Une vie parisienne

Cette année pas de 31 décembre ni en Namibie, ni à Stockholm, ni à la Semperoper de Dresde, ni à la Staatsoper de Berlin (tiens c’est amusant le concert de l’an des Berliner Philharmoniker vient de s’achever, sur Arte, sous la direction de Lahav Shani – remplaçant Kirill Petrenko – le même Shani était à l’oeuvre il y a trois ans ! -), ni parmi les lions, les zèbres et les éléphants du Kenya, mais chez moi comme l’an passé, pour les mêmes raisons sanitaires, et un nécessaire repos raisonnable.

Vive Offenbach

L’avenue Montaigne, toujours aussi éblouissante.

J’étais hier soir au Théâtre des Champs-Élysées pour un spectacle qui suscite la polémique parmi mes amis (lire La Vie parisienne : le débat continue).

J’avoue ne pas avoir envie de participer à cette polémique, même si j’ai trouvé cette Vie parisienne plutôt déséquilibrée, un peu faiblarde côté vocal, avec un quatrième et un cinquième actes dont je me demande encore ce qu’ils apportaient à l’ouvrage.

Mais visuellement on s’est bien amusés, musicalement on a apprécié la tenue et les timbres des Musiciens du Louvre et découvert, du même coup, un jeune chef plus qu’habile dans ce répertoire si vétilleux, Romain David. Certains ont critiqué la mise en scène de Christian Lacroix, plus souvent habitué à habiller de costumes rutilants ses interprètes.

En dehors de longueurs inutiles, on ne peut regretter la soirée qu’on a passée au Théâtre des Champs-Élysées.

Pourtant très bien placé dans la salle, on a souvent eu l’impression de voix sous-dimensionnées, parfois difficilement audibles. Mais rien n’a pu gâcher notre plaisir – comme mardi soir – en constatant la salle comble, la ferveur du public, alors que tant de tristes nouvelles sont diffusées chaque jour.

Que 2022 nous débarrasse des sombres paysages que nous avons traversés depuis deux ans. Je nous le souhaite ardemment !

Voici la distribution qui jouait ce 30 décembre :

Gabrielle: Florie Valiquette

Gardefeu : Flannan Obé

Bobinet: Florent Deleuil

Le baron de Gondremarck : Marc Labonnette

La baronne : Marion Grange

Métella : Eléonore Pancrazi

Le Brésilien : Eric Huchet

Urbain/Alfred : Laurent Kubla

Pauline : Elena Galitskaya

Joseph : Carl Ghazarossian

Madame de Quimper-Karadec : Ingrid Perruche

Clara : Louise Pingeot

Bertha : Marie Kalinine

Madame de Folle-Verdure : Caroline Meng

Catherine, Rudolf et le maire

L’avantage des longs voyages en avion c’est de pouvoir voir des films qu’on a manqués à leur sortie, qu’on ne serait peut-être pas allé spontanément voir en salle.. ou qu’on découvre dans la sélection proposée.

Ainsi mon récent périple africain (La beauté du mondem’a-t-il permis de voir trois films d’inégal intérêt qui ont en commun de constituer des portraits plutôt réussis.

Noureiev l’exilé

81WYqmVoFXL._AC_SL1500_Malgré la réputation de son auteur, je n’avais pas vraiment repéré ce Noureiev (en anglais The White Crow) de Ralph Fiennes.

Les biopics sont assez rarement réussis, la comparaison entre l’acteur/actrice incarnant le personnage portraituré et son modèle étant inévitable et souvent au désavantage de la fiction. Ralph Fiennes, lui, réussit son pari, avec le choix d’un jeune acteur, qui est aussi un excellent danseur, Oleg Ivenko, qui, d’emblée, « est » le Noureiev vibrant, insoumis, audacieux, que biographies et autobiographie nous ont décrit.

Le film se concentre sur une période décisive de la vie du danseur russe, le séjour à Paris, en 1961, de la troupe du Kirov de Leningrad, qu’il a intégrée non sans mal en 1958, et son spectaculaire passage à l’Ouest, à l’aéroport d’Orly, le 16 juin 1961.

Noureiev (j’écris à dessein Noureiev, et non Noureev comme le voudrait l’orthographe internationale d’usage pour les noms russes, puisque Нуреев se prononce Nou-ré-i-eff) a lui-même raconté ce tournant capital de sa vie d’homme et de danseur.

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Politique fiction ?

À de très rares exceptions près (comme Quai d’Orsay de Bertrand Tavernierles films ou séries télévisées traitant de la vie politique et/ou de personnages publics, versent dans la caricature ou sonnent faux.

La réussite du dernier film de Nicolas Pariser tient à ce que Alice et le Maire évite ces deux écueils, à ce que les acteurs qui incarnent les deux personnages principaux – Fabrice Luchini en maire de Lyon et Anais Demoustier en jeune conseillère – sont, de bout en bout, crédibles, justes (Luchini ne fait pas du Luchini !) et vraisemblables.

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Le maire de Lyon, Paul Théraneau, va mal. Il n’a plus une seule idée. Après trente ans de vie politique, il se sent complètement vide. Pour remédier à ce problème, on décide de lui adjoindre une jeune et brillante philosophe, Alice Heimann. Un dialogue se noue, qui rapproche Alice et le maire et ébranle leurs certitudes

Pour qui a vécu ce type de situations – ce qui est mon cas – rien dans ce qui est montré dans ce film, personnages, contexte, entourages, ambitions, n’est invraisemblable, exagéré ou caricatural. Le réalisateur connaît bien son monde, l’a observé de l’intérieur, et le restitue avec une justesse qui force l’admiration.

La vraie Catherine Deneuve ?

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« Fabienne, icône du cinéma, est la mère de Lumir, scénariste à New York. La publication des Mémoires de cette grande actrice incite Lumir et sa famille à revenir dans la maison de son enfance. Mais les retrouvailles vont vite tourner à la confrontation : vérités cachées, rancunes inavouées, amours impossibles se révèlent sous le regard médusé des hommes. Fabienne est en plein tournage d’un film de science-fiction où elle incarne la fille âgée d’une mère éternellement jeune. Réalité et fiction se confondent obligeant mère et fille à se retrouver.. »

Comment dire ? Comme Jérôme Garcin dans L’Obs : Ce n’est pas le meilleur film du cinéaste d’« Une affaire de famille », palme d’or au dernier Festival de Cannes, mais c’est (avec « Elle s’en va », d’Emmanuelle Bercot) le meilleur portrait, en biais, de Catherine Deneuve.

Pour reprendre la comparaison de Jérôme Garcin, j’ai, de loin, préféré le film d’Emmanuelle Bercot. Dans La Vérité, tout paraît téléphoné, même l’auto-dérision dont fait preuve Catherine Deneuve, comme si Hirokazu Kore-eda avait été intimidé par son actrice. Le film n’est pas désagréable, et se laisse voir, mais il n’est pas de ceux qui laissent une empreinte durable dans la mémoire.617QMe-6fGL._AC_SL1000_

La force de l’homme

Un de mes amis liégeois m’a bloqué hier sur Facebook après que j’eus posté une dernière vidéo de mon voyage au Kenya (La beauté du monde)

IMG_8422(Vue sur le centre de Nairobi)

et qu’il m’eut ainsi apostrophé :

« Non, mais quand même … tu sais que ça flambe en Australie et que Trump fout le feu au Moyen-Orient ? »

– Oui et ?

– Indécence !

– Quelle indécence ?

Celle de s’afficher en permanence là où tout est beau, glorieux, réussi. Comme si la vie ressemblait à cela, une vie sans échec, sans faille, où tout est réussite professionnelle, gastronomique, touristique. Et donc ta vie. Voilà ce qui est indécent. Chacun vit sa vie mais il n’existe pas de vie sans faille. »

S’il ne m’avait pas bloqué, il aurait pu lire la réponse que je lui destinais :

J’ai choisi il y a plusieurs mois de faire ce voyage au Kenya (où, par parenthèse, a eu lieu ce matin un attentat signé Al Qaida à la frontière nord du pays !), j’y ai vu des beautés, fait des rencontres magnifiques. Devrais-je m’abstenir d’en faire état sur mon « mur », pour mes seuls « amis », au prétexte que le monde va mal ? Mais, je le concède, si j’ai des épreuves ou des difficultés dans la vie – et j’en ai comme tout le monde – je m’abstiens de m’épancher ici. Un sens de la pudeur sans doute.

Comme le commentait un autre ami : Ne s’arrêter qu’aux laideurs du monde c’est faire le jeu de ceux qui en veulent la ruine !

IMG_7770(Le petit aéroport Wilson de Nairobi)

Indifférence ?

En réalité, je vois bien ce que cet ami me reproche, et il n’est sûrement pas le seul : ma supposée indifférence au monde et aux autres, à ceux qui ne vont pas bien, qui souffrent.

Parce que je m’abstiens de participer au gigantesque café du commerce que sont devenus les réseaux sociaux, de donner mon avis sur tout et sur tous, de partager ma compassion avec les malheurs qui nous assaillent, de signer des pétitions, de me lamenter publiquement sur les terribles incendies qui ravagent l’Australie, les coups de folie de Trump etc.

Il ne fait pas bon afficher son bonheur, c’est « indécent » – pour reprendre l’expression de X. –

Le bonheur honteux ?

Devrais-je me justifier d’avoir entrepris un voyage qui contrevient doublement à la bienpensance collective ? D’abord c’est l’avion, c’est pas bien l’avion – même si l’empreinte carbone du trafic aérien est bien inférieure, et de loin, à celle de l’élevage intensif des bovins dans le monde -, ensuite c’est cher, c’est pas bien de susciter l’envie, la jalousie de ceux qui ne peuvent pas se le payer !

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L’écologie en action

Non seulement je n’éprouve aucune honte, mais plutôt de la fierté d’avoir approché des populations, des paysages, une faune, une flore, qui sont aussi touchés par le dérèglement climatiqueJe n’ai pas les connaissances scientifiques qui me permettraient de mesurer l’impact des pluies diluviennes qui se sont abattues du début décembre jusqu’à Noël sur la vie animale, sur les éco-systèmes,  Selon les habitants, du jamais vu depuis plus de trente ans. J’ai vu, du petit avion qui me conduisait du nord vers l’ouest du Kenya, des sols gorgés d’eau qui miroitaient sous le soleil, j’ai vu de robustes Land Rover s’embourber dans d’immenses étendues transformées en marécages. J’ai vu des troupeaux d’éléphants, de zèbres, d’impalas, habitués à chercher leur nourriture durant la saison sèche, se régaler d’une verdure abondante et s’abreuver à des mares devenus lacs, à des rus devenus rivières.

J’ai aussi rencontré des hôteliers complètement engagés dans le respect de la nature : pas un ustensile en plastique, de la nourriture provenant des cultures locales, de l’électricité produite par des panneaux solaires, et parcimonieusement distribuée (des coupures plusieurs heures le jour et la nuit).

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C’est dans ces paysages admirables qu’ont été tournées la plupart des scènes du film de Sidney Pollack Out of Africa (1985), inspiré du roman autobiographique de Karen Blixen, La ferme africaine.

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La force des hommes et des femmes

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Quand j’ai la chance de voyager en terres inconnues, comme l’étaient pour moi la réserve des Samburu puis celle des Maasai, plus qu’aux paysages – somptueux -, aux animaux – impressionnants – je m’intéresse aux hommes et aux femmes que je croise. Le plus souvent avec bonheur, parfois au risque de la déception.

Je me rappelle – ce devait être à l’automne 1997 – une incroyable soirée à Ouarzazate au Maroc. Un magasin de tapis et deux jeunes vendeurs qui commencent par me faire l’article et finalement engagent vite une conversation – en français – qui durera bien au-delà de l’heure de fermeture. Sur la vie, leur destin, mon métier,  la culture, la littérature… Je me demandais à l’époque quels jeunes Français de leur âge eussent été capables d’une telle densité d’échanges.

Du Kenya je garderai le souvenir de Jefko qui nous servait à table, de son sourire énigmatique, de ses attentions délicates, de Chris notre chauffeur si heureux de nous faire rencontrer deux lions, qui s’étaient jusqu’alors cachés à la vue des autres voitures, de nous mener voir des familles d’hippopotames s’ébrouer dans la rivière Mara, gonflée par les pluies récentes, d’énormes crocodiles se partager les restes d’un zèbre…

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La déception est venue d’une non-rencontre, une visite organisée – et cher payée ! – d’un village Maasai. L’impression d’avoir été le jouet d’une mafia qui s’enveloppe dans le manteau bien pratique des traditions ancestrales, pour affirmer sans vergogne l’intangibilité de l’organisation de leurs tribus : les hommes ont tous les droits, notamment celui d’avoir plusieurs épouses, celles-ci ayant tous les devoirs, d’abord la soumission aux mâles, tous les travaux ménagers, l’artisanat, l’éducation des enfants, etc. Moyennant quoi, 75% des enfants des villages Maasai ne vont pas à l’école, ne parlent aucune autre langue que le Maa vernaculaire.

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Impression de malaise, sentiments partagés entre admiration pour un peuple millénaire et rejet d’un système verrouillé bien peu respectueux du droit des femmes.

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Nouvel an letton

J’ai pu finalement regarder/écouter avec quelques jours de décalage le concert de Nouvel an de Vienne. Un rituel auquel, jadis, je ne me serais dérobé sous aucun prétexte. Je suis moins assidu depuis quelques années, soit parce que je suis loin, en voyage (comme cette année sur le continent africain – La beauté du monde – soit par lassitude.

J’avais, il y a six ans, établi mon Top 10  des Concerts de Nouvel anJe n’ai rien à retoucher à ce classement. Sur ce blog, j’ai souvent évoqué cette tradition et ses chemins de traverse, comme en 2018.

Alors cette édition 2020 ?

https://www.youtube.com/watch?v=b9zS4gskVeM

Remy Louis – dont je partage le plus souvent les avis – écrivait sur Facebook : Un concert du Nouvel An qui renoue avec le charme, le principe de plaisir, la joie, avec un chef qui sait se lover avec spontanéité dans ce qui fait les Wiener Philharmoniker uniques dans ce répertoire… Voilà qui n’était pas arrivé depuis… longtemps !

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Après une première écoute, je suis moins enthousiaste que l’ami Remy Louis sur Andris Nelsonsqui certes ne cache pas son plaisir – manifestement partagé par les Wiener Philharmoniker – de diriger ce répertoire. Dans une toute autre perspective que le très guindé Christian Thielemann l’an dernier, le chef letton semble intimidé, prudent – quelle sagesse dans l’ouverture de Cavalerie légère de Suppé ! – ou, à l’inverse, trop plein d’intentions – la Dynamiden Walzer de Josef Strauss qui n’en finit pas de démarrer sans jamais vraiment décoller -. Les quelques trop rares moments où il sort du bois, et du cocon dans lequel il aime « se lover », pour reprendre l’expression de Remy Louis, donnent une idée de ce qu’Andris Nelsons pourrait donner s’il se débridait, s’il osait s’affirmer, ou tout simplement laisser couler cette musique qui n’est jamais aussi géniale que lorsqu’elle paraît « naturelle ».

Une fois qu’on a redit que Carlos Kleiber, en 1989 et 1992, est insurpassable, que Boskovsky est idiomatique, on réécoute avec un bonheur chaque fois renouvelé les deux concerts que Claudio Abbado dirigeait à Vienne en 1988 et 1991.

https://www.youtube.com/watch?v=YQlFhOAoA-A

Qu’on écoute simplement Le beau Danube pour avoir une idée de ce « naturel », de cet idéal de simplicité et de fluidité, que j’attends, et que j’entends dans cette musique.

Pour ceux qui voudraient sortir des habituelles compilations ou concerts de Nouvel an, ces quelques galettes que je conserve précieusement, et auxquelles je reviens souvent lorsque je veux entendre la musique des Strauss, délivrée de l’empois d’une fausse tradition.

Jascha Horenstein file droit et joyeux avec ses Viennois

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Josef Krips illustre à la perfection l’idéal de l’esprit viennois, dans un CD qui paraît ces jours-ci dans la collection Eloquence

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Au début des années 60, l’immense Carl Schuricht grave, toujours à Vienne, quelques valses et polkas qui sont des modèles de style et de goût.

913rWiw2gdL._SL1500_Des enregistrements qui ne sont plus disponibles que dans le coffret – indispensable – publié par Scribendum

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Même évidente simplicité dans les précieuses gravures du chef suédois, d’origine hongroise, Carl von Garagulyavec la somptueuse Staatskapelle de Dresde.

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Je pourrais citer encore Rudolf Kempe ou  Manfred Honeck (ce dernier étant devenu un brillant chef d’orchestre après avoir joué, comme son frère, au sein du philharmonique de Vienne)…

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