Prendre pour titre de ce billet l’une des chansons les plus ringardes du chanteur le plus ringard du siècle passé* m’expose à des critiques et des quolibets que le contenu de cet article, je l’espère, ne justifiera pas.
L’anniversaire de Françoise P.
75 ans de mariage, ce sont des noces d’albâtre. 75 ans de vie de musique et de talent, c’est l’anniversaire que vient de fêter, sans aucunement s’en cacher, la cantatrice française Françoise Pollet. Qu’attendent les éditeurs de disques qui l’ont enregistrée au sommet de sa gloire pour rééditer ces trésors et lui rendre l’hommage qui lui est dû?
Tiens, puisque j’évoque l’albâtre, écoutez ce Spectre de la rose, la deuxième des Nuits d’été de Berlioz,
Je n’oublie évidemment pas ce grand moment du Festival Radio France 2021 : la Masterclass impériale de Françoise Pollet, si riche d’humanité, d’humour et d’expérience.
Une déclaration à Marthe K.
Je crois que j’ai toujours été secrètement amoureux de Marthe Keller, j’ai aimé tous ses films
(avec une tendresse particulière pour Fedora de Billy Wilder)
Je ne me rappelle pas l’avoir vue sur scène, mais je l’ai très souvent aperçue au concert assise dans le public. Et je n’ai jamais osé lui avouer mon admiration (qu’en aurait-elle eu à faire ?).
Je l’aime plus encore maintenant que j’ai lu ce qui ressemble à des mémoires, mais qui sont plutôt une suite d’instantanés, très bien écrits – pas de « gras », pas de circonvolutions, à la pointe sèche -. Les souvenirs de stars sont rarement passionnants, la vie de Marthe Keller est, au contraire, fascinante. Et son amour, sa connaissance de la musique et des musiciens – son travail avec Ozawa par exemple, ses mises en scène d’opéra, ses créations – ne font renforcer mon admiration. Et puis ce délicieux accent suisse allemand qui me la rend si proche…
Version 1.0.0
Les sons d’Elsa
Jusqu’à jeudi dernier, je ne savais pas grand chose ni de la personnalité ni de la musique d’Elsa Barraine (1920-1999). Il a fallu que l’Orchestre national de France et son chef Cristian Măcelaru décident d’inscrire à leur programme de rentrée la 2e symphonie de la compositrice française pour que je découvre une auteure vraiment originale. Lire ma critique sur Bachtrack :L’ouverture de saison contrastée du National à Radio France
Comme me le confiait le chef à l’issue du concert, un disque d’oeuvres symphoniques d’Elsa Barraine vient d’être enregistré par l’Orchestre national, avec notamment Le fleuve rouge, un poème symphonique de 1945. Cristian Măcelaru s’amusait du caractère très « communiste » de ce nouvel enregistrement, qu’on attend avec d’autant plus d’impatience que la discographie de la compositrice est pour le moins étique.
En bis, jeudi soir, l’Orchestre national et son chef offraient un extrait du ballet Callirhoé de Cécile Chaminade.
Tout au long de la saison, le chef et l’orchestre proposeront ainsi des « bis » de compositrices, reprenant ainsi la formidable idée du Palazetto Bru Zane qui nous avait fait le cadeau d’un coffret de 8 CD d’inédits au printemps 2023.
C’est une visite que je n’aurais peut-être pas faite, si dans mon entourage il n’y avait de fervents lecteurs de Zola. J’ai peu lu Emile Zola en dehors de l’Assommoir, sans doute parce que mes inclinations d’adolescent et d’étudiant me portaient plus vers la littérature russe ou allemande.
Mais j’avais lu que la maison de l’écrivain à Médan avait été restaurée et rouverte au public en 2018, j’avais surtout en mémoire l’inauguration en octobre 2021 par le président de la République du musée Dreyfus, jouxtant la maison de Zola, installé dans le petit pavillon où il logeait ses amis.
J’ai donc profité de ce dimanche de pluie et de vent pour visiter ces lieux en bord de Seine.
Cette maison d’Emile et Alexandrine Zola a une histoire pour le moins originale à lire ici : La Maison Zola.
Il y a toujours une émotion particulière à visiter les lieux où ont vécu, travaillé, créé, écrivains, compositeurs, peintres et autres artistes, même si, en l’espèce, le mobilier et les décors d’origine ont été en grande partie dispersés.
J’ai appris en visitant le grand salon reconstitué de la maison que Zola était un bon musicien, jouant de la clarinette et de l’harmonium !
La petite salle à manger et la modeste cuisine (qui ressemble un peu à celle de Monet à Giverny) témoignent du goût très éclectique de l’écrivain qui adorait « bibeloter », s’entourer d’une multitude d’objets, dont il ne reste plus grand chose d’original.
Le plafond de la salle à manger ne laisse pas d’étonner venant d’un républicain convaincu comme Zola !
Le cabinet de travail de l’écrivain, à l’étage, était, paraît-il, interdit à toute présence humaine …
Dans la lingerie, on a disposé un buste de Jeanne Rozerot, la jeune lingère devenue la maîtresse de Zola et la mère de ses deux enfants Denise et Jacques.
En écrivant ce bref compte-rendu, je découvre un ouvrage paru il y a peu :
Je sais ce qu’il me reste à faire, surtout après avoir lu la présentation de l’éditeur :
« Émile Zola n’est guère réputé pour sa mélomanie, et il ne s’est lui-même pas privé d’ironiser sur sa supposée ignorance en matière musicale. Pour autant, il est indéniable que sa plume fut souvent virulente à l’encontre de la musique en vogue : Offenbach et l’opérette, genre alors très couru, en furent les victimes régulières, pour la raison que, selon lui, celle-ci est le symbole même de la corruption politique, financière et morale du Second Empire. Zola se méfiait aussi du grand Opéra, car il établissait une séparation nette entre la littérature et la musique : alors que la première réclame de ses lecteurs de la réflexion et une attention soutenue, la seconde se contenterait d’une écoute superficielle, car elle ne parlerait qu’aux sens, et non à la raison. L’auteur de Germinal s’en prenait en outre à une certaine forme de romantisme frelaté, faite d’idéalisme souffreteux et de mièvrerie, véhiculée par les œuvrettes alors à la mode dans les salons. Son jugement semble sans appel. Pourtant, tout n’est pas si simple… Zola sera notamment un fervent partisan de Wagner, Verdi, Bizet ou encore Berlioz ; et, à partir de 1888, il mènera une fructueuse collaboration artistique avec Alfred Bruneau, imprimant à sa carrière une orientation nouvelle. Même s’il prétendait ne rien connaître à la musique, ses écrits témoignent du contraire : les textes que nous réunissons ici – une centaine d’articles de critiques qu’il a livrés à la presse entre 1865 et 1897, ainsi que plusieurs entretiens donnés dans les années 1890 – comportent maintes références à des compositeurs et à des œuvres musicales. Corrigeant l’image d’un homme réfractaire à l’art d’Euterpe, ces documents donnent à voir la richesse des goûts et des conceptions musicales de Zola. »
Un musée pour Dreyfus
J’avais vu et beaucoup aimé le film de Polanski
La visite du musée Dreyfus à Médan s’impose à tous ceux qui, comme moi, persistent à ne pas comprendre, plus d’un siècle après « l’affaire », comment et pourquoi un tel déferlement de haine, d’antisémitisme a pu bouleverser toute la société française de l’époque. L’actualité témoigne malheureusement de la résurgence de ces fléaux.
Petite série estivale pendant que ce blog prendra quelques distances avec l’actualité, quelques disques enregistrés en été, tirés de ma discothèque : épisode 3
J’ai déjà raconté ici mon été 1974 à Lucerne (La découverte de la musique). Etrangement, problème de droits sans doute, il y a assez peu de témoignages discographiques « live » d’un festival qui, depuis sa fondation par Toscanini et Ansermet en 1938, et singulièrement après la Seconde Guerre mondiale, a été et reste l’une des plus grandes manifestations estivales d’Europe avec Salzbourg.
Le label allemand AUDITE a entrepris, depuis quelques années, de publier les belles archives de ce festival, dont celle-ci, en 2021.
Le disque est le reflet de deux concerts donnés en 1988 et 1994, et donne une image de l’art du chef suisse beaucoup plus conforme au souvenir que j’ai de ce qu’il pouvait donner en concert.
Il y a de surcroît ici un inédit dans l’abondante discographie d’Armin Jordan (1932-2006), la deuxième suite de Bacchus et Ariane de Roussel.
Et il y a surtout une fabuleuse version d’une pièce qu’Armin Jordan connaissait par coeur, qu’il est le seul à avoir enregistrée avec trois cantatrices différentes – Jessye Norman, Françoise Pollet, Felicity Lott, excusez du peu ! – le Poème de l’amour et de la mer de Chausson.
Je n’entrerai pas dans ce débat, nous ferons le bilan une fois l’édition 2021 terminée, mais je constate que l’enthousiasme des spectateurs ne faiblit pas, au contraire !
Menu extrêmement copieux au programme de ces derniers jours. Témoignages en images, et comme tous les concerts du soir ont été diffusés en direct sur France Musique, ils peuvent tous être (ré)écoutés sur francemusique.fr
Avec Alexander GurningAprès le concert de l’Orchestre philharmonique de Radio France : debout derrière une partie de l’état-major de la direction de la musique de Radio France, de gauche à droite JPR, Adriana Gonzalez, Santtu-Matias Rouvali, Jean-Marc Bador, Thibaut Garcia, Alex Gurning
Après la masterclass de Michel DalbertoLe 20 juillet Bertrand Chamayou jouait Les Djinns et les Variations symphoniques de César Franck avec l’Orchestre national de France dirigé par Cristian Macelaru Le maire de Montpellier Michael Delafosse et la coprésidente du festival et PDG de Radio France Sibyle Veil assistent au concert de l’ONFDébut de la masterclass de Françoise Pollet
Le trio Métral joue Beethoven Un quintette de choc et de chic : Jordan Victoria, Thomas Enhco, Félicien Brut, Thibaut Garcia, Édouard Macarez pour un hommage survolté à PiazzollaLe phénomène Yoav Levanon, comme une réincarnation de LisztL’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée dirigé par Duncan Ward avec la mezzo Anna Stephany
Politesse ?
Une remarque qui n’engage que moi : que penser d’une ministre venue tout spécialement à Montpellier pour une visite du musée Fabre… et d’un nouvel hôtel de luxe certes situé dans un bâtiment historique magnifiquement restauré, qui n’a pas jugé utile de rencontrer les responsables des trois festivals (théâtre, danse, musique) qui font la fierté et la renommée de Montpellier la culturelle, ni à fortiori de rendre visite au festival qui s’y déroule actuellement ?
Que penser d’invités à un concert – parmi eux des responsables importants – qui ne prennent pas soin de prévenir – et de s’excuser – de leur absence ? Est-ce parce que le cocktail d’après-concert a été annulé ? On n’ose le croire…
A l’occasion d’un autre anniversaire, le centenaire de la mort du compositeur néerlandais Alphons Diepenbrock – le 5 avril dernier – Le Hollandais oublié -, j’ai évoqué incidemment Baudelaire qui a inspiré à Diepenbrock plusieurs très belles mélodies, comme cette Invitation au voyage magnifiquement chantée par Aafje Heynis.
L’un de nos plus grands poètes, Charles Baudelaire, est donc né le 9 avril 1821, il y a deux cents ans.
J’emprunte à Jean-Yves Masson, écrivain, éditeur, professeur, une partie du magnifique texte qu’il publie sur sa page Facebook. A défaut d’avoir sa connaissance encyclopédique de Baudelaire, je partage son admiration, son amour de l’auteur des Fleurs du Mal et de tant d’autres chefs-d’oeuvre
« J’ai aimé Baudelaire d’instinct, dès que j’ai commencé à le lire sérieusement, c’est-à-dire je pense au tout début de mes études. Je l’ai aimé comme un frère puisqu’il m’appelait son semblable, son frère, et que j’ai compris que c’était vrai. Rimbaud l’avait déclaré « le premier voyant, roi des poètes, un vrai dieu « /…./ mais qu’il était évidemment Baudelaire est probablement le plus grand poète chrétien (je ne dis pas catholique) de toute la langue française, en tout cas le plus grand depuis les poètes baroques qu’il aimait tant.
Je me suis nourri de Baudelaire, j’ai vécu avec Baudelaire, je l’ai emporté partout en voyage, il est l’intelligence suprême faite poésie, jusque dans sa critique d’art….
. « Baudelaire est une origine », a dit Pierre-Jean Jouve, ce que le romantisme français n’a pas su être (ailleurs en Europe, oui, mais pas en France). Jouve a raison: ce qu’on appelle la poésie a révélé avec un lui un visage nouveau dans notre langue et personne ne peut l’ignorer…
Hugo serait bien surpris s’il revenait et découvrait que l’œuvre de Baudelaire pèse aussi lourd sur la balance de l’Esprit que les dizaines de milliers de vers de la sienne, et sans doute même plus lourd. Je sais ce que vaut quelqu’un au jugement qu’il porte sur Baudelaire et à la manière dont il en parle. S’il n’y avait pas Montaigne et Rimbaud, il est clair que, sur une île déserte, j’emporterais Baudelaire. Il est vrai que comme je le connais presque par cœur, autant que Rimbaud, le dilemme serait vite résolu. » Bon anniversaire, souverain maître ! (Jean-Yves Masson, 9 avril 2021)
L’invitation au voyage
C’est incontestablement L’invitation au voyage dans le recueil des Fleurs du Mal (1857) qui a eu le plus de succès chez les compositeurs : près d’une dizaine se sont essayés, avec des fortunes diverses, à parer ces vers de mélodies.
Mon enfant, ma sœur, Songe à la douceur D’aller là-bas vivre ensemble ! Aimer à loisir, Aimer et mourir Au pays qui te ressemble ! Les soleils mouillés De ces ciels brouillés Pour mon esprit ont les charmes Si mystérieux De tes traîtres yeux, Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants, Polis par les ans, Décoreraient notre chambre ; Les plus rares fleurs Mêlant leurs odeurs Aux vagues senteurs de l’ambre, Les riches plafonds, Les miroirs profonds, La splendeur orientale, Tout y parlerait À l’âme en secret Sa douce langue natale.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux Dormir ces vaisseaux Dont l’humeur est vagabonde ; C’est pour assouvir Ton moindre désir Qu’ils viennent du bout du monde. — Les soleils couchants Revêtent les champs, Les canaux, la ville entière, D’hyacinthe et d’or ; Le monde s’endort Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.
Léo Ferré
Benjamin Godard
Emmanuel Chabrier
Mais c’est pour moi définitivement Henri Duparc qui donne sa perfection musicale à cette sublime Invitation
J’avoue aimer autant la version orchestrale que la version avec piano, surtout avec des interprètes de la qualité de Françoise Pollet et de José Van Dam !
Impossible d’être exhaustif quant aux multiples « mises en musique » de Baudelaire (on renvoie à une page Wikipedia très bien faite)
Encore quelques exemples, parfois inattendus.
Fauré : Chant d’automne
Chausson : L’Albatros
Harmonie du soir mise en musique par Debussy, donne aussi Harmonie des Abends sous la plume de Zemlinsky
Plus étonnant encore, le premier des trois Lieder que compose un Karlheinz Stockhausen de 22 ans, en 1950, Der Rebell / Le rebelle
Le Vin selon Berg
Alban Berg compose, en 1929, Der Wein, pour soprano et orchestre. Il choisit trois des poèmes des Fleurs du Mal parmi les cinq que contient la section intitulée Le Vin, dans la traduction du poète allemand Stefan George : L’âme du fin/ Die Seele des Weines, Le vin des amants / Der Wein der Liebenden, Le vin du solitaire / Der Wein des Einsames
Tout un monde lointain
L’oeuvre la plus célèbre d’Henri Dutilleux, dédiée à et créée par Mstislav Rostropovitch en 1970, Tout un monde lointain, emprunte son titre à un vers du poème La Chevelure : Tout un monde lointain, absent, presque défunt.
Dutilleux cite Baudelaire en exergue de chacun des cinq mouvements enchaînés de son concerto pour violoncelle :
1 Énigme (Très libre et flexible)…Et dans cette nature étrange et symbolique… , Poème XXVII
2 Regard (Extrêmement calme)…le poison qui découle De tes yeux, de tes yeux verts, Lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers… , Le Poison
3 Houles (Large et ample) …Tu contiens, mer d’ébène, un éblouissant rêve De voiles, de rameurs, de flammes et de mâts… , La Chevelure
4 Miroirs (Lent et extatique) Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux Qui réfléchiront leurs doubles lumières Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux. », La Mort des amants
5 Hymne (Allegro) …Garde tes songes: Les sages n’en ont pas d’aussi beaux que les fous!, La Voix
Ici dans une version enregistrée en 2013 à Helsinki par le tout jeune Aurélien Pascal, 19 ans à l’époque, Aurélien Pascal qui sera l’un des invités de marque, en duo avec Alexandre Kantorow le 24 juillet prochain à Montpellier (voir lefestival.eu
Ceux qui me connaissent ne seront pas étonnés que je recommande ces deux disques, de la plus francophile et francophone des chanteuses britanniques, la chère Felicity Lott
Les responsables de Forumopera– le « magazine du monde lyrique » – ont eu l’imprudente (!) idée de me proposer de participer à leur aventure. Mon premier papier sur un tout récent disque vient d’y paraître. J’ai failli renoncer à l’écrire, je m’en suis ouvert à CdR qui est finalement passé outre mes réticences. Je préfère, sur ce blog, comme sur les réseaux sociaux, évoquer mes enthousiasmes que mes déceptions, mais dans le cas de ce disque, je ne pouvais décemment pas écrire le contraire de ce que j’avais entendu.
Oui la diction est plus que problématique, quelle que soit la langue. Et l’absence de caractérisation des mélodies choisies.
Lecteur je t’en fais juge ici – ce que je ne pouvais pas faire dans mon article (Un Paradis jamais atteint).
Trois extraits, l’un en allemand – un air normalement confié au baryton – du Paradis et la Péri de Schumann, les deux autres en français – la Chanson d’Ève de Fauré, et Bonjour toi, colombe verte de Messiaen.
La comparaison avec son compatriote Christian Gerhaher est terrible pour la chanteuse allemande…
Elly Ameling (1937) est néerlandaise, le français n’est pas sa langue maternelle, et pourtant… on partage avec bonheur ce « matin du monde » (ces diphtongues – in -on -an si difficiles à attraper quand on n’est pas francophone!)
Contraste saisissant avec Rachel Yakar, accompagnée par Madame Messiaen, Yvonne Loriod !
Inutile d’en rajouter. Anna Prohaska a d’autres talents, sur scène notamment, son projet était ambitieux et intelligent, le résultat n’est pas à la hauteur de nos attentes.
Pour qui voudrait retrouver ces grandes interprètes, françaises ou étrangères, qui ont su nous mener vers les paradis de la mélodie française, ces quelques piliers impérissables de ma discothèque.
Suggestion/supplique à Warner : rééditer au plus vite ce double album de la merveilleuse Rachel Yakar
La France officielle aurait-elle ses protégés et ses oubliés ? On peut s’interroger lorsqu’on compare le sort réservé à Berlioz, mort il y a 150 ans, et à Offenbachné il y a 200 ans.
Berlioz a bénéficié déjà, pour le bicentenaire de sa naissance en 2003, d’une sorte de célébration nationale- sans aucun doute justifiée ! – associant un grand nombre de maisons d’opéra, d’orchestres symphoniques, d’institutions culturelles, certains avaient ardemment milité pour qu’il entre au Panthéon ! L’an dernier, la ministre de la Culture avait confié à Bruno Messina« la mission de préparer le cent cinquantième anniversaire de la mort d’Hector Berlioz ».
Et le sieur Offenbach, né Jacob à Cologne le 20 juin 1819, devenu Jacques dès son arrivée à Paris en 1833 et mort dans la capitale française en 1880 ? Pas de comité du bicentenaire ? Pas de commémoration officielle ? Il faut croire qu’un compositeur de musique « légère », un roi de l’opérette, ne mérite pas l’hommage réservé à son aîné « sérieux ».
Sans doute est-il plus compliqué d’envisager une édition discographique des oeuvres complètes d’Offenbach – comme on vient de le faire pour Berlioz – n’est-ce pas Jean-Christophe Keck ? Parce que l’oeuvre d’Offenbach est encore largement à (re)découvrir, que le colossal travail d’édition est un work in progress qui ne paraît pas près de s’achever.
Espérons que, même en l’absence de caution officielle, le bicentenaire de sa naissance permettra à un large public de mieux connaître la personnalité, au moins aussi originale que celle de Berlioz, la diversité du génie d’Offenbach. De le sortir aussi de l’étiquette réductrice d’amuseur franco-français du Second Empire : sait-on que c’est le succès considérable de ses opérettes, chantées en allemand à Vienne (Orphée aux enfers, La belle Hélène,La vie parisienne) qui a poussé Johann Strauss fils (1825-1899) à se mettre à l’opérette et à essuyer ses premiers échecs ?
Espérons que Warner fera un peu plus que ce coffret bienvenu, regroupant les trois versions de référence récentes dirigées par Marc Minkowski.
Par exemple en regroupant les ouvrages dirigés par Michel Plasson, Manuel Rosenthal, John Eliot Gardiner… le fonds EMI Offenbach étant sans doute l’un des plus riches.
En attendant l’ouvrage de référence (qui viendra peut-être ?), on peut aborder le personnage avec ces trois petits bouquins :
Dans les raretés discographiques à rééditer, un joli bouquet d’ouvertures dirigées par… Hermann Scherchen. Offenbach enregistré à Vienne sous une baguette qu’on n’attend pas dans ce répertoire, un modèle !
Les Troyensc’est probablement l’ouvrage – un opéra en 5 actes ! – qui conforte ceux qui aiment autant que ceux qui détestent Berlioz. Les premiers y voient et y entendent les trouvailles géniales, l’absence de limites à une inventivité phosphorescente, les seconds y trouvent des longueurs loin d’être toujours « divines », les élucubrations d’un personnage mégalomane.
Le spectacle qu’on a vu à l’opéra Bastille mercredi – devant un impressionnant parterre de directeurs d’opéras ! – n’aura sûrement pas fait changer d’avis les détracteurs du compositeur natif de La Côte Saint-André… mais pas non plus convaincu – c’est un euphémisme – ses admirateurs. On a connu metteur en scène plus inspiré (Dmitri Tcherniakov), fosse et plateau plus enthousiasmants. Occasion manquée. J’en reste au souvenir ébloui du spectacle vu à Amsterdam en 2010.
Consolons-nous si besoin avec quelques perles du coffret Berlioz (Berlioz Complete works) comme ce magnifique Nocturne à deux voix (jadis paru sous étiquette DGG)
Coffret Berlioz qui comprend la fantastique intégrale des Troyens captée à Strasbourg en novembre 2017 !
Signalons aux fans du ténor Michael Spyres– j’en suis ! – qu’il chantera le rôle-titre de Fervaalde Vincent d’Indy – en version de concert – le 24 juillet prochain à Montpellier dans le cadre du Festival Radio France !
Hier soir, à Radio France, célébration du talent et de la jeunesse : un violoncelliste de 20 ans devenu star mondiale par la grâce d’un mariage princier, un chef qui le toise du haut de ses…32 ans (!!) qu’on découvre à chaque concert, depuis 2014, plus pertinent, insolemment doué, charismatique – si le mot n’est pas trop galvaudé .
Sheku Kanneh-Masonjouait le concerto d’Elgar et Santtu-Matias Rouvalidirigeait l’orchestre philharmonique de Radio France, en état de grâce, dans Debussy (Prélude à l’après-midi d’un faune, avec la flûte enchantée de Magali Mosnier) et Stravinsky (phénoménal Petrouchka). Rouvali avait déjà offert au public de Montpellier, en juillet 2018, un Sacre du printemps idiomatique, narratif, légendaire. Il renouvelle l’exploit avec Petrouchka, et quelle maîtrise exceptionnelle d’une partition qui reste, cent huit ans après sa création, d’une complexité intimidante pour les interprètes !
Mon métier comporte son lot de contraintes, de déceptions, de désagréments, mais je les oublie vite quand j’ai la chance de rencontrer des artistes comme ces deux-là. Si simples, modestes, très conscients des risques d’une notoriété trop vite acquise, si profondément musiciens. Longue et belle vie à Sheku ! Quant à Santtu-Matias Rouvali, le prochain rendez-vous est déjà pris : il vient avec « son » orchestre philharmonique de Tampereà Montpellier pour deux concerts en juillet 2019 (#FestivalRF19) !
Je constate qu’il est régulièrement et souvent consulté, preuve qu’il doit être de quelque utilité à ceux dont le métier ou la fonction est d’annoncer ou d’énoncer des noms de musiciens aux consonances étrangères.
Je remets l’ouvrage sur le métier à la suite de l’une de ces discussions presque sans fin, née hier d’une remarque humoristique que j’avais « postée » sur ma page Facebook :
« Ce matin je suis gâté sur Radio Classique : après les explications emberlificotées d’Eèèève R. sur Betovêêne, l’ineffable Christian Morin nous gratifie du trio « Deumky » de Dvor-djak et de la valse Norsalbider (pour Nordseebilder) de Strauss…. C’est pas sur France Musique qu’on entendrait ça… »
Pour être tout à fait honnête, Christian Morin a rectifié le tir, sur le conseil de sa chargée de réalisation, et précisé qu’on devait prononcer : « Doum-ki« , malheureusement sans expliquer ce qu’est une dumka.
Dans le fil de discussion sur Facebook, sont intervenus tour à tour, et se répondant l’un à l’autre, un pianiste français polyglotte, Olivier Chauzu, une cantatrice française qui a beaucoup et bien chanté l’allemand, Françoise Pollet, un ancien responsable du Monde et de France Musique, toujours critique musical, Alain Lompech, et un ami cher avec qui j’ai partagé quelques années de radio en Suisse, Pierre Gorjat.
Il en résulte que les usages en matière de prononciation des noms étrangers, sur les chaînes classiques, varient considérablement d’un pays à l’autre : les Allemands mettent un point d’honneur à prononcer parfaitement les noms français, anglais, tchèques, russes et autres, les Grecs apparemment aussi, les Britanniques n’en parlons pas, tout est à la sauce anglaise (De-biou-cey, We-vêl, etc.). Les Suisses romands font un peu comme les Français, mais sous influence germanique : on n’entendra pas sur les ondes helvétiques prononcer Bak pour Bach.
Mais autre chose est apparu dans la discussion, et qui ne concerne plus seulement les interventions des producteurs sur les antennes de radio. Ce que j’ai moi-même – et beaucoup d’autres avec moi- subi pendant mes années scolaires, voire universitaires : le complexe de l’exactitude, qui passe pour un genre, ou du snobisme. Quand je lisais un texte en allemand, ou en russe (les deux langues que j’ai étudiées à l’école), et que je le faisais en respectant les accents, la prononciation, etc… je voyais bien que ça énervait mes petits camarades, je passais pour un fayot.
Que voulez-vous, les Français sont tellement réputés pour massacrer les langues étrangères, les Américains aimaient tellement l’accent si frenchy de Maurice Chevalier, Edith Piaf ou Yves Montand, que bien parler l’anglais ou l’allemand vous fait passer pour un cuistre, et que vous risquez même d’être incompris.
Extrait de mon billet de 2014 :
Par exemple ces quatre lettres ravageuses : ough ! Annoncez Stephen Hough, pianiste, et William Boughton, chef d’orchestre, se produisant à Edinborough, sympathique perspective : ça devrait donner à peu près Stephen Hâââf, William Bôôôton, Edinboro…. Ou si vous dites correctement la ville festivalière chère à Britten, Aldeburgh (Ôld-brâ), il y a des chances que vos auditeurs ne comprennent pas ce dont vous parlez ! Mais rien ne vous oblige à l’affreux et incorrect Yok-chaille pour Yorkshire, Yôôk-cheu fait nettement mieux l’affaire !
Dans ce billet, j’évitais de me prononcer sur les noms espagnols ou portugais, puisque je suis un piètre locuteur de ces idiomes. Au fil du temps, j’ai fini par dire correctement le prénom et le nom de la célèbre pianiste Maria Joao Pires= Maria-Jouan Pire-ch
Nous avons, nous Français, une autre difficulté, qui peut en partie expliquer pourquoi nous sommes si mal placés, et classés, dans notre pratique des langues étrangères : toutes les langues européennes, hors la nôtre, ont une « musique » propre qui tient à l’accentuation différenciée des syllabes à l’intérieur des mots (cf. ce que j’écrivais à propos des noms russes (...il est difficile de prononcer correctement les noms russes si on n’est pas un tant soit peu russophone, les voyelles ne se prononçant pas de la même manière suivant leur place dans le mot et/ou l’accentuation. Ainsi l’adverbe bien ou bon – хорошо, horocho, se dit : ha-ra-chó ! Si, dans un nom, le -ev final est accentué, il se prononce -off. Exemples célèbres : Gorbatchev ou Khrouchtchev se disent : Gorbatchoff ou Khrouchtchoff, mais Gergiev se dit bien Guer-gui-eff !).
Or le français a la particularité de faire toujours porter l’accent sur la dernière syllabe du mot : c’est finI, c’est terminé. Imaginons deux secondes qu’on dise : c’est fini, c’est terminé !
D’ailleurs qu’est-ce qui nous amuse, nous Français « de l’intérieur » si je puis dire, quand nous écoutons nos voisins ou cousins canadiens, suisses ou belges parler français ? On raille gentiment leur « accent », autrement dit le fait qu’ils accentuent différemment les mots, souvent sous l’influence des idiomes anglo-saxons, germaniques en particulier.
Le hasard des publications a fait que j’ai acheté en même temps deux coffrets qui, l’un de manière avouée, l’autre dans une discrétion regrettable, honorent deux grandes chanteuses françaises.
Voyant annoncé le coffret Warner « Régine Crespin, a Tribute », on se disait qu’on aurait peut-être enfin rassemblée une discographie très dispersée, hors intégrales d’opéras, de la cantatrice française disparue il y a dix ans, Régine Crespin, dont je n’ai jamais été un admirateur inconditionnel. Raté !
Pourquoi les concepteurs de ce coffret qui y ont intelligemment placé des récitals parus sous étiquette Decca (comme les incontournables Shéhérazade et Nuits d’été avec Ansermet), se sont-ils arrêtés en chemin, privant l’acheteur d’autres enregistrements Decca, airs d’opérettes avec Lombard et Sebastian – de très loin le meilleur disque de Crespin ! – extraits de Wertherde Massenet, d’Ascanio de Saint-Saëns ?
En remplissant mieux les galettes, un ou deux CD de plus auraient fait l’affaire, et on aurait eu un portrait complet d’une artiste, dont la discographie reste finalement modeste.
Je n’ai jamais osé dire ni écrire, n’étant pas un spécialiste de la chose lyrique, que la voix de Régine Crespin m’a plus souvent irrité que comblé, même si je lui ai toujours reconnu une supériorité incontestable dans l’art de dire, de chanter le français. J’ai un peu moins de complexes à l’avouer depuis que j’ai lu le texte d’André Tubeuf dans le nouveau coffret : « en ce début d’années 60 qui étaient celles de sa splendide jeune trentaine… la voix encore dans sa première splendeur soyeuse et lumineuse, capable de liquidités » et, plus loin « jusqu’au moment où ce surmenage lié au fait de n’être chez soi nulle part… altéra sensiblement la beauté purement physique de sa voix, et son aigu, lui, irrémédiablement. »
La vraie révélation vient d’un autre coffret de 10 CD qui pourrait passer inaperçu à cause de la banalité et de l’ambiguïté de son titre : Jacques Mercier conducts French Masterworks.
Jacques Mercier, pour nos amis belges, c’est une sorte de Bernard Pivot, la star du Jeu des dictionnairesde la RTBF. C’est l’un de ses homonymes, le chef d’orchestre français Jacques Mercier, qui est ici à l’oeuvre, et ce n’est pas lui faire injure que de constater qu’il n’a pas la notoriété de plus illustres confrères, français ou étrangers. Ensuite le concept de « French masterworks » ? Inadapté pour le moins, s’agissant d’oeuvres rares, trop rares, dont ce sont, pour la plupart, les seuls enregistrements. On va y revenir, pour recommander très chaleureusement l’achat de ce coffret à tout petit prix.
Mais, quand j’évoquais dans mon incipit une « discrétion regrettable », c’est de celle qui est l’héroïne de cinq des dix CD de ce coffret, qu’on a souvent présentée comme l’héritière, à défaut d’en être l’élève ou la disciple, de Régine Crespin, la soprano française Françoise Pollet.
Pas plus que de Régine Crespin, je n’ai jamais été un inconditionnel de Françoise Pollet, mais elle ne mérite en rien l’oubli d’une carrière, d’une personnalité, d’une voix singulières, même si elle partage sans doute avec son aînée des traits de caractère qui ne l’ont pas toujours servie. Il faut lire ce bel entretien en toute liberté donné à Camille de Rijck sur Forumopera : J’ai souvent dit tout haut ce que les autres pensaient tout bas
J’ai quant à moi un souvenir très fort de l’ouverture du trop bref mandat de LouisLangrée à l’Opéra national de Lyon, en octobre 1998, Ariane et Barbe-Bleue de Dukas: Françoise Pollet y était impériale dans le rôle-titre.
Ce coffret Sony redonne ainsi à entendre la cantatrice dans un récital d’airs sacrés très original (CD 1, 1996), le Requiem et le Psaume XVIII de Saint-Saëns(CD 2, 1989), le Requiem d’Alfred Bruneau (CD 7, 1994), La Lyre et la harpe, Le Déluge, La Nuit de Saint-Saëns (où elle partage l’affiche avec une toute jeune Natalie Dessay – CD 8 & 9, 1993).
Mais, outre l’intérêt de retrouver Françoise Pollet dans ce répertoire français qu’elle a magnifiquement servi, il faut re…mercier (!) Jacques Mercier d’avoir défriché des répertoires oubliés, même d’un Michel Plasson qui a tant fait (et tant enregistré !) pour la musique française. C’est une aubaine de voir reparaître des enregistrements depuis longtemps disparus, dans des versions sans concurrence, où se déploient la fine fleur du chant français des années 90 et un Orchestre national d’Ile-de-France qui a fait oeuvre de pionnier sous la direction de son infatigable animateur durant vingt ans, de 1982 à 2002.