Des Prom’s aux Prem’s

Olivier Mantei, le patron de la Philharmonie de Paris, peut être fier de son nouveau « bébé ». Comme une réplique aux célèbres Prom’s de Londres – le festival géant qui, tout l’été jusqu’à mi-septembre, rassemble chaque soir près de 5000 spectateurs au Royal Albert Hall – ses Prem’s ont, dès le premier soir (le 2 septembre) remporté un succès phénoménal (lire sur Bachtrack : Succès total pour la première des Prem’s à la Philharmonie).

L’opération est d’autant mieux venue que ce mini-festival propose une affiche extraordinaire : le Gewandhaus de Leipzig et Andris Nelsons les 2 et 3 septembre, le 5 rien moins que le Philharmonique de Berlin et Kirill Petrenko, le 7 la Scala de Milan et Riccardo Chailly et les 10 et 11 (on y sera) l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä).

Le nouveau Nelsons

Sauf erreur de ma part, je n’avais pas revu le chef letton à Paris depuis trois ans et le concert qu’il avait dirigé, à la tête du Philharmonique de Vienne.

Je l’avais déjà repéré cet été en regardant quelques extraits vidéo, mais son entrée sur la scène de la Philharmonie mardi soir nous a tous impressionnés… par la transformation physique qui s’est opérée sur le chef. L’embonpoint du pope orthodoxe a laissé place à une sveltesse de mannequin

En 2020, lors du concert de Nouvel an à Vienne

Et cela se voit et se ressent dans la manière d’Andris Nelsons de s’investir, de faire corps avec son orchestre.

Ici en mai dernier le concert d’hommage à Chostakovitch (mort il y a 50 ans) à Leipzig :

Leipzig éternel

Je ne suis allé qu’une seule fois à Leipzig à la fin de l’année 2017. Ce n’est pas dans sa salle moderne, construite en 1981 – et dont l’intérieur rappelle furieusement la Philharmonie de Berlin – que j’ai entendu le plus vieil orchestre européen, le Gewandhaus, mais à l’opéra.

Je collectionne depuis longtemps les enregistrements de l’orchestre du Gewandhaus, en particulier tous ceux qui furent réalisés sur place par l’entreprise d’Etat est-allemande VEB Deutsche Schallplatten dans des conditions de prise de son inégalées (sous les labels Eterna ou Berlin Classics)

On recherchera évidemment des raretés comme ce disque Markevitch

Et bien sûr la cohorte des chefs principaux, directeurs musicaux qui s’y sont succédé depuis les années 50 : Konwitschny, Neumann, Masur, Blomstedt, Chailly, et tous les invités réguliers comme Kurt Sanderling

Quant à Andris Nelsons, il profite de sa double casquette Leipzig/Boston pour graver des quasi-intégrales qui ne sont pas toutes du même niveau – on est plutôt déçu par ses Bruckner.

Humeurs et réactions du jour sur mes brèves de blog : aujourd’hui j’y évoque justement l’Orchestre de Paris, des nominations (Salonen) et autres transferts…

Chez Maxim

Il est de ces jeunes chefs que les grandes phalanges symphoniques s’arrachent, mais il est loin d’être (encore) aussi médiatisé que ses trois collègues finlandais Klaus Mäkelä, Santtu-Matias Rouvali ou Tarmo Peltokoski. Il est russe, originaire de la région de Nijni-Novgorod, au confluent de la Volga et de l’Oka, et il est temps que je lui consacre tout un billet, après l’avoir ici et là mentionné et salué sur ce blog : Maxim Emelyanychev.

Comme on le chante dans La Veuve joyeuse de Lehar – Da geh ich zu Maxim – j’aurais pu dire jeudi dernier au théâtre des Champs-Elysées : Da hör ich zu Maxim ! Et ce que j’ai entendu, je l’ai écrit pour Bachtrack : L’exultation de Maxim Emelyanychev et Sabine Devieilhe au TCE.

Maxim Emelyanychev je le connais d’abord par la rumeur – qui se répand vite dans le milieu professionnel quand on a le sentiment d’être tombé sur l’oiseau rare. Je crois bien que c’est à Toulouse que j’en ai entendu parler pour la première fois.

J’ai d’abord acheté ses premiers disques.

Ce qui m’a immédiatement frappé, en écoutant ses disques, en le regardant diriger, c’est l’absence totale de dogmatisme dans la manière d’aborder les oeuvres et les répertoires, c’est aussi et surtout l’humilité, la modestie de l’approche – il ne bombe pas le torse, ne cherche pas à épater la galerie, à prendre la pose – à la différence de tant de ses jeunes confrères. J’ai eu la chance, plus tard, de mieux le connaitre, de dîner avec lui. Comme avec un autre chef que j’adore – Santtu-Matias Rouvali – on a l’impression qu’il est en permanence branché sur le courant alternatif, non pas qu’il soit agité, mais traversé par une énergie irrésistible.

Ce qui frappe tout autant, c’est ce qu’on a remarqué jeudi soir avec l’Orchestre national de France, c’est l’éventail de ses curiosités, de ses répertoires, et cette capacité, assez unique dans le paysage musical, d’être aussi convaincant dans le baroque – c’est un formidable claveciniste et pianofortiste ! – que dans le grand répertoire romantique. Parce qu’il semble redécouvrir les oeuvres, sans posture ni excès.

À l’automne 2019, je m’étais rendu en Ecosse notamment pour rencontrer les responsables du Scottish Chamber Orchestra en prévision d’une édition 2021 du Festival Radio France que je souhaitais vouer à la musique anglaise. Finalement pour cause de pandémie, l’édition sera retardée à 2022, mais le Scottish Chamber et Maxim Emelyanychev sont bien venus à Montpellier clore une fabuleuse édition avec deux concerts, avec un soliste exceptionnel, Benjamin Grosvenor, qui avait joué deux concertos de Beethoven ! Je râle encore de l’absence des micros de France Musique…

La même joie contagieuse se retrouve dans son clavecin :

Emelyanychev a entrepris une intégrale des symphonies de Mozart. A en juger par les deux premiers volumes, on pourrait tenir là la grande version moderne de ce corpus.

Du Bach et des livres

Comme à mon habitude j’ai plusieurs livres sur ma table de chevet ou mon smartphone. Je les ouvre en fonction de l’humeur, du moment, du lieu où je me trouve. Parfois j’en lâche un plusieurs semaines, et je le retrouve sans en avoir perdu une miette, parfois je retarde le moment de le terminer, pour prolonger le plaisir.

Visionnaires

Je me suis replongé dans deux bouquins presque hors d’âge, qui valent toujours mieux, beaucoup mieux que tout ce qui sort ces jours-ci de la plume (?) des politiques. 

L’essai de Georges Pompidou (1911-1974), je l’avais lu à sa sortie en 1974, puis plus jamais rouvert. Je redécouvre un personnage vraiment singulier, le contraire du conservateur bourgeois, gaulliste d’occasion : ses pages sur l’éducation, l’Université et son avenir, le capitalisme et le marxisme, sur les sujets de société en général, sont visionnaires, appuyées sur une culture historique et philosophique qui impressionne. Saisissant !

Quant à Roland Dumas, mort à 102 ans il y a moins d’un an, on a le sentiment qu’il a disparu de l’Histoire. Le personnage n’a jamais démenti sa réputation de séducteur sulfureux. Mais le témoignage qu’il livre notamment sur les années 80 qui sont aussi les années Mitterrand est plus que précieux, et aide à comprendre nombre de sujets de notre actualité avec les personnages de Khadafi, Reagan, Gorbatchev, Assad, le Proche-Orient, l’Iran… A-t-on vraiment beaucoup progressé depuis ?

J’ajoute – c’est évidemment de première importance pour moi – que chez l’un comme chez l »autre le style fait l’écrivain.

Le retour de Maryvonne

On avait l’impression que l’ex-directrice du Patrimoine au ministère de la Culture, maniant volontiers la polémique, Maryvonne de Saint-Pulgent, avait un peu disparu des radars. C’était sans compter sur son nouvel opus, opportunément publié pour coïncider avec le centenaire de Pierre Boulez. Que d’aucuns, qui ne l’ont pas lu, ont un peu hâtivement présenté comme un pamphlet anti-Boulez.

Cette somme « montre que le rapport de Lully et Boulez au pouvoir et ses conséquences sur notre paysage musical ne sont pas des singularités, mais le fruit d’une exception française, due à la préférence nationale pour le mécénat d’État et les régimes politiques à exécutif fort, ainsi qu’à l’importance de la musique dans notre société.. Née sous la monarchie absolue, cette exception qui concerne aussi Rameau, Berlioz, Fauré et le groupe des Six perdure sous la Révolution, sous les monarchies du XIXᵉ siècle et au XXᵉ siècle, avec des éclipses pendant les régimes parlementaires, le relais étant alors pris par d’autres lieux de pouvoir, académies et salons parisiens notamment. Cette parenthèse de quatre siècles paraît refermée aujourd’hui, la musique savante ayant cessé d’intéresser les dirigeants politiques alors que disparaissait Pierre Boulez » (Présentation de l’éditeur).

A consommer à petites doses, mais sans temps morts.

Les dames du siècle

Le hasard m’a fait trouver ces deux petits livres en même temps dans la même librairie parisienne. De l’une et l’autre dames, je sais déjà bien des choses, mais c’est toujours mieux de creuser le sujet, d’en savoir plus sur des personnages qui ont servi la petite et parfois la grande histoire

Tous ceux qui se sont passionnés pour l’histoire du Festival d’Aix-en-Provence ont forcément rencontré son nom, la comtesse Pastré. Mais savent-ils que « Lily Pastré (1891-1974) a été bien plus qu’une riche mécène. Voici le récit de la vie d’une grande excentrique, d’une grande généreuse, d’une grande amie des artistes, des années folles aux Trente Glorieuses en passant par le tourbillon de la Seconde Guerre mondiale.Née à Marseille, héritière des célèbres apéritifs Noilly Prat, elle épouse un aristocrate et vit à Paris dans un entre-deux-guerres tourbillonnant de fêtes et de concerts. Sa passion première, c’est la musique. Elle est l’amie des plus grands compositeurs et interprètes du moment. Dans sa villa du sud de Marseille, elle reçoit des personnalités aussi diverses que Christian Bérard et Édith Piaf, Luc Dietrich et André Masson. Pendant la guerre, au risque de sa vie, elle cache et aide des musiciens juifs, tels que Clara Haskil et Darius Milhaud, les sauvant d’une mort certaine » (Présentation de l’éditeur).

Quant à la sulfureuse Liane de Pougy, ce n’était pour moi qu’un nom connu. Je vais découvrir ces Dix ans de fête : « une série d’articles parus dans le quotidien La Lanterne en 1903 et 1904 qui raconte dans le détail et avec une liberté sidérante, la vie d’une demi-mondaine pendant une dizaine d’années. Comme l’annonce Liane de Pougy :  » On y reconnaîtra toutes les reines de la fête, qui ont conquis la célébrité par la grâce de leur sourire et le prestige de leur beauté. Ces mémoires renfermeront les indiscrétions les plus piquantes, relateront les aventures les plus pimentées du Tout-Paris qui s’amuse…  » (PdE)

Le crime est son affaire

Joseph Macé-Scaron récidive. Après une Reine jaune qu’on avait rencontrée in situ l’été dernier (lire Les romans de la Côte) et sa Falaise aux suicidés, l’ami Joseph opère un retour gagnant au polar.

« Depuis quelque temps, des événements inquiétants ont lieu à Baugé, petite cité angevine abritant un morceau de la Vraie Croix du Christ. 
Tout bascule lorsque des meurtres spectaculaires sont commis. Sont-ils l’œuvre d’un psychopathe ? D’un esprit avide de vengeance ? Le coupable est-il seulement humain ? 

Dépassées, les autorités font appel au capitaine Guillaume Lassire et à l’archiviste Paule Nirsen, membres du mystérieux Département S, un bureau non officiel chargé d’élucider des affaires étranges. Lancés dans une course effrénée sur les traces d’une autre croix, qui plongea l’Europe dans les ténèbres durant la Seconde Guerre mondiale, les deux enquêteurs vont remonter jusqu’aux racines du Mal.« 

On s’y plonge avec d’autant plus de bonheur et d’impatience que l’auteur a élagué, épuré une matière introductive qui était précédemment trop dense, trop riche de références. Le suspense s’en trouve décuplé, comme l’intérêt du lecteur. On imagine aisément le film qu’on pourrait en tirer.

Repasser son Bach

Je n’ai pas été très convaincu par le concert que dirigeait Klaus Mäkelä mardi soir (compte-rendu à lire sur Bachtrack: Une messe en si sans ferveur)

Je vais me replier ce week-end sur des valeurs sûres, impérissables et ferventes, de ma discothèque.

Et toujours mes impressions quotidiennes: brevesdeblog

Une berceuse de la mort

Gabriel Fauré à propos de son Requiem : « On a dit qu’il n’exprimait pas l’effroi de la mort, quelqu’un l’a appelé une berceuse de la mort. Mais c’est ainsi que je sens la mort : comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur d’au-delà, plutôt que comme un passage douloureux« 

Ce n’est pas exactement ce que le public de la Philharmonie a pu entendre hier ou mercredi soir, comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Un requiem XXL par Mäkelä et l’Orchestre de Paris.

Je citais à mon voisin de concert la version par laquelle, adolescent, j’avais découvert l’oeuvre. Un des tout premiers disques enregistrés avec l’Orchestre de Paris par son directeur musical de 1975 à 1989, Daniel Barenboim. Je ne l’avais plus écouté depuis longtemps. En y revenant, j’y retrouve tout ce qui m’avait séduit dans cette « berceuse de la mort ».

Je suis beaucoup moins convaincu par la version du lointain successeur de Barenboim, Paavo Järvi…

J’ai une affection particulière pour cette version d’un chef que j’ai toujours admiré, Colin Davis, qui dispose avec le choeur de la radio de Leipzig et la Staatskapelle de Dresde de splendides interprètes de sa vision fervente et universelle de l’oeuvre.

Pour le reste, je renvoie aux articles déjà consacrés à Fauré et à quelques-unes des versions de son requiem (Le vrai Fauré, Le vrai Fauré suite).

Les joies de juin

D Day #80 : Félicitations

Félicitations à France 2, à la télévision publique en général, pour cette journée très réussie de commémoration des 80 ans du Débarquement. De Télématin à la cérémonie de fin d’après-midi, j’ai appris beaucoup de choses, de détails historiques, que j’ignorais, et cela sans le recours à d’incessants micro-trottoirs qui tiennent trop souvent lieu de reportages. Musicalement, la cérémonie internationale d’Omaha Beach avait l’allure et la carrure nécessaires : tout et tous étaient à leur place. Lambert Wilson, magnifique récitant, Alexandre Tharaud et son piano poétique, le choeur de l’Armée française préparé par sa cheffe Aurore Tillac, et peut-être surtout la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique qui nous a profondément émus.

Chantilly sans crème

En septembre dernier, j’avais bien aimé le rendez-vous festif qu’Iddo Bar-Shai propose à Chantilly (Double crème). Je me réjouissais de retrouver le cadre imposant des anciennes écuries royales, en ce premier jour de juin, pour les Coups de coeur de Steven Isserlis.

Déception, frustration de ne pas plus et mieux entendre des musiciens que j’admire, comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Frustrations à Chantilly

Oslo à Paris

Mardi dernier en revanche, l’affiche a tenu ses promesses. Un programme tout Brahms proposé par l’Orchestre philharmonique d’Oslo en tournée, dirigé par un chef qu’on connaît bien à Paris, Klaus Mäkelä, jouant aussi la partie de violoncelle du double concerto de Brahms. En compagnie d’un violoniste, Daniel Lozakovich, qui ne cesse de nous impressionner, concert après concert. Compte-rendu enthousiaste à lire sur Bachtrack : Klaus Mäkelä voit double avec l’Orchestre philharmonique d’Oslo

En marge du concert, deux brèves rencontres inattendues. Dans le métro de retour d’abord, une vieille dame un peu voûtée, le regard pétillant, s’adressant à deux jeunes hommes qui venaient manifestement d’assister au concert, et une voix que je n’ai reconnue qu’au dernier moment avant qu’elle ne sorte à la station Stalingrad, l’une des productrices emblématiques de France Musique, Martine Kauffmann, que je n’avais plus revue depuis près de trente ans.

En revanche, je savais d’avance que j’apercevrais au pupitre de clarinettes, Pierre Xhonneux (prononcer O-noeud), un musicien que j’avais engagé tout jeune – il avait 18 ans ! – à l’Orchestre philharmonique de Liège, et qui avait rejoint les rangs du philharmonique d’Oslo en 2015. Impossible de le retrouver dans le dédale de couloirs et de salles qui forme les coulisses de la Philharmonie, au milieu des « flightcases » de l’orchestre. Le lendemain matin, sortant du Café Charlot, rue de Bretagne où j’ai mes habitudes pour le petit déjeuner, je tombe sur Pierre et deux de ses collègues norvégiens. Ou comment le hasard fait bien les choses…

Sawallisch inconnu

Je l’ai longuement évoqué il y a un mois (Sawallisch ou les retards d’un centenaire) à propos de deux publications récentes. Je n’avais pas encore reçu le premier des deux coffrets que Warner consacre au chef allemand, né en 1923, disparu en 2013. Par rapport à un premier coffret EMI, acheté naguère au Japon, qui était limité au répertoire symphonique et concertant, il y a bien sûr l’œuvre chorale (Schubert) et de nombreux disques de Lieder où Sawallisch est au piano, mais aussi quelques pépites que je n’avais jamais vues en CD parmi les premiers enregistrements du jeune chef avec le Philharmonia.

ou encore une complète découverte pour moi que ces mélodies de Pfitzner avec Dietrich Fischer-Dieskau

Et puis, last but not least, l’excellent texte de Remy Louis, qui est une mine d’informations de première main sur l’art de ce chef.

Mon marché de printemps

J’ai une dilection particulière pour ces musiques qu’Armin Jordan qualifiait de « décadentes » avec une gourmandise non feinte, comme celles de Schreker ou Zemlinsky. Christoph Eschenbach nous offre une belle nouveauté avec ce double album enregistré à Berlin, et deux solistes splendides, Chen Reiss et Mathias Goerne.

Trouvé à petit prix sur jpc.de, je n’avais jamais repéré ce CD paru en 1998 de Stephen Hough (pour la prononciation, je renvoie à Comment prononcer les noms de musiciens ?) consacré à un compositeur singulier autant qu’admirable, Federico Mompou

Des chefs et des dames

Les Français ne vous oublient pas

Hier spontanément j’ai souhaité un bon anniversaire à Michel Plasson – 90 ans – mais il a fallu qu’un chroniqueur britannique, trop heureux de pouvoir taper sur ce qui n’est pas British, affirme sur son blog que la France avait « oublié » son grand chef. Inutile querelle. Tous les mélomanes, et les musiciens, français savent ce qu’ils doivent à ce grand chef qui a si bien et si longtemps servi la musique de son pays, en particulier à la tête de l’Orchestre du Capitole de Toulouse.

Rattle fait un Mahler

J’ai encore compris hier soir pourquoi je redoute la Sixième symphonie de Mahler, pourquoi je ne l’écoute quasiment jamais au disque. Alors que je ne me lasse de pratiquement aucune autre – la fabuleuse Troisième entendue à Bucarest (lire Le Mahler de Mäkelä), l’étonnante Cinquième du Portugal et la découverte d’un grand chef, Dinis Sousa) pour n’évoquer que les plus récents concerts. Hier donc c’était l’Orchestre de la radio bavaroise – quelle volupté ! – et son nouveau chef Simon Rattle qui inauguraient leur relation.

Même si je ne l’ai pas formulé aussi abruptement dans mon compte-rendu pour Bachtrack (lire Suffocante Sixième symphonie de Mahler par Simon Rattle), je trouve l’oeuvre, et son dernier mouvement en particulier, à la limite de l’inaudible. Mais je ne regrette évidemment pas d’avoir entendu la version/vision plutôt singulière du chef anglais et de son fabuleux orchestre.

Catherine est Bernadette

Comme antidote à la déprime mahlérienne, rien de mieux ce matin que le nouveau film de Léa Domenach, Bernadette !

Je craignais qu’après toute la promo qui avait été faite, les multiples interviews des acteurs et surtout de Catherine Deneuve qui incarne Bernadette Chirac, je ne sois finalement déçu par un film qui a sinon divisé, du moins partagé la critique. SI j’en juge par le nombre de spectateurs présents en matinée dans une salle du centre de Paris, le film ne devrait pas connaître un gros succès de fréquentation. Nulle déception, mais le plaisir d’un bon cinéma, qui aurait gagné à un peu plus de nerf.

Peu importe, ce Bernadette évite à peu près tous les pièges du genre : le personnage qu’incarne formidablement une Catherine Deneuve souveraine – qui n’est jamais dans l’imitation ou la parodie – est souvent sympathique, tandis que tous les machos qu’elle côtoie (à commencer par son président de mari, formidable Michel Vuillermoz, l’inénarrable Sarkozy de Laurent Stocker), à l’exception de l’attendrissant conseiller Bernard Niquet si bien joué par Denis Podalydès, frôlent souvent le ridicule. Sara Giraudeau est une étonnante et très crédible Claude Chirac. Plusieurs jolis moments d’émotion et une bande-son des plus inattendues, qu’on ne divulgâchera pas…

Les Rachma de Yuja

L’une des meilleures nouvelles de ce début d’été, c’est l’intégrale annoncée des concertos pour piano de Rachmaninov (avec la Rhapsodie sur un thème de Paganini), captée en public à Los Angeles, de Yuja Wang et Gustavo Duhamel

J’avais déjà eu la chance d’entendre la pianiste chinoise à Paris, dans deux des quatre concertos.

En mars 2022, elle jouait le Premier avec l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä (lire ici)

En mars 2023, c’était cette fois le Troisième concerto avec Esa-Pekka Salonen et l’orchestre de San Francisco, toujours à la Philharmonie de Paris (lire Deux opéras, deux orchestres)

Son tout premier disque chez Deutsche Grammophon c’était déjà Rachmaninov : le 2ème concerto et la rhapsodie Paganini. Je ne sais plus quelle tribune écrite ou radiophonique avait comparé les versions récentes de ce tube du répertoire, mais je m’en rappelle la conclusion : Yuja Wang faisait – bien aidée par Abbado ! – la course en tête

On attend donc avec impatience cette intégrale américaine, dont on commence à disposer par bribes sur les sites de téléchargement

Une Cinquième très politique

J’assistais dimanche dernier au concert de l’Orchestre philharmonique de Vienne, dirigé par Jakub Hrůša au théâtre des Champs-Elysées. J’en ai rendu compte pour Bachtrack : Des Wiener Philharmoniker double crème.

En seconde partie de ce concert, la Cinquième symphonie de Chostakovitch.

Texte et contexte

Sujet inépuisable de thèses et d’analyses, la musique de Chostakovitch est-elle ou non séparable du contexte qui l’a vue naître ? Autrement dit, peut-on interpréter par exemple cette 5ème symphonie, créée en 1937, sans tenir compte des circonstances de sa création, sachant qu’en 1936, au plus fort des purges staliniennes, la 4ème symphonie n’a pas pu être créée et l’opéra Lady Macbeth de Mzensk a été interdit de représentations sur toutes les scènes russes ?

Alain Lompech qui a eu, lui, la chance d’assister il y a une semaine au concert de l’Orchestre de Paris dirigé par Klaus Mäkelä, qui comportait une autre symphonie de Chostakovitch, la Septième, elle aussi très marquée par le contexte, le siège de Leningrad en 1941, intitulait son papier pour Bachtrack : La Symphonie Leningrad désoviétisée par Mäkelä.

L’impression que j’ai ressentie dimanche dernier en écoutant Hrůša et les Viennois, c’était un peu du même ordre : le jeune chef tchèque semblait se tenir à distance des versions « soviétiques », comme celle du créateur de l’oeuvre, Evgueni Mravinski avec l’orchestre philharmonique de Leningrad. Tempi beaucoup plus lents, au point de dénaturer quelque peu le substrat de cette symphonie.

Chostakovitch la présente comme une « réponse d’un artiste soviétique à une juste critique », faisant mine de complaire au régime, utilisant d’un arsenal souvent trivial – cette immense accord majeur final tenu jusqu’à l’insoutenable, pourtant parcouru de cris déchirants des cuivres – de thèmes banals, simplistes pour évoquer la joie populaire. Alors que tout n’est que révolte, lamentation, douleur, tension.

La comparaison entre quelques-unes des grandes versions de cette symphonie est éloquente :

Nous avons heureusement, au disque et en vidéo, plusieurs témoignages d’Evgueni Mravinski (1903-1988). Le tout début chez lui annonce toute la suite, une tension qui ne cessera jamais, et la manière dont il amène la péroraison finale est terrifiante, glaçante, insoutenable.

A Vienne en 1978 toujours avec le philharmonique de Leningrad, il achève la symphonie en 42 minutes, là où Jakub Hrůša prenait dix minutes de plus dimanche soir !

Kirill Kondrachine, quant à lui, adopte des tempi à peu près similaires, mais il dévoile dès le premier mouvement un paysage désolé, comme sans issue.

Les enregistrements de l’Orchestre philharmonique de Vienne de Chostakovitch sont rares. J’ai voulu réécouter leur gravure de la 5ème sous la direction de Mariss Jansons. A l’époque déjà, je me rappelle certaines critiques qui reprochaient au chef de s’être laissé « avoir » par les sonorités capiteuses des Viennois, évidemment à l’exact opposé des orchestres soviétiques.

Mais quand on écoute les autres versions de Mariss Jansons, pourtant formé à l’école de Mravinski, à Oslo, Amsterdam ou Munich, on a peu ou prou les mêmes partis pris.

Autre témoignage phénoménal d’un contemporain de Mravinski, dont il a plus d’une fois partagé le pupitre à Leningrad, le grand Kurt Sanderling (1912-2011) qui creuse la partition sans surligner le texte de Chostakovitch et en accentue ainsi la grandeur tragique.

Toutes ces versions sont de chefs qui ont sinon vécu, du moins connu le contexte de la composition et de la création de l’oeuvre.
Il est peut-être après tout normal qu’à partir de chefs comme Haitink, la musique de Chostakovitch se dépouille des circonstances de sa naissance, trouve une forme d’approche plus pure, moins connectée à l’histoire du temps.

Je persiste à penser que Chostakovitch est indissociable de l’histoire dans laquelle il s’insère, et que la puissance émotionnelle de son oeuvre, sa valeur musicale, n’en sont que plus considérables lorsqu’on n’essaie pas d’objectiver cette musique.

J’ai une grande admiration pour l’intégrale des symphonies que le jeune Vassily Petrenko a gravée avec l’orchestre de Liverpool dont il fut quinze ans le directeur musical (2006-2021), et en particulier sa version de la 5ème symphonie :

Fascinations

Mes camarades critiques, professionnels ou occasionnels (j’en fais partie ! cf. Offenbach et Stravinsky), ont parfois des admirations pavloviennes, sans toujours le recul… critique qui devrait être de mise !

Deux exemples opposés : la nomination de Klaus Mäkelä au Concertgebouw, les derniers disques d’Herbert Blomstedt.

Est-ce bien raisonnable ?

Ainsi on annonçait la semaine passée la nomination du chef d’orchestre finlandais Klaus Mäkelä, 26 ans (un vieux!), à la direction musicale de l’orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam à partir de… 2027 ! Dans cinq ans donc.

Le jeune homme occupe déjà la même fonction avec l’Orchestre philharmonique d’Oslo depuis 2020, et avec l’Orchestre de Paris depuis 2021. Au moins les choses sont claires pour les musiciens et les responsables de ces deux orchestres : leur chef les quittera dans moins de cinq ans.

Le processus adopté par le Concertgebouw est pour le moins étrange. La prestigieuse phalange amstellodamoise, qui en 2018 a viré sans préavis son précédent directeur musical Daniele Gatti (Remugles) sur la base de rumeurs non vérifiées, donne l’impression d’adopter les moeurs du football professionnel : attirer une star par tous les moyens (on ne connaît pas le montant de la transaction, mais on peut se douter qu’elle n’est pas mince !). Et surtout de faire un pari risqué.

Aujourd’hui tout le monde se pâme devant ce chef à qui tout semble réussir. Même sa récente intégrale Sibelius semble anesthésier des critiques à la dent d’ordinaire plus dure.

Ce n’est qu’avec une extrême prudence que certains se risquent à trouver cet enregistrement inégal, inabouti.

J’espère, je souhaite de toutes mes forces, que Klaus Mäkelä développe et révèle une stature, une envergure musicale, que son très grand talent laisse pressentir. Mais il faut aussi lui laisser le temps de se construire dans la durée, accepter qu’il puisse parfois décevoir après avoir ébloui. Je ne peux m’empêcher de faire le parallèle avec Andris Nelsons (44 ans) qui tout jeune suscitait le même engouement à chacune de ses apparitions à Paris et dans ses premiers disques : quand on lit maintenant les critiques sur ses derniers enregistrements, Chostakovitch, Bruckner, Richard Strauss, on est loin des Diapasons d’Or et autres Choc de Classica, auxquels il était jadis abonné…

Le Concertgebouw d’Amsterdam fait le pari que, dans cinq ans, il éprouvera toujours la même admiration pour le chef qu’il s’est attaché. On le souhaite pour l’orchestre comme pour Klaus Mäkelä.

Mais – la question qui fâche – n’y avait-il vraiment personne d’autre qu’un chef déjà en poste dans deux grands orchestres ?

Avec nos meilleurs vieux

L’autre fascination partagée par une grande partie de la critique est celle qu’on éprouve à l’égard des vieux, des très vieux chefs. C’était le cas, par exemple, pour Bernard Haitink, disparu l’an passé à l’âge de 92 ans. Rares étaient ceux qui émettaient des réserves sur certains de ses derniers concerts et/ou enregistrements.

Aujourd’hui, tout le monde est – à juste titre – admiratif d’Herbert Blomstedt, 95 ans le 11 juillet prochain, et je ne suis pas en reste.

Mais être fasciné par Blomstedt en concert n’implique pas qu’on le soit par tous ses enregistrements les plus récents. Ainsi de la dernière nouveauté Deutsche Grammophon, les 8ème et 9ème symphonies de Schubert avec le Gewandhaus de Leipzig.

Une version contemplative, qu’on peut trouver trop statique, sans ressort.

Il y a quarante ans, le même Blomstedt gravait à Dresde, une intégrale des symphonies de Schubert qui reste pour moi une référence. Et quel élan, quelle poésie dans ce même premier mouvement de l’Inachevée…

J’ai un peu les mêmes réserves avec les récentes symphonies de Brahms parues chez Pentatone. C’est très beau, bien enregistré, mais, dans chacune, il me manque un élan, une énergie, que je trouve ailleurs. Mais on admire la science et la sagesse d’un grand maître.

Jeunes baguettes

Il y a deux mois, j’applaudissais le nouveau directeur musical de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä (Yuja, Klaus et Maurice), 26 ans !

Quand je lis le compte-rendu de Remy Louis d’un concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France, où le quasi-vétéran (36 ans tout de même !) Santtu-Matias Rouvali a dû être remplacé par Tarmo Peltokoski, un compatriote – finlandais – de 21 ans ! – lire Les débuts fracassants de Tarmo Peltokoski, j’ai l’impression d’une course à la jeunesse chez les organisateurs, les responsables d’orchestres ou d’institutions musicales.

Il y a encore une vingtaine d’années, recruter un chef de moins de 40 ans paraissait audacieux, voire risqué, surtout pour un poste de directeur musical. On n’aura pas la cruauté de citer les exemples de ces jeunes chefs qui n’auront fait qu’un petit tour à ce genre de poste.

Je me réjouis, par exemple, de recevoir à nouveau à Montpellier, le 19 juillet prochain, le chef anglais Duncan Ward (33 ans!), à la tête de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée (voir lefestival.eu). J’avais assisté en octobre dernier à sa prise de fonction comme chef de la Philharmonie Zuidnederland à Maastricht.

Jeudi dernier, c’était, à la Philharmonie de Paris, une autre jeune baguette, Thomas Guggeis, 29 ans, qui remplaçait Daniel Barenboim, souffrant, à la tête du West-Eastern Divan Orchestra.

Une Patrie universelle

Au programme de ce concert, le cycle « Ma Patrie » de Smetana, une suite de six poèmes symphoniques, dont la célèbre Moldau, que je n’avais plus eu l’occasion d’entendre en concert depuis que je l’avais programmé en janvier 2010 à Liège, avec François-Xavier Roth et l’Orchestre philharmonique royal de Liège (Festival Visa pour l’Europe).

Thomas Guggeis est indéniablement à son affaire dans un cycle où les décibels d’une orchestration wagnérienne peuvent souvent masquer les inspirations populaires du compositeur tchèque. On se demande si le résultat eût été le même avec Barenboim au pupitre. On a entendu un camarade regretter une certaine neutralité interprétative et l’absence de cette nostalgie slave qui devrait s’attacher à Smetana. On a aussi appris que le jeune chef qui avait fait plus d’un tour d’essai avec l’orchestre du Capitole de Toulouse, qui cherche depuis des mois un successeur à Tugan Sokhiev, n’a pas été retenu par les musiciens…

Revenons à Ma Patrie, et à ce qu’il faut bien appeler un cliché – la « nostalgie slave » -. Même si, d’évidence, comme des centaines d’autres oeuvres, ces poèmes symphoniques puisent aux sources de l’inspiration populaire, ils n’en ont pas moins détachables de leur contexte géographique ou historique et constituent des oeuvres « pures ». Personne ne conteste à des chefs et orchestres occidentaux le droit et la légitimité d’interpréter les symphonies de Tchaikovski, qui pourtant puisent abondamment – au moins autant que les Borodine, Moussorgski et autres compositeurs du Groupe des Cinq – dans le terreau traditionnel.

Ce n’est pas parce que le chef d’origine tchèque Rafael Kubelik (lire Les fresques de Rafael), a gravé à plusieurs reprises des versions de référence de ce cycle que celui-ci est chasse gardée des interprètes natifs de Bohème ! Ici on écoute un moment extrêmement émouvant : la captation du concert donné en 1990 par Kubelik à Prague, qu’il avait quittée en 1948, un an après la chute du mur de Berlin.

Mais je veux signaler une autre très grande version, beaucoup moins connue, celle de Paavo Berglund et de la somptueuse Staatskapelle de Dresde.