le pouvoir, et même s’il n’était dupe d’aucun des travers des puissants, auxquels il réservait une ironie jouissive, il aimait les honneurs. La liste de ses décorations m’a toujours fait sourire : Commandeur de la Légion d’honneur, Grand officier de l’Ordre national du Mérite, Commandeur des Arts et Lettres, Commandeur des Palmes académiques… et même Chevalier de l’ordre du Mérite agricole ! Sous la présidence Sarkozy, il jouait le rôle de ministre bis de la Culture. Il présida l’Orchestre français des jeunes et son influence y fut réelle (je me rappelle un échange de correspondances plutôt vif entre lui et Mathieu Gallet, alors PDG de Radio France, lorsque ce dernier envisageait de ne plus héberger l’OFJ dans les locaux de la Maison ronde, faute de place en raison des travaux de « réhabilitation » du bâtiment).

Le dernier souvenir que j’ai de lui, c’était il y a quelques mois : le hasard du protocole nous avait assis l’un à côté de l’autre à l’Opéra Bastille. Je ne l’avais pas revu depuis longtemps et je m’étonnais de sa présence, sachant qu’il avait refusé de revenir comme spectateur à l’Opéra de Paris durant tout le mandat de Stéphane Lissner… Il s’était montré charmant et apparemment très informé de mes activités, puisque nous étions « amis » sur Facebook et que, s’il s’exprimait peu sur ce réseau, il suivait manifestement de près les aventures des uns et des autres.

Ceinture pour la culture

Dans le bilan que je tirais de la dernière édition du Festival Radio France que j’ai organisée à Montpellier, en 2022, j’écrivais, pour commenter les bons résultats de ce cru, qui ne retrouvaient cependant pas l’étiage de 2019 de l’avant-COVID :

« On n’a pas fini de mesurer les changements profonds que la pandémie a engendrés pour les artistes comme pour le public. »

« Il y a bien un avant et un après et il ne faudra pas se contenter de généralités approximatives si l’on veut comprendre les nouvelles attentes d’un public qui s’est déjà largement renouvelé ».

J’ai appris depuis longtemps qu’il ne fait pas bon jouer les Cassandre. Je n’ai jamais, pour autant, restreint ma liberté de parole (cf. L’Absente), et ce n’est pas maintenant que je ne suis plus « en responsabilité » que je vais changer.

On lit depuis quelques jours des articles alarmistes sur les restrictions imposées aux grands établissements culturels (voir l’article du Monde daté du 4 avril) le gouvernement, après sa période de prodigalité – qui a tout de même sauvé des pans entiers de notre économie, dont la culture – étant contraint de serrer la ceinture budgétaire à tout le monde. Et voici que, dans Le Monde de ce week-end, Michel Guerrin balance quelques vérités très bonnes à dire… et confirme deux ans après ce que je pressentais en 2022. :

« Les 3 milliards d’euros injectés pour sauver la culture lors de la crise liée au Covid-19 n’ont pas été l’occasion de réformer un secteur marqué notamment par une offre surabondante. Au point que le monde du spectacle, déjà mal en point avant la pandémie, se retrouve dans une situation pire depuis »

« L’Etat a sauvé la culture sans vraiment évaluer les besoins ni jauger les résultats. Il a piloté à vue, provoquant quelques beaux gâchis, et continue de naviguer dans le brouillard.

Le constat, développé par la Cour des comptes dans un rapport publié en mars, est d’autant plus douloureux que l’Etat cherche 10 milliards d’euros d’économies et vient de « piquer » 200 millions d’euros à la culture« 

Je fais une incise pour rappeler que je ne suis pas un grand fan de la Cour des comptes en matière de culture. Je me rappelle quelques entretiens surréalistes, lorsque j’étais à Radio France, avec des inspecteurs de la rue Cambon (siège de la Cour des Comptes), qui démontraient de leur part une méconnaissance totale de la matière qu’ils étaient censés contrôler… J’invite à relire l’article que j’avais consacré à ce sujet il y a un an : Trop de musique ? où je rappelais que « si le général de Gaulle affirmait en 1966, à propos de la Bourse : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille », on renverrait bien la formule aux magistrats de la rue Cambon : « La politique culturelle de la France ne se fait pas à la Cour des Comptes«

Mais je suis – malheureusement – d’accord avec la Cour des comptes et surtout Michel Guerrin lorsque ce dernier écrit :

L’essentiel des griefs est à venir. L’argent ne devait pas servir seulement à sauver le secteur culturel, mais à le moderniser en profondeur : estimer ce qui marche ou pas, définir des priorités. Il ne s’est rien passé, ou presque, déplorent les magistrats. Pire, de l’argent a été investi dans des programmes en dépit du bon sens. L’Etat n’a pas fait la différence entre un théâtre qui allait mal à cause de la crise liée au Covid-19 et un autre, déjà malade auparavant en raison de dysfonctionnements profonds. Des lieux se sont retrouvés avec plus d’argent que le ministère ne leur en donnait en temps normal.

Le résultat ? L’argent du Covid-19 a fait grossir l’offre culturelle. C’est effarant, car aujourd’hui, alors que la pandémie semble loin, le monde du spectacle, déjà mal en point auparavant, se retrouve dans une situation pire. Des théâtres et des opéras n’ont plus l’argent nécessaire pour produire une saison pleine ; ils suppriment une pièce ou une chorégraphie, écartent de jeunes artistes au profit de noms qui font remplir la salle. » (Michel Guerrin, Le Monde 6/7 avril 2024)

Je ne connais pas le détail des arbitrages de la ministre de la Culture, et surtout de Bercy : Rachida Dati affirme qu’elle a tapé dans le porte-monnaie des gros pour préserver les petits, notamment en province (oups, pardon, « les territoires »).

Responsabilité collective

Mais ces réductions venant de l’Etat ne doivent pas masquer un phénomène beaucoup plus large et nettement plus préoccupant. Puisque la plupart des structures culturelles ne dépendent que marginalement du ministère de la Culture, tout ce qui est spectacle vivant, diffusion et production de l’activité culturelle, est directement touché par les décisions des collectivités territoriales. On en sait quelque chose dans les villes gérées depuis 2020 par les écologistes (Lyon, Strasbourg) ou certaines régions gérées par la droite (comme Auvergne-Rhône-Alpes). Mais, de manière moins visible, il n’est pas une région française, de gauche ou de droite, qui n’ait sensiblement réduit sa contribution aux structures culturelles, tout en proclamant le contraire.

J’ai, tout au long de ma carrière dans les médias comme à la tête d’entreprises culturelles, connu les budgets « contraints », les restrictions annoncées ou brutales. Et toujours pensé que cette contrainte devait produire un sursaut d’imagination, de créativité, et non le repli sur soi. J’aurai l’occasion d’en faire état dans une série que je consacrerai prochainement à mes années liégeoises… non pour donner des leçons à quiconque mais pour faire état d’expériences réussies !

La victoire de la musique

Je me suis souvent exprimé ici sur les Victoires de la musique classique, avec d’autant plus de liberté que c’est moi qui avais jadis décidé d’associer France Musique à cette manifestation. Je note d’ailleurs qu’aujourd’hui le président de ces Victoires n’est autre que le directeur de France Musique, Marc Voinchet . CQFD !

Victoires 2024

Je n’ai pu suivre que la fin de la cérémonie d’hier – j’avais une bonne excuse, un concert à la Maison de la radio (critique à suivre sur Bachtrack) – mais ce que j’en ai vu et les récompenses attribuées m’ont fait bonne impression. Juste une remarque quant à la présentation : quand Frédéric Lodéon tenait la barre de ces soirées (il l’a fait jusqu’en 2018), peu importait le ou la comparse qu’on lui adjoignait, il dominait le sujet sans conteste possible. Depuis lors, comme pour toutes les manifestations musicales, on nous impose un Stéphane Bern plus guindé que jamais dans un style qui n’est plus supportable pour parler de musique et de musiciens classiques. Quel contraste hier soir avec Clément Rochefort, l’un des meilleurs producteurs que France Musique ait recrutés et formés depuis longtemps ! Que n’a-t-on laissé ce dernier piloter seul la soirée !

(Avec Clément Rochefort dans les studios de France Bleu Hérault à Montpellier en 2019)

Joie de revoir ma chère Karine Deshayes, plus éblouissante que jamais en ce 29 février – jour anniversaire de Rossini ! – avec son complice Florian Sempey. Dommage qu’il y ait eu quelques soucis de micro dans cet extrait, mais cela ne gâche pas notre plaisir… et notre admiration pour ces chanteurs.

Pas beaucoup de surprise à l’annonce des lauréats comme soliste instrumental – Alexandre Kantorow ne quitte guère les sommets qu’il a atteints depuis sa m&daille d’or au Concours Tchaikovski 2019 – ou soliste vocal – le ténor Benjamin Bernheim qui doit chanter Roméo et Juliette au Metropolitan Opera de New York dans quelques jours. Heureux que Marie Jacquot soit distinguée comme « révélation chef d’orchestre », quoique cet intitulé me paraisse à la limite du ridicule s’agissant d’une musicienne à qui sont déjà confiées d’importantes responsabilités.

Comme le public, je découvre les talents de la compositrice Florentine Mulsant, de la gambiste Salomé Gasselin ou encore de la jeune mezzo-soprano Juliette Mey.

Plus étrange est la nomination dans la catégorie « Enregistrement » du coffret d’hommage à Nicholas Angelich. On se demande d’ailleurs si cette récompense attribuée à un seul disque classique est pertinente : il y a une telle production qui n’est plus et de loin l’apanage du seul CD qu’il est illusoire de prétendre distinguer « le meilleur enregistrement . Ici, il eût été ô combien plus pertinent que ce coffret soit placé hors catégorie.

Le génie de Moussorgski

Mercredi soir, j’assistais à la première de la série de représentations de Boris Godounov proposées jusqu’au 7 mars par le théâtre des Champs-Elysées. J’ai rendu compte pour Bachtrack de cette production créée à Toulouse en décembre dernier : Les grosses ficelles d’Olivier Py dans Boris Godounov au théâtre des Champs-Elysées.

Mais si l’on fait abstraction de ces trucs de mise en scène, et de la relative déception d’une direction assez banale, il faut louer sans réserve tous les chanteurs de cette production (ce sont les mêmes à Toulouse et à Paris), dont la star aurait dû être Mathias Goerne dans une prise de rôle pour lui. Le baryton allemand ayant déclaré forfait, il a été, très avantageusement, remplacé par Alexander Roslavets dans le rôle-titre

Au cas où on n’aurait pas compris la fine allusion au tsar Boris (Poutine) recevant au Kremlin le prince Chouiski (Macron)

Comme je l’écris dans Bachtrack, je songeais en écoutant Roslavets à ce qui s’était passé, il y a 111 ans, sur cette même scène : pour la saison inaugurale du théâtre construit par Auguste Perret, c’est le grand Fiodor Chaliapine qui reprenait le rôle-titre du chef-d’oeuvre de Moussorgski, qu’il avait chanté cinq ans plus tôt au Châtelet.

Le choix d’un chef

On a eu la semaine dernière la confirmation d’une nouvelle que je tenais depuis plusieurs mois du directeur général de l’époque de l’Orchestre philharmonique royal de Liège : la nomination de Lionel Bringuier comme directeur musical de l’orchestre à la rentrée 2025. J’ai craint un moment que ce que m’avait annoncé, en secret, Daniel Weissmann, ne soit finalement pas accompli. Parce qu’entre les projets même les mieux conçus de recrutement d’un directeur musical et la réalité des nominations, il y a souvent un écart.

Le bon choix pour Liège

Je vais raconter comment se passent les nominations de chefs d’orchestre, au moins celles que j’ai eu à connaître. Mais d’emblée je veux dire ici combien le choix de Lionel Bringuier pour Liège vient à point nommé, pour l’orchestre et pour lui. L’ère qui s’ouvre sera féconde et extrêmement bénéfique pour l’orchestre, dont j’ai quitté la direction générale il y a bientôt 10 ans ! Voir RTC

Pour l’OPRL c’est le retour à un étiage qu’il n’aurait jamais dû quitter. Je n’ai jamais compris l’enthousiasme – très relatif – qu’a pu susciter l’actuel directeur musical :Gergely Madaras sait, à coup sûr, manier la baguette, diriger des partitions complexes, et sans doute s’attirer les sympathies du public.

Mais la seule question qui vaille, s’agissant d’un directeur musical, et non pas juste d’un chef de passage, c’est : qu’a-t-il apporté à l’orchestre? quelle est sa valeur ajoutée ? quelle personnalité incarne-t-il face à une phalange qui s’est souvent hissée dans le passé au rang des meilleures ? Les seules fois où je l’ai vu diriger, j’ai trouvé sa direction bien peu singulière, souvent banale, et pas dans n’importe quel répertoire : un Sacre du printemps sans relief (il faut le faire !), une Quatrième symphonie de Mahler gentillette. On m’a reproché de ne pas avoir été tendre avec lui dans ses interprétations en concert ou au disque des oeuvres de César Franck (Hulda, Psyché), mais j’ai des oreilles pour entendre… et comparer.

Langrée, Rophé, Arming

Sur les trois chefs que j’ai eu à nommer durant mes fonctions à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (1999-2014), je me suis souvent exprimé, mais sans toujours révéler le dessous des cartes. Les conditions de l’arrivée de Louis Langrée à Liège sont connues : (re)lire Portrait d’ami.

Lorsque Louis Langrée m’avait annoncé qu’il ne prolongerait pas son deuxième mandat (2004-2006) – il s’est alors longuement expliqué sur ses raisons – nous étions convenus qu’il poursuivrait des projets et des tournées auxquels lui comme moi tenions beaucoup, et ce fut le cas. Pour succéder à un musicien qui avait apporté un tel enthousiasme et conduit un tel renouveau à un orchestre en crise, mais qui avait dû affronter aussi un ensemble qui n’était pas habitué, ni même prêt, aux exigences interprétatives du chef français, je pensais qu’un excellent technicien, certes trop réduit à l’étiquette « musique contemporaine », mais dont l’orchestre avait pu apprécier la précision, la capacité d’aborder des partitions complexes, serait un bon relais.Au cours d’un dîner à Paris, je proposai le poste à Pascal Rophé, qui en fut le premier surpris ! Et il y eut de grands moments, de très belles réussites – grâce à Pascal Rophé, l’OPRL fut invité à plusieurs reprises au festival Musica de Strasbourg, enregistra de très grands disques (Mantovani, Dusapin), mais lorsqu’il me fallut envisager de prolonger ou non le premier mandat de Rophé (2006-2009), je partageai mes doutes, mes hésitations, avec des musiciens de et hors l’orchestre dont je connaissais la sûreté de jugement. A peu près tous rejoignaient mon point de vue, il manquait au chef une vision du coeur de répertoire d’un orchestre symphonique, ses prestations dans Mozart, Beethoven, Brahms et même Mahler n’ayant guère convaincu,.. Je laisse le lecteur imaginer la teneur du dîner au cours duquel je dus dire en tête à tête à P.R. la décision prise à son égard.

Des conversations que j’avais eues pour sa succession, un nom ressortait fréquemment. Un jeune chef qui avait fait des étincelles à Liège en 2007, un chef très présent sur les réseaux sociaux (Facebook en l’occurrence).Voyant qu’il était à Paris… et moi aussi, je lui proposai un déjeuner qu’il accepta immédiatement. Je lui dis le bien que les musiciens de l’orchestre et moi pensions de lui, et lui demandai, en toute confidentialité bien sûr, s’il accepterait la direction de Liège. Il ne mit pas 24 h à me donner son accord, et nous nous retrouvâmes quelques semaines plus tard, avec le délégué artistique de l’orchestre, à son domicile en région parisienne. François-Xavier Roth débordait d’idées, d’enthousiasme, de projets. Un contrat fut signé avec son agente parisienne. Quelques semaines avant sa prise de fonction, FX m’indiqua qu’il passait désormais chez un agent basé à Londres, qui lui ouvrait des perspectives internationales. C’est alors que tout se déglingua : ledit agent me somma de revoir le contrat de FXR. Je lui répondis que je ne négociais pas à distance, et qu’un contact direct entre nous me paraissait un préalable. Je rencontrai ce personnage le jour même du premier concert de FXR et de l’orchestre à Bruxelles, en septembre 2009. Ce fut une descente en règle non seulement des termes du contrat du chef mais aussi et surtout de la politique de l’orchestre, qu’il fallait revoir de fond en comble. Bien entendu, toutes les décisions devaient revenir au seul chef d’orchestre, le directeur général ne servant qu’à porter les valises et à faire les comptes. Je mis quelques semaines à comprendre que cette attaque frontale ne servait qu’à préparer la rupture qui aurait lieu au printemps suivant. Entre temps ledit agent s’était « vendu » à une grande agence de concerts à Londres, et mes interlocuteurs allaient changer, sans pour autant que le conflit se règle. Disons que les contacts devinrent plus urbains. Pendant ce temps, je refusais de prêter du crédit aux rumeurs, informations, qui me parvenaient sur une prochaine nomination de FXR dans un grand orchestre allemand. C’est pourtant ce qui fut annoncé, un mois à peine après le communiqué que nous publiâmes en mars 2010 indiquant la rupture anticipée du mandat de directeur musical du chef.

Le traumatisme ne fut pas mince, pour les musiciens de l’orchestre, sonnés par un tel abandon, dont évidemment quelques esprits bien intentionnés ne manquèrent pas de m’attribuer la responsabilité (pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot !), pour mon équipe et pour moi aussi. Le président de l’agence londonienne eut le grand tort d’écrire une lettre au président de l’orchestre, dans laquelle il manifestait un tel mépris non seulement pour le directeur général mais aussi pour le conseil d’administration qui l’avait nommé – nous étions incapables de comprendre à quel musicien d’élite nous avions à faire en la personne d’un chef que le monde entier s’arrachait !! – qu’il provoqua de la part de tous les Liégeois, élus, musiciens, responsables, une réaction indignée et une manifestation de totale solidarité envers les dirigeants de l’orchestre. Le sentiment d’un gâchis, surtout à la veille de la saison anniversaire des 50 ans de l’orchestre (2010-2011) au cours de laquelle nous avions prévu un grand nombre de manifestations exceptionnelles, dont des concerts à Varsovie et Vienne ! Nous pûmes heureusement compter sur le concours de plusieurs chefs, dont Louis Langrée et Pascal Rophé, pour assurer le succès de cette saison, et en particulier le concert des 50 ans de l’OPRL, le 7 décembre 2010 qui réunit les trois anciens directeurs musicaux Pierre Bartholomée et ses deux successeurs.

Pour trouver le successeur de Roth, je décidai de changer complètement le processus de sélection et de recrutement, en impliquant directement l’orchestre. Je proposai aux musiciens de désigner en leur sein une commission de six à huit membres, qui travaillerait avec moi dans la plus totale confidentialité, et donc une totale liberté entre nous, pour d’abord dégager le profil du directeur musical qui conviendrait à un orchestre qui avait beaucoup évolué et progressé depuis dix ans, ensuite faire une « short list » de possibles prétendants. La règle était que rien ne devait sortir de nos discussions, que s’il y avait des fuites, cela ruinerait irrémédiablement le processus. J’eus dès le départ la certitude que le prochain directeur musical figurait parmi les chefs que nous avions déjà invités, et j’avais mes préférences. Cela reste une de mes fiertés que d’avoir pu conduire ce processus, dans un esprit d’ouverture, de dialogue, sans conflit, et dans la plus absolue discrétion. À un point tel que lorsque nous annonçâmes en mai 2011 la nomination du chef autrichien Christian Arming, ce fut une surprise totale pour tout le monde, et les musiciens l’approuvèrent d’autant plus chaleureusement qu’ils savaient qu’elle résultait des travaux du petit groupe qu’ils avaient désigné. Ce qui comptait le plus pour moi, c’est qu’aucune pression extérieure – et il y en eut évidemment, et de nombreuses, notamment de la part de chefs et/ou d’agents qui voulaient se placer – aucun argument autre qu’artistique, n’aient été pris en considération.

S’en suivit une période féconde pour l’orchestre, huit années de stabilité, puisque le premier contrat de Christian Arming (2011-2014) fut renouvelé le jour où j’annonçai mon départ de l’orchestre, et ma nomination à Radio France le 14 mai 2014. Je ne fus pas peu fier d’emmener « mon » orchestre pour la troisième fois en moins de dix ans, le 22 mai 2014, dans la grande salle dorée du Musikverein de Vienne !

(Christian Arming devant la statue de Johann Strauss à Vienne, mai 2014)
(Christian Arming dirigeant la Chevauchée des Walkyries / OPRL / JBR Productions)

PS. Je veux préciser ici que j’ai gardé avec chacun des chefs que j’avais choisis et nommés à Liège des relations cordiales, souvent amicales, quels qu’aient pu être nos différends. J’ai pour chacun d’eux une profonde admiration musicale et personnelle.

L’axe Rome-Rio

Vous cherchez un cadeau de Noël original ? Il est tout trouvé avec ce coffret magnifique qui regroupe tous les enregistrements de l’oeuvre symphonique de Respighi réalisés par le grand chef brésilien John Neschling. Coffret qui comprend aussi les livrets édités pour chacun des disques !

Pratiquement tous ces disques ont obtenu les plus hautes récompenses de la presse musicale internationale. Je ne peux donc être suspecté de parti pris !

Il n’est que d’écouter – pour ceux qui comprennent l’anglais – le célèbre critique américain, David Hurwitz, parler de ce coffret.

J’avoue ma fierté d’avoir lancé cette série il y a douze ans grâce à John Neschling et aux responsables du prestigieux label BIS, qui fête son cinquantenaire et qu’elle ait pu se poursuivre après mon départ de Liège, alors que le nombre et la qualité des enregistrements de l’Orchestre philharmonique royal de Liège se sont singulièrement raréfiés depuis dix ans. A entendre les compliments d’usage qui saluaient le départ de mon successeur en octobre dernier (Anniversaires etc.), on avait le sentiment que certains responsables avaient la mémoire bien courte…

John Neschling avait commencé cette série Respighi par la « trilogie » romaine avec l’Orchestre symphonique de Sao Paulo dont il a fait l’une des grandes phalanges internationales durant son mandat de directeur musical de 1997 à 2008. C’est en venant diriger, à ma demande, une mémorable 2e symphonie de Mahler, à Liège et à Maastricht, en octobre 2010, que le chef brésilien (apparenté à Schönberg !), impressionné par les qualités de la phalange liégeoise, évoqua le projet de poursuivre ce cycle Respighi. À la Boutique fantasque, qu’il envisageait comme première étape – l’oeuvre est populaire et valorisante pour l’orchestre, je lui suggérai d’ajouter une pièce que j’avais moi-même découverte et programmée en 1987 avec l’Orchestre de la Suisse romande, les Impressions brésiliennes, un triptyque composé par Respighi à la suite d’un voyage à Rio de Janeiro en 1927.

L’intérêt de ce coffret est de disposer de versions modernes, superbement captées, d’oeuvres plutôt rares dans le corpus symphonique de Respighi comme ses transcriptions d’oeuvres pianistiques de Rachmaninov !

Bravo à mon cher John Neschling et à un orchestre qui m’est plus cher encore et qui brille ici de tous ses feux !