Régime de fête (I): un duo à Vienne

Chaque année, je crois, j’écris ici que je n’aime pas cette période de l’année, où la fête devient obligatoire, sans que plus personne ne sache ce que sont, ce qu’étaient, l’Avent, la Saint-Nicolas, Noël, la Saint-Sylvestre, a fortiori la légende du père Noël. Même dans la matinale de France 2, on ouvre chaque jour un volet d’un calendrier de l’Avent : qui, parmi les téléspectateurs, en connaît l’origine ?

Pas plus cette année que les précédentes, je n’aurai à me forcer pour adopter un régime alimentaire raisonnable, même si de récentes circonstances (Une expérience singulière) m’obligent à une prudence plus grande encore.

Des cadeaux

Puisque cadeaux il doit y avoir, je vais proposer, dans les jours qui viennent, quelques idées, peut-être originales, inattendues.

Il y a des dizaines de compilations, de best of, d’airs d’opéras, d’opérettes, de crooners, parmi lesquelles on est bien embarrassé de choisir, ou qui parfois échappent à la vigilance du collectionneur.

En revisitant ma discothèque, je suis tombé sur ce CD qui n’avait pas spécialement retenu mon attention. Un chef, Anton Paulik, deux chanteurs, Werner Krenn, Renate Holm, qui ne font pas partie des stars multi-rééditées, et pourtant un modèle absolu ce que peuvent être le charme, le raffinement, le bon goût de l’opérette viennoise.

La couverture du double CD est muette sur les chanteurs – inhabituel oubli dans cette collection d’excellence – et pourtant leurs noms ne sont pas inconnus des discophiles.

Renate Holm, 90 ans, a commencé sa carrière comme actrice chanteuse, il faut reconnaître qu’elle en avait tous les atouts. Sa célébrité, sa notoriété, n’ont jamais vraiment franchi les limites de la sphère germanique. Sa discographie n’est pas pléthorique, à la différence d’autres de ses contemporaines, comme Anneliese Rothenberger (1924-2010) qui a littéralement phagocyté la branche allemande d’EMI, Electrola.

Ce qu’on aime chez Renate Holm, c’est qu’elle n’est pas simplement un rossignol virtuose, une de ces petites voix pointues et agiles, qui foisonnent dans les enregistrements viennois de l’époque. Elle a du corps, de la chair, et par dessus tout une classe, une élégance, qui la distinguent de ses concurrentes. Ainsi dans le rôle d’Adèle de La Chauve-Souris de Johann Strauss, elle ne surjoue pas la soubrette nunuche, elle pourrait presque tenir la dragée haute à la Rosalinde de Gundula Janowitz, surtout quand la troupe est tenue par Karl Böhm.

Werner Krenn est né en 1943 à Vienne. Il a commencé sa carrière de musicien comme basson solo de l’Orchestre symphonique de Vienne de 1962 à 1966, mais il a reçu son éducation musicale comme membre des Petits Chanteurs de Vienne (Wiener Sängerknaben). De nouveau, comme pour sa partenaire sur ce double album, Werner Krenn est resté dans l’ombre d’autres stars de l’époque, comme Fritz Wunderlich, repéré toutefois par les grands chefs des années 60 et 70. C’est d’ailleurs à lui que Karajan fit appel pour « compléter » son premier enregistrement de la Création de Haydn, Fritz Wunderlich étant mort (accidentellement) au cours de la période d’enregistrement !

On retrouve Werner Krenn dans pas mal de disques, mais on cherchera en vain un disque portrait ou monographique. Pas assez star pour y avoir droit ?

Quant au chef, Anton Paulik (1901-1975) on cherchera en vain une notice biographique, sauf une fiche Wikipedia en néerlandais ! On dira, faute de mieux, que c’était un honnête spécialiste de l’opérette et de la valse viennoise. Et on dira beaucoup mieux de son art lorsqu’on aura entendu ce double album où le chic, la classe le disputent à l’élégance. Une bonne dose de Paulik semble bien nécessaire avant d’affronter le concert viennois du Nouvel an 2022 qui ne promet rien de bon sous la baguette octogénaire d’un chef qui n’a jamais compris l’essence ni le sens de cette musique.

Sous les pavés la musique (VIII) : Karl Böhm l’héritage Philips et Decca

C’est d’abord un très bel objet ce coffret de 38 CD et 1 Blu-Ray audio : il regroupe l’intégralité des enregistrements réalisés par Karl Böhm (1894-1981) après la Deuxième guerre mondiale pour Philips et Decca. Tous bien connus et admirés depuis longtemps, mais jusqu’alors diffusés de façon disparate selon les labels et les époques.

Admirable ce coffret l’est par le soin apporté à ces rééditions, qui ont bénéficié de remasterisations souvent impressionnantes – la restitution des premières stéréos (1955) des légendaires Mozart viennois, Cosi fan tutte et Die Zauberflöte est époustouflante. Même traitement pour des disques – en mono – qui ont marqué mon enfance, un Requiem de Mozart et une Neuvième de Beethoven, captés avec le Symphonique de Vienne en 1956 avec le soprano de lumière et de miel de Teresa Stich-Randall.

Un texte remarquablement documenté d’un maître es-Böhm, l’ami Remy Louis.

Des Bruckner d’anthologie (3 et 4), le 27ème de Mozart et les deux concertos de Brahms avec Wilhelm Backhaus, la Chauve-Souris (avec Janowitz) et le Ring de Bayreuth, qui manquaient au gros coffret DG – Karl Böhm Operas

Tous les détails de ce coffret à lire ici : Karl Böhm Philips & Decca.

Bouquet de roses

Chacun a ses souvenirs de ce que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître, l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, le 10 mai 1981. Les miens n’ont pas grand intérêt.

Mais il y a une fleur symbole de cette période – la cérémonie au Panthéon, les roses déposées par le nouveau président sur les tombeaux de Jean Moulin, Jean Jaurès et Victor Schoelcher.

On sait le peu d’appétence de François Mitterrand pour la musique – il avait bien d’autres qualités, littéraires notamment !

Alors, pour illustrer cet anniversaire, je préfère un bouquet de roses…musicales !

Richard Strauss

Le sublime finale à trois, puis à deux voix, du Chevalier à la rose (Der Rosenkavalier), l’ouvrage lyrique le plus célèbre de Richard Strauss, sur un livret de Hugo von Hofmannsthal (1911) : les voix mêlées d’Elisabeth Schwarzopf (la Maréchale), Christa Ludwig (le Chevalier) et Teresa Stich Randall (Sophie), dans l’enregistrement légendaire de 1956, Herbert von Karajan dirigeant le Philharmonia.

Mais aussi ce bouquet de roses (Das Rosenband) :

Schumann : Rose, mer et soleil

Pour mes amis de Montpellier en particulier, cette mélodie au titre si évocateur de Robert Schumann :

Du même Schumann, un ouvrage aujourd’hui un peu oublié, qui faisait partie du répertoire de toute bonne chorale allemande : Der Rose Pilgerfahrt / Le pélerinage de la rose (1851) sur un livret bien sentimental du poète lui aussi oublié Moritz Horn.

La rose selon Schubert

Il eût été surprenant que la rose n’inspire pas le prolifique Schubert. Ce Heidenröslein (La petite rose des champs) est un incontournable de nombreux récitals.

Mignonne la rose

Quel écolier ne se rappellera pas le plus célèbre poème de Ronsard (1524-1585) « Mignonne allons voir si la rose« , ici mis en musique par Guillaume Costeley (1531-1606) ?

Berlioz/Gautier : Le spectre de la rose

Berlioz bien sûr, et ces poèmes de Théophile Gautier rassemblés dans le plus beau cycle de mélodies françaises, les Nuits d’été (1841)

Mais les esprits mal tournés ne manqueront pas d’y voir une allégorie de la situation actuelle du parti de la rose au poing…

Soulève ta paupière close
Qu’effleure un songe virginal;
Je suis le spectre d’une rose
Que tu portais hier au bal
Tu me pris, encore emperlée
Des pleurs d’argent, de l’arrosoir
Et parmi la fête étoilée
Tu me promenas tout le soir

O toi qui de ma mort fus cause
Sans que tu puisses le chasser
Toutes les nuits mon spectre rose
A ton chevet viendra danser
Mais ne crains rien, je ne réclame
Ni messe ni De profundis:
Ce léger parfum est mon âme
Et j’arrive du paradis

Mon destin fut digne d’envie:
Et pour avoir un sort si beau
Plus d’un aurait donné sa vie
Car sur ton sein j’ai mon tombeau
Et sur l’albâtre où je repose
Un poëte avec un baiser
Écrivit: Ci-git une rose
Que tous les rois vont jalouser

Sur le même ton mélancolique, cette magnifique chanson de Françoise Hardy :

La petite histoire (IV) : déjeuner royal

En Belgique, le Concours Reine Elisabeth est une institution que nul ne peut ignorer. Chaque année, des moyens publics et privés très importants sont mobilisés pour assurer à ce concours un rayonnement médiatique dont ne bénéfice aucune autre entreprise culturelle – orchestre, opéra, festival – du pays. Je me suis déjà exprimé sur le sujet : De l’utilité des concours.

Chaque année, le Concours organise (organisait ?) à Bruxelles un déjeuner pour ses généreux donateurs, pour les membres du jury de la discipline concernée et ses partenaires, sous la présidence d’un membre de la famille royale. J’ai eu le privilège (!), comme directeur de l’orchestre philharmonique de Liège, qui assume certains concerts des lauréats, d’être invité deux ou trois fois à ces déjeuners. Ils étaient alors présidés par la Reine Fabiola (prononcer : la Rhin-ne !), la veuve du Roi Baudoin, brutalement décédé au cours de l’été 1993 dans sa résidence d’été en Espagne.

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Nous prenions place autour de tables rondes, au Palais d’Egmont, selon un plan de table soigneusement revu par le protocole de la Maison du roi. Les invités devisaient debout près de leur table, attendant que la Reine paraisse, vêtue de mauve, de pourpre ou de rose ancien, coiffure bouffante. Le rituel était immuable : Fabiola était accompagnée par le comte Jean-Pierre de Launoit, inamovible président du Concours jusqu’à sa mort en 2014 et intime de la famille royale de Belgique, elle saluait d’un discret signe de tête les personnes qu’elle reconnaissait et, plus rarement, elle tendait une main fine et molle à ceux que Jean-Pierre de Launoit lui indiquait. J’eus ainsi le privilège d’être distingué et de m’entendre dire de la royale bouche : « J’aime beaucoup votre orchestre » !

Inutile de dire que, ce jour-là, je bénéficiai soudain d’une attention soutenue de la part de mes voisines de table (nous n’y étions que deux représentants de l’espèce masculine) qui, jusque là, m’avaient soigneusement ignoré, ne faisant même pas semblant, comme on le fait d’ordinaire chez ces gens-là, de manifester un tant soit peu d’intérêt pour ma fonction ou ma personne. Je n’en avais cure – j’ai toujours fui les mondanités et les mondains ! – parce que l’occasion m’était donnée de parler avec l’un des plus grands chanteurs de l’époque, l’un de ceux que j’avais entendus et admirés si souvent au disque (Istvan Kertesz à Vienne), le grand baryton-basse finlandais Tom Krause (1934-2013)

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Cette année-là, les épreuves du Concours étaient réservées au chant, et lors de ce déjeuner, j’apercevrais aussi Joan Sutherland et Grace Bumbry !

J’eusse aimé être placé à table à côté de Tom Krause, mais le protocole avait placé entre nous une dame sans doute très importante qui nous assomma durant tout le repas des soucis de son mari banquier. À ma droite était assise une autre dame qui avait dû être très belle dans sa jeunesse, qui débitait banalités et fadaises sur la musique et les musiciens avec une telle bonne humeur que je l’aurais presque remerciée d’égayer cette sinistre tablée.

Heureusement les déjeuners « royaux » ne durent jamais longtemps. Sitôt le café servi, les convives se levaient de table et se saluaient avant de prendre congé. Je pris encore un peu de temps pour converser avec Tom Krause, nous fûmes évidemment interrompus par ces dames qui ne voulaient pas être impolies avec celui qui avait été distingué par la Reine Fabiola (« Vous devez être quelqu’un d’important ! » me dit l’une d’elles) et accessoirement avec l’autre homme de la table, qu’aucune n’avait reconnu ni identifié (« Et vous Monsieur vous êtes musicien? », « Vous êtes professeur ? vous enseignez quoi? »).

La honte m’étreignait, j’eus beau essayer de rattraper les bêtises entendues (« Vous aurez bien sûr reconnu l’un des plus grands chanteurs de notre temps, Tom Krause »), c’était peine perdue, et le premier à s’en amuser était Tom Krause lui-même.

J’ai fait allusion à un autre de ces déjeuners dans un récent billet : Demandez le programme !

Difficile de faire une sélection dans la discographie considérable de Tom Krause. Quelques-uns de mes disques préférés :

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Fille de l’Elysée

On me taxera (le mot est à la mode !) d’incorrigible optimisme, de douce rêverie, si, à la veille d’une journée qu’on ne cesse de nous présenter comme celle de tous les dangers, j’ose en appeler à la fraternité, me mettant dans les pas, les vers et les notes de Schiller et Beethoven.

Souvenez-vous, c’était aux accents de la 9ème symphonie de Beethovenque le président de la République tout juste élu était venu saluer la foule qui se pressait dans la cour du Louvre. Les accents seulement, les paroles manquaient. Elles n’en prennent que plus de relief dix-huit mois après : Ô joie…. Fille de l’Elysée

Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium,
Wir betreten feuertrunken,
Himmlische, dein Heiligtum!
Deine Zauber binden wieder
Was die Mode streng geteilt;
Alle Menschen werden Brüder,
Wo dein sanfter Flügel weilt.

Wem der große Wurf gelungen,
Eines Freundes Freund zu sein;
Wer ein holdes Weib errungen,
Mische seinen Jubel ein!
Ja, wer auch nur eine Seele
Sein nennt auf dem Erdenrund!
Und wer’s nie gekonnt, der stehle
Weinend sich aus diesem Bund!

Freude trinken alle Wesen
An den Brüsten der Natur;
Alle Guten, alle Bösen
Folgen ihrer Rosenspur.
Küsse gab sie uns und Reben,
Einen Freund, geprüft im Tod;
Wollust ward dem Wurm gegeben,
und der Cherub steht vor Gott.

Froh,
wie seine Sonnen fliegen
Durch des Himmels prächt’gen Plan,
Laufet, Brüder, eure Bahn,
Freudig, wie ein Held zum Siegen.

Seid umschlungen, Millionen!
Diesen Kuß der ganzen Welt!
Brüder, über’m Sternenzelt
Muß ein lieber Vater wohnen.
Ihr stürzt nieder, Millionen?
Ahnest du den Schöpfer, Welt?
Such’ ihn über’m Sternenzelt!
Über Sternen muß er wohnen.

Joie ! Joie ! Belle étincelle divine,
Fille de l’Elysée,
Nous entrons l’âme enivrée
Dans ton temple glorieux.
Ton magique attrait resserre
Ce que la mode en vain détruit ;
Tous les hommes deviennent frères
Où ton aile nous conduit.

Si le sort comblant ton âme,
D’un ami t’a fait l’ami,
Si tu as conquis l’amour d’une noble femme,
Mêle ton exultation à la nôtre!
Viens, même si tu n’aimas qu’une heure
Qu’un seul être sous les cieux !
Mais vous que nul amour n’effleure,
En pleurant, quittez ce choeur !

Tous les êtres boivent la joie,
En pressant le sein de la nature
Tous, bons et méchants,
Suivent les roses sur ses traces,
Elle nous donne baisers et vendanges,
Et nous offre l’ami à l’épreuve de la mort,
L’ivresse s’empare du vermisseau,
Et le chérubin apparaît devant Dieu.

Heureux,
tels les soleils qui volent
Dans le plan resplendissant des cieux,
Parcourez, frères, votre course,
Joyeux comme un héros volant à la victoire!

Qu’ils s’enlacent tous les êtres !
Ce baiser au monde entier !
Frères, au-dessus de la tente céleste
Doit régner un tendre père.
Vous prosternez-vous millions d’êtres ?
Pressens-tu ce créateur, Monde ?
Cherche-le au-dessus de la tente céleste,
Au-delà des étoiles il demeure nécessairement.

Une 9ème de Beethoven historique, dirigée par Leonard Bernsteinaprès la chute du mur de Berlin. Le mot Freude (joie) avait été remplacé par Freiheit (liberté). Il commence comme le beau mot français de Fraternité.

Le mensuel Classica n’a pas hésité à relever le défi de comparer à l’aveugle des dizaines de versions du chef-d’oeuvre de Beethoven.

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Yannick Millon, Jean-Charles Hoffelé et le compositeur Patrick Burgan, nous livrent d’abord une passionnante analyse de la discographie pléthorique de l’oeuvre, en ne retenant que les versions en stéréo. Et le résultat de leur écoute comparée est pour le moins inattendu, tant il s’éloigne des « références » toujours avancées. Ce classement me plaît beaucoup, notamment la première place : un chef – Hans Schmidt-Isserstedt – auquel je consacrerai bientôt un portrait discographique, un orchestre qui « respire » naturellement Beethoven. Mais la suite est tout aussi captivante.

 

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(Bis 2006, Osmo Vänskä, orchestre du Minnesota, Helena Juntunnen, Katarina Karneus, Daniel Norman, Neal Davies)

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(Decca 1969, Eugen Jochum, Concertgebouw Amsterdam, Liselotte Rebmann, Anna Reynolds, Karl Ridder, Gerd Feldhoff)

812Brw+ZYOL._SL1395_(Deutsche Grammophon 1962, Herbert von Karajan, orch.phil.Berlin, Gundula Janowitz, Hilde Rössel-Majdan, Waldemar Kmentt, Walter Berry)

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(Deutsche Grammophon 1957, Ferenc Fricsay, orch.phil.Berlin, Irmgard Seefried, Maureen Forrester, Ernst Haefliger, Dietrich Fischer-Dieskau)

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(Warner 1991, Nikolaus Harnoncourt, orchestre de chambre d’Europe, Charlotte Margiono, Birgit Remmert, Rudolf Schasching, Robert Holl)

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(Sony 1961, George Szell, orch. Cleveland, Adele Addison, Jane Hobson, Richard Lewis, Donald Bell)

71PECzzfAiL._SL1400_(Archiv/DGG 1992, John Eliot Gardiner, orchestre Révolutionnaire et Romantique, Luba Orgonasova, Anne Sofie von Otter, Anthony Rolfe-Johnson, Gilles Cachemaille)

 

 

 

Les défricheurs

En moins de 24 heures, on a appris la disparition de quatre personnalités liées à la musique. Black Friday comme l’écrivait un de mes amis sur Facebook.

Milos Forman, Jean-Claude Malgoire, Irwin Gage et Pierre-Emile Barbier.

Milos Formanc’est bien sûr l’immense cinéaste de tant de films qui nous ont marqué, et c’est celui qui, en adaptant la pièce de Peter SchafferAmadeus -, a fait de Mozart un personnage universel et familier. C’est en revoyant, il y a quelques jours, ce film dont je ne me lasse pas, que je me suis aperçu que l’acteur qui incarnait Salieri, F.Murray Abrahamétait l’énigmatique Dar Adal de la série Homeland

C’est aussi avec la bande-son d’Amadeus signée Neville Marriner que des milliers de mélomanes en herbe ont découvert par exemple la « petite » symphonie en sol mineur, la 25ème de Mozart.

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On reviendra plus tard sur la personnalité et l’oeuvre de Milos Forman.

Autre disparition annoncée ce matin, celle du musicien Jean-Claude Malgoireque les circonstances de ma vie professionnelle ne m’ont malheureusement jamais fait approcher. Mais tous les hommages que je lis depuis ce matin – François-Xavier Roth, Raphael Pichon, Alexis Kossenko… – confirment l’impression que j’avais de ce personnage : musicien engagé jusqu’au bout, infatigable défricheur, passeur, pédagogue.

Je me rappelle certains de mes premiers disques « baroques », c’était lui, ça sentait bon l’artisanat, la découverte, ça sonnait un peu aigrelet, pas toujours très juste, mais il y avait tant de générosité dans ces enregistrements… Ainsi mon premier Serse (Xerxes) de Haendel

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Irwin Gage est nettement moins connu que ses compagnons d’infortune mortuaire. Pour beaucoup de mélomanes, juste un nom, l’accompagnateur au piano de grands gosiers – Elly Ameling, Gundula Janowitz, Cheryl Studer, Christa Ludwig, Walter Berry, Dietrich Fischer-Dieskau, Peter Schreier, Brigitte Fassbaender, Jessye Norman ! Beau tableau de chasse pour un musicien justement chéri par ces grands chanteurs. Je reparlerai un jour de ce mot – mal choisi – et de rôle d’accompagnateur.

Dans cette belle discographie, on a l’embarras du choix. Dans mes préférences, Gundula Janowitz

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Quant à Pierre-Emile Barbier, son nom ne dit rien à ceux qui ne l’ont pas entendu jadis participer parfois à la Tribune des critiques de disques première manière ou lu dans Diapason. Je l’ai un peu connu quand j’étais en charge de France-Musique, il était encore ingénieur chez Thomson si je me souviens bien, déjà plein de projets et d’enthousiasme pour des interprètes et des répertoires qu’il a, lui aussi, largement défrichés, avant de fonder le label Praga. Au départ pour soutenir des artistes tchèques, par exemple le Quatuor Prazak (prononcer Pra-jak) et très vite exploiter et éditer les très riches fonds de la radio de Prague, après la chute du Mur. Depuis quelques années, le label se consacrait aussi à la réédition/remasterisation d’enregistrements légendaires.

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Plans B

L’expression fait florès depuis quelques semaines : plan B. 

Comme on le sait, il y a de bons et de mauvais plans. En politique comme en musique.

Plan B comme Böhm par exemple. On avait beaucoup aimé ce coffret qui remettait au premier plan les derniers enregistrements du chef autrichien (Le choc des géants)

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Détails du coffret à lire ici : Faut-il être sexy pour être un grand chef ?.

Deutsche Grammophon récidive avec un nouveau  coffret de 17 CD proposé à tout petit prix.

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D’où vient une relative déception ?  Une étrange sélection de « great recordings« , aucun inédit, certes des enregistrements qui étaient devenus rares dans les bacs des disquaires, et quelques pépites*. Comme cette Première symphonie de Brahms de 1959 avec un Philharmonique de Berlin porté à incandescence (la furie du finale !)

Du coup, rangeant ce coffret dans ma discothèque, j’ai retrouvé, tout près, un autre B. Un très bon plan B comme Boultl’un des plus grands chefs du XXème siècle. Même si Sir Adrian n’a jamais eu la célébrité médiatique ou discographique de certains de ses contemporains, en dépit de son exceptionnelle longévité.

Comme héraut de Vaughan Williams ou Elgar, il est installé depuis longtemps comme une référence, mais un chef britannique pour de la musique britannique cela va de soi…

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En revanche, a-t-on vraiment porté attention à l’art d’Adrian Boult dans le répertoire classique et romantique ? Ses Mozart, Schumann, Brahms, Wagner, Tchaikovski, remarquablement documentés dans les deux  coffrets réédités par Warner…

La principale caractéristique de cet art si singulier, c’est le refus de l’emphase, de l’empois, la fluidité, la souplesse – particulièrement dans Brahms, où sa Rhapsodie pour contralto est l’une des plus allantes de la discographie

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81qvjlicel-_sl1417_81i-8paqnwl-_sl1232_* Détails du coffret Böhm/DGG (source Amazon.com)

BEETHOVEN
— Symphony 3 « Eroica » Berlin Philharmonic 1961 stereo*
— Symphony 5: Berlin Philharmonic 1953 mono*
— Symphony 7: Berlin Philharmonic 1958 stereo*
— Coriolan Overture: Berlin Philharmonic 1958 stereo*
— Missa Solemnis (Maria Stader, Marianna Radev, Anton Dermota, Josef Greindl, St. Hedwigs Choir) Berlin Philharmonic 1955 mono*
BRAHMS
— Symphony 1: Berlin Philharmonic 1959 stereo*
— Symphony 2: Berlin Philharmonic 1956 mono*
HAYDN
— The Seasons (Gundula Janowitz, Peter Schreier, Martti Talvela, Wiener Singverein) Vienna Symphony 1967 stereo
MAHLER
— Kindertotenlieder (Dietrich Fischer-Dieskau) Berlin Philharmonic 1963 stereo
— Ruckert-Lieder (Dietrich Fischer-Dieskau) Berlin Philharmonic 1963 stereo
MOZART
— Serenade K.239 « Serenata Notturna »
—— Berlin Philharmonic 1957 mono
—— Berlin Philharmonic 1970 stereo
— Serenade K.250 « Haffner » Berlin Philharmonic 1970 stereo
— Serenade K.320 « Posthorn » Berlin Philharmonic 1970 stereo
— Serenade K.361 « Gran Partita » Berlin Philharmonic winds 1970 stereo
— Serenade K.525 « Eine kleine Nachtmusik » Berlin Philharmonic 1956 mono*
REGER
— Variations & Fugue on a Theme by Mozart: Berlin Philharmonic 1956 mono
SCHUBERT
— Symphony 9 « The Great » Berlin Philharmonic 1963 stereo*
— Symphony 9 « The Great » REHEARSAL Berlin Philharmonic 1963 stereo
— Rosamunde: Overture & Ballet Music: Berlin Philharmonic 1971 stereo
R. STRAUSS
— Eine Alpensinfonie: Staatskapelle Dresden 1957 mono
— Also sprach Zarathustra: Berlin Philharmonic 1958 stereo
— Don Juan:
—— Staatskapelle Dresden 1957 mono
—— Berlin Philharmonic 1963 stereo
— Festliches Praeludium: Berlin Philharmonic 1963 stereo
— Ein Heldenleben: Staatskapelle Dresden mono 1957 mono*
— Rosenkavalier: Act 3 Waltzes: Berlin Philharmonic 1963 stereo
— Salome: Dance of the Seven Veils: Berlin Philharmonic 1963 stereo
— Till Eulenspiegels lustige Streiche:
—— Staatskapelle Dresden 1957 mono
—— Berlin Philharmonic 1963 stereo
— Tod und Verklarung: Staatskapelle Dresden 1972 stereo
INTERVIEW
— « Karl Bohm: Erzahltes leben (A Life Retold) » 1960 mono

 

Bernstein forever

Il y a quelques mois SONY éditait un beau coffret (format 33 tours) de 60 CD comprenant l’intégrale des Symphonies gravées pour CBS, pour l’essentiel à New York, par Leonard BERNSTEIN. Indispensable et passionnant évidemment.

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DEUTSCHE GRAMMOPHON qui a pris le relais à partir des années 70, vient de publier un premier coffret de 59 CD + 1 DVD (un second suivra) comprenant, cette fois, une vraie intégrale des enregistrements réalisés, en grande partie à Vienne pour le label jaune. Pas seulement les symphonies, mais aussi les opéras (Fidelio de BeethovenCarmen de Bizet), tout de Beethoven à Liszt pour ce volume 1. À ce prix (entre 110 et 130 € selon les fournisseurs) on prend et on (ré)écoute tout. Parce que rien de ce que touche Leonard Bernstein ne nous a jamais laissé et ne nous laisse indifférent. Un génie !

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Détails sur http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2014/03/17/bernstein-forever-8136302.html.

Quelques remarques sur ce beau coffret : d’abord un livret richement illustré, en quatre langues, avec un témoignage de première main de Humphrey Burtonle producteur fidèle, partenaire incontournable de ces vingt années d’aventures discographiques du chef compositeur. mais surtout Leonard Bernstein dans sa (ses) vérité(s) par le prisme de sa correspondance, tout le monde y passe, collègues, amis, musiciens, politiciens, avec des formules parfois cinglantes, jamais méchantes. Du pur Lenny !

L’ordre alphabétique choisi sert bien sûr le Bernstein compositeur, pas moins de 16 CD ! Et toute son oeuvre symphonique, concertante, scénique, religieuse. Pour le grand public, Leonard Bernstein c’est définitivement et souvent exclusivement West Side Story la version multi stars, Kanawa, Carreras, Ludwig, incluse dans le coffret avec le DVD du making of, est plutôt ratée ! -, un peu l’opéra Candide et son air le plus célèbre, celui de Cunégonde « Glitter and be gay » !

Mais si tout Bernstein compositeur n’est pas du même niveau ni du même intérêt, on a ici l’occasion de redécouvrir la générosité, la science créatrice d’un génial touche-à-tout. C’est le même Bernstein qui livre l’une des versions les plus bouleversantes et inspirées de La Création (de la Missa in tempore belli) de Haydn.