Jonas et les coffrets de juin

Jonas 55

On ne sait si c’est pour célébrer son 55e anniversaire le 10 juillet prochain ou pour clore un partenariat de plusieurs lustres* entre Decca et le ténor star Jonas Kaufmann, toujours est-il que paraît un coffret de 15 CD à prix très doux qui récapitule les grandes années du chanteur, avec quelques pépites qui méritent d’être signalées.

Je ne sais qui a choisi la photo de couverture, légèrement too much non ? Mais le fan club ne sera pas déçu !

CD 1 Sehnsucht Mozart, Schubert, Beethoven, Wagner (Claudio Abbado / Mahler Chamber Orchestra)

CD 2 Verismo Arias (Antonio Pappano / Accademia Nazionale di Santa Cecilia)

CD 3 Romantic Arias (Marco Amiliato / Prague Philharmonic Orchestra)

CD 4-5 Wagner Airs d’opéras + commentaires de J.K.

CD 6 Schubert, Die schöne Müllerin (Helmut Deutsch)

CD 7-8 Weber Oberon (en anglais) (John Eliot Gardiner, Orchestre révolutionnaire et romantique, Hillevi Martinpelto, Steve Davislim)

CD 9-10 Beethoven Fidelio (Claudio Abbado, Lucerne Festival Orchestra, Nina Stemme)

CD 11-13 Humperdinck Königskinder (Armin Jordan, Orchestre national Montpellier)

CD 14-15 Verdi Requiem (Daniel Barenboim, Scala, Anje Harteros, Elina Garanca, René Pape)

J’éprouve un attachement particulier pour le dernier enregistrement d’Armin Jordan un an avant sa mort en 2006. C’était à Montpellier, du temps où le Festival Radio France faisait, chaque année, découvrir au moins un ouvrage lyrique inconnu ou oublié. Un ténor de 35 ans, qui était encore loin d’être la star qu’il est devenu, participait à l’aventure de ces Königskinder / Les enfants du roi d’un compositeur qui n’est resté dans les mémoires que pour son « tube » Hänsel et Gretel, Engelbert Humperdinck (1854-1921).

Souvenir amusant à propos de ce « live ». En contact avec les responsables de la branche française (Accor) d’Universal – pour les disques réalisés avec l’OPRL et Louis Langrée – je leur avais suggéré, au moment où la notoriété de Kaufmann montait en puissance, de mettre en valeur la participation de ce dernier à ces Enfants du roi. Quelques mois plus tard on voyait ressortir l’enregistrement dans un nouvel habillage (lire la critique qu’en fit Forumopera). Le coffret Decca a repris la pochette d’origine.

(*lustre = période de cinq ans)

Le piano des antipodes

Je n’ai pas évoqué ici les résultats du dernier Concours Reine Elisabeth de Belgique : j’ai, en son temps, écrit tout ce que je pensais de ce concours en particulier, et plus généralement des concours pour jeunes musiciens : De l’utilité des concours. Mon ami Michel Stockhem qui ne peut pas être suspecté d’être défavorable au CMIREB (acronyme de Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique) a écrit le 1er juin sur Facebook un billet que je pourrais signer et que j’invite vivement à lire.

Jiaxin Min, éliminée du palmarès final !

Apparemment les résultats du dernier Concours Van Cliburn ont été plus convaincants. Le nom du vainqueur, Aristo Cham, me fait irrésistiblement penser aux… Aristochats et à cette séquence

Je veux évoquer ici un coffret de 11 CD proposé à moins de 50 € sur le site anglais prestomusic.com, qui dresse un passionnant panorama d’un concours de piano, qui est l’un des plus importants de l’hémisphère sud, celui de Sydney. L’édition de ce coffret est due au responsable de la collection Eloquence, lui-même australien, Cyrus Meher-Homji (lire Des chefs éloquents) La plupart des noms de lauréats me sont inconnus, et c’est justement l’occasion de sortir de « l’européocentrisme » dénoncé par Michel Stockhem, Et en regardant la liste, on a la surprise d’y retrouver le 1er prix du concours Reine Elisabeth 1999, le pianiste ukrainien Vitaly Samoshko, que j’ai eu le bonheur d’inviter plusieurs fois à Liège. Le monde est petit !

Liste des pianistes représentés dans ce coffret :

Albright · Arimori · Bogdanov · Bolla · Broberg · Cazal · John Chen · Moye Chen · Cominati · Cyba · Del Pino · Deng · Fung · Fushiki · Gifford · Gillham · Gortler · Goto · Gough · Grigortsevich · Gugnin · Ham · Hill · Janssen · Joamets · Jurinic · Kameneva · Khairutdinov · Kim · Kitamura · Kolesova · Kolomiitseva · Jianing Kong · Xiang-Dong Kong · Kudo · Kurbatov · Kuzmin · Lakissova · Lee · Leske · Li · Liu · Lopatynskiy · Malikova · Malmgren · Masliouk · Melnikov · O’Callaghan · Owen · Pegoraro · Rashkovsky · Samoshko · Samossoueva · Sato · Scott · Shamray · Sim · Soo Rhee · Takada · Takao · Tarasevich-Nikolaev · Tarasov · Tsvetkov · Uehara · Ukhanov · Urassin · Vetruccio · Volodin · Wallisch · Wisniewski · Wright · Xie · Yemtsov · Young · Yu · Zabaleta · Zheng

Le Beethoven des Lindsay

Autre coffret proposé par prestomusic.com, l’intégrale des quatuors de Beethoven par les Britanniques du quatuor Lindsay (1966-2005). Il ne va pas dépareiller ma discothèque où se trouvent déjà, sans ordre de préférence, les Amadeus, Artemis, Hongrois, Italiano, Berg, Cleveland, Emerson, Ysaye, pour ne citer que les intégrales.



Et toujours mes brèves de blog, comme ce beau souvenir de ma soirée du 12 juin :

Sonya Yoncheva et Jean Pierre Rousseau / Auvers-sur-Oise / 12 juin 2025 / @Bachtrack

Vintage

Fischer-Dieskau chef

Comme si sa boulimie d’enregistrements d’opéra et de mélodies ne suffisait pas à le satisfaire, Dietrich Fischer-Dieskau, dont on a célébré le centenaire le 28 mai dernier (lire absolument les dossiers de Forumopera sur le sujet), a aussi exercé comme chef d’orchestre. Cet aspect de son activité n’a pas, à ma connaissance, fait l’objet de beaucoup de commentaires, ni même de rééditions discographiques. Et pourtant ce legs est loin d’être négligeable.

J’ai ressorti de ma discothèque quelques-uns des enregistrements de DFD chef d’orchestre.

D’abord un introuvable, une des plus belles versions de la 8e (l’Inachevée) et de la 5e symphonies de Schubert, où DFD dirige le New Philharmonia

Et plus récents, pour Orfeo, les magnifiques récitals lyriques qui rassemblent les deux époux : Julia Varady et Dietrich Fischer-Dieskau (lire Julia Varady 80)

Je ne résiste pas au bonheur de revoir cette « répétition » du couple sur une mélodie de Schubert :

Ne pas louper non plus ces deux disques – il doit y avoir d’autres archives ? – qui réunissent un tout jeune pianiste à l’époque, l’Ukrainien Konstantin Lifschitz, et le vieux maître au pupitre

Au moment de boucler ce paragraphe, je tombe sur ceci, dont j’ignorais même l’existence : DFD dirigeant l’orchestre philharmonique tchèque en 1976 !

Je doute que ce disque ait été réédité en CD, mais si c’est le cas, je suis preneur d’information complémentaire

Le chanteur de l’Est

Dix ans plus jeune que Fischer-Dieskau, il a très souvent fait partie des mêmes équipes d’enregistrement d’opéra, Peter Schreier (1935-2019) revient dans ma discothèque avec un coffret très bon marché (acheté sur jpc.de) délicieusement vintage.

S’il y a bien un mot qui ne se dit qu’en allemand pour les germanophones, c’est bien celui de Schlager, qu’on peut essayer de traduire par « tube« . On n’imagine pas, quand on n’a pas vécu même pendant des vacances, dans la sphère germanique, le succès phénoménal de groupes et de chanteurs de variétés, dont les noms nous sont totalement inconnus, et qui encore aujourd’hui réjouissent le public allemand

On admirera la couverture « d’époque » de l’un des CD de ce coffret Schreier, où l’on retrouve la soprano d’origine hongroise Sylvia Geszty (1934-2018)

Pour ce tube de la chanson napolitaine, on aurait pu avoir quelque chose de moins chargé côté orchestration (!!), et une voix à la couleur plus italienne, mais il y a quand même du soleil dans la voix de Peter Schreier

Dans cette video, le chanteur explique finalement qu’il se prête à des émissions de variété pour toucher des publics qu’il n’atteindrait pas à l’opéra ou en récital. Et c’est bien aussi et surtout cela qu’il faut retenir de ce grand interprète.

Le maître remasterisé

Carlo-Maria Giulini (1914-2005) a été dûment célébré par ses maisons de disques à l’occasion de son centenaire en 2014 (lire Giulini la classe et Vieux sages). Tout ce qu’il avait fait chez EMI avait déjà été rééédité en quelques coffrets, sauf les opéras. Vingt ans après sa mort, Warner publie cette fois un coffret qui comprend tous les enregistrements du chef italien pour les labels EMI/HMV/Columbia/Electrola. Et pour que nul ne l’ignore insiste en gros et gras sur le coffret : c’est Giulini remastered !

Je viens de recevoir ce coffret commandé il y a plusieurs semaines. Je n’ai pas encore remarqué de progrès spectaculaire par rapport aux précédentes éditions, mais j’aurai peut-être des surprises !

Excellent livret dû à la plume experte et toujours informée de Remy Louis, beaux documents photographiques.

L’éditeur présente comme un inédit le concerto pour piano n°3 de Beethoven avec le pianiste Hans Richter-Haaser, Il est vrai que celui-ci ne figurait pas dans le précédent coffret thématique Giulini Concertos mais EMI l’avait déjà publié dans un indispensable coffret consacré au grand pianiste allemand (lire L’autre Richter du piano). Et à l’inverse l’enregistrement légendaire du 1er concerto pour violon de Prokofiev avec Nathan Milstein qui s’y trouvait a disparu sans explication du nouveau coffret ! Dommage…

Et toujours mes brèves de blog : brevesdeblog

Comment naît-on à la musique ?

Sur ce blog j’ai consacré toute une série d’articles à ma/mes découverte(s) de la musique (La découverte de la musique de I à XVI), aux concerts, aux rencontres, aux disques qui m’ont fait aimer la musique et les musiciens.

Mais la vraie question, qu’on me pose d’ailleurs fréquemment – à moi qui serais devenu (sourire) quelqu’un d’important dans la musique classique (re-sourire !) – est : comment suis-je venu à la musique ? comment et pourquoi ma mémoire a-t-elle emmagasiné autant de sons, autant de notes ?

Naissance à la musique

Dans un article consacré aux chefs d’orchestre (Pères et fils) mais que j’aurais pu étendre aux musiciens en général, je relevais une évidence : quand on naît dans une famille de musiciens, on a mécaniquement plus de chances de développer une appétence pour la musique. Dans la chanson, la musique classique, plus rarement à l’opéra, on connaît des générations de musiciens. Mais il y a quantité de contre-exemples, où le milieu social ou familial n’a eu aucune influence sur le développement du goût voire de la pratique de la musique. On se rappelle cette séquence de l’émission « La France a un incroyable talent » où un adolescent de 15 ans, hébergé dans un foyer, avait surpris et ému tout le jury en répondant d’abord que ses idoles étaient Liszt et Beethoven et en jouant le finale de la sonate « au clair de lune » de Beethoven : Rayane Hechmi.

Je ne sais pas si ce garçon qui s’est depuis inscrit au Conservatoire Paul Dukas à Paris fera ou non une carrière de pianiste concertiste. Mais pour lui et sans doute pour beaucoup de ceux qui l’ont regardé à la télévision ou écouté dans les gares où il jouait, la musique est devenue indispensable, vitale.

Education et intérêt pour la musique

Je suis en revanche beaucoup plus circonspect quant à la relation éducation à la musique => goût pour la musique. Je ne sais pas moi-même si mon goût puis ma passion pour la musique ont pour origine mes années au Conservatoire de Poitiers (solfège, piano, trois ans de violon, ensemble vocal), alors que mes deux soeurs, elles aussi inscrites dans le même établissement, ont choisi d’autres voies, même si elles sont comme on dit « sensibles » à la musique.

Parenthèse, j’ai été ému de retrouver dans les archives numérisées de l’INA les deux émissions de France Musique « Les jeunes Français sont musiciens » qui avaient été enregistrées fin mars et diffusées en avril 1973 à Poitiers. J’aimerais bien récupérer une copie…

Au fil des années et de mes responsabilités dans le domaine musical, je suis allé de surprise en déception en constatant chez nombre de professionnels, en particulier les musiciens d’orchestre, un manque de culture musicale, une absence d’intérêt pour la substance même de leur métier. Comment peut-on étudier dur pendant des années, passer des concours très difficiles pour accéder à des postes de titulaires, et rester indifférent, voire ignorant, aux répertoires joués, à la vie musicale, aux artistes invités ? Il y a heureusement beaucoup d’exceptions, mais c’est resté pour moi une énigme.

Je me rappelle aussi avoir dû, tout au long de ma vie professionnelle, rechercher, recruter des collaborateurs, pour travailler, qui dans une chaîne de radio musicale, qui dans un orchestre, qui dans un festival ou la direction de la Musique de la radio… Quand je posais comme pré-requis au moins une connaissance certaine de la musique classique, je voyais parfois/souvent poindre l’étonnement chez les DRH et lorsque nous en arrivions à l’entretien avec des candidats pré-sélectionnés d’après leur CV, nous n’étions pas toujours au bout de nos surprises… J’ai en revanche un souvenir encore très vivace de l’expérience que j’avais proposée à la direction de la chaîne culturelle de la Radio Suisse romande – Espace 2 – en 1991, pour faire face à la pénurie de producteurs/animateurs : un recrutement complètement ouvert ! En deux temps : après inscription, les candidats étaient soumis à une épreuve écrite destinée à cerner leurs connaissances musicales et leurs goûts. Des questions à choix multiples, presque conçus comme des jeux. Puis, à partir de ces réponses, des entretiens individuels. Il en résulta l’engagement de six producteurs. Quatre d’entre eux ont depuis lors été des voix reconnues et admirées de la radio suisse, jusqu’à leur retraite récente, comme l’ami Charles Sigel, l’une des meilleures plumes de Forumopera.

Encyclopédisme et gourmandise

J’ai longtemps fait un complexe – que certains appellent le syndrome de l’imposteur – du fait que, dans les fonctions qui m’ont été successivement confiées, je ne me sentais pas à ma place, parce que je n’avais pas le savoir musicologique, les diplômes, voire le « niveau » a priori requis pour la fonction, ou parce que je côtoyais des personnages infiniment plus cultivés et/ou expérimentés que moi. Je me rappellerai jusqu’à mon dernier souffle mon premier contact avec l’Orchestre de la Suisse romande, dont j’allais être le producteur à la Radio suisse romande, de 1986 à 1993. Totalement inconnu dans le milieu musical genevois, je succédais à quelqu’un qui était lui-même musicien, sorti d’un conservatoire romand, organisateur de concerts, etc. Je n’étais rien de tout cela (et c’est peut-être pour cela qu’on m’avait choisi comme « outsider »). Je jouai la franchise, en leur disant que j’allais apprendre à leurs côtés et que je m’efforcerais de les servir de mon mieux. J’ai la faiblesse de penser qu’ils n’ont pas gardé un trop mauvais souvenir de mon passage à la RSR…

J’ai beaucoup d’admiration pour les musicologues, les spécialistes qui savent faire partager non seulement leur science mais surtout leur passion, leur gourmandise. Ce sont en général d’excellents pédagogues, des « transmetteurs » recherchés (je me rappelle deux rencontres avec le célèbre musicologue américain H.C. Robbins Landon, dont les travaux sur Haydn et Mozart ont fait date. C’était l’incarnation de l’honnête homme du XVIIIe siècle, infatigable narrateur et pourvoyeur d’histoires, petites et grandes, et surtout bon vivant). J’ai plus de réticences – euphémisme – à l’égard de professeurs – je ne citerai pas de noms – qui sont de bien piètres communicants.

Aujourd’hui heureusement, on est sorti de ces vieux clivages. Nos Conservatoires produisent non seulement d’excellents musiciens, qui pourront être d’excellents enseignants, mais aussi de formidables médiateurs – puisque c’est le terme usité -, je les nommerais plutôt « passeurs ». Pendant quelques années, nous avions noué, avec le Festival Radio France et le Conservatoire supérieur de Lyon, des contrats permettant à quelques étudiants du CNSMDL de participer au festival notamment pour y animer des séances avec le public – présentation d’oeuvres, d’artistes, entretiens, etc. – J’allais moi-même à Lyon animer des échanges avec ces étudiants, pour les inciter à se former, se perfectionner à cet exercice indispensable. Ils sont plusieurs à avoir poursuivi dans cette voie avec succès, le plus connu d’entre eux étant Max Dozolme qui officie sur France Musique.

Enfin, pour grandir dans l’amour de la musique, il y a la critique, les critiques – cf. les articles que j’ai consacrés au sujet -, ceux qui, sans être nécessairement ni spécialistes ni musicologues, ont le don de donner envie, de donner à aimer.

Je l’ai cité une seule fois il y a longtemps (Les arbitres des élégances). J’ai repris ces jours derniers un ouvrage qu’on déguste comme un merveilleux livre de souvenirs : Jacques Lonchampt

Une mine d’or !

Et dans mes brèves de blog à découvrir quelques pépites (Argerich, Barenboim, Maria Tipo, etc.)

En scènes : Alagna, Sawallisch et le Domino noir

Roberto le sexygénaire

Comme souvent, les publications ont un métro/train/avion de retard. Roberto Alagna, notre ténor/trésor national a fêté ses 60 ans le 7 juin… 2023, mais ce n’est que maintenant que sortent disques et coffrets qui célèbrent son passage dans la catégorie des sexygénaires !

J’invite à relire ce précédent article : Un miracle qui dure et le long portrait que Sylvain Fort avait consacré à Roberto Alagna dans Forumopera, comme le texte qu’il avait signé pour ce premier coffret paru en 2018

Aujourd’hui Warner réédite l’intégrale des opéras auxquels Alagna a prêté sa voix et son talent, souvent en compagnie de son ex-épouse Angela Gheorghiu.

Que du connu et du reconnu ! Mais quel bonheur de retrouver intact ce timbre de lumière, cette fougue juvénile, et cette diction si parfaite !

Aparté publie, de son côté, un disque au titre explicite : Roberto Alagna y révèle le secret de son éternelle jeunesse.

Sawallisch suite et fin

En mai dernier, comme pour les 60 ans d’Alagna, je regrettais le retard mis à célébrer le centenaire de l’un des grands chefs du XXe siècle, Wolfgang Sawallisch (1923-2013). Lire : Les retards d’un centenaire.

Heureusement, Decca et Warner se sont bien rattrapés et on n’attendait plus que le complément annoncé : l’intégrale – ou presque – des opéras enregistrés par Sawallisch, pour l’essentiel à Munich dont il fut le Generalmusikdirektor incontesté de 1971 à 1992. Mais Warner précise – et c’est bien de le faire – que, même parus jadis sous étiquette EMI, Arabella et Friedenstag, ne sont pas inclus dans ce coffret pour des questions de droits.

Wagner et Richard Strauss s’y taillent la part du lion, mais ce coffret contient de vraies raretés comme Weber, Schubert ou les deux brefs opéras de Carl Orff.

Mozart: La flûte enchantée
Weber: Abu Hassan
Schubert: Die Zwillingsbrüder
Wagner: Der Ring des Nibelungen, Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg
Richard Strauss: Capriccio, Intermezzo, Die Frau ohne Schatten, Elektra
Carl Orff: Die Kluge, Der Mond

Mais je conserve une affection toute particulière pour ma toute première version de La flûte enchantée, le premier coffret d’opéra que j’ai acheté à sa sortie en 1973, avec celle qui est à jamais la plus extraordinaire Reine de la nuit, l’immense Edda Moser.

Je recommande très vivement ce coffret :

Auber à l’Opéra-Comique

On avait adoré Le Domino noir donné au printemps 2018 à l’Opéra-Comique (voir L’esprit Auber). Ce fut pour moi la dernière occasion d’applaudir Patrick Davin, si brutalement arraché à notre affection il y a un peu plus de quatre ans déjà. Pour le compte de Bachtrack, j’ai eu la chance d’assister à la première de la reprise de cette formidable production, dirigée cette fois par le maître des lieux, Louis Langrée. Mon compte-rendu vient de paraître : La reprise triomphale du Domino noir à l’Opéra Comique.

Ses amis furent heureux, à l’issue de cette première, d’assister à la remise de la Croix de Commandeur des Arts et Lettres à celui qui a bien mérité de la culture et de la musique française.

Jodie dans les étoiles

J’étais en train d’écrire quelques lignes sur la mort, à 93 ans, le 11 juin dernier, du ténor suisse Eric Tappy, lorsqu’un ami belge m’envoie la terrible nouvelle de la brutale disparition de Jodie Devos à 35 ans, des suites d’un cancer foudroyant (RTBF)

Non la mort n’est pas toujours une douce compagnie, comme je l’écrivais il y a peu. Elle est injuste, injustifiable, quand elle frappe, brutale, inattendue.

J’ai raconté cette soirée si particulière à Montpellier, le 21 juillet 2022, où Jodie avait accepté de remplacer Lucy Crowe dans la 1ere symphonie de Vaughan Williams, avec l’Orchestre national de France, dirigé par Cristian Macelaru (lire Festival d’inconnus)

De gauche à droite, Sibyle Veil, JPR, Jodie Devos, Gerald Finley, Cristian Macelaru

Je me rappelle comme si c’était hier, ce moment précis où je vis Jodie pourtant assise sur une chaise haute commencer à trembler, puis verser d’un coup sur le côté droit de sa chaise au pied du premier violon. Ces quelques secondes de sidération qui paralysent tout le monde, sauf le directeur du festival qui rejoint sur la scène le pompier de service qui a immédiatement le bon réflexe, puis deux autres personnes, un homme, une femme, qui se présentent à moi comme médecins. La chanteuse n’est pas inconsciente, elle fait même mine de vouloir se relever, pompiers et médecins l’en dissuadent, tout comme le chef d’orchestre et moi. Nous la faisons transporter dans sa loge, sous étroite surveillance médicale. Nous sommes vite rassurés, sa vie n’est pas en danger, du repos et des médicaments devraient améliorer son état. Mais sans aucune garantie qu’elle puisse revenir chanter ce soir.

Cristian Macelaru et moi décidons de poursuivre l’exécution de la longue symphonie de Vaughan Williams, avec les parties où la soprano ne chante pas, puis de refaire une pause et envisager alors de jouer la dernière partie où soprano et baryton chantent ensemble.

Je rejoins alors Jodie dans sa loge. Elle est effondrée, se confond en excuses, pleure à chaudes larmes. Je la supplie de ne pas se flageller ainsi, je parviens à la faire sourire et même rire, jusqu’à ce qu’elle me regarde droit dans les yeux, en se levant de sa banquette : « Maintenant je suis prête ». Elle reviendra chaleureusement applaudie sur la scène du Corum, non sans être convenue avec le pompier en coulisses d’un signe à lui faire si elle devait de nouveau se sentir mal. Comme l’a raconté Remy Louis dans Diapason.(Une mer agitée à Montpellier)

Six jours avant Vaughan Williams, Jodie Devos avait triomphé en Ophélie dans la version de concert d’Hamlet d’Ambroise Thomas, donnée en ouverture de l’édition 2022 du Festival Radio France : le rédacteur de Forumopera n’avait pas assez de superlatifs pour qualifier ce que Jodie Devos nous offrit ce soir-là…(la captation audio est toujours disponible sur le site de France Musique)

Chère Jodie, tu vas désormais enchanter les étoiles…

Des nouvelles de près, de loin

De Suisse

J’écris pour Bachtrack, je l’ai fait un temps pour Forumopera, mais je lis les autres sites surtout lorsque j’y découvre des pépites: il y a peu je suis allé sur ResMusica pour lire une critique d’un concert que j’avais moi-même chroniqué, et je suis tombé sur un puis des articles évoquant la vie musicale suisse, les compositeurs helvètes, signés Joseph Zemp. Comme j’ai un cousin – dans ma très nombreuse famille maternelle – qui porte le même patronyme que notre illustre ancêtre commun (Joseph Zemp) – j’ai interrogé la rédactrice en chef du site pour voir si ce rédacteur très cultivé pouvait être… ce cousin dont j’avais un peu perdu le contact, et j’ai reçu un long courriel de la part de ce cher cousin qui m’a confié être un collaborateur régulier de ResMusica depuis 2021 ! Joseph m’avait naguère orienté vers les livres de son ami Étienne Barilier (lire Musiques de l’exil), un écrivain que je connaissais de nom depuis mes années à la Radio Suisse romande, mais que je n’avais pas lu à ma grande honte. Je me suis rattrapé depuis… Je vais désormais suivre régulièrement la plume de Joseph Zemp sur ResMusica. Sa dernière chronique est consacrée à un compositeur bien oublié et pourtant bien singulier : Vladimir Vogel (1896-1984)

D’Italie

J’avais brièvement évoqué ici un artiste italien, dont on ne comprend pas pourquoi il est aussi peu connu en France – comme le relevait Jean-Charles Hoffelé sur son blog : Hors Chopin -, le pianiste Pietro de Maria (lire Frontières), qui a complété, il y a peu, une intégrale de l’oeuvre pour piano de Chopin, que je ne cesse d’admirer au fur et à mesure que je la réécoute, par les deux concertos.

De Finlande

J’ai très souvent évoqué ici la Finlande, ses compositeurs, ses interprètes, encore récemment à l’occasion de la parution du coffret Paavo Berglund (Fleurs de Paavo). Comme je le fais périodiquement, je me replonge dans tel ou tel « quartier » de ma discothèque. Sur Facebook une discussion s’engageait sur les qualités d’interprète de Sibelius d’un grand chef britannique – Alexander Gibson (1926-1995) – que j’eus le bonheur de connaître en 1992 lorsque je fis partie du jury du Concours de jeunes chefs d’orchestre de Besançon qu’il présidait.

Et sur un disque catalogue acheté jadis à Helsinki, je trouve une oeuvre que j’avais dû écouter distraitement et qui n’est pas de Sibelius, mais de Robert Kajanus (1856-1933) qui fut l’un des tout premiers chefs à diriger et promouvoir Sibelius. C’est un poème symphonique intitulé Aino composé en 1885, dont Sibelius s’est inspiré pour sa musique tirée du Kalevala, comme son vaste Kullervo qui date de 1892.

Des femmes qui chantent : Zaho, Joyce, Fatma et Jessye

Les orages de Zaho

Certains seront peut-être surpris que j’évoque ici la quadruple récompensée des dernières Victoires de la Musique, Zaho de Sagazan. Je n’ai pas vu cette cérémonie, mais je me réjouis de ce palmarès. Il y a plusieurs mois déjà que j’avais repéré cette jeune chanteuse, aussi touchante interprète qu’auteure inspirée, et que je ne me lasse pas d’écouter son premier disque.

Bien sûr il y a ce tube qu’est devenu – à juste titre – La symphonie des éclairs – mais chacun des titres de cet album mérite l’écoute et la réécoute.

Une voix, un timbre, une poésie, une musique qui fait résonner les mots et leur charge émotionnelle, une authentique personnalité, le succès ne vient jamais par hasard.

J’ajoute que, pour de mystérieuses raisons, probablement très enfouies, Zaho de Sagazan, ses chansons, me touchent profondément. Très exactement comme me bouleversent Judy Garland et « Over the Rainbow.

Joyce et Didon, Fatma et Belinda

Jeudi dernier, c’est Joyce DiDonato qui m’a bouleversé au Théâtre des Champs-Élysées, comme je l’ai écrit pour Bachtrack : La Didon bouleversante de Joyce DiDonato. J’étais d’autant plus à l’aise pour tresser des louanges à la cantatrice américaine, que j’avais été pour le moins réservé sur son dernier spectacle dans le même théâtre en octobre 2022 (cf. Forumopera : Les bons sentiments).

(De gauche à droite : Carlotta Colombo, Fatma Said, Joyce DiDonato, Maxim Emelyanychev, Andrew Staples, Beth Taylor, Hugh Catting / Photo JPR 07/02/2024)

C ‘était aussi la première fois que j’entendais en concert Fatma Said, fabuleuse Belinda. Ai-je encore le droit de dire que je suis tombé sous le charme de sa beauté et de sa voix ? Je n’en ai que plus de regrets d’avoir manqué son concert avec le Philharmonique de Radio France en octobre dernier.

Jessye et Seiji

Le très regretté Seiji Ozawa (lire La Voix des justes) a régulièrement travaillé et enregistré avec Jessye Norman. Je n’aurais pas spontanément cité comme référence le Carmen qu’ils ont enregistré ensemble, avec l’Orchestre national de France, qui d’ailleurs n’a été été réédité ni dans les coffrets Ozawa, ni dans le coffret Norman. Mais je trouve ce documentaire sur YouTube, qui ne laisse pas d’émouvoir :

Plus émouvant encore, cet extrait de la 2e symphonie de Mahler, capté dans la Basilique de Saint-Denis en 1983, Seiji Ozawa dirigeant ici encore l’Orchestre national de France.

On trouve dans le coffret Ozawa/Philips ces trois enregistrements exceptionnels :

Des morts vivants

Michel Magne, Claudio Abbado, Ewa Podles à mon sommaire du jour…

Du côté de chez moi

J’ai brièvement évoqué par allusion (Bonnes tables) un lieu mythique, situé à moins de dix kilomètres de mon refuge valdoisien. Il s’agit du château d’Hérouville-en-Vexin.

(Hérouville sous la neige et le clocher de son église, sur le même modèle que celui d’Auvers-sur-Oise/ 20 janvier 2024)

Plusieurs raisons d’évoquer ce lieu devenu mythique :

  • la réédition en format poche d’un livre passionnant de Laurent Jaoui : Hérouville, le château hanté du rock

Laurent Jaoui retrace l’histoire emblématique du château d’Hérouville, un studio d’enregistrement où se sont notamment croisés David Bowie, Iggy Pop, Marvin Gaye, Jacques Higelin, les Bee Gees, Chet Baker, Pink Floyd, Fleetwood Mac ou Elton John.

En 1960, le compositeur Michel Magne (1930-1984) achète le château pour y installer son studio d’enregistrement. Très vite, le château devient un lieu de fêtes et d’excès en tout genre. 
En 1974, endetté il confie la gérance à Laurent Thibault :  » Les dettes, tu les effaces en signant les artistes. Après avoir réaménagé et modernisé les lieux, il fait revenir les plus grands artistes internationaux. L’aventure se poursuivra jusqu’au suicide de Michel Magne le 19 décembre 1984.

Depuis 2015 le studio mythique, complètement rénové, a rouvert dans le cadre de ce même château d’Hérouville

  • le formidable documentaire de Christophe Conte « Le Château d’Hérouville, une folie rock«  diffusé hier soir sur France 5, et disponible en replay, avec des images fabuleuses des stars qui y ont enregistré (trois albums pour Elton John !), plusieurs témoignages des derniers hôtes du château (comme Bernard Lavilliers) et surtout de la veuve de Michel Magne, Marie-Claude.

Dan Jacobson, Légende Pop au château d’Hérouville (2010), coll. personnelle de l’artiste

Sur la personnalité de Michel Magne, cette séquence de Pierre Lescure dans « C à vous » est éloquente :

comme tout comme ce bref document du Monsieur Cinéma de France Musique, Thierry Jousse :

Dix ans déjà

J’ai consacré nombre de billets sur ce blog au chef italien Claudio Abbado disparu le 20 janvier 2014 (L’héritage Abbado).

J’en profite pour signaler à ceux qui avaient hésité à acquérir le gros coffret DGG lorsqu’il est sorti il y a un an, à cause de son prix – près de 700 € à l’époque !- qu’il est aujourd’hui disponible sur Amazon.fr à 514 € (pour 257 CD et 8 DVD !)

Je veux aujourd’hui me souvenir du Claudio Abbado qui, jusqu’au bout, revint à la source : Mozart, et puis Bach, dans cette région d’Emilie-Romagne où il avait fondé et dirigé, dès sa création en 2004, l’orchestre Mozart.

Le chant des profondeurs

Elle avait quelques amies inconditionnelles à Genève, et c’est là que je l’ai entendue pour la première fois, et à plusieurs reprises: Ewa Podles est morte hier, à l’âge de 71 ans, sans peut-être avoir fait la carrière qu’elle aurait rêvée. Mais c’était une voix, comme il s’en fait peu dans un siècle, d’authentique contralto, qui faisait vibrer en chacun de nous des profondeurs insoupçonnées.

Dans la fabuleuse version d’Ariodante de Haendel gravée par Marc Minkowski, elle est un Polinesso d’anthologie :

Il faut écouter, saisir tous les témoignages de l’art de cette magnifique chanteuse. Comme cet extrait d’une émission dominicale de Jacques Martin – c’était sur Antenne 2 ! – où l’on ne craignait pas d’accueillir les plus grands et de proposer de la musique classique !

Chicago à l’heure de la sieste

Impossible de manquer le seul concert parisien de l’orchestre symphonique de Chicago et de son actuel chef Riccardo Muti dans le cadre d’une tournée européenne considérable (pas moins de 23 concerts !).

C’était hier soir dans une Philharmonie de Paris comble.

Le programme lui-même comme une signature du chef : pas de soliste, la création française de la dernière pièce d’orchestre de Philip Glass, la symphonie « italienne » de Mendelssohn, et un poème symphonique de jeunesse de Richard Strauss, que j’avais découvert grâce au disque… de Riccardo Muti dirigeant le philharmonique de Berlin, Aus Italien.

Je ne vais pas tourner autour du pot: j’ai été déçu mais pas surpris.

Dans un article écrit pour Forumopera (Le requiem bavarois de Muti), je relevais déjà le contraste saisissant entre le fringant quadragénaire qui livrait en 1981 une fabuleuse version du Requiem de Verdi et le chef devenu octogénaire qui plombait la Missa Solemnis de Beethoven qu’il avait dirigée durant l’été 2021 à Salzbourg.

Sur mon blog (La quarantaine rugissante et Ces vieux qui rajeunissent et inversement), je notais, à propos du concert de Nouvel an 2021 à Vienne (toutes les craintes sont permises quand on sait que Riccardo Muti dirigera à nouveau celui du 1er janvier 2025, année du bicentenaire de Johann Strauss !) : « En regardant le concert de Nouvel an hier, en direct de la salle dorée du Musikverein de Vienne, vide de tout public, j’avais la confirmation d’un phénomène si souvent observé : le fringant Riccardo Muti qui dirigeait son premier concert de l’An en 1993 a laissé la place à un bientôt octogénaire (le 28 juillet prochain) qui empèse, alentit, la moindre polka, wagnérise les ouvertures de Suppé, et surcharge d’intentions, de rubato, les grandes valses dJohann Strauss. » (2 janvier 2021)

Alors bien entendu, hier soir, on admirait d’abord l’une des plus belles phalanges du monde, le Chicago Symphony Orchestra (l’autre CSO américain !), que je n’avais entendu qu’une fois en concert à domicile. C’était à l’automne 2006 comme je l’ai raconté dans mon hommage au légendaire cor solo de l’orchestre, Dale Clevenger disparu il y deux ans (Le cor merveilleux de Dale C.).

On admirait aussi l’élégance, la prestance et la précision du chef napolitain, qui, à 83 ans, semble épargné par les douleurs du grand âge.

Mais après une bien fade création française de la dernière oeuvre symphonique de Philip Glass, qui permettait au moins d’entendre la perfection et la chaleur des cordes de Chicago, on eut droit à une Symphonie « italienne » de Mendelssohn, magnifiquement confectionnée – un travail de haute précision dans chaque pupitre – mais privée de tout élan romantique, de cette « italianita » jadis si réjouissante sous la houlette impérieuse du chef. Comme dans cette captation réalisée à Salzbourg, Muti avait alors 36 ans !

Quant à la suite symphonique en quatre tableaux, Aus Italien, on n’a guère de comparaison possible qu’avec le propre disque de Muti avec Berlin en 1988.

Il semblerait que Richard Strauss, croyant citer des chansons populaires napolitaines dans le dernier volet, ait eu maille à partir avec le véritable auteur de la chanson Funiculi, Funicula, composée en 1880 par Luigi Denza, qui ne manqua pas de réclamer des droits d’auteur à son illustre confrère !

De nouveau, dans cette oeuvre, souvent à court d’inspiration et d’originalité, mais formidablement écrite pour le grand orchestre, les pupitres du Chicago Symphony furent, hier soir, en tous points conformes à leur légende. Mais l’Italie décrite par Strauss, semblait faire la sieste, bien loin des atmosphères festives et populaires qu’Aus Italien est censée évoquer.

Muti et ses musiciens de Chicago offrirent un « bis » de rêve avec l’intermezzo de Manon Lescaut de Puccini. C’était ce qui s’appelle jouer sur du velours.

Bref extrait de Aus Italien :

Une Bohème de rêve

Il y a à peine deux mois, on avait peu apprécié, pour ne pas dire plus – mais le critique doit parfois retenir son propos : On a marché sur la lune à l’Opéra Bastille (Bachtrack) – la reprise de La Bohème version Claus Guth à l’Opéra Bastille.

Quel contraste avec celle qu’on a vue hier soir au théâtre des Champs-Elysées ! Je ne partage aucune des réserves émises ici et là sur la mise en scène d’Eric Ruf* (trop « traditionnelle » aux yeux de certains ?). Parce que, musicalement, c’est le bonheur complet.

Dans la fosse d’abord, on doit à un jeune chef – 32 ans – Lorenzo Passerini, que je ne connaissais pas jusqu’à hier soir, l’une des plus belles directions d’orchestre que j’aie jamais entendues de cet ouvrage, en dehors du disque. J’ai déjà écrit l’admiration que j’éprouve pour le génie de l’orchestre de Puccini, d’une modernité, d’une sensualité que le chef italien exalte comme rarement à la tête d’un Orchestre national de France pourtant peu familier de la fosse d’opéra, qui brille ce soir de tous ses feux. J’entendais à l’entracte des musiciens de l’ONF dire leur bonheur de travailler avec ce chef… bonheur très largement partagé par le public.

Ensuite les chanteurs : non seulement il n’y a aucune faiblesse dans la distribution, mais Michel Franck, le directeur du Théâtre des Champs-Elysées, a choisi les meilleurs du moment, surtout chez les hommes. Marc Labonette excelle dans le double emploi de Benoît et Alcindoro tout comme Francesco Salvadori en Schaunard et Guilhem Worms en Colline. Alexandre Duhamel donne une épaisseur, une chaleur formidables au personnage de Marcello. Quant à Pene Pati, il confirme sur scène, en Rodolfo, tout le bien qu’on avait pensé et écrit de lui à la sortie de son premier disque (voir sur Forumopera : Pene Pati ou le soleil du Pacifique). Comme l’écrit Emmanuel Dupuy sur Diapasonmag « timbre tout en gourmandise, émission sans effort, cantabile inépuisable, sentiment toujours juste, générosité du chanteur autant que du comédien » !

On n’a pas honte d’avouer que ses airs et ses duos tant avec Mimi qu’avec Marcello nous ont ému aux larmes.

J’ai lu sur Selene Zanetti qui incarne Mimi des commentaires pas toujours bienveillants. Elle compose vocalement et dramatiquement une Mimi d’abord bien chantante, surtout crédible, émouvante – Eric Ruf ayant toujours cette magnifique aptitude à creuser les caractères et les personnages. La Musette d’Amina Edris est toute de sensualité et de sensibilité.

Heureusement cette Bohème a été captée par les micros de Radio France et les caméras de France Télévisions.

*Eric Ruf était l’invité de l’émission de Nagui « La bande originale » aujourd’hui sur France Inter. Evidemment on ne perd jamais son temps à écouter l’administrateur général de la Comédie-Française, même quand il doit répondre aux questions-clichés de l’animateur sur « l’élitisme » de l’opéra – heureusement que Mehdi Mahdavi, rédacteur en chef d’Opéra Magazine, a remis les pendules à l’heure ! – un animateur qui manifestement ne lit pas ses fiches, puisqu’on l’a entendu annoncer Lorenzo Viotti dans la fosse… alors que son remplacement par un autre Lorenzo…Passerini a été annoncé il y a plusieurs semaines !