Un bouquet de Strauss (II) : sang viennois

#JohannStrauss200

Le compositeur le plus écouté au monde, grâce au concert du Nouvel an diffusé chaque année en direct de Vienne, Johann Strauss, est né le 25 octobre 1825. Après une revue de valses, qu’en est-il de ses ouvrages lyriques, de ses opérettes, qu’il n’a composées que sur le tard, après avoir vu l’incroyable succès d’Offenbach à Vienne ?

Die Fledermaus / La Chauve-Souris

Je n’ai quasiment rien à changer à l’article que j’écrivais ici il y a une dizaine d’années : Revue de chauves-souris. Personne n’a jamais égalé la version si viennoise de Karajan en 1959

(Ackermann 1959, Böhm 1969, Boskovsky 1971, Danon 1963, Fricsay 1949, Haider, Harnoncourt, Karajan Vienne 1959, Karajan Philharmonia 1955, Carlos Kleiber, Krauss 1950)

Quatre versions en DVD, à commencer par celle de Carlos Kleiber qui dispose du meilleur Orlofsky qui soit, Brigitte Fassbaender, alors que la version CD est plombée par la présence ridicule d’Ivan Rebroff !

Quant à Rosalinde travestie en fausse comtesse hongroise, on craque toujours pour Gundula Janowitz (et la version Böhm en CD et DVD)

Der Zigeunerbaron / Le Baron tzigane

Du Baron tzigane, c’est étrangement une version quasiment inconnue, jamais distribuée en France, qui tient le haut du pavé. Distribution parfaite, direction idéale d’un chef admirable et bien oublié, Heinrich Hollreiser (1913-2006).

Une belle alternative à cette version introuvable est celle de Willi Boskovsky, avec un cast exceptionnel :

(Ackermann 1953, Allers 1969, Boskovsky 1977, Harnoncourt, Hollreiser 1959, Jordan 2004)

J’ai évidemment une tendresse pour cette dernière version. J’étais dans la salle du Corum à Montpellier le 11 juillet 2004 dans le cadre du festival Radio France. Armin Jordan dirigeait l’Orchestre national de France, avec une équipe de chanteurs assez inégale, mais le chef transcendait musiciens et chanteurs.

3. Eine Nacht in Venedig / Une nuit à Venise

Je renvoie à l’article – Une nuit à Venise -que j’avais consacré à cette opérette créée en 1883, l’année de la mort de Wagner… à Venise, après avoir vu un merveilleux spectacle à l’Opéra de Lyon en 2016, dirigé par un jeune chef qui débutait alors dans la maison et qui a depuis fait la carrière que l’on sait, Daniele Rustioni.

Je renvoie aussi à mon précédent article (Un bouquet de Strauss : dix valses) où j’évoque la valse de la lagune qui reprend les principaux thèmes de l’opérette, et en particulier ce merveilleux air de ténor :

Et encore cet extrait qui donnera raison à ceux qui ne supportent pas l’extrême sophistication que met Elisabeth Schwarzkopf dans un rôle de…poissonnière !

(Ackermann 1953, Allers 1969, Märzendorfer 1964)

4. Wiener Blut / Sang viennois

Pour une fois, c’est une valse qui donne naissance à une opérette : Wiener Blut (que j’aurais pu placer parmi mes dix valses favorites) est une pièce composée en 1873, et ce sera une opérette reconstituée par Adolf Müller à partir de partitions de Johann Strauss, créée à Vienne quatre mois après la disparition du compositeur, le 26 octobre 1899.

Ici aucune contestation possible quant à « la » version de référence.

J’ai déjà raconté ici (France Musique, fortes têtes), lorsque j’ai appris le décès de Jean-Michel Damian, ce moment inoubliable de radio que fut la journée du 23 décembre 1995 pour les 80 ans d’Elisabeth Schwarzkopf : la cantatrice avait avoué devant une salle comble (le studio 104 ancienne manière de Radio France) que son enregistrement préféré était justement ce Wiener Blut, et ce duo avec Nicolai Gedda (fait en une seule prise miraculeuse). Frissons garantis à 1’17 »

On retrouve le même fabuleux Nicolai Gedda une vingtaine d’années plus tard dans l’équipe rassemblée par Willi Boskovsky

(Ackermann 1953, Bibl, Boskovsky 1975)

On conseille vivement un coffret de belle qualité :

Voix du printemps

Comme on le précisait dans le premier volet de cette série (Dix valses), beaucoup des valses de Johann Strauss étaient destinées à être chantées soit par un choeur, soit par une chanteuse en vue. Nulle n’a mieux incarné l’esprit viennois qu’ Hilde Gueden (1917-1988)

Même si ce n’est pas de Johann, mais de Josef Strauss, on ne résiste pas à ces Hirondelles d’Autriche

On ne peut en dire autant du seul concert de Nouvel an que dirigea Karajan, le 1er janvier 1987.

Humeurs et bonheurs du jour à lire sur brèves de blog

Un bouquet de Strauss (I) : dix valses

#JohannStrauss200

Nous y voilà : il y a deux cents ans, le 25 octobre 1825, naissait le plus célèbre compositeur du monde. Le plus célèbre, oui, puisque ce sont plusieurs milliards de téléspectateurs qui chaque 1er janvier entendent ses oeuvres, on veut parler de Johann Strauss, que je me refuse à appeler Strauss II – il n’est ni pape, ni roi… même de la valse – éventuellement Johann Strauss fils. Même si d’évidence il a acquis une légitime et universelle célébrité, qui surpasse celle de son père (Johann) et de ses frères (Josef et Eduard) pourtant très doués.

La célèbre statue dorée de Johann Strauss dans le parc de la ville de Vienne et un chef, pur Viennois, Christian Arming, qui dirigeait l’orchestre philharmonique royal de Liège dans sa ville natale en mai 2014 (Les soirées de Vienne) / Photo JPR

Pour célébrer ce bicentenaire à ma manière – puisque mon pays, la France, est bien timide – c’est un euphémisme – en dehors d’un beau concert de l’Orchestre national – je propose trois volets très personnels d’exploration de son oeuvre avec des versions que je recommande particulièrement.

D’abord 10 valses, celles qui me touchent le plus, et pour chacune non pas une discographie exhaustive – impossible – mais, tirées de ma discothèque personnelle, des versions qui me semblent être des références et/ou des raretés (mais je mentionne pour chaque valse toutes les versions de ma discothèque !)

1. An der schönen blauen Donau / Le beau Danube bleu

La plus célèbre valse de Johann Strauss est d’abord une valse chantée, sur un texte satirique de Josef Veyl, un ami d’enfance du compositeur, qui fera scandale lors de la création le 13 février 1867 au Dianabad par le Wiener Männergesang-Verein. C’est à Paris, lors de l’Exposition universelle, le 1er avril de la même année, qu’est donnée la version orchestrale sous la direction de Johann Strauss.

La seule version avec choeur qui figure dans ma discothèque est celle de Willi Boskovsky avec le choeur de l’opéra de Vienne et bien entendu les Wiener Philharmoniker

Naguère distingué à l’aveugle par l’émission Disques en lice, Claudio Abbado, capté le 1er janvier 1988, reste une/ma référence, loin devant tant d’autres !

D’autres versions à retrouver dans cet article : Le beau Danube coule depuis 158 ans

(Abbado x2, Barbirolli x2, Barenboim x2, Bernstein, Böhm, Boskovsky x5, Dorati, Dudamel, Fiedler, Fricsay x2, Gerhardt, Gut, Harnoncourt x2, Horenstein, Jansons x2, Karajan x8, Keilberth, Carlos Kleiber x2, Krips, Maazel x4, Mehta x4, Muti x5, Ormandy, Ozawa, Paulik, Prêtre x2, Pritchard, Reiner, Sawallisch, Schneider, Felix Slatkin, Stolz, Suitner, Szell, Welser-Moest, Wildner)

2. Kaiserwalzer ou la valse des empereurs

L’Orchestre national de France et Manfred Honeck rendaient hommage récemment à Johann Strauss (lire Chiche bicentenaire).

Parmi la quarantaine de versions de ma discothèque (avec des récidivistes comme Karajan avec 8 versions studio et « live » !), j’ai mes préférences :

Jascha Horenstein a enregistré à Vienne (avec l’orchestre de l’opéra, c’est-à-dire les Wiener Philharmoniker !) deux disques parus sous diverses étiquettes. Sa Kaiserwalzer (ici à 7’50 ») est idéale d’entrain, d’allure.

Autre version oubliée, viennoise elle aussi, mais avec les Wiener Symphoniker, Wolfgang Sawallisch

(Abbado x2, Barbirolli x2, Bernstein, Böhm, Boskovsky, Fiedler, Fricsay, Furtwängler, Gielen, Gut, Harnoncourt x2, Horenstein, Jansons, Karajan x8, Keilberth, Kempe, Klemperer, Krips, Henry Krips, Maazel x4, Muti, Paulik, Prêtre, Previn, Pritchard, Reiner, Sawallisch, Schneider, Felix Slatkin, Stolz, Walter x2, Wildner)

3. Wein, Weib und Gesang / Aimer, boire et chanter

J’avais déjà consacré un long article à cette valse de 1869 assez unique dans la production de Strauss. C’est presque un poème symphonique, avec une longue introduction, souvent écourtée, voire supprimée.

Mon premier choix est toujours Willi Boskovsky, qui dirige vraiment une valse qui ne traîne pas, ne s’alanguit pas.

Mais la version de Georges Prêtre en 2010 est émouvante, en ce qu’elle révèle dans l’introduction le grand chef de théâtre qu’il fut.

(Bauer-Theussl, Boskovsky x3, Dorati, Fiedler, Guth, Horenstein, Järvi, Karajan x3, Keilberth, Mehta, Muti, Ormandy, Paulik, Prêtre, Sawallisch, Schuricht, Stolz, Suitner, Szell, Welser-Moest, Wildner)

4. Rosen aus dem Süden / Roses du Sud

Depuis des lustres, « ma » version de la valse Roses du sud (créée le 7 novembre 1880 par Eduard, le benjamin des Strauss, au Musikverein de Vienne) est celle de Karl Böhm. Indépassable !

(Barbirolli, Barenboim, Bauer-Theussl, Bernstein, Böhm, Boskovsky x2, Fiedler, Fricsay, Guth, Horenstein, Karajan, Keilberth, Krips, Maazel, Mehta, Muti, Ormandy, Paulik, Reiner, Sawallisch, Schuricht, Stolz, Alfred Walter)

5. Nachtfalter / Papillon de nuit

J’intitulais un de mes (nombreux) articles consacrés à Vienne « Capitale de la nostalgie« . S’il est une valse qui exprime précisément ce sentiment diffus qui m’envahit à chaque fois que j’écoute cette musique, c’est bien Nachtfalter (1854).Zubin Mehta avec la complicité des Wiener Philharmoniker a tout compris du caractère double de cette confidence douce-amère.

(Oliver Dohnanyi, Mehta)

6. Tausend und eine Nacht/Mille et une nuits

Reprenant les thèmes de l’opérette Indigo et les quarante voleurs, cette valse est créée, comme Roses du sud, par Eduard Strauss au Musikverein de Vienne le 12 mars 1871.

Carlos Kleiber avait choisi cette valse, plutôt rare au concert, pour célébrer, le 1er janvier 1992, le sesquicentenaire des Wiener Philharmoniker. Le modèle absolu !

(Boskovsky, Dudamel, Fiedler, Horenstein, Kempe, Carlos Kleiber, Maazel, Ormandy, Stolz, Alfred Walter)

7. Geschichten aus dem Wiener Wald / Légendes de la forêt viennoise

Celle valse de 1868 commence par un solo de cithare, pour faire plus exotique sans doute. Dans plusieurs versions des années 60, comme celle de Boskovsky, on a fait appel à un musicien resté célèbre pour un film qui a donné à l’acteur Orson Welles l’un de ses plus grands rôles, Le Troisième homme. L’auteur du thème de Harry Lime est un artiste qui jouait dans une brasserie du Prater, Anton Karas (1906-1985)

Mes deux versions préférées de ces Légendes sont du même chef, Rudolf Kempe (1910-1976), resté justement célèbre pour son intégrale symphonique de l’autre Strauss (Richard), qui a gravé quelques anthologies de la famille Strauss, d’abord à Vienne en 1959, puis dix ans plus tard à Dresde.

Rudolf Kempe / Wiener Philharmoniker

Rudolf Kempe / Staatskapelle Dresde

J’ai dans ma discothèque une unique version chantée de cette valse : Rita Streich (1920-1987) y déploie tous ses sortilèges

(Barbirolli, Barenboim, Bernstein, Boskovsky x2, Dorati, Fiedler, Fricsay, Guth, Harnoncourt, Horenstein, Karajan x3, Kempe x2, Knappertsbusch, Krauss, Maazel x3, Mehta, Muti, Ormandy, Felix Slatkin, Stolz, Walter, Wildner)

8. Künsterleben / Vie d’artiste

Cette valse suit de peu le succès du Beau Danube bleu. L’introduction orchestrale de cette valse est un pur moment de poésie. Certains s’y attardent tellement qu’ils en oublient de valser. Ce n’est pas le cas d’un chef qui, comme Fiedler à Boston, connaissait par coeur ses classiques à Hollywood, Felix Slatkin (1915-1963),

(Bernstein, Boskovsky x2, Dorati, Fiedler, Guth, Horenstein, Jansons, Karajan x4, Keilberth, Carlos Kleiber, Maazel, Ozawa, Paulik, Reiner, Sawallisch, Felix Slatkin, Stolz)

9. Lagunen Walzer / Valse de la lagune

La valse créée en 1883 reprend – d’où son titre ! – une grande partie des thèmes de l’opérette Une nuit à Venise. J’en aime le début qui semble ouvrir sur tous les matins du monde et qui, contrairement à bien d’autres valses de Strauss, semble inexorablement optimiste.

Je n’avais pas beaucoup aimé le concert du 1er janvier 2025 censé ouvrir les célébrations du bicentenaire Strauss. Riccardo Muti qu’on a connu fringant et conquérant, dès son premier concert de l’An viennois en 1993, semblait ici engoncé, excessivement retenu. Finalement sa version est l’une des plus convaincantes.

Autre grand habitué des concerts de Nouvel an – Lorin Maazel – très irrégulier d’une année à l’autre :

(Boskovsky x2, Oliver Dohnanyi, Horenstein, Jansons, Maazel, Muti, Stolz)

10. Seid umschlungen Millionen / Embrassez-vous par millions

Un petit air d’ode à la joie ? Ce sont bien les mêmes mots qu’emploient Schiller et Beethoven dans le finale de la 9e symphonie, ce sont eux qui donnent son titre à cette valse créée en 1893. Mélancolique souvent, joyeuse parfois, ce n’est pas la plus aisée à diriger. On retrouve, comme par hasard, Abbado en 1988.

(Abbado, Barenboim, Boskovsky, Harnoncourt, Maazel, Stolz, Alfred Walter)

Ce choix de dix valses est éminemment subjectif, comme le choix des interprètes. J’ai surtout voulu attirer l’attention sur des versions dignes d’intérêt, moins connues ou repérées.

Il existe une intégrale symphonique de l’oeuvre de Johann Strauss parue chez Naxos. L’ensemble est assez médiocre du côté des orchestres et des chefs, mais au moins il y a toute l’oeuvre éditée de Strauss !

* Le titre de cette série est bien sûr un clin d’oeil, Strauss voulant dire « bouquet » en allemand… et en viennois !

Demain 2e volet de cette mini-série sur les opérettes et oeuvres vocales de Johann Strauss

Et toujours humeurs et bonheurs du jour à lire dans mes brèves de blog

Musiques papales

Depuis lundi et l’annonce de la mort du pape François (voir 21.04.2025), on décortique tout de sa personnalité, ses goûts, ses pratiques culturelles. On savait son prédécesseur Benoît XVI fin mélomane et jouant lui-même du piano et frère de Georg Ratzinger, longtemps chef des Petits Chanteurs de Ratisbonne (Regensburger Domspatzen). Un article du journal canadien Le Devoir nous éclaire sur les goûts musicaux du défunt pape : Un souverain pontife amoureux de la musique classique.

Quant aux musiques associées au Vatican – dont je suis loin d’être un spécialiste – on est loin, en termes de notoriété, de Venise, Londres, Vienne ou même Paris. Je ne suis pas sûr que spontanément on arrive à citer les compositeurs qui ont officié à Saint-Pierre-de-Rome.

Palestrina (1525-1594)

Comme Vivaldi est associé à Venise, Pierluigi da Palestrina est lié à Rome où il est né et mort, où il devint maître de chapelle de Saint-Pierre, laissant entre autres cette célèbre Messe du pape Marcel

Benevolo (1605-1672)

Hervé Niquet aura largement contribué à faire connaître l’oeuvre étonnante de l’un des successeurs de Palestrina, le Romain Orazio Benevolo (ou Benevoli)

Alessandro Scarlatti (1660-1725)

Alessandro Scarlatti né à Palerme, mort à Naples, passe deux longues périodes de sa vie à Rome. On lui doit entre autres le motet Tu es Petrus, qui inspire quantité de compositeurs comme Liszt

L’hymne du Vatican

Je découvre que l’hymne officiel du Vatican – Inno e Marcia Pontificale -a été composé par le Français Charles Gounod !

Légendaires

Parmi les expressions faciles qui m’agacent prodigieusement dans la bouche ou sous la plume de certains journalistes lorsque survient la disparition d’un artiste : « la mort d’une légende« . Tel guitariste, tel batteur de jazz, tel chanteur, qui parfois n’est connu que de ses fans (qui peuvent être nombreux) devient ainsi une « légende« . On a parfois droit à « la mort d’une légende vivante » (Pierre Dac pas mort !)

Le mot « légende » et le qualificatif « légendaire » devraient être utilisés avec parcimonie, si l’on ne veut pas qu’ils perdent leur sens.

Le label munichois Orfeo, fondé en 1979, publie, à l’occasion de son 40ème anniversaire trois coffrets de 10 CD consacrés à des artistes présentés comme… légendaires ! On voit bien la commodité pour le marketing, et dans 90 % des cas, il s’agit bien de musiciens et/ou d’interprétations entrés dans la légende, mais pour des artistes encore en activité, dans la fleur de l’âge, le temps n’a pas encore fait son oeuvre, qui pourra peut-être un jour les ranger au rayon des… légendes !

Les chefs

C’est certainement le coffret dont l’appellation est la plus justifiée : ces onze chefs sont entrés depuis longtemps dans la légende de la direction d’orchestre. Rien d’inédit dans ce coffret mais des minutages parfois plus généreux que sur les CD d’origine (ainsi Mitropoulos dirigeant la 5ème symphonie de Prokofiev en 1954 rejoint-il l’insurpassable 4ème de Beethoven de Carlos Kleiber).

Avantage considérable à ce regroupement en un coffret à petit prix (on conseille à nouveau de faire le tour des sites de vente, pour comparer les prix qui peuvent varier considérablement d’un pays à l’autre) : la distribution du label en France a parfois été aléatoire et on n’en pas nécessairement suivi toutes les parutions. Précision utile : il ne s’agit que de prises de concert, magnifiquement captées par les micros de la radio autrichienne ou de la radio bavaroise.

Les chanteurs

Il y a de pures merveilles dans le coffret réservé aux « voix légendaires », mais on est plus circonspect quant à sa composition. À la différence des deux autres coffrets, il ne s’agit que d’enregistrements de studio, ce qui ne réduit en rien leur valeur artistique.

On est très heureux d’entendre le ténor polonais Piotr Beczala, né en 1966, la soprano bulgare Krassimira Stoyanova (1962) ou sa consoeur canadienne Adrianne Peczonka (1963), faire valoir l’étendue de leur talent, la richesse de leur timbre, mais on n’est pas certain qu’on puisse encore qualifier ces interprètes de « légendaires« 

Il y a de vraies curiosités comme ces chansons napolitaines sans vulgarité de Franco Bonisolli (1938-2003) ou ces duos improbables et magnifiques entre Carlo Bergonzi et Dietrich Fischer-Dieskau. Les récitals d’Agnes Baltsa et d’Edita Gruberova montrent ces artistes à leur meilleur, mais les vraies pépites du coffret sont les immenses Julia Varady (1941)- qu’attend Orfeo pour regrouper la meilleure et la plus complète série d’enregistrements de la cantatrice roumaine ? – Grace Bumbry (1937) et Brigitte Fassbaender (1939).

Quant au coffret sur les pianistes, il est commandé, j’attends de l’avoir reçu pour l’évoquer. Suite au prochain épisode !

Beethoven 250

 

À plus d’un an du 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven (Bonn, 16 décembre 1770), les éditeurs fourbissent déjà leurs coffrets. Le premier à dégaîner Universal (Deutsche Grammophon Decca) propose rien de moins qu’une « nouvelle édition complète » de l’oeuvre intégrale du compositeur allemand.

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Ne pas croire cependant qu’il s’agit de nouveaux enregistrements, sauf pour certaines raretés. Plutôt d’une habile compilation du fonds considérable accumulé par la Deutsche Grammophon, Philips et Decca, avec des minutages très généreux (souvent supérieurs à 80′). : 118 CD, 3 Blue Ray Audio avec les symphonies de Karajan (1961-63), les sonates pour piano de Kempff (1963-1971) et les quatuors par les Amadeus (1959-1965). 2 DVD (Fidelio/Bernstein et les symphonies 4 et 7 dirigées par Carlos Kleiber au Concertgebouw). Le tout à un prix plus qu’attractif pour une somme pareille (env. 220 €).

Seule déception : l’ouvrage richement illustré qu’on découvre dans le coffret, tout comme les livrets qui accompagnent chaque catégorie de CD (musique orchestrale, piano, etc.), n’ont manifestement pas été conçus pour le public français, puisqu’ils ne sont présentés qu’en allemand et en anglais. Mais rien à dire sur la qualité et la quantité d’informations fournies (lieux, dates d’enregistrement, etc.)

Sur le contenu, voir le détail complet iciBEETHOVEN THE NEW COMPLETE EDITION.

Quant au choix des versions retenues dans ce coffret, on pourra toujours critiquer ou s’interroger sur certaines options.

Sur le corpus symphonique, l’éditeur ne manifeste pas une grande confiance envers la dernière intégrale en date, puisqu’il n’en a gardé que les 7ème et 8ème symphonies. Il faut dire que la déception est grande à l’écoute d’Andris Nelsons et de l’orchestre philharmonique de Vienne. 

On n’est pas loin de partager l’avis de Pascal Brissaud qui souligne les précédents ratages de Rattle et Thielemann avec les mêmes Wiener Philharmoniker : Le chef letton, qui adopte une approche très traditionnelle -tempos, tendance vif, mais sans rien de la virtuosité et de la culture sonore d’un Karajan par exemple, phrasés, couleurs, articulations-, sans souci particulier d’exactitude historique ou de renouvellement du texte, sculpte les phrases et les contre-phrases, les irise, musarde dangereusement, le signifiant prenant presque toujours le pas sur le signifié, pour le moins nébuleux, au-delà d’un lustre ou d’un chatoiement de façade, où de grands éclats cuivrés alternent sans grande consistance avec des alanguissements lyriques assez fades. Nelsons s’approche assez de la lumière et de la générosité d’un Bruno Walter, dont il n’a pas tout à fait le galbe et le génie de la couleur : son objectif semble de rendre présent les aspects les plus humains, les plus sensibles, les plus lumineux de cette musique, au risque de s’attarder jusqu’à l’évanescence au chaud soleil du lyrisme beethovénien, sans aucune considération pour les ténèbres, le démonisme ou la dette métaphysique de cette musique que d’autres (de Furtwängler ou Klemperer à Harnoncourt ou même, paradoxalement, le tout récent et sublimement objectif Blomstedt/Gewandhaus), ont su magnifier. Ceci nous vaut d’excellentes symphonies 1, 2, 4 et 8 (cette dernière sans humour, hélas) même si le naturel de la propulsion et le jeu des accents apparaissent un rien timides et bien peu interrogatifs. En revanche, l’Héroïque manque de vigueur, d’aspérités et de drame, noyée dans une euphonie un brin superficielle, à l’instar de la Cinquième, dont le scherzo, sans aucun mystère, échoue à ouvrir sur la surprise d’un finale ici trop convenu. La Pastorale reste un chromo assez plat (et là encore, sous-dramatisé : les mvts 3 et 4 ! ) qui n’ouvre sur aucun mysticisme. La Septième, sous-dimensionnée (dès l’introduction lente), pâtit de temps intermédiaires trop édulcorés (même si l’inhabituelle poésie de l’allegretto ne manque pas d’intérêt) et la Neuvième, extraordinairement aérée et lumineuse, d’une approche sans hauteur ni profondeur, où les tensions apparaissent insuffisamment marquées et d’où la subjectivité est trop absente pur en révéler le caractère d’exception ».

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Abbado, Bernstein, Böhm, Chailly, Giulini, Fricsay, Karajan, Carlos Kleiber, Monteux, NelsonsSchmidt-Isserstedt se partagent les symphonies côté versions « traditionnelles », on nous ressert Gardiner pour les versions « historiquement informées » et on a puisé dans les archives des extraits de versions archi-connues (dont la toute première Cinquième enregistrée, en 1913, par Arthur Nikisch), Furtwängler, Richard Strauss, Van Kempen, Karajan 1941, etc.  (détails à voir sur bestofclassic). Le 1er BluRay Audio redonne la première intégrale Karajan/Berlin)

Même mélange pour les concertos, avec des choix plus audacieux peut-être comme deux « live » de Martha Argerich (le 1er concerto avec Ozawa et le Mito chamber orchestra, le 2ème avec Chmura et l’orchestre de la Suisse italienne, capté à Lugano), les 3ème et 4ème tirés de l’intégrale Brendel/Rattle/Vienne, le 5ème par Zimerman/Bernstein, mais aussi Buchbinder/Thielemann (1), Gulda/Stein (2), Pollini/Abbado (3), Pollini/Böhm (4), Kempff/Leitner (5), pour le concerto pour violon les choix un peu étranges de la récente version Repin/Muti ou de Mutter/Karajan (bien compassée), mais très bienvenu pour Schneiderhan/Jochum. Même étonnement pour le choix de la version du trio Chung pour le Triple concerto. (détails sur bestofclassic).

https://www.youtube.com/watch?v=p8SilqdtUAo

Pour les autres oeuvres d’orchestre (ouvertures, ballets, musiques de scène), le nouveau coffret ne fait que reprendre des versions déjà publiées et republiées par DGG lors de précédents « anniversaires » ! Pour Fidelio, le choix en CD s’est porté sur la dernière version d’Abbado avec Kaufmann/Stemme, et un CD d’extraits des versions historiques de Böhm, Fricsay, Karajan. C’est Bernstein qui a été retenu pour l’un des 2 DVD du coffret.

La Missa solemnis est proposée dans deux versions, Gardiner et la première Karajan (1964).

Pour les sonates pour piano, outre le BluRay Audio de l’intégrale Kempff, les choix nous semblent particulièrement pertinents. On est heureux, en particulier, de retrouver les premières gravures beethovéniennes de Stephen Kovacevich (réalisées dans les années 70 pour Philips) pour plusieurs sonates et surtout les Variations Diabelli

Arrau, Brendel, Gilels, Pollini se partagent, sans surprise, les autres sonates. Plus rares, Demus, Kocsis, Freire, Lupu, Perahia, Uchida, Ashkenazy, et même Hélène Grimaud et Kissin.

La musique de chambre fait appel aux valeurs sûres, souvent consacrées (Kremer, Maisky, Argerich, Dumay, Pires, le Beaux Arts trio, les quatuors Emerson et Italiano (le 3ème BluRay Audio nous offre la célèbre intégrale des Amadeus).

https://www.youtube.com/watch?v=dSb86IJdrHs

On prendra un peu plus de temps à découvrir la centaine de de songs irlandais, écossais, gallois et de chants populaires collectés par Beethoven, dans les interprétations de référence d’artistes britanniques réunis autour de Felicity Lott, Ann Murray, Thomas Allen…

Warner annonce, dans quelques semaines, un coffret Beethoven Complete Works… en 80 CD ! A rebours de la variété de versions et d’approches proposées par le coffret Universal, il s’agira d’une compilation d’intégrales homogènes (les symphonies par Harnoncourt, les sonates par Kovacevich (2ème version), etc.)

Détails complets du coffret DGG/Decca : BEETHOVEN 250 THE NEW COMPLETE EDITION

Fille de l’Elysée

On me taxera (le mot est à la mode !) d’incorrigible optimisme, de douce rêverie, si, à la veille d’une journée qu’on ne cesse de nous présenter comme celle de tous les dangers, j’ose en appeler à la fraternité, me mettant dans les pas, les vers et les notes de Schiller et Beethoven.

Souvenez-vous, c’était aux accents de la 9ème symphonie de Beethovenque le président de la République tout juste élu était venu saluer la foule qui se pressait dans la cour du Louvre. Les accents seulement, les paroles manquaient. Elles n’en prennent que plus de relief dix-huit mois après : Ô joie…. Fille de l’Elysée

Freude, schöner Götterfunken
Tochter aus Elysium,
Wir betreten feuertrunken,
Himmlische, dein Heiligtum!
Deine Zauber binden wieder
Was die Mode streng geteilt;
Alle Menschen werden Brüder,
Wo dein sanfter Flügel weilt.

Wem der große Wurf gelungen,
Eines Freundes Freund zu sein;
Wer ein holdes Weib errungen,
Mische seinen Jubel ein!
Ja, wer auch nur eine Seele
Sein nennt auf dem Erdenrund!
Und wer’s nie gekonnt, der stehle
Weinend sich aus diesem Bund!

Freude trinken alle Wesen
An den Brüsten der Natur;
Alle Guten, alle Bösen
Folgen ihrer Rosenspur.
Küsse gab sie uns und Reben,
Einen Freund, geprüft im Tod;
Wollust ward dem Wurm gegeben,
und der Cherub steht vor Gott.

Froh,
wie seine Sonnen fliegen
Durch des Himmels prächt’gen Plan,
Laufet, Brüder, eure Bahn,
Freudig, wie ein Held zum Siegen.

Seid umschlungen, Millionen!
Diesen Kuß der ganzen Welt!
Brüder, über’m Sternenzelt
Muß ein lieber Vater wohnen.
Ihr stürzt nieder, Millionen?
Ahnest du den Schöpfer, Welt?
Such’ ihn über’m Sternenzelt!
Über Sternen muß er wohnen.

Joie ! Joie ! Belle étincelle divine,
Fille de l’Elysée,
Nous entrons l’âme enivrée
Dans ton temple glorieux.
Ton magique attrait resserre
Ce que la mode en vain détruit ;
Tous les hommes deviennent frères
Où ton aile nous conduit.

Si le sort comblant ton âme,
D’un ami t’a fait l’ami,
Si tu as conquis l’amour d’une noble femme,
Mêle ton exultation à la nôtre!
Viens, même si tu n’aimas qu’une heure
Qu’un seul être sous les cieux !
Mais vous que nul amour n’effleure,
En pleurant, quittez ce choeur !

Tous les êtres boivent la joie,
En pressant le sein de la nature
Tous, bons et méchants,
Suivent les roses sur ses traces,
Elle nous donne baisers et vendanges,
Et nous offre l’ami à l’épreuve de la mort,
L’ivresse s’empare du vermisseau,
Et le chérubin apparaît devant Dieu.

Heureux,
tels les soleils qui volent
Dans le plan resplendissant des cieux,
Parcourez, frères, votre course,
Joyeux comme un héros volant à la victoire!

Qu’ils s’enlacent tous les êtres !
Ce baiser au monde entier !
Frères, au-dessus de la tente céleste
Doit régner un tendre père.
Vous prosternez-vous millions d’êtres ?
Pressens-tu ce créateur, Monde ?
Cherche-le au-dessus de la tente céleste,
Au-delà des étoiles il demeure nécessairement.

https://www.youtube.com/watch?v=IInG5nY_wrU

Une 9ème de Beethoven historique, dirigée par Leonard Bernsteinaprès la chute du mur de Berlin. Le mot Freude (joie) avait été remplacé par Freiheit (liberté). Il commence comme le beau mot français de Fraternité.

Le mensuel Classica n’a pas hésité à relever le défi de comparer à l’aveugle des dizaines de versions du chef-d’oeuvre de Beethoven.

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Yannick Millon, Jean-Charles Hoffelé et le compositeur Patrick Burgan, nous livrent d’abord une passionnante analyse de la discographie pléthorique de l’oeuvre, en ne retenant que les versions en stéréo. Et le résultat de leur écoute comparée est pour le moins inattendu, tant il s’éloigne des « références » toujours avancées. Ce classement me plaît beaucoup, notamment la première place : un chef – Hans Schmidt-Isserstedt – auquel je consacrerai bientôt un portrait discographique, un orchestre qui « respire » naturellement Beethoven. Mais la suite est tout aussi captivante.

 

71dBai-6wuL._SL1411_(Decca 1965, Hans Schmidt-Isserstedt, Orch.phil.Vienne, Joan Sutherland, Marilyn Horne, James King, Martti Talvela)

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(Bis 2006, Osmo Vänskä, orchestre du Minnesota, Helena Juntunnen, Katarina Karneus, Daniel Norman, Neal Davies)

https://www.youtube.com/watch?v=XYFSPCh2fwY

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(Decca 1969, Eugen Jochum, Concertgebouw Amsterdam, Liselotte Rebmann, Anna Reynolds, Karl Ridder, Gerd Feldhoff)

812Brw+ZYOL._SL1395_(Deutsche Grammophon 1962, Herbert von Karajan, orch.phil.Berlin, Gundula Janowitz, Hilde Rössel-Majdan, Waldemar Kmentt, Walter Berry)

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(Deutsche Grammophon 1957, Ferenc Fricsay, orch.phil.Berlin, Irmgard Seefried, Maureen Forrester, Ernst Haefliger, Dietrich Fischer-Dieskau)

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(Warner 1991, Nikolaus Harnoncourt, orchestre de chambre d’Europe, Charlotte Margiono, Birgit Remmert, Rudolf Schasching, Robert Holl)

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(Sony 1961, George Szell, orch. Cleveland, Adele Addison, Jane Hobson, Richard Lewis, Donald Bell)

71PECzzfAiL._SL1400_(Archiv/DGG 1992, John Eliot Gardiner, orchestre Révolutionnaire et Romantique, Luba Orgonasova, Anne Sofie von Otter, Anthony Rolfe-Johnson, Gilles Cachemaille)

 

 

 

La découverte de la musique (III) : l’été 73

Six mois après la mort brutale de mon père (dernière demeure), que faire de mon été 1973 ? J’avais fait le projet d’aller visiter la Hongrie puis la Roumanie où j’avais des « correspondants » qui, après de longs mois d’échanges de lettres, étaient impatients de voir en vrai ce jeune Français venu de l’autre côté du rideau de fer. Je m’étais renseigné sur le parcours en train, ce n’était pas vraiment l’Orient-Express, mais on n’en était pas loin. Des cousins de la famille de mon père, installés à Brie-Comte-Robert en région parisienne, habitués aux longs voyages en voiture (ils avaient fait d’incroyables trajets, jusqu’en Afghanistan !), me déconseillèrent de partir seul en train (je n’avais pas 18 ans), et me proposèrent de faire le voyage prévu en voiture. Avec un cousin de quelques années plus âgé que moi, et mélomane de surcroît.

Nous voici donc partis de Brie-Comte-Robert, le coffre de la Peugeot 204 chargé de boites de conserve et de matériel de camping, les bagages sur la banquette arrière, un lecteur de cassettes audio dernier cri.

11822239_620x465Première halte à Munich un samedi, mon cousin Pierre étant catholique pratiquant, nous repérons une église où suivre la messe le lendemain. Il est indiqué sur la porte que l’orchestre et le choeur de l’église en question joueront pendant l’office la messe dite « des moineaux » de Mozart. 

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Je trouverai vite un disque, qui ne m’a jamais quitté, de cette messe vraiment brève et de la plus imposante messe dite « du couronnement », magnifiquement dirigées par l’abbé Karl Forster chef du choeur de la cathédrale Sainte-Edwige de Berlin.

Etape suivante : Salzbourg. Une visite de la ville natale de Mozart qui ne me laissera pas un grand souvenir, sauf celui de n’être pas à ma place un soir aux abords du palais des festivals où se pressent messieurs en smoking et dames en robe longue, sortant de luxueuses limousines. C’est donc cela le festival de Salzbourg ?

Sur la route, mon cousin conduit, je me charge de l’accompagnement musical. Il est plutôt musique ancienne, cantates de Bach (j’en reparlerai dans un prochain épisode), moi plutôt musique romantique ou « légère ». J’ai enregistré sur une cassette deux disques sortis au printemps 1973 et je ne me lasse pas de les réécouter.

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Je suis complètement fasciné par le traitement que Karajan réserve à la musique de ballet de Manuel Rosenthal sur des thèmes d’Offenbach Gaîté parisienne, élégance, sophistication, pure beauté de l’orchestre, sans une once de vulgarité. Je découvrirai quelques années plus tard une version encore supérieure, celle que Karajan grava avec le Philharmonia à la fin des années 50.

Quant aux Vier letzte Lieder de Richard Strauss, dans l’ultime version Schwarzkopf, que mon cousin appréciait peu, je pouvais difficilement m’en détacher. Encore aujourd’hui, c’est resté, avec Gundula Janowitz/Karajan, ma version de chevet.

Après une étape rapide à Vienne, sans concert ni musique, l’expédition continue cette fois au-delà du rideau de fer. Le passage de la frontière hongroise se fait étonnamment vite, nous avons juste un visa de transit de 48 h, nous passerons une seule nuit dans un camping de Budapest. Nous avons rendez-vous avec mon correspondant hongrois, dans la banlieue de la capitale magyare. Pas de GPS, très peu de panneaux indicateurs, peu de routes et de rues goudronnées. Je ne sais par quel miracle nous parvenons à trouver la modeste maison familiale. Le grand-père parle un peu allemand, la mère juste le hongrois, mon correspondant mal le français. Il est pressé de profiter de notre présence pour sortir dans un parc de loisirs avec bars et discothèques « à l’occidentale » sur l’île Elizabeth. Nous n’y passons qu’une petite heure, la nuit est avancée, il faut le ramener chez lui et retrouver notre camping, nous y mettrons deux heures à tourner en rond, à nous égarer. Nous promettons à S. de repasser le voir à notre retour deux semaines plus tard. Le lendemain matin, avant de mettre le cap sur la Roumanie, nous visitons le centre de Budapest, je trouve un magasin de disques, je voudrais trouver du piano, des concertos. J’ai beau dire piano, Klavier, pianoforte avec tous les accents possibles, le vendeur ne comprend pas ma demande. Au rayon Brahms, je finis par trouver quelque chose qui ressemble à ce que je cherche, mais tout le disque est écrit en hongrois (pas comme sur la pochette « internationale » ci-dessous) . Et concerto pour piano se dit zongoraverseny !

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Je découvrirai donc le 1er concerto de Brahms dans cette version hongroise pur jus.

Cela ne vaut sans doute pas les références Curzon/Szell, Anda/Fricsay ou Arrau/Giulini, mais pour moi c’est l’indissoluble souvenir d’un premier été à Budapest…

Demain suite du voyage : la Roumanie, Bucarest, la Bucovine, Enesco.

 

Silence

« De tous ceux qui n’ont rien à dire, les plus agréables sont ceux qui se taisent » (Coluche, Pensées et anecdotes).

Jamais le côté « café du commerce » de la Toile, des réseaux sociaux, Facebook surtout, ne m’a paru plus insupportable que depuis dimanche. L’effet de sidération, de stupeur, qui nous avait tous saisis dès vendredi soir, s’étant estompé, les pires vannes se sont ouvertes. Pourtant je suis resté connecté sur ces réseaux, j’ai essayé de partager les questions, les analyses, les commentaires de beaucoup de mes amis et relations.

Comme tout le monde, j’essaie de comprendre, d’écouter ceux qui en savent plus que moi, je fais appel aussi aux ressources de ma conscience, de ma mémoire. Et finalement je préfère le silence, qui n’est pas l’indifférence, le repli sur soi. Qui peut être communion avec ceux qui ne sont plus, avec ceux qui restent et pleurent leurs morts, avec ceux qui veulent vivre.

J’ai eu besoin de beaucoup de musique. Comme celles-ci :

Schubert à retrouver dans le magnifique coffret que publie Decca pour les 70 ans de Radu Lupu (http://bestofclassic.skynetblogs.be/archive/2015/11/15/radu-lupu-au-singulier-8528752.html)

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La 6eme symphonie n’est pas la plus connue ni jouée des symphonies de Bruckner, et pourtant j’y reviens souvent, à cet extraordinaire adagio d’une grandeur infinie.

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https://www.youtube.com/watch?v=hjxpYRAkKSA

La voix, le timbre de la grande contralto canadienne Maureen Forrester (https://fr.wikipedia.org/wiki/Maureen_Forrester) me bouleversent à chaque écoute. Le label Praga vient de rééditer deux versions de référence, parues séparément au début des années 60, des cycles de Mahler, Des Knaben Wunderhorn et les Rückert Lieder.

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https://www.youtube.com/watch?v=SEXWM94xwI8

La pureté, la simplicité, l’essence de ce chant de douleur de Bach, sous les doigts de ma grand-mère préférée du piano russe, Tatiana Nikolaieva que j’ai eu la chance de côtoyer dans un jury à Genève et surtout d’entendre en concert. Je reviens souvent à ses Bach et ses Beethoven, gorgés d’humanité.

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J’ai dû écouter ces derniers jours plusieurs versions de l’ultime chef-d’oeuvre de Rachmaninov, ses Danses symphoniques. Aucune n’atteint l’intensité du désespoir que Kirill Kondrachine exprime dans le 2e mouvement, cette valse de fin du monde, ces trompettes hurlantes qui ouvrent le bal tragique. Ecouter à partir de 11’10 » (mais les trois Danses sont de la même eau)

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Préférence nationale

Je relevais dans un précédent billet (https://jeanpierrerousseaublog.com/2015/10/21/frontieres/) les étranges frontières qui subsistent dans un univers musical et culturel qu’on pourrait croire mondialisé. Des carrières florissantes dans un pays, piteuses dans un autre. Des célébrités à Londres ou Bruxelles, des inconnus à Berlin ou Paris.

J’observe depuis longtemps – et c’est sans doute plus légitime – le phénomène d’une sorte de préférence nationale, d’autres diraient chauvinisme, dans la presse et la critique musicales. C’était flagrant dans les gros guides discographiques que publiaient naguère Penguin, Gramophone, Diapason, Fayard ou Laffont.

Même si j’ai aujourd’hui une raison supplémentaire d’avoir une préférence pour un mensuel français – Diapason pour ne pas le nommer – je lis toujours plusieurs magazines, anglais, français, allemands. Pour le plaisir de comparer, de découvrir des approches, des points de vue différents.

J’aime beaucoup nos amis anglais, il est rare que leur compétence, leur expertise souvent encyclopédique de tel ou tel domaine, puissent être prises en défaut. Mais assez systématiquement ils privilégient les interprètes britanniques, toujours mieux notés à critères comparables que des musiciens continentaux. Le flagrant délit de mauvaise foi est parfois caractérisé, comme pour cette parution récente d’une phalange londonienne, qui bénéficie de la note maximum de la part de ce critique de BBC Music Magazine, alors que rien, vraiment rien, ne justifie une telle cotation.

Je me doute qu’on pourrait trouver à redire à certaines critiques d’interprètes français, dans des journaux français, certains musiciens étant systématiquement encensés, d’autres tout aussi systématiquement ignorés ou négligés. Le phénomène s’est largement estompé ces dernières années.

Une belle occasion nous est fournie, en ce mois de novembre, de confronter les visions, les options, de deux grands magazines, de part et d’autre du Channel, sur un même sujet : Beethoven. BBC Music Magazine consacre un dossier très complet, didactique et argumenté, aux symphonies, à leurs interprètes (les choix sont plutôt inattendus, et ne se limitent pas aux traditionnelles « références ») ainsi qu’à l’unique opéra du grand sourd, Fidelio – là le résultat des courses est très nettement différent de celui du mensuel français. En supplément du magazine, un CD Beethoven avec un pianiste, John Lill, un septuagénaire célèbre au Royaume-Uni, inconnu en France…

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Diapason publie un nouveau coffret « idéal » de l’oeuvre de Beethoven (après les Symphonies), confrontation des versions, des interprètes, regard critique des musiciens d’aujourd’hui sur leurs collègues d’hier.

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http://www.diapasonmag.fr/actualites/a-la-une/beethoven-concertos-ouvertures-fidelio-messes.-le-vol.-v-de-la-discotheque-ideale-de-diapason-est-arrive

Le numéro de novembre comporte une discographie très complète de Fidelio, qui ne ressemble que de très loin à ce que préconise le magazine britannique, sauf sur un point qui fait l’unanimité des deux côtés de la Manche : le raté Rattle (EMI)

Disques d’été (VII) : Nuits dans les jardins d’Espagne

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L’oeuvre est centenaire, pas vraiment un concerto, ni un poème symphonique, une suite de trois tableaux, de trois évocations plutôt. C’est en 1915 que Manuel de Falla écrit ses Nuits dans les jardins d’Espagne, qu’il dédie à son compatriote, le pianiste Ricardo Viñes. Ce n’est pourtant pas lui qui crée l’oeuvre le 9 avril 1916 au Teatro Real de Madrid mais José Cubiles avec l’orchestre symphonique de Madrid dirigé par Enrique Fernandez Arbos.

Le premier volet a un rapport direct avec Grenade et les photos ci-dessus : En el Generalife / Dans les jardins du Generalife, le palais d’été des princes Nasrides, leurs jardins fleuris de jasmins et de roses, leurs fontaines (https://fr.wikipedia.org/wiki/Généralife)

Les deux autres volets ou mouvements sont intitulés : Danza lejana et En los jardines de la sierra de Cordoba.

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J’ai découvert l’oeuvre par la version mythique de Clara Haskil et Igor Markevitch, à la grande époque de l’orchestre des Concerts Lamoureux. La discographie n’est pas surabondante, mais on trouvera son bonheur dans ces six versions qui savent jouer des ombres et des lumières de l’oeuvre de Falla. Liste non exhaustive, classée par ordre de mes préférences ! Orozco/Colomer (Valois), Larrocha/Commisiona (Decca), Haskil/Markevitch (Philips/Decca), Soriano/Frühbeck de Burgos (EMI/Warner), Rubinstein/Jorda (RCA), Weber/Fricsay (DGG).

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Une version sans doute pas idiomatique, mais attachante : Barenboim au piano, Placido Domingo à la direction :

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http://lemondenimages.me/2015/08/23/les-jardins-de-lalhambra/