Des Prom’s aux Prem’s

Olivier Mantei, le patron de la Philharmonie de Paris, peut être fier de son nouveau « bébé ». Comme une réplique aux célèbres Prom’s de Londres – le festival géant qui, tout l’été jusqu’à mi-septembre, rassemble chaque soir près de 5000 spectateurs au Royal Albert Hall – ses Prem’s ont, dès le premier soir (le 2 septembre) remporté un succès phénoménal (lire sur Bachtrack : Succès total pour la première des Prem’s à la Philharmonie).

L’opération est d’autant mieux venue que ce mini-festival propose une affiche extraordinaire : le Gewandhaus de Leipzig et Andris Nelsons les 2 et 3 septembre, le 5 rien moins que le Philharmonique de Berlin et Kirill Petrenko, le 7 la Scala de Milan et Riccardo Chailly et les 10 et 11 (on y sera) l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä).

Le nouveau Nelsons

Sauf erreur de ma part, je n’avais pas revu le chef letton à Paris depuis trois ans et le concert qu’il avait dirigé, à la tête du Philharmonique de Vienne.

Je l’avais déjà repéré cet été en regardant quelques extraits vidéo, mais son entrée sur la scène de la Philharmonie mardi soir nous a tous impressionnés… par la transformation physique qui s’est opérée sur le chef. L’embonpoint du pope orthodoxe a laissé place à une sveltesse de mannequin

En 2020, lors du concert de Nouvel an à Vienne

Et cela se voit et se ressent dans la manière d’Andris Nelsons de s’investir, de faire corps avec son orchestre.

Ici en mai dernier le concert d’hommage à Chostakovitch (mort il y a 50 ans) à Leipzig :

Leipzig éternel

Je ne suis allé qu’une seule fois à Leipzig à la fin de l’année 2017. Ce n’est pas dans sa salle moderne, construite en 1981 – et dont l’intérieur rappelle furieusement la Philharmonie de Berlin – que j’ai entendu le plus vieil orchestre européen, le Gewandhaus, mais à l’opéra.

Je collectionne depuis longtemps les enregistrements de l’orchestre du Gewandhaus, en particulier tous ceux qui furent réalisés sur place par l’entreprise d’Etat est-allemande VEB Deutsche Schallplatten dans des conditions de prise de son inégalées (sous les labels Eterna ou Berlin Classics)

On recherchera évidemment des raretés comme ce disque Markevitch

Et bien sûr la cohorte des chefs principaux, directeurs musicaux qui s’y sont succédé depuis les années 50 : Konwitschny, Neumann, Masur, Blomstedt, Chailly, et tous les invités réguliers comme Kurt Sanderling

Quant à Andris Nelsons, il profite de sa double casquette Leipzig/Boston pour graver des quasi-intégrales qui ne sont pas toutes du même niveau – on est plutôt déçu par ses Bruckner.

Humeurs et réactions du jour sur mes brèves de blog : aujourd’hui j’y évoque justement l’Orchestre de Paris, des nominations (Salonen) et autres transferts…

Les raretés de l’été (X) : Chostakovitch 50 ans après

Dmitri Chostakovitch est mort le 9 août 1975, épuisé, usé par 69 années d’une vie qui se sera faufilée comme elle pouvait parmi toutes les horreurs de son pays natal, la Russie devenue Union Soviétique.

C’est sans doute l’un des compositeurs qui comptent le plus d’occurrences dans ce blog (cf. les deux articles les plus récents Encore Chostakovitch et La vérité Chostakovitch). Je ne vais donc pas répéter ce que j’ai écrit à de multiples reprises, sauf peut-être que « Chosta » est un compositeur qui, pour moi, supporte mal le studio, le disque même, et nécessite le concert, le « live ». C’est particulièrement vrai pour ses opéras, mais ça l’est plus encore dans ses grandes symphonies, où l’impact purement physique du son sur l’auditeur/spectateur est une donnée indispensable pour la bonne perception de l’oeuvre. 

J’ai tant de souvenirs de ces concerts qui m’ont laissé anéanti, interdit, sans voix. La fin de la 11e symphonie et le glas des cloches dans la magnifique salle de Saragosse (Espagne), dirigée par Louis Langrée à la tête de l’Orchestre philharmonique de Liège, lorsque tout l’auditoire attend près d’une minute avant d’applaudir. La 13e symphonie dirigée par Neeme Järvi avec le choeur de la radio bulgare, l’Orchestre de la Suisse romande, lorsque de vieilles abonnées du Victoria Hall – qui craignaient cette oeuvre trop moderne.. chantée en russe – étaient en larmes à la fin. Plus récemment, le finale du 1er concerto pour violon à Montpellier, qui n’a pas été pour rien dans le choix du jury de décerner le Grand Prix de l’Eurovision jeunes musiciens au jeune Daniel Matejca;

Alors, puisque le sujet de cette série est de faire entendre quelques secrets de ma discothèque, je ne propose évidemment ici que des « live ».

Concertino pour 2 pianos

L’oeuvre est courte (8 minutes), date de 1953 et est dédiée au fils de Chostakovitch, Maxime, comme le sera le 2e concerto pour piano en 1957

Martha Argerich a eu, au moins deux fois, Lilia Zylberstein comme partenaire pour ce Concertino pour 2 pianos

Concerto pour piano n°1 et trompette

Martha Argerich, toujours elle, a laissé plusieurs aérions « live » du 1er concerto qui date de 1933, créé par le compositeur lui-même au piano. Son complice à la trompette est le toujours étonnant Sergei Nakariakov, jadis enfant prodige.

J’avais noté pour Bachtrack la prestation grand style de Cédric Tiberghien (le 19 juin dernier avec le National).

Pour les symphonies, il faut évidemment repérer les concerts d’ Evgueni Mravinski, dédicatoire et créateur de plusieurs des symphonies de Chostakovitch..

Symphonie n°5

Symphonie n°15

Kurt Sanderling, peut-être mieux que d’autres, a trouvé la clé de cette ultime 15e symphonie de Chostakovitch, qui peut dérouter autant les auditeurs que les chefs d’orchestre… Ici un précieux enregeistrement de concert avec l’orchestre de Cleveland

Symphonie n°10

La 10e symphonie qui suit de quelques mois la mort de Staline en 1953 est certainement l’oeuvre emblématique de Chostakovitch, et au concert celle qui produit l’effet le plus déterminant sur l’auditoire. Il peut y avoir des exceptions, comme en octobre 2024 (lire ma critique pour Bachtrack du concert de Daniele Gatti avec les Wiener Philharmoniker )

Karajan a enregistré deux fois la 10e symphonie. C’est peut-être à Moscou, lorsqu’il y est invité avec l’orchestre philharmonique de Berlin, en 1969, que le choc, l’étincelle, sont les plus forts

L’humour qui sauve

Chez Chostakovitch, il y a toute une production de musiques de film, de ballet (l’exemple le plus célèbre étant la valse tirée d’une pseudo « suite de jazz » n°2), de divertissement pur, qui permettait aussi bien au compositeur qu’aux interprètes et aux auditeurs d’échapper à la tragédie des temps.

J’éprouve toujours autant de plaisir à écouter « les aventures de Korzinkine« 

ou une suite comme « Le boulon » si exemplative d’une période où tout semblait permis : » Le Boulon » (en russe : Болт, Bolt) est un ballet en trois actes de Dmitri Chostakovitch, créé en 1931 à Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg). Il s’agit d’une œuvre satirique qui dépeint la vie dans une usine soviétique, avec une intrigue centrée sur un sabotage et ses conséquences. Le ballet est connu pour son humour corrosif, sa musique entraînante et son exploration des relations complexes entre les ouvriers et le pouvoir soviétique. 

Pourquoi la Neuvième ?

Je n’ai pas eu, retrouvé, d’explication convaincante au pullulement de Neuvièmes de Beethoven en ce début d’année… Traditions nordique ? germanique ? japonaise ? Un anniversaire ? pas celui de l’oeuvre en tout cas, créée le 7 mai 1824 !

Le fait est que le Finnois Mikko Franck a introduit cette supposée tradition à Radio France en 2018, en faisant jouer chaque début janvier par l’Orchestre philharmonique de Radio France. Et c’est un autre Finlandais, le tout jeune Tarmo Peltokoski, à l’aube de son mandat à la tête de l’Orchestre du Capitole de Toulouse, qui vient de faire de même.

Les résultats cette année sont tout sauf probants. Qu’on en juge :

– ma propre critique pour Bachtrack : La Neuvième sans joie de Jaap von Zweden au Philhar’

– celle d’Erwan Gentric pour Diapason du même concert : Une symphonie n° 9 de Beethoven taillée à coups de serpe.

– pour Bachtrack toujours, la critique de Thibault d’Hauthuille du concert de Toulouse : La joie forcée de Tarmo Peltokoski.

Pas brillant tout ça !

Pour me rassurer, j’ai relu le papier que j’avais écrit à la fin du marathon Beethoven qu’avait dirigé Dinis Sousa à la Philharmonie de Paris en mai dernier : Le triomphe de la fraternité.

Extr. finale 9e symphonie Beethoven / Dinis Sousa dir. Monteverdi Choir & Orchestra

Quelques Neuvièmes inattendues

Ces déceptions de début d’année m’ont donné envie de fouiller dans ma discothèque non pas en quête de versions dites « de référence » connues et reconnues, mais de raretés ou du moins de chefs qu’on ne cite pas souvent – à tort – comme « beethovéniens »

Arvid Jansons / Berlin 1973

Dans la famille Jansons, il y a d’abord eu le père Arvid (1914-1984) et ce disque est – comme par hasard ! – le « live » d’un concert du 31 décembre 1973 !

Erich Leinsdorf / Boston et Berlin

On a trop négligé Erich Leinsdorf (1912-1993), né Viennois, mort Américain. Il a fait une somptueuse intégrale à Boston

Et j’ai ce « live » du 18 septembre 1978 capté à Berlin.

Rafael Kubelik / Munich 1982

La grandeur, le souffle… Magnifique Rafael Kubelik avec son Orchestre de la radio bavaroise !

Yehudi Menuhin / Strasbourg juin 1994

J’ai consacré tout un article à Yehudi Menuhin (1916-1999) … chef d’orchestre. On a beaucoup célébré le violoniste, à l’occasion du centenaire de sa naissance, et complètement oublié l’excellent chef qu’il a été. Ses symphonies de Beethoven mériteraient amplement une réédition.

Leopold Stokowski / Londres 1967

Eh oui Stokowski était aussi un immense beethovénien…

Chacun des « live » de ce coffret est prodigieux.

Kurt Sanderling / Berlin 1987

J’ai eu la chance d’entendre Kurt Sanderling (1912-2011) diriger l’Orchestre de la Suisse Romande à la fin des années 80 à Genève dans deux Neuvièmes : celle de Mahler, puis celle de Beethoven.

J’ai toujours aussi gardé en mémoire la façon extraordinaire qu’il avait de doser les interventions des différents pupitres de l’orchestre pour que la ligne mélodique soit toujours nettement dessinée. C’est un des problèmes auxquels les chefs se trouvent confrontés notamment dans le 1er mouvement de la 9e symphonie (et c’est tout ce que n’a pas fait Jaap van Zweden samedi dernier à Radio France).

Michael Tilson Thomas / Londres 1987

L’intégrale « allégée » des symphonies de Beethoven qu’avait gravée Michael Tilson Thomas à Londres en 1986 avec l’English Chamber Orchestra avait été accueillie au mieux avec une certaine curiosité, le plus souvent avec une condescendance certaine par une critique prompte à ranger les gens dans des cases. MTT dans Beethoven quelle idée ! Encore un préjugé à bannir (MTT Le chef sans âge)

Je ne peux refermer cet article qui évoque l’Ode à la joie et à la fraternité de Beethoven/Schiller sans rappeler les tragiques événements d’il y a dix ans, que j’ai vécus de si près : Le silence des larmes

L’été 24 (IX) : Kurt Sanderling

J’ai passé une partie de l’été qui s’achève à réécouter les disques d’un très grand chef, Kurt Sanderling, né il y a 112 ans le 19 septembre 1912, mort 99 ans plus tard le 18 septembre 2011 ! Il y a un an j’avais consacré un billet à ces chefs d’orchestre pères et fils :

« Je pense ne pas être démenti si j’affirme que la famille Sanderling est unique en son genre : le père Kurt (1912-2011) a donné naissance à trois chefs, Thomas(1942), Stefan (1964) et Michael (1967). J’ai eu l’immense privilège de les voir diriger tous les quatre, et d’inviter Thomas et Stefan à Liège.

Je suis inconditionnel de Kurt Sanderling, dont il existe heureusement nombre de témoignages enregistrés, de disques qu’on chérit comme des trésors. Je me rappellerai jusqu’à la fin de mes jours les deux Neuvième – Mahler et Beethoven – que Sanderling avait dirigées à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande au début des années 90. » (Chefs pères et fils, 18 juin 2023).

Etablir une discographie de Kurt Sanderling relève du parcours du combattant. D’autant que la plupart de ses enregistrements de studio ont peu ou prou disparu des rayons, alors que surgissent ça et là des « live » bien cachés dans des coffrets récapitulatifs (lire Bruckner et alors ?)

Dans Bruckner comme dans Mahler, on perçoit bien les caractéristiques de l’art du grand chef allemand; le creusement continu des partitions, une maîtrise impérieuse des grands équilibres, le refus de l’esbroufe.

Celui qui a travaillé auprès du grand Mravinski à Leningrad adopte le même traitement pour les symphonies de Chostakovitch. On cherchera autant le studio que les « live » plutôt nombreux.

Comme tous les chefs de sa génération, Kurt Sanderling s’est d’abord nourri des grands classiques, Haydn, Beethoven, Brahms, curieusement pas de Mozart. Son intégrale des symphonies « parisiennes » est depuis longtemps dans mes préférées.

Tout comme une intégrale des symphonies de Beethoven captée au début des années 80 à Londres avec le Philharmonia.

Autres pépites d’une discographie dont aucun élément n’est négligeable :

Dans les steppes de l’Asie centrale

Une commande d’Alexandre

L’une des oeuvres les plus connues de la musique classique russe est assurément le poème symphonique de Borodine Dans les steppes de l’Asie centrale. Commandé au compositeur pour le 25e anniversaire du règne d’Alexandre II, dédié à Liszt, et créé par Rimski-Korsakov le 20 avril 1880 à St Pétersbourg.

En réalité, la Kirghizie est plus un pays de montagnes que de steppe ou de plaine. Mais en longeant la rive nord du lac YsyK Kul, le plus grand lac de montagne du monde après le lac Titicaca, et en même temps la frontière avec le Kazakhstan, j’ai eu, plus d’une fois, l’impression de parcourir la steppe qui est l’essence même du paysage du pays voisin.

Une histoire de petits chevaux

Visitant en juin la ménagerie du Jardin des Plantes, montrant à mes hôtes l’une des espèces sauvegardées par et grâce à l’établissement parisien, les chevaux de Prjevalski,

j’étais loin de me douter que je visiterais deux mois plus tard la tombe et le musée dédié au « découvreur » de cette espèce, le général explorateur russe Nikolaï Mikhaïlovitch Prjevalski, à Karakol sur les bords du lac Ysyk Kul.

J’avoue que j’ignorais tout de ce personnage à la Jules Verne, qui toute sa vie rêva d’accéder au Tibet, à Lhassa, et qui mena cinq expéditions parmi les plus extraordinaires dans l’Empire russe, essentiellement en Asie centrale (elles sont parfaitement racontées dans l’excellente fiche Wikipedia qui lui est consacrée)

La mosquée chinoise

Une précision d’importance, que toutes les personnes rencontrées depuis le début de mon séjour au Kirghizistan évoquent : leur double appartenance. Ils se revendiquent et d’une nationalité et d’une citoyenneté, les deux ayant toujours été mentionnées sur les passeports jusqu’à une période récente. Quand ils se présentent à vous, ils se disent d’abord kirghiz, ouzbek, russe, etc.

Avant hier j’étais invité à dîner dans une famille ouïgour, installée ici depuis plusieurs générations. Grâce à des campagnes de mobilisation internationale, le sort tragique des Ouïghours de Chine est connu. SI on veut les respecter, commençons, n’est-ce-pas M. Glucksmann !, par les prononcer correctement : non ce ne sont pas des Ouiiii-gours, mais des Ouille-gours. Si les musulmans chinois de cette communauté sont toujours traqués dans leur pays, il y a longtemps que les Ouïghours et leurs frères en religion, les Dounganes, ont trouvé refuge en terre kirghize.

C’est ainsi qu’ils ont érigé à Karakol, entre 1907 et 1910, une mosquée tout à fait étonnante dans son apparennce.

La mosquée Dungan de Karakol a été construite entre 1907 et 1910 sans un seul clou, par les Douneganes, une communauté de musulmans chinois arrivés à Karakol pour fuir les violences des années 1870 et 1880.

La mosquée a été conçue par un architecte chinois, qui a incorporé des couleurs et des motifs traditionnels dans l’architecture. Le rouge, le vert et le jaune sont des couleurs prédominantes en raison de leur signification symbolique dans la culture dounegane (le rouge pour la protection contre les mauvais esprits, le jaune pour la prospérité et le vert pour le bonheur). On y trouve également des dragons et un phénix, ainsi qu’une roue de feu, qui sont des motifs typiques des Douneganes. À côté de la mosquée se trouve un minaret en bois en forme de pagode.

Aujourd’hui, la mosquée est utilisée par l’ensemble de la communauté musulmane de Karakol, et pas seulement par les fidèles douneganes.

La Russie éternelle

La ville de Karakol est surprenante. 90.000 habitants à peine, mais établis sur une immense superficie, de rues parallèles et perpendiculaires. Pas de véritable centre urbain, une ressemblance frappante avec la plupart des petites villes américaines, s’il n’y avait ici et là quelques vestiges de maisons typiques des villes de province russes. On nous dit que la position du gouvernement est de pousser les propriétaires et les acheteurs à préserver ce patrimoine historique, tout projet de transformation semble interdit.

Aujourd’hui musée cette petite maison est le siège du premier Soviet nommé dès 1920.

Rareté dans le paysage kirghize, l’église orthodoxe de la Sainte-Trinité date de la fin du XIXe siècle, elle a été construite sur le lieu d’une ancienne église détruite par un tremblement de terre. Elle avait été interdite au culte sous Staline, puis progressivement rétablie dans ses prérogatives religieuses. Elle a bénéficié d’une rénovation récente.

Rach 3

Dans le jargon des pianistes, on a ses raccourcis pour désigner certaines oeuvres du répertoire, surtout si ce sont des must des grands concours internationaux. Ainsi le 3ème concerto pour piano de Rachmaninov est-il appelé le Rach 3 ! (On fait de même pour la Rhapsodie sur un thème de Paganini du même Rachmaninov qu’on désigne en abrégé par Rach Pag).

J’évoque aujourd’hui ce sommet de la littérature concertante pour piano parce que je viens, coup sur coup, d’en entendre deux versions extraordinaires.

La première c’était hier soir, à Montpellier, lors du concert qui célébrait le 40ème anniversaire de l’Orchestre National Montpellier Occitanie. Je retrouvais mon très cher Nelson Goerner, six ans après que je l’eus invité à Liège à jouer ce même Rach 3 dans le cadre du festival I love Rachmaninov qui présentait l’intégrale des concertos (avec Bertrand Chamayou dans le 2ème, Benedetto Lupo dans le 1er et Claire-Marie Le Guay dans le 4ème).

IMG_7200(Michael Schonwandt, Nelson Goerner et l’Orchestre National Montpellier Occitanie le 15 novembre 2019)

Ce n’est pas un hasard si, lors de plusieurs écoutes comparatives, la version, captée en concert il y a une vingtaine d’années, du pianiste genevois d’origine argentine est toujours arrivée en tête.

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Nelson Goerner y est souverain, dans cette manière supérieure de faire oublier la technique – un concentré de difficultés redoutables – pour ne donner à entendre que le chant, les élans rhapsodiques, la densité d’une partition qui n’est pas qu’un numéro d’esbroufe. Le soliste me confiait à l’entracte : « Tu es d’accord, on ne doit pas « taper » dans ce concerto ». 

On ne manquera pas d’écouter ce concert le 3 janvier sur France Musique.

Seconde version extraordinaire écoutée ce matin. Hier, Bruno Fontaine écrivait sur sa page Facebook : Ébloui…fasciné …mais surtout ému à l’écoute de ce nouveau Rach 3…
Nul besoin de s’étendre sur la fabuleuse technique de Daniel Trifon.ov .mais plutôt sur sa merveilleuse maîtrise des lignes, du contrepoint…jamais entravée par sa virtuosité …et puis…et j’allais dire, surtout…!!!
La beauté absolue de l’orchestre de Philadelphie, dirigé avec une science admirable des équilibres et des couleurs par Nézet-Séguin…!!!

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Je n’écrivais pas autre chose quand étaient parus les 2ème et 4ème concertos : Quand Rachmaninov rime avec Trifonov. « … le tandem Trifonov/Nézet-Séguin est d’une telle qualité d’écoute réciproque, de liberté poétique, qu’on accepte sans réticence leurs tempi buissonniers. Et pour le Quatrième concerto l’on tient certainement la meilleure version de la discographie rachmaninovienne (malgré les beautés du piano d’Arturo Benedetti Michelangeli, si pâlement secondé par Ettore Gracis dans la légendaire version EMI de 1957).

On imagine que le Troisième concerto suivra bientôt ». 

Voeu exaucé, ô combien. A écouter absolument ! Cette nouvelle intégrale des concertos de Rachmaninov due au trio magique que constituent Trifonov, Nézet-Séguin ET l’orchestre de Philadelphie se hisse dans le peloton de tête de la discographie pléthorique de ce corpus (où figure le légendaire tandem Peter Rösel / Kurt Sanderling)

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Un souvenir me revient, que j’avais naguère évoqué sur un précédent blog. Il y a presque trente ans j’avais été convié à un dîner à Chamonix par une relation professionnelle qui m’avait promis une surprise, quelqu’un qu’elle voulait me présenter ! Pour une surprise c’en fut une ! A peine arrivé dans le bel hôtel où se tenait ce dîner, j’eus l’impression de me trouver face à… Rachmaninov !

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Mêmes traits, même stature.

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Il s’agissait du petit-fils du compositeur, Alexandre Rachmaninoff (il tenait à cette orthographe usitée hors de Russie) – 1933-2012 – Alexandre était le fils de Tatiana Rachmaninova (1907-1961), la cadette des deux filles de Rachmaninov, Tatiana avait épousé Boris Conus (prononcer Ko-niouss), fils du violoniste et compositeur Julius Conus   (1869-1942), auteur d’un concerto pour violon jadis joué par les plus grands, aujourd’hui un peu oublié. Alexandre était né Conus et avait relevé le nom de son grand-père.

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Frères

Une famille comme les Järvile père, Neeme et les deux fils, Paavo et Kristjan, chefs d’orchestre – est une absolue rareté.

IMG_4017(Kristjan Järvi derrière son père Neeme, assis – entourés des violonistes Daniel Lozakovich et Mari Samuelsen, à Montpellier le 11 juillet dernier)

La seule autre du même type que je connaisse est celle des Sanderling, Kurt le père (1912-2011), et ses trois fils, Thomas (1942-) Stefan (1964-) et Michael (1967-).

J’ai eu la chance d’entendre et de voir diriger Kurt Sanderling, deux fois à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande (la 9ème de Beethoven… et la 9ème de Mahler) au début des années 90. Expérience inoubliable. Ou comment un très grand chef parvient à transfigurer un orchestre ! J’y reviendrai, en tentant une discographie du coeur.

J’ai eu, par la suite, le bonheur d’inviter deux des trois fils de Kurt, l’aîné Thomas et le deuxième Stefan, cette fois avec l’Orchestre philharmonique de Liège.

Thomas Sanderling avait dirigé un beau et noble Requiem allemand de Brahms, en dépit d’un contact difficile avec l’orchestre.

Stefan Sanderling était lui venu à trois reprises pour des programmes toujours originaux (deux symphonies de Haydn encadrant le 4ème concerto pour piano de Rachmaninov, joué par Michel Dalberto, une immense Huitième symphonie de Chostakovitch qui m’avait profondément bouleversé, un programme César Franck au printemps 2011 pour les 50 ans de l’orchestre).

https://www.youtube.com/watch?v=xd1Jl5sJiiw

Quant à Michael, je ne le suis que de loin et par ses disques. Il vient de réaliser deux intégrales en parallèle, les symphonies de Beethoven et celles de Chostakovitch.

Petite compilation des principaux enregistrements des frères Sanderling :

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Comme les Järvi, les Sanderling ont pu se développer et faire de belles carrières sans que la stature du père leur fasse ombrage.

Ce n’est pas toujours le cas de fratries célèbres dans le passé, où la célébrité de l’un a éclipsé le talent de l’autre.
Trois exemples l’illustrent : Krips, Karajan et Jochum !

Josef Krips (1902-1974), tout le monde connaît le grand chef mozartien, qui a laissé des enregistrements de légende. Mais mon premier disque signé Krips était celui d’un dénommé Henry Krips (1912-1987) dirigeant un – à l’époque – mystérieux Philharmonia Promenade Orchestra. 

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Même patronyme, mais prénom fleurant bon son anglicité, j’ai longtemps attendu pour savoir que Henry était né Heinrich en février 1912 et que le petit frère de Josef avait émigré en Australie en 1938 pour fuir son Autriche natale annexée par Hitler.

Il n’est pas resté grand chose de son activité aux antipodes. On trouve en revanche quelques témoignages d’un art très distingué de faire sonner la musique viennoise, pas de chichis, pas d’alanguissements, mais un chic, une allure qui siéent idéalement à ces valses.

Le cas des frères Jochum est plus simple.

Eugen (1902-1987) et son petit frère Georg Ludwig (1909-1970) ont tous deux nourri une passion pour BrucknerDifférence de taille entre les deux : Georg Ludwig a adhéré en 1937 au parti nazi et a dirigé de 1940 à 1945 le Reichs-Bruckner-Orchester à Linz.

Chez les Krips et les Jochum, l’aîné a pris presque toute la lumière. C’est l’inverse qui s’est produit chez les KarajanC’est peu dire que le fils aîné d’Ernst et Martha Ritter von Karajan, Wolfgang, né à Salzbourg le 27 janvier 1906 (le même jour que Mozart, d’où son prénom ?), mort le 2 novembre 1987 dans la même ville, n’a pas eu la notoriété ni la postérité de son cadet Herbert (1908-1989).

Il semble s’être contenté d’une activité d’organiste et de musicien voué à la musique baroque. Je n’ai pas enquêté sur les liens qui unissaient, ou pas, les deux frères, pas trouvé de documents photographiques attestant d’une proximité familiale, alors qu’ils ont l’un et l’autre résidé toute leur vie dans leur ville natale.