Les miracles de La Chaise-Dieu

Sacrée Arielle

Je ne me rappelais plus exactement quand j’étais venu la dernière fois à La Chaise-Dieu. J’avais été invité, dans ce qui était alors le fief de Jacques Barrot, par le président du festival, à un concert présenté comme « extraordinaire » et au dîner qui le précédait. Grâce aux archives de l’INA, j’ai retrouvé la date – août 1994 ! et un extrait éloquent de la prestation d’ Arielle Dombasle (à voir ici) puisque c’était elle l’invitée exceptionnelle ! Ce fut la seule fois où je l’entendis sur une scène, la seule aussi je partageai la table de son mari, Bernard-Henri Lévy, arrivé de Paris dans sa Rolls…

Retour à La Chaise-Dieu

C’est dire si j’étais impatient de revenir à La Chaise Dieu, version 2025, pour deux jours et quatre concerts dont je pressentais qu’ils ne me laisseraient pas indifférent.

Je ne me rappelais plus l’ampleur de l’Abbatiale Saint-Robert, encore moins ses qualités acoustiques plutôt exceptionnelles.

Première soirée : un programme Mozart particulièrement copieux, mais tout à fait dans la veine de ce que Julien Chauvin et son Concert de la Loge ont coutume d’oser.

Compte-rendu tout frais sur Bachtrack : La métaphysique des tubes par Julien Chauvin à La Chaise-Dieu

Dès le lendemain, jeudi après-midi, les mêmes remettaient le couvert – un peu moins nombreux que la veille – pour un programme tout Vivaldi, avec même Les Quatre saisons ! (cf. mon papier pour Bachtrack)

Ce jeudi, j’enchaînais à 17h30 avec un concert de musique de chambre, dans l’écrin parfait du petit Auditorium Cziffra – c’est en effet le pianiste français d’origine hongroise qui est à l’origine du festival de La Chaise-Dieu – dont j’ai renoncé à rendre compte. Non pas que le programme et les artistes ne présentassent pas d’intérêt, mais j’ai eu, tout le long, un sentiment d’inabouti, parfois d’impréparation, en tout cas de disparité tant dans le jeu que même dans la conception. C’étaient pourtant tous d’excellents musiciens, mais voilà ça n’a pas « fonctionné » comme je l’aurais souhaité. Il y avait un septuor de Rita Strohl, pas désagréable mais vraiment court d’inspiration, le célèbre quintette avec piano « La truite » de Schubert – annoncé dans le programme comme « quintette à cordes » (!) qui manquait d’à peu près tout ce qui est nécessaire pour faire passer les longueurs et les redites de l’oeuvre. Et la sublime Fantaisie en fa mineur pour piano à 4 mains, mais si séparément on aime le piano de Romain Descharmes et celui de Theo Fouchenneret, leur duo ici n’a jamais trouvé le chemin d’une communion de jeu et de pensée. Rien de grave, c’est cela aussi le risque du concert.

Le temps de casser une croûte très sympathique au Blizart, on se préparait à un programme comme on les aime, avec un chef, un chanteur et un orchestre qu’on aime depuis longtemps, depuis 1998 précisément et toute une semaine de France Musique organisée dans la capitale des Gaules (Lire 30 ans ont passé).

Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, Poème de l’amour et de la mer de Chausson, Valse et Boléro de Ravel. Une suite de merveilles, comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Un concert référence.

Humeurs et impressions au jour le jour dans mes brèves de blog

Les raretés de l’été (V) : Béatrice Uria-Monzon et Montpellier

Un triste hasard a voulu qu’on apprenne le décès, à 61 ans, de la cantatrice Béatrice Uria-Monzon le jour de la clôture de la 40e édition du Festival Radio France Occitanie Montpellier. Et que le titre de cette rubrique porte particulièrement bien son nom, puisqu’il rend un double hommage à l’artiste disparue et à un festival qui l’accueillit jadis pour ce qui a longtemps fait son originalité absolue – la recréation d’un opéra oublié.

C’est en effet en 2006 que le Festival, alors animé par son fondateur René Koering (à qui j’eus l’honneur et le bonheur de succéder de 2014 à 2022), recréa, avec une distribution de grand luxe, l’opéra mal-aimé de LaloFiesque – qui fut en effet un fiasco. Béatrice Uria-Monzon y chantait aux côtés de Roberto Alagna.

Ils se retrouveront deux ans plus tard à Orange pour une Carmen restée dans toutes les mémoires, que France 4 rediffuse ce mardi 22 juillet.

Si, heureusement, l’inoubliable Carmen qu’a été Béatrice Uria-Monzon sur toutes les scènes du monde a été largement documentée, on ne peut que regretter la rareté de la présence discographique de la chanteuse. Heureusement que des chefs comme les fidèles Jean-Claude Casadesus et Michel Plasson l’ont invitée pour les raretés que sont les cantates de Berlioz ou Ravel, ou l’oratorio Rédemption de César Franck.

Les plus chanceux peuvent essayer de trouver la seule Carmen au disque de Béatrice Uria Monzon, dirigée par Alain Lombard.

Rendez-vous, en tout cas, ce mardi 22 juillet pour une soirée bienvenue d’hommage à une belle personnalité sur France 4

Montpellier

« Depuis 2023, le Festival de Radio France Occitanie Montpellier présente un visage différent. La programmation demeure de grande qualité, les concerts du soir au Corum en constituent toujours la colonne vertébrale, mais le choix des œuvres paraît moins aventureux. Le souvenir de soirées montpelliéraines durant lesquelles nous découvrîmes de véritables raretés, qui justifiaient le déplacement, même de loin, et contribuaient à sa réputation, reste bien présent, non sans nostalgie » (Sébastien Foucart, ConcertoNet, 17 juillet 2025).

Je ne me livrerai pas – je m’y suis toujours refusé dans toutes les fonctions que j’ai occupées – à des comparaisons oiseuses, à des regrets aigris (« c’était mieux avant »!). Le Festival Radio France n’est plus en 2025 ce qu’il était à sa création en 1985. Il a failli, plus d’une fois, perdre l’un de ses piliers fondateurs, Radio France. Aujourd’hui le service public est plus présent que jamais, avec les moyens dont il dispose et qui sont chaque année plus « contraints » – pour reprendre le terme consacré par l’administration de l’Etat. De cela on doit se réjouir.

Mais pour reprendre la dernière décennie, il est vrai, comme le note Sébastien Foucart, qu’on est venu au festival, parfois de très loin, pour des résurrections d’ouvrages rares (17 opéras de 2015 à 2022) parmi lesquels Fantasio d’Offenbach (2015) avec Marianne Crébassa, Iris de Mascagni (2016) et Siberia de Giordano (2017) avec Sonya Yoncheva, Kassya de Delibes (2018) avec Véronique Gens, l’immense Fervaal de d’Indy (2019) avec Michael Spyres et en 2022 la version originale d’Hamlet pour ténor avec John Osborn et l’inoubliable Ophélie de la si regrettée Jodie Devos.

Le projet d’édition discographique de Fervaal n’ayant pas abouti, on peut heureusement retrouver l’écho de sa diffusion sur France Musique sur YouTube

Heureusement en effet, France Musique conserve une mine de trésors captés au Festival depuis 1985 (il y a eu beaucoup de rediffusions cet été). Pourquoi pas une chaîne thématique numérique de plus avec ces formidables archives ? Suggestion à Laurent Frisch et Marc Voinchet !

C’était le premier concert de « ma » programmation, le 10 juillet 2015

Avec un chef que je suis très heureux d’avoir invité plusieurs fois à Montpellier, Domingo Hindoyan, qui fait aujourd’hui l’une des plus intéressantes carrières qui soient, à Liverpool d’abord, et bientôt à l’opéra de Los Angeles. Je découvre dans le tout dernier numéro de BBC Music Magazine, un article dont le ton et le titre sont sans équivoque : Tchaikovsky 6 with passion and power

Et toujours mes humeurs et réactions à l’actualité sur mes brèves de blog

La vie des chefs

Pour en avoir côtoyé, engagé un grand nombre, je me pose toujours, à propos des chefs d’orchestre, une question à laquelle j’ai rarement eu une réponse convaincante : pourquoi devient-on chef d’orchestre ? Qu’est-ce qui pousse un musicien à le devenir, sachant que tel Saint-Sébastien il sera plus souvent criblé de flèches que de compliments par ceux qu’il tiendra sous sa baguette ?

Question d’autant plus actuelle à l’heure des réseaux sociaux, des investigations orientées, des procès médiatiques. L’article que je publiais il y a tout juste un an, à propos de ce qu’on a appelé l’affaire Roth (Confidences et confidentialité), n’a rien perdu de son actualité. Notons qu’aucune instance judiciaire, aucune plainte, aucune enquête n’ont été engagées depuis les « révélations » concernant le chef français, mais le résultat est le même : F.X. Roth a été banni de toutes les formations qu’il avait l’habitude de diriger, y compris celle qu’il a fondée, Les Siècles !

Enquêtes ?

France Musique et la presse musicale se font l’écho d’une vaste enquête menée par un media néerlandais sur le comportement du chef d’orchestre Jaap van Zweden, sur lequel, bien avant d’apprendre sa nomination comme directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Radio France, je m’étais exprimé sans fard (lire Bâtons migrateurs) : Jaap Van Zweden accusé de faire régner un climat de peur

J’avais écrit pour Bachtrack les réserves que m’avait inspirées une exécution pour le moins sommaire de la IXe symphonie de Beethoven au tout début de cette année.

J’entends déjà dire, à mots à peine couverts, qu’on va regretter Mikko Franck au Philhar’…

Sur une autre nomination – Chung à la Scala – j’ai dit ce que je peux en dire (lire brèves de blog). Je doute qu’on enquête un jour sérieusement sur ses comportements passés en France – il y a prescription, mais certains n’ont pas la mémoire courte ! Aurait-on oublié ce qui s’est passé en Corée il y a dix ans ? (Le maestro Chung en difficulté en Corée).Mais il faut absolument lire l’article très complet et très informé du Blog du Wanderer : Scala, Le nouveau directeur musical n’est pas celui qu’on attendait.

Daniele Gatti vient d’ailleurs d’annoncer qu’il annule tous ses futurs engagements à la Scala de Milan !

Mais il y a heureusement des nouvelles beaucoup plus réjouissantes dans l’actualité.

Daniel Harding vient de quitter la direction musicale de l’Orchestre symphonique de la radio suédoise, qu’il occupait depuis dix-huit ans.

L’orchestre lui a fait une belle ovation à sa manière :

Pierre Dumoussaud, plusieurs fois invité à Montpellier, est le futur chef de l’Opéra de Rouen. il en est heureux, et nous plus encore !

Il dirigeait le concert final du Concours Eurovision des jeunes musiciens en 2022 :

Enfin ma découverte d’avant-hier au Châtelet, la jeune cheffe coréenne Sora Elisabeth Lee, qui se tire avec tous les honneurs d’un spectacle inégal. Lire ma critique sur Bachtrack : Purges et élixirs du docteur Bizet (et ma brève de blog)

Pierre Boulez (II) : un centenaire, des souvenirs

J’assistais ce matin à une partie du colloque que la Philharmonie de Paris organise à l’occasion du centenaire de Pierre Boulez (1925-2016).

Je n’ai rien appris de vraiment nouveau, mais l’animateur de la réunion, Christian Merlin, ami, confrère et auteur d’une somme passionnante (et sans équivalent à ce jour) sur le chef/compositeur, avait très bien fait les choses comme toujours.

Des souvenirs

Je ne vais pas réinventer des souvenirs, souvent très personnels, que j’ai de Pierre Boulez. Plutôt rassembler ici ceux que j’ai livrés au fil des ans dans plusieurs articles de ce blog.

En précisant ceci : je n’ai jamais eu, dans toute ma vie professionnelle, aucun lien de dépendance avec Boulez, je ne lui ai jamais rien dû, ni demandé. En revanche, comme en témoignent les extraits ci-dessous, il m’a toujours témoigné une bienveillance, voire un intérêt dont je n’ai jamais compris l’objet. A quoi je peux ajouter – ce que je n’ai encore jamais livré – un épisode qui révèle un aspect du Boulez « institutionnel » qui a été si souvent décrié ou craint. En septembre 2008 j’étais allé lui rendre visite à Lucerne. On m’avait prévenu – son secrétariat à Paris – qu’il ne recevait personne, et que ma demande d’une entrevue avait toutes les chances de ne pas aboutir. Moyennant quoi, moins de 48 h après mon appel, je reçus confirmation d’une date et d’une heure (« mais c’est parce que c’est vous! »). Or je n’avais plus eu, depuis 1995 et la journée anniversaire de ses 70 ans sur France Musique, aucun rendez-vous ni contact, autre que furtif, avec Pierre Boulez!

L’Orchestre de Paris

Au cours de cet après-midi dans sa chambre d’hôtel à Lucerne, je l’avais interrogé sur la succession du directeur général de l’Orchestre de Paris, puisque le microcosme parisien s’agitait et surtout que plusieurs musiciens amis de l’orchestre me poussaient à poser ma candidature. P.B. était alors membre du Conseil d’administration de l’Orchestre et chacun savait que rien ne se déciderait sans ou contre lui. Il me dit alors des choses très aimables, qui me remplirent de confusion, et dézingua en quelques mots les trois ou quatre noms qui postulaient (« médiocre », « pas au niveau »). Pour être complet, et c’était du pur Boulez comme l’ont connu ceux qui ont institutionnellement travaillé avec lui, il me fit comprendre que je ne serais pas le moins qualifié pour y aller, mais qu’il ne prendrait pas part aux travaux du conseil d’administration. Allons jusqu’au bout de l’histoire – il y a prescription ! – je fus invité par le comité de sélection (présidé par l’intransigeant Pierre Joxe) à exposer, en toute confidentialité, ma vision des choses, insistant sur la nécessité d’une direction unique et non d’un binôme artistique/administratif comme il y a en partout en France, je voyais que j’avais convaincu les personnalités du comité, à commencer par le président. Celui-ci me fit remarquer que ledit comité n’aurait sans doute pas la décision finale, puisque le CA était partagé à égalité entre les représentants de l’Etat et de la Ville de Paris. De fait, quelques semaines plus tard, c’est un binôme qui fut nommé, pour complaire aux deux tutelles !

Boulez 70 ans

Extrait de Boulez vintage :

« Je me rappelle, comme si c’était hier, une autre grande journée sur la même antenne, le 19 février 1995. Pour les 70 ans du maître !

Tout avait commencé quelques semaines plus tôt par un déjeuner, dans un restaurant des Halles, non loin de l’IRCAM, où Pierre Boulez avait ses habitudes. Hommage, anniversaire, journée spéciale, difficile de renouveler le genre à la radio. Je souhaitais quelque chose de plus original, une sorte de carte blanche, mais raisonnée à la manière du compositeur.

Les archives du Centre Pompidou gardent la trace du déroulement d’une journée qui allait  dresser un portrait à multiples facettes d’un personnage clé du XXème siècle. Pierre Boulez décida très vite d’un ordonnancement qui n’avait rien de complaisant, et le confia à Laurent Bayle alors son bras droit à l’IRCAM : Boulez, années de jeunesse, Boulez chef d’orchestre, Boulez créateur et animateur d’institutions, Boulez entre théâtre et opéra, Boulez dans l’atelier du musicien, ses affinités littéraires, etc. Il souhaitait inviter des amis, des complices, des partenaires d’idées et de travail. C’est ainsi qu’on convia, entre autres, Patrice Chéreau, Gérard Mortier, Michel Tabachnik, et qu’un cocktail réunit en fin de journée autour de Jean Maheu, le PDG de Radio France et de Claude Samuel, le directeur de la musique, le Tout-Paris culturel et musical, Claude Pompidou en tête.

Deux souvenirs plus personnels d’une journée incroyablement intense, qui épuisa tout le monde.. sauf le principal intéressé !

A midi d’abord ce 19 février, on avait réservé une petite heure pour permettre à Pierre Boulez de se restaurer, je l’accompagnai à ce qui était alors la brasserie de l’hôtel Nikko en face de la Maison de la Radio. N’ayant jamais été d’aucun clan, je n’en étais que plus à l’aise pour interroger mon interlocuteur sur ces musiques et ces compositeurs qu’il était censé détester (Sibelius, Chostakovitch, Bruckner…). J’eus des réponses qui sortaient absolument des clichés et des a priori. Et preuve en fut donnée quelques années plus tard

51EGU7ToJgL._SS280

Je crois savoir qu’une Neuvième de Bruckner a été captée… mais jamais publiée !

Autre souvenir de ce 19 février : Pierre Boulez a tenu à être présent jusqu’au bout. Il est donc minuit lorsqu’il prend congé. Je lui propose une voiture pour le raccompagner. C’est mal le connaître, vif et alerte malgré l’heure avancée, il quitte à grandes foulées la Maison ronde, traversant le pont sur la Seine pour rejoindre son port d’attache dans les hautes tours du quai André Citroën.

L’été 1992

« Souvenir de l’été 1992 : Boulez dirigeait les Wiener Philharmoniker aux Prom’s à Londres. J’étais à la Radio suisse romande, au lieu des traditionnelles et encombrantes bandes que s’échangeaient les radios publiques, j’avais reçu ce concert capté par la BBC sur deux CD pour le diffuser sur les ondes de la RSR. J’ai gardé précieusement ce double CD..« 

Un certain Pierre Boulez

Le 6 janvier 2016, on apprend le décès du musicien, qu’on savait malade et diminué depuis des mois.

« L’homme que j’ai quelquefois approché était exactement l’inverse du personnage craint et redouté (parce que redoutable) qu’il s’était sans doute en partie forgé. D’une attention à l’autre, d’une écoute simple et lumineuse à qui venait lui parler, poser des questions, solliciter un conseil.

Je le voyais souvent furtivement à la fin d’un concert ou l’autre, nous n’échangions que quelques mots, mais jamais convenus, comme si le dialogue entrepris plusieurs mois, voire années, auparavant reprenait. Pierre Boulez était au courant de tout et de tous. Ainsi c’est lui qui annonça à des amis parisiens (qui ne manquèrent pas de me le rapporter… surpris que le Maitre ait porté attention à un fait aussi insignifiant !) que j’avais été nommé à la direction de l’orchestre de Liège fin 1999…« 

Lucerne 2008

Après le long entretien que nous avions eu dans sa chambre d’hôtel à Lucerne, Pierre Boulez dirigeait un programme-fleuve :

« Le soir même dans la nouvelle salle de concerts du festival de Lucerne, pas moins de trois créations, des pièces de Berio, Carter – la première partie atteignait les 90 minutes -et pour terminer l’exploit, le Sacre du printemps, plus sensuel, libre que jamais. Le retrouvant près de sa loge à l’issue du concert, frais et dispos, sans nulle trace de l’effort colossal qu’il avait accompli, il me dit simplement : « C’était pas mal non ? ». Que répondre, essayer de balbutier, quand on est encore sous le coup de l’émotion ? Je m’entends encore lui dire : « Pas mal en effet » ! Avec un sourire complice.

Je l’ai revu ensuite à quelques concerts, l’un à Baden Baden, en 2009 je crois, puis soudain vieilli, hésitant à la première du Freischütz de Weber dans la version de Berlioz, à l’Opéra Comique, dirigé par John Eliot Gardiner (avec ma chère Sophie Karthäuser). C’était en avril 2011. Depuis lors je n’avais de nouvelles que partielles, de sources sûres, et les dernières n’étaient pas rassurantes.

Voilà le Pierre Boulez que j’ai un peu connu, l’homme et l’artiste qu’il m’a été donné de rencontrer par-delà le masque de la notoriété.« 

Il y a dix ans (IV) : François Hollande et le café liégeois

En 2012, pour compenser en quelque sorte la fermeture du Consulat général de France à Liège, j’avais été nommé Consul honoraire de France pour la province de Liège. Fonction bénévole mais exigeante, puisque le consul honoraire appelé à aider, voire secourir les Français (notamment les nombreux étudiants) résidant dans cette partie de la Wallonie francophone, et à représenter son pays aussi souvent que c’est nécessaire.

Cette photo me touche quand je la revois : c’était le 14 juillet 2013, parce que c’est une tradition à Liège de célébrer la fête nationale française, en présence des plus hautes autorités de la Ville et de la Province !

François Hollande à Liège

Le 4 août 2014, il y a donc exactement dix ans, plusieurs chefs d’Etat et de gouvernement, dont le président de la République française, avaient fait le déplacement de Liège, pour marquer le centenaire du début de la Première Guerre mondiale et de la fameuse Bataille de Liège. C’est la résistance héroïque des forts de Liège qui retarda l’invasion allemande et sa percée sur la France. Voilà pour la grande histoire ! La petite histoire est aussi connue : c’est pour honorer ces courageux Liégeois que les cafetiers parisiens débaptisèrent le café viennois et le renommèrent « café liégeois« , que la rue et la station de métro Berlin furent rebaptisées Liège, et qu’en 1919 la Légion d’Honneur fut décernée à la Ville de Liège.

En faisant le bourgmestre de la Ville de Liège, Willy Demeyer, Officier de la Légion d’Honneur, François Hollande marquait la reconnaissance renouvelée de la France cent ans après.

En retrouvant un extrait du discours prononcé ce jour-là par le président de la République d’alors, je suis frappé par la permanence de certains événements : l’Ukraine, Gaza, l’Europe… Dix ans après ! La paix ou la guerre ?

Bonne musique ne saurait nuire

J’avais commencé un billet sur la situation politique, je le poursuivrai quand elle sera stabilisée, si tant est que ce soit le cas. Mes convictions n’ont pas changé (Le choc de juin) donc la suite du billet bientôt !

En attendant, on continue d’écouter de la musique, même d’aller au concert.

Lundi j’étais au théâtre des Bouffes du Nord, ce lieu toujours aussi improbable dans un quartier qui ne doit pas plaire beaucoup aux mânes de Marine et Jordan (oui c’est comme ça maintenant, on appelle les leaders politiques par leurs prénoms !).

Pour écouter des artistes que j’aime beaucoup : Adam Laloum et le quatuor Hanson.

J’ai écrit pour Bachtrack ce que j’en avais pensé : Schumann en clair-obscur

Les mêmes viennent de sortir un double CD, avec cet incroyable bouquet de chefs-d’oeuvre de musique de chambre, tous nés de la plume de Schumann la même année 1842.

J’ai fait le compte, je dois avoir une vingtaine de versions différentes du Quintette avec piano, notamment celle avec laquelle j’ai entendu l’oeuvre pour la première fois, celle d’Artur Rubinstein avec le quatuor Guarneri. Et ce mouvement lent qui m’émeut aux larmes à chaque écoute

Puis c’est avec Martha Argerich, et ses enregistrements successifs que j’ai poursuivi ma découverte de l’oeuvre. Je tombe à l’instant sur cette version captée il y a moins d’un an au Teatro Colon à Buenos Aires, c’est tout juste miraculeux !

Mais j’ai une affection toute spéciale pour l’un des derniers disques de mon cher Menahem Pressler avec le quatuor Emerson :

Les souvenirs reviennent, en même temps que j’évoque Menahem Pressler ou le quatuor Hanson. Je n’oublie pas que ce dernier avait ouvert le seul week-end qu’on avait pu maintenir de l’édition 2020 du Festival Radio France annulée pour cause de pandémie (lire 2890 jours : Cordes sensibles), et encore moins que Menahem Pressler nous avait redonné foi en l’humanité, deux jours après l’effroyable attentat de Nice le 14 juillet 2016 (La réponse de la musique).

Il y a dix ans (III) : Liège à Vienne

Je ne vais pas rappeler ici une évidence : autant que les voyages forment la jeunesse, les tournées forment les orchestres. Plus précisément, on n’a jamais trouvé mieux qu’une tournée de concerts pour conforter, développer, améliorer la cohésion, l’unité d’un orchestre. Il est essentiel pour toute formation de se confronter à d’autres publics, d’autres salles, d’autres conditions de travail. C’est pourquoi, malgré les difficultés financières, les budgets restreints, j’ai toujours tenu à organiser pour l’Orchestre philharmonique royal de Liège entre 2000 et 2014 des tournées de concerts qui répondraient à cet objectif. Nous avons eu beaucoup de chance – nous l’avons certes favorisée ! – de pouvoir encore entreprendre ces voyages, que j’ai évoqués au fil de ce blog. Difficile de choisir dans les souvenirs, même si l’Amérique du Sud en août 2008 (lire Un début en catastrophe) reste à tous égards indélébile.

Mais les trois concerts (2005, 2011, 2014) dans la grande salle dorée du Musikverein à Vienne demeurent, encore aujourd’hui, mes souvenirs les plus forts. Le dernier avait lieu, il y a précisément dix ans le 22 mai 2014. Lire Les soirées de Vienne

,

Le Viennois Christian Arming chez lui, dans le parc municipal de Vienne, à côté de la statue d’hommage au roi de la Valse Johann Strauss.

J’ai cité les trois dates mais pas toujours raconté les coulisses de l’exploit. En 2005 : Je me rappelle, comme si c’était hier, l’émotion qui nous avait tous saisis, des plus chevronnés aux plus jeunes musiciens de l’Orchestre philharmonique – qui n’était pas encore Royal ! – de Liège, lorsqu’en octobre 2005 nous étions entrés dans les coulisses, puis sur la scène de la grande salle du Musikverein. Pour un concert dirigé par Louis Langrée – le concerto en sol de Ravel avec Claire-Marie Le Guay, et bien évidemment la Symphonie de Franck.

Lorsque l’orchestre était arrivé de Zagreb l’avant-veille du concert, il avait rejoint, dans la banlieue de Vienne, l’hôtel que l’organisateur de la tournée avait réservé. J’étais de mon côté en voiture avec le chef et la soliste, tout juste arrivé à un autre hôtel jouxtant le Musikverein lorsque je reçus un appel affolé du régisseur de l’orchestre : beaucoup de musiciens refusaient de séjourner dans un établissement qui sentait l’oeuf pourri (à cause de la présence d’une usine de traitement des eaux usées à proximité!). J’entrepris une rapide discussion avec les représentants de l’orchestre et pris l’engagement de reloger l’orchestre au centre de Vienne, sans savoir s’il y avait ou non des disponibilités. Mais je me disais qu’en mobilisant la petite équipe qui accompagnait l’orchestre, on y arriverait… quoi qu’il en coûte ! Nous pûmes finalement reloger presque tout le monde à l’Intercontinental. Et il fallut ensuite réussir à prévenir tous les musiciens, dont beaucoup s’étaient déjà égayés dans la nature. Il y eut quelques scènes cocasses mais tout finit bien !

En 2011, situation plus compliquée, mais cette fois pas du fait de l’organisation ou des musiciens. Deux concerts étaient prévus, le premier à Varsovie, le second à Vienne, avec le chef qui avait inauguré en septembre 2009 le plus bref des mandats de directeur musical de l’OPRL, François-Xavier Roth*, et qui nous avait lâché au printemps 2010. Il avait fallu le remplacer pour toutes les prestations prévues au cours de la saison 2010-2011 des 50 ans de l’Orchestre ! Pour Varsovie, Louis Langrée avait relevé le gant, Pour Vienne, nous avions eu la chance de compter sur un autre chef viennois, Christoph Campestrini, avec la participation de l’excellent Cédric Tiberghien.

* Difficile d’ignorer la tourmente dans laquelle se trouve plongé François-Xavier Roth depuis l’article que lui a consacré Le Canard enchaîné ce mercredi. Je n’entends pas participer à la curée. Je me suis déjà exprimé ici – Remugles – sur les « affaires » qui avaient déjà éclaboussé le monde musical. La prudence s’impose et seule la justice, pour autant qu’elle soit saisie, peut qualifier la réalité des faits allégués.

Il y a dix ans (I) : l’annonce

J’entreprends cette nouvelle série d’articles dix ans après une année – 2014 – qui a été un tournant dans ma vie professionnelle, et donc dans ma vie tout court. Pour y raconter des souvenirs personnels que le temps a tamisés, rétablir parfois certaines vérités, dire sans fard mon opinion sur les gens que j’ai côtoyés. Mais qu’on ne s’attende pas à un grand déballage, je n’ai aucun compte à régler, j’ai toujours l’admiration plus active que l’inimitié.

L’attente

Dans les premières semaines de 2014, j »avais été mis en contact avec un homme jeune, qui avait défrayé la chronique audiovisuelle en étant nommé, en 2010, président de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA) à 33 ans seulement, par Nicolas Sarkozy sur proposition du ministre de la Culture de l’époque, Frédéric Mitterrand. Mathieu Gallet était candidat, dans un secret qui a été très bien gardé, à la présidence de Radio France. Des amis communs avaient pensé que je pourrais l’aider à « porter » (je déteste vraiment ce terme mis à toutes les sauces) sa candidature sur ses aspects musicaux, le devenir des formations musicales de Radio France, etc. J’étais à vrai dire un peu surpris qu’on songe à moi, parti à Liège depuis bientôt quinze ans, même si j’avais, semble-t-il, laissé quelques bons souvenirs de mon passage à la direction de France Musique (lire L’aventure France Musique)

Le contact se fit d’abord par téléphone, puis nous convînmes d’un déjeuner le 5 mars à Paris. Tout le monde fut pris de court par la décision du Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) prise le 27 février : Mathieu Gallet le choix du CSA. (Le Monde, 27 février 2014).

(Photo AFP BERTRAND LANGLOIS)

J’envoyai un message de félicitations au nouvel élu, qui me confirma le rendez-vous prévu. Au cours de ce déjeuner, le premier d’une série de rencontres qui allaient jalonner les semaines suivantes, j’explicitai ma vision des choses, et Mathieu Gallet me fit comprendre qu’il pourrait envisager de me nommer à la direction de la Musique de Radio France. A vrai dire, je n’y croyais pas trop – comme d’ailleurs je n’y avais pas cru lors de ma nomination à France Musique – parce que ce jeune président serait inévitablement sollicité de toutes parts par des candidats disposant de réseaux puissants, bien implantés dans les rouages politico-administratifs de la capitale. J’aurais quelques mois plus tard la confirmation du mépris que nourrissaient un des chefs de la place et sa clique (*) pour le provincial venu de Liège (quelle horreur !) que j’étais. Nous nous revîmes plusieurs fois dans le salon de thé d’un grand hôtel parisien, je le mis à l’aise en lui disant que je comprendrais qu’il choisisse finalement quelqu’un d’autre, mais Mathieu Gallet tint bon. Et le secret fut bien gardé. Le nouveau PDG prit ses fonctions le 12 mai 2014 dans la Maison ronde.

L’annonce

Il se trouve que le 14 mai, je devais annoncer à Liège, d’une part la nouvelle saison de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, d’autre part le renouvellement du contrat de Christian Arming comme directeur musical. Il était impossible que je ne parle pas de Radio France… J’avais prévenu le président de l’Orchestre, le jour même avant la conférence de presse, j’avais réuni les collaborateurs et les musiciens de l’orchestre pour leur dire… ce que j’allais annoncer.

Il fallait bien sûr que, à Paris, la communication du côté de Radio France soit concomitante. J’eus une petite idée de ce qui m’attendrait une fois en poste, en mesurant la complexité des circuits de décision et de validation pour la seule rédaction du communiqué de presse annonçant ma nomination. Je passe sur les allers-retours, les coups de téléphone qui furent nécessaires… Jusqu’à ce sorte « le » communiqué : Jean-Pierre Rousseau nommé à la direction de la Musique de Radio France

Le matin même ma boîte Messenger et ma page Facebook avaient été envahis de messages de félicitations, Mathieu Gallet ayant vendu la mèche en visitant les bureaux de la direction de la musique et de France Musique.

Et Liège ?

Comme les médias belges allaient le relater – Le directeur de l’OPRL part à Radio France – la surprise de mon départ de Liège fut totale et en partie source d’inquiétude. J’étais convenu avec mon nouvel employeur comme avec le conseil d’administration de l’Orchestre que j’assumerais mes responsabilités jusqu’à ce que mon successeur soit trouvé. Ce fut fait en novembre.

(*) J’ai pris le parti de ne jamais nommer ce personnage. Le devoir de réserve auquel je suis tenu m’interdit d’en dire plus à son sujet, et pourtant…

Making of

Qu’on ne se méprenne pas sur le titre de ce billet ! Je n’ai rien à révéler des coulisses de la formation du nouveau gouvernement de Gabriel Attal. Juste un mot ici pour dire : bien joué !

Je suis allé dès cet après-midi, ce qui m’arrive très rarement, voir le nouveau film de Cédric Kahn « Making of » ou Le monde merveilleux du cinéma !

Je n’avais lu aucune critique auparavant. Ce n’est qu’après coup que je lis Télérama (Un réalisateur commence à peine à tourner son film, et l’affaire prend l’eau. Servie par un casting hors compétition, la comédie de l’auteur du “Procès Goldman” réussit aussi à émouvoir) ou L’Obs (A force de courir mille lièvres à la fois, « Making of » perd parfois de son mordant mais dresse un portrait assez juste des « professionnels de la profession » et, par extension, d’un pays, le nôtre, au bord de la crise de nerfs, où, quand tout fout le camp, seul le refuge du sentiment amoureux, peut – comme pour Simon –, allumer des contrefeux). Je ne partage pas l’avis du Monde qui trouve que Cédric Kahn a chargé son film de trop d’intentions.

Cédric Kahn évite deux écueils : le manichéisme et le démonstratif. C’est une comédie, pas un documentaire, portée par des acteurs assez étonnants. Jonathan Cohen joue dans un registre que je ne lui connaissais pas, se mouvant avec une aisance confondante entre les deux personnages que Kahn lui fait interpréter, le leader gréviste du film qu’est en train de tourner Simon (fabuleux Denis Podalydès) et l’acteur star qui la ramène en permanence au point de fatiguer tout le monde. Deux découvertes pour moi : Souhella Yacoub, un profil à la Exarkopoulos, mais tellement plus sympathique, et le tout jeune Stefan Crépon qui joue le figurant qui parvient à convaincre Simon de réaliser le… making of du tournage. Il paraît que le garçon (26 ans) joue dans deux épisodes du Bureau des légendes, il faudra que je les revoie.

Berlioz et Mitropoulos

L’autre atout de ce film est sa bande-son qui n’a pas manqué de me frapper. Je ne sais s’il faut en féliciter directement Cédric Kahn ou son « illustrateur musical » comme on dit dans le métier, mais c’est une fameuse idée que d’avoir choisi plusieurs extraits symphoniques de Roméo et Juliette de Berlioz, dans une version qui manifestement n’était pas récente et que j’ai essayé, tout au long du film, de reconnaître. Ce n’était ni Giulini, ni Muti, ni Munch, mais souvent plus heurté, plus dramatique : c’était Dmitri Mitropoulos comme je l’ai vu à la toute fin du générique final. J’avoue que si je connais bien la formidable version du chef américain de la Symphonie fantastique, j’ignorais même qu’il eût enregistré ces passages symphoniques de Roméo et Juliette. Merci à Cédric Kahn pour cette découverte !

Les peupliers du Ladakh

J’ai passé près de deux semaines dans une région du monde dont j’ignorais à peu près tout avant que j’y sois entraîné pour une aventure vraiment inoubliable. Récit en plusieurs épisodes de cette expédition aux confins de la pure beauté ! Quant à l’explication du titre, elle viendra dans le cours du récit, mais je n’imaginais pas retrouver le « populus » si familier des bords de nos rivières aussi répandu dans les très hautes vallées du Ladadk ! (cf.photo ci-dessous)

Présence militaire

La toute première chose qui frappe l’arrivant à l’aéroport de Leh – la capitale du Ladakh – c’est une présence militaire massive, et d’abord l’interdiction de prendre des photos de et dans l’aéroport qui est un espace militaire ! Et pourtant de tout le séjour, à part les passages fréquents dans le ciel de la capitale d’hélicoptères et de bombardiers, on n’aura jamais l’impression d’un pays en danger.

Le simple examen d’une carte géographique explique la position stratégique du Ladakh et de son voisin immédiat le Cachemire, donc de l’Inde, par rapport à ses turbulents voisins, le Pakistan, la Chine (le Tibet), l’Afghanistan tout proche…

Le vol Delhi-Leh offre une entrée en matière… himalayenne !

Vue de l’unique piste de l’aéroport de Leh… à 3500 m d’altitude :

Leh, carrefour historique de la route de la soie

La destination du Ladakh fait rêver parce qu’elle évoque la mythique route de la soie, qu’on devrait plutôt écrire au pluriel, car il y avait des routes de la soie, partant de l’empire chinois pour irriguer toute l’Asie centrale et l’Europe. Le Ladakh en était un carrefour obligé. Au centre de Leh – 30.000 habitants – on trouve un très joli petit musée (Central Asian Museum) qui raconte magnifiquement cette épopée.

Du musée on a vue directe sur l’ancien palais royal de Leh et un temple sikh.

J’ai bien sûr été intéressé par cet instrument, utilisé par les moines bouddhistes lors des prières ou dans les orchestres de fête, la surna, le hautbois indien.

La cité de Leh elle-même est concentrée autour d’une rue principale et son marché central. Avec ses boutiques de produits locaux, et des femmes venues de tous les villages et tribus alentour qui vendent fruits (les abricots ! on en reparlera) et légumes en fin d’après-midi.

Tribus aryennes

Parmi ces femmes qui vendent sur le marché, cette représentante d’une minorité, « la tribu des Drokpas, terme local dont l’orthographe connaît d’infinies variantes. Cette minorité de près de 4 000 membres a été préservée au cours des siècles par son isolement, son autarcie culturelle et ses mariages limités au clan. Les origines des Drokpas imbriquent imaginaire, hypothèses et réalité. Néanmoins, ces villageois ont acquis la renommée d’être de « purs » descendants des « Aryens ». « Leur apparence physique a appuyé la théorie aryenne, devenue populaire dans la région », souligne M. Tashi Morup, journaliste local. Leurs traits proches du type caucasien sont loin des visages mongoloïdes d’origine tibétaine des bouddhistes du Ladakh. Les Drokpas sont « différents ». Leur allure des grands jours, lors des festivals, est aux yeux des novices un spectacle unique. Avec leurs coiffes piquées de bouquets et cintrées de physalis, cette fleur orange qui semble taillée dans un papier délicat, ils incarnent un autre âge. Couverts de lourds colliers et d’ornements tribaux, ils se drapent dans une majestueuse cape blanche en peau de chèvre retournée. » (extrait d’un article du Point, Le mystère des derniers Aryens, 21/09/2014)

Le palais royal de Leh domine la cité depuis le XVIIe siècle : il est abandonné par la famille royale au XIXe siècle (au profit de Stok, à lire dans un prochain épisode !). Surplombant le palais, le temple Namgyal Tsemo domine toute la vallée et héberge une grande statue de Bouddha.

à moins qu’on ne choisisse le promontoire sur lequel les Japonais ont édifié un gompa dans les années 80

Revenu dans les ruelles du centre, on visite le grand temple bouddhiste, ou les échoppes favorites des vaches qui sillonnent la ville !

La politique n’est jamais loin

Pour le tout-puissant premier ministre indien Narendra Modi, le sommet du G 20 qui se tient en Inde les 9 et 10 septembre est une opportunité formidable de mettre en avant les progrès – visibles – du sous-continent en matière par exemple d’écologie. La plaie qui a longtemps affecté les grands pays asiatiques et africains, l’usage de sacs plastique sur les marchés, dans les magasins – qu’on retrouvait disséminés par milliers au bord des routes, dans les champs – a disparu. Le plastique a partout été remplacé par du papier ou du carton ! On est encore loin d’une parfaite propreté des espaces publics et de la nature, mais le progrès observé depuis notre dernier voyage en Inde (2016) est spectaculaire.

Quelle ne fut pas ma surprise, arrivant pour les deux dernières nuits de mon séjour dans un grand hôtel de Leh, d’y constater la présence d’une personnalité, au patronyme illustre, que les médias – et les citoyens indiens avec qui nous avons pu échanger – présentent comme le challenger le plus sérieux de l’actuel premier ministre pour les élections générales prévues en 2024, Rahul Gandhi, petit-fils (Indira) et fils (Rajiv) de premiers ministres qui ont fini assassinés !.

Il y avait bien une certaine agitation, des militaires, des policiers à l’entrée de l’hôtel, mais on ne faisait remarquer que Rahul Gandhi tient sa popularité du fait qu’il a décidé de conjurer le sort qui s’attache à sa famille et de rester simple et accessible. Comme en témoigne cette photo prise il y a une semaine à Leh, dans le restaurant de notre hôtel.

Stūpas et Gompas

Les images qu’on associe toujours à ces paysages himalayens et qui alimentent puissamment notre imaginaire sont celles de ces temples érigés sur des promontoires sur fond de sommets enneigés. Comme lorsqu’on arrive à Likir, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Leh.

Sur cette photo, on voit bien d’une part, au centre, le gompa (du tibétain « dgon-pa » : monastère) et à gauche un stūpa (mot sanscrit signifiant « reliquaire »).

Guidé par un bouddhiste très pratiquant, je devrais ne plus rien ignorer de Bouddha, du bouddhisme, de sa variante tibétaine incarnée par le dalaï-lama (qui séjournait à Leh durant cet été) et de tous les rites accomplis par les moines et les fidèles.

J’avoue, au fil des visites de ces lieux spectaculaires, n’avoir pas tout retenu. Peu importe après tout, chacun cherche et atteint comme il peut le nirvana, comme le représente cette fresque :

Privilège d’assister à une séance de prière…

Privilège également d’avoir accès aux bibliothèques richement garnies de milliers d’ouvrages relatant l’enseignement de Bouddha, et utilisés comme supports des prières des moines.

A l’intérieur des temples, toutes sortes d’offrandes sont disposées devant les statues de Bouddha, des billets de banque, mais aussi des quantités de nourriture, bouteilles de Coca, jus de fruits et autres…

On a visité les sites de Likir (ci-dessus), Alchi, Lamayuru, puis Thiksey et Hemis.

Alchi, à la différence des autres gompas, n’est pas situé en hauteur, mais c’est l’un des plus anciens – fondé au Xe siècle – l’un des plus émouvants aussi dans l’austérité du dépouillement de ses deux tout petits oratoires en bois scuplté- La photo ci-dessous n’est pas de moi, puisqu’on doit abandonner appareils et téléphones portables avant la visite.

Lamayuru vu d’en bas et d’en haut

L’arrivée au monastère de Thiksey est spectaculaire :

Les Ladakhi le surnomment le petit Potala, du nom du palais du dalaï-lama à Lhassa (Tibet)

Thiksey domine la vallée de l’Indus et témoigne d’une munificence qui le distingue des autres gompas

Le temple de Hemis est tout aussi important pour le bouddhisme tibétain, quoique plus récent (XVIIe siècle). Il comporte un passionnant musée sur l’histoire du Ladakh (photos interdites !)

La vue sur la vallée et les montagnes environnantes est toujours impressionnante !

Le palais de Stok

À une quinzaine de kilomètres de Leh, le palais de Stok a été la résidence de la dynastie royale Namgyal qui a régné sur le Ladakh de 1470 à 1834. C’est aujourd’hui un (petit) hôtel très spartiate dans ses équipements, mais avec une vue imprenable sur la vallée de l’Indus.

A quelques encablures de Stok, le temple de Matho inspire le recueillement.

La décoration intérieure de certains temples est parfois exubérante, comme cette série de représentations de Bouddha en céramique.

Dernier temple – et non le moindre – le monastère de Diskit, qu’on atteindra, dans la vallée de la Noubra, une fois franchi le plus haut col du monde (accessible en voiture) – à suivre dans un prochain épisode !

Toujours une vue spectaculaire sur la vallée et sur une statue géante de Bouddha…

Des moines confectionnant un mandala avec une précision redoutable …

La nature immense

Les paysages qu’on traverse au Ladakh- en voiture ou à pied – sont si impressionnants que ni photos ni videos ne peuvent en restituer la majesté. L’expression « à couper le souffle » est doublement pertinente, d’abord parce qu’une incroyable émotion vous saisit à chaque halte, à chaque détour, ensuite parce qu’en effet, à ces altitudes – le plus haut col du monde franchissable en voiture est à 5480 m ! – l’atmosphère est très sèche (moins de 20% d’humidité) et l’oxygène rare.

.

Les sommets de la chaîne des K – le Karakoram – où se trouve le deuxième plus haut du monde, le K2 (8611 m)

Ici autour de Nimmu, à 3200 m d’altitude, la nature est verdoyante et la végétation faite de peupliers, de saules, d’arbousiers, de genévriers. Plus surprenants encore les abricotiers, les pommiers, des fleurs, des champs d’orge ou de blé…

L’herbe est toujours verte pour les troupeaux de vaches, yaks, moutons et chèvres (ci-dessous les fameuses chèvres cachemire dont la laine sert à la confection des pashminas)

Sur les hauteurs

Je m’étais amusé à saisir sur mon téléphone les moments où notre voiture franchissait les 4807 m du Mont-Blanc. En deux jours, nous avons franchi trois des plus hauts cols du monde, à plus de 5000 m d’altitude…

Le Khardong La est présenté comme la route carrossable la plus haute du monde – 17982 pieds, 5480 m – vues imprenables sur les chaînes de l’Himalaya et du Karakoram.

Le Taglangla est à peine moins haut, plus sauvage et moins fréquenté : on aperçoit trois femmes, trois nomades remontant leurs récoltes d’herbes odorantes.

Autre col à plus de 5000 m franchi dans la même journée…le Wari La. Expédition plus sportive, la route ressemblant plus à un vaste chantier… à l’arrêt. Mais il faut reconnaître que le gouvernement régional met le paquet pour transformer le réseau routier, partout on voit des campements d’ouvriers, la plupart venus du Bihar, attelés à des chantiers gigantesques !

Des dunes, du sel, des lacs

On n’est jamais au bout de ses surprises quand on parcourt le Ladakh.

Comme quand on surplombe le confluent du Zanskar et de l’Indus

Des dunes de sable en plein Himalaya… on croit rêver, et pourtant c’est l’ébouriffant spectacle qui s’offre à la vue dans le désert de Hunder. Le touriste peut même contribuer à la préservation d’une espèce endémique de chameaux (les chameaux de Bactriane) qui formaient jadis les immenses caravanes des routes de la soie.

Mais il faut parfois s’armer de patience pour accéder à ces trésors de la nature. On a parfois l’impression de participer au tournage d’un épisode des Routes de l’impossible, par exemple quand un convoi militaire croise des camions de chantier, sur la seule route de la vallée…

Après le désert et ses dunes, on atteindra au sud-est du Ladakh de sublimes lacs immaculés (avec l’expérience de deux nuits à 4650 m sous tente !).

D’abord le Tso Kar, un lac salé !

Même notre guide est surpris de la densité saline du lac!

Plus élevé encore – 4705 m – ce petit lac vert le Kyagar Tso. Avant de parvenir au couchant sur les bords de l’immense Tso Moriri, à la frontière du Tibet.

Là haut dans la montagne

Le plus surprenant de tout ce séjour dans les hauteurs du Ladakh, c’est la pureté absolue de l’air, de l’eau, le calme total – qui n’est pas silence – jamais troublé par d’autres bruits que ceux de la nature. Et dans cette montagne immense ce festival permanent de couleurs.

Sur les chemins de randonnée, à 4000 m, on pense même au confort des marcheurs…

(Reproduction texte et photos/videos JPR interdite)