L’été 24 (IX) : Kurt Sanderling

J’ai passé une partie de l’été qui s’achève à réécouter les disques d’un très grand chef, Kurt Sanderling, né il y a 112 ans le 19 septembre 1912, mort 99 ans plus tard le 18 septembre 2011 ! Il y a un an j’avais consacré un billet à ces chefs d’orchestre pères et fils :

« Je pense ne pas être démenti si j’affirme que la famille Sanderling est unique en son genre : le père Kurt (1912-2011) a donné naissance à trois chefs, Thomas(1942), Stefan (1964) et Michael (1967). J’ai eu l’immense privilège de les voir diriger tous les quatre, et d’inviter Thomas et Stefan à Liège.

Je suis inconditionnel de Kurt Sanderling, dont il existe heureusement nombre de témoignages enregistrés, de disques qu’on chérit comme des trésors. Je me rappellerai jusqu’à la fin de mes jours les deux Neuvième – Mahler et Beethoven – que Sanderling avait dirigées à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande au début des années 90. » (Chefs pères et fils, 18 juin 2023).

Etablir une discographie de Kurt Sanderling relève du parcours du combattant. D’autant que la plupart de ses enregistrements de studio ont peu ou prou disparu des rayons, alors que surgissent ça et là des « live » bien cachés dans des coffrets récapitulatifs (lire Bruckner et alors ?)

Dans Bruckner comme dans Mahler, on perçoit bien les caractéristiques de l’art du grand chef allemand; le creusement continu des partitions, une maîtrise impérieuse des grands équilibres, le refus de l’esbroufe.

Celui qui a travaillé auprès du grand Mravinski à Leningrad adopte le même traitement pour les symphonies de Chostakovitch. On cherchera autant le studio que les « live » plutôt nombreux.

Comme tous les chefs de sa génération, Kurt Sanderling s’est d’abord nourri des grands classiques, Haydn, Beethoven, Brahms, curieusement pas de Mozart. Son intégrale des symphonies « parisiennes » est depuis longtemps dans mes préférées.

Tout comme une intégrale des symphonies de Beethoven captée au début des années 80 à Londres avec le Philharmonia.

Autres pépites d’une discographie dont aucun élément n’est négligeable :

Bruckner et alors ?

On y est, on l’avait annoncé : Les anniversaires 2024 : Bruckner. Le compositeur autrichien est né le 4 septembre 1824 à Ansfelden près de Linz.

Honnêtement, on n’a rien attendu, ni rien à attendre de ce bicentenaire. Rien à découvrir de caché, aucune nouvelle édition « originale », certes quelques nouveautés discographiques plutôt marginales. Mais une « première » au festival de Salzbourg le 15 août dernier : Riccardo Muti dirigeant la 8e symphonie à la tête des Wiener Philharmoniker ! Peut-être pas indispensable…

Alors pour marquer le coup, indépendamment de mes « références » Jochum, Schuricht (relire mon billet de janvier), quelques versions que je chéris particulièrement des symphonies et de quelques grandes oeuvres chorales de Bruckner :

1ere symphonie (1868) : pourquoi pas l’une des premières gravures du jeune Claudio Abbado avec l’Orchestre philharmonique de Vienne (1970) pour Decca… et la toute dernière à Lucerne en août 2012

Symphonie n°2 (1872)

C’est par Carlo-Maria Giulini et sa version enregistrée, en 1974, avec l’orchestre symphonique de Vienne que j’ai naguère découvert cette 2e symphonie. Je lui garde toutes mes faveurs.

Symphonie n°3 (1874)

Carl Schuricht bien sûr avec les Wiener Philharmoniker, mais aussi le grand Kurt Sanderling et le formidable Gewandhaus de Leipzig ou un « live » de 1978 aux Prom’s.

Signalons aussi un « live » prodigieux à Amsterdam, qu’on trouve désormais dans un coffret issu de la monumentale (et très coûteuse) édition de prises de concerts de l’orchestre amstellodamois.

Symphonie n°4 (1874)

La plus connue, la plus jouée (?) des neuf symphonies, peut-être à cause de son surnom « Romantique », est aussi la plus enregistrée. Il y a pléthore d’excellentes versions. Celle-ci est un peu passée sous les radars : Istvan Kertesz (1929-1973) l’enregistrait en 1966 avec l’orchestre symphonique de Londres.

Symphonie n°5 (1878)

Sans doute impressionné par sa longueur, son aspect monumental, c’est la symphonie de Bruckner que j’écoute le moins. Peut-être est-ce pour cela que j’aime la version du jeune Lorin Maazel à Vienne, parce qu’il ne la traite pas justement comme un monument, peut-être un peu trop « tchaikovskien » ?

On aura bientôt la chance de redécouvrir la somme enregistrée à Cleveland par Christoph von Dohnányi qui fête ses 95 ans (!) ce 8 septembre, en particulier les 6 symphonies de Bruckner qu’il a gravées et qui n’ont jamais été bien distribuées en France

Symphonie n°6 (1881)

A l’inverse de la Cinquième, c’est sans doute la symphonie de Bruckner que j’écoute le plus souvent. Je pourrais citer Klemperer, Rögner, Haitink, Sawallisch dans mes favoris, mais j’ai découvert récemment cette réédition d’un chef magnifique, qui n’a jamais bénéficié de la notoriété de ses contemporains, Ferdinand Leitner (1912-1996)

Je me rappelle avoir programmé cette 6e symphonie à Liège en 2008 avec le chef finlandais Petri Sakari. Grand souvenir !

Symphonie n°7 (1884)

Ici aussi pléthore de grandes versions. Pour l’émotion de ce concert de 2005 – avec en première partie Alfred Brendel dans Beethoven ! – Claudio Abbado au festival de Lucerne.

Symphonie n°8 (1892)

Au disque, définitivement et sans concurrence, Eugen Jochum à Berlin.

Et en vidéo, ce témoignage bouleversant d’un Karajan en fin de vie qui y jette ses dernières forces.

Symphonie n°9 (1887)

Comme Jochum pour la 8e, j’en reviens toujours à Carl Schuricht pour la 9e symphonie, magnifique gravure en stéréo (1961) avec l’Orchestre philharmonique de Vienne. Et un deuxième mouvement qui est véritablement un scherzo…

Pour les oeuvres chorales, en dépit de quelques réussites individuelles, la somme enregistrée par Eugen Jochum reste insurpassée.

PS Je préfère anticiper les commentaires/reproches que la publication de ce billet va inévitablement susciter. Ce sont ici quelques choix très subjectifs, qui ne prétendent aucunement constituer une sorte de « discothèque idéale » de Bruckner encore moins résumer ma propre discothèque en la matière. Inutile donc de me rappeler les mérites de Blomstedt, Celibidache, Karajan, Klemperer, Jochum/Dresde, Masur, Skrowaczewski, Wand et tant d’autres… !

Les morts du 13 juillet : Kleiber, Maazel

On a beau dire et écrire que les grands chefs ne meurent pas puisque les témoignages de leur art les immortalisent. Certains, plus que d’autres, nous manquent parce qu’ils n’ont jamais eu de successeurs de leur niveau.

13 juillet 2004 : Carlos Kleiber

Plus le temps passé depuis sa disparition il y a vingt ans, plus la figure, la personnalité, l’art de Carlos Kleiber nous apparaissent comme uniques, extraordinaires, irremplaçables. Tout a déjà été dit et écrit sur le fils d’un autre géant Erich Kleiber, même un très mauvais livre du bientôt ex-ministre de l’économie.

Relire le portrait que j’avais fait : Carlos Kleiber

13 juillet 2014 : Lorin Maazel

Autant Carlos Kleiber était rare sur le podium ou dans la fosse, parcimonieux dans sa discographie, autant son presque contemporain Lorin Maazel était prolifique, courant après les postes, les honneurs et l’argent, sans qu’on parvienne toujours bien à distinguer l’essence de son talent.

Le temps a fait son œuvre et l’on mesure aujourd’hui la chance qu’ont eue les orchestres qu’il dirigeait, et qui sous la précision de la baguette pouvaient parfois, souvent, atteindre des sommets. Lire le portrait que j’avais fait de lui, il y a dix ans exactement : L’Américain de Paris

A l’occasion du centenaire de la mort de Puccini, on peut rappeler que Lorin Maazel était aussi un chef lyrique particulièrement inspiré dans les ouvrages de ce compositeur.

Wolfgang S. : les retards d’un centenaire

J’ai vérifié, le copyright des deux coffrets est bien daté 2024 ! Ce n’est donc pas une publication retardée. Pourquoi, comment a-t-on pu rater d’un an chez les deux grands éditeurs concernés, le centenaire… en 2023 du grand chef allemand Wolfgang Sawallisch (1923-2013) ?

Comme pour se rattraper de ce retard, Warner et Decca nous proposent deux forts pavés – avec un troisième annoncé – qui nous restituent un legs discographique longtemps resté en retrait ou sous-estimé.

En réalité, c’est le chef lui-même qui est resté en retrait, un peu comme un autre grand chef allemand, Karl Böhm (à propos de qui j’avais écrit un billet qui m’avait valu quelques indignations : Faut-il être sexy pour être un grand chef ?). Du temps des Karajan, Bernstein, Abbado, Kleiber, Muti qui brillaient sur les podiums, l’allure austère, le maintien sérieux de Wolfgang Sawallisch ne manquaient pas d’influer, consciemment ou non, sur la considération que lui portaient la critique et le grand public : un honnête Kapellmeister, disait-on avec cette condescendance qui n’appartient qu’aux ignorants.

Si l’on fait abstraction de cette « impression », et que l’on se fie à ses seules oreilles – ce que j’ai toujours fait pour lui comme pour d’autres – on (re)découvre un chef qui sans être ni un révolutionnaire ni un visionnaire est, stylistiquement, un modèle dans le répertoire classique et qui, dans les grandes fresques chorales et/ou lyriques, fait mieux que nous révéler l’essence du romantisme allemand. La seule réserve en effet qu’on peut faire sur ce legs discographique, c’est qu’il ne sort quasiment jamais de la sphère germanique. Mais, que ce soit avec les formations dont il a été le directeur musical (Wiener Symphoniker, Philadelphie, Opéra de Bavière) ou qu’il a régulièrement dirigées (Dresde, Londres, Amsterdam) Wolfgang Sawallisch est, au sens premier du terme, magistral. Et il se niche dans ces deux coffrets, de bien belles surprises.

Sawallisch chez Philips

Cyrus Meher-Homji, le responsable de la collection Eloquence, a repris tous les enregistrements réalisés pour Philips et DG, y compris les disques où Sawallisch se fait compagnon au piano de Fischer-Dieskau, Prey, Schreier. Avec quelques inédits et surtout une remasterisation qui redonne un air bienvenu à des intégrales symphoniques de Schubert (à Dresde) et Brahms (à Vienne) qui souffraient jadis de prises de son qui sentaient le renfermé.

Avec le Concertgebouw, auquel il reviendra dans les années 80 pour une intégrale Beethoven, il grave une Pastorale et une 7e de toute beauté :

Et plus surprenant, puisqu’il n’y reviendra plus – en dehors des ballets – Tchaikovski et une Cinquième symphonie exemplaire qui bénéficie de ce son si spécifique au Concertgebouw (la salle comme l’orchestre)

A une époque où elles étaient plutôt rares, les cinq symphonies de Mendelssohn ont trouvé en Sawallisch un interprète magnifique, auquel on doit joindre la version de référence de l’oratorio Elias :

Et puis, outre les récitals de Lieder, l’ajout considérable de ce coffret (par rapport à un précédent qu’on avait trouvé et acheté au Japon), ce sont les opéras de Wagner captés à Bayreuth dans un son somptueux et avec des équipes glorieuses : Le Vaisseau fantôme, Lohengrin, Tannhäuser.

Peu d’inédits en dehors de quelques extraits en mono de Lortzing et Mascagni, et surtout un second disque de polkas et valses de Strauss que j’ignorais. En écrivant ces mots; je trouve sur YouTube ce document étonnant, où Sawallisch explique l’esprit de la valse viennoise au piano puis à la tête de l’orchestre de la RAI :

Sawallisch Warner vol. 1

EMI et Wolfgang Sawallisch, c’est une histoire qui a commencé à la fin des années 50, le chef était tout jeune, à l’instigation du grand patron du label anglais Walter Legge. Il y en a quelques traces dans ce coffret Warner présenté comme un 1er volume (orchestre, oeuvres chorales) qui devrait être suivi d’un coffret comportant tout le legs lyrique, en particulier les opéras de Richard Strauss.

Comme un formidable disque d’ouvertures de Weber :

Autant que dans le coffret Decca, il y a dans cette boîte Warner de magnifiques documents, notamment tout ce que le chef allemand a gravé avec le somptueux orchestre de Philadelphie, dont il a assumé la direction musicale de 1993 à 2003, à la suite de Riccardo Muti. Les Hindemith et Richard Strauss sont splendides, tout comme l’étonnant disque de transcriptions de Stokowski.

Dans les sommets de cette discographie, il y a la version jamais dépassée des Symphonies de Schumann, avec une Staatskapelle de Dresde en état de grâce.

Les symphonies de Beethoven – rebelote avec le Concertgebouw – sont à remettre très haut dans la liste des références, alors qu’elles avaient été peu remarquées à leur sortie.

De même les symphonies de Brahms, enregistrées cette fois à Londres, avec deux extraordinaires concertos pour piano avec Stephen Kovacevich en soliste

On devrait consacrer tout un article à Sawallisch pianiste, accompagnateur recherché par les plus grands chanteurs de son temps. Je le ferai certainement.

Les anniversaires 2024 (V) : Ives l’Américain

Dernier épisode de cette courte série annonçant les anniversaires à célébrer en 2024.

Quand on veut faire bref, on cite Charles Ives comme le premier compositeur américain natif. Historiquement inexact, mais musicalement significatif ! 2024 va permettre de célébrer le compositeur né le 20 octobre 1874 à Danbury dans le Connecticut, mort 80 ans plus tard à New York, le 19 mai 1954.

L’intérêt de Charles Ives pour le mélomane européen est qu’il n’entre dans aucune case, aucune catégorie pré-définie. Et s’il nous fallait simplement des oreilles neuves, débarrassées de références, de comparaisons, pour écouter une oeuvre disparate, audacieuse, singulière. Il n’est que de prendre ses quatre symphonies, elles sont très différentes les unes des autres. On y reviendra.

Clin d’oeil au pays natal de Charles Ives, avec cette oeuvre de jeunesse – il a 17 ans -, ces Variations sur America, l’hymne des Etats-Unis, d’abord destinées à l’orgue, puis orchestrées par un compatriote d’Ives, William Schuman (1910-1982)

A l’autre extrême, la Quatrième symphonie composée entre 1910 et 1916 qui ne fut créée qu’en 1965 par Leopold Stokowski ! Je me rappelle l’avoir entendue une fois à la Philharmonie de Berlin dans une joyeuse mais parfaite cacophonie.

Ici dans un concert donné dans le cadre des Prom’s de Londres, avec un maître de cérémonie particulièrement avisé :

Sur le plan discographique, personne n’égale la quasi-intégrale d’orchestre réalisée par Michael Tilson-Thomas avec les splendeurs des orchestres de Chicago et Amsterdam !

Les anniversaires 2024 (II) : Smetana

Autre anniversaire fêté en 2024, celui de Bedrich Smetana né le 2 mars 1824 à Litomyšl et mort le 12 mai 1884 à Prague.

On espère que ce bicentenaire permettra de faire mieux connaître une oeuvre qui ne se résume pas à La Moldau et au cycle Ma Patrie dans lequel s’insère ce célèbre poème symphonique.

En guise d’apéritif, avant qu’on y revienne plus longuement dans quelques semaines, deux cadeaux.

La fiancée de Schwarzkopf

On n’imagine absolument pas Elisabeth Schwarzkopf (1915-2006) incarner Mařenka, l’héroïne de La Fiancée vendue, le plus célèbre opéra de Smetana, extrêmement populaire en pays germaniques, mais quasiment inconnu en France (il n’est entré qu’en 2008 au répertoire de l’opéra de Paris!). La soprano allemande a, comme toutes ses consoeurs, enregistré une série d’airs d’opéras, qu’elle n’a jamais interprétés sur scène ni en concert, comme cet air « endlich allein »

La patrie de Doráti

Je n’étais pas peu fier, comme je l’ai raconté ici le 31 décembre, de découvrir par hasard à Bologne quelques disques rares, comme cette intégrale du cycle de six poèmes symphoniques, Ma Patrie, que je suis sûr d’avoir eu déjà dans ma discothèque, mais que j’ai dû perdre au cours de mes déménagements. La seule gravure du cycle par Antal Doráti avec le Concertgebouw d’Amsterdam ! Peut-être pas très couleur locale, mais qu’est-ce que c’est beau !

Klaus, Nicholas, Santtu, Vincent et les autres

D’un dimanche à l’autre, je suis passé par toutes sortes d’émotions « positives ».

Le Mahler de Mäkelä

Le festival Enesco de Bucarest s’achevait le week-end dernier par deux concerts de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dirigé par son futur chef Klaus Mäkelä. J’étais évidemment curieux de découvrir ce que donnerait la rencontre entre le jeune Finlandais, qui nous a habitués à Paris à tant de belles choses, et ce fabuleux orchestre hors ses murs. J’en ai fait le compte-rendu pour Bachtrack : Klaus Mäkelä et le Concertgebouw en majesté à Bucarest. Et comme je l’ai écrit, je ne veux retenir que le souvenir d’une Troisième symphonie de Mahler, dont le dernier mouvement continue de me hanter. Je n’ai pas l’habitude de recourir à l’exagération, mais je n’avais jusqu’alors jamais entendu d’aussi sublime.

J’emprunte à une consoeur de Bachtrack, une partie du papier (The definition of love) qu’elle fit à la mi-septembre après avoir entendu les mêmes in situ. J’aurais pu signer ces lignes :

In the finale, originally subtitled What Love Tells Me, one of the finest symphonic movements ever written, tears welled in my eyes after just the first few notes. The subdued restraint and beauty in the strings was quite overwhelming. Mahler asks the question: What is love? Words truly are not enough when we have music such as this.

The intense horn and string climax, the rising double bass figures, the warmth of the oboe entry – almost vocal in quality – displayed playing of the highest calibre/…/This was Mäkelä and the RCO at their best, finding long lines, the phrasing, the nuance and that special something in a score laden with Mahler’s detailed instructions while the music became ever more urgent. Horn bells aloft again, the final climax was perfectly timed before shimmering violas and a flute, wafting like a butterfly, led us to Mahler’s definition of love. This was not the usual triumphant ending, but something much more subtle. Tonight’s concert will stay long in the memory.  (Backtrack, 16 septembre 2023, Clare Varney)

Le chapeau de paille de Vincent Dedienne

Titre provocateur qui ne correspond en rien à la réalité du spectacle vu ce jeudi soir au théâtre de la Porte Saint Martin… même si la promotion s’appuie sur la notoriété de l’humoriste/comédien.

Suivant une mode très contestable, qui consiste à faire un « avant-papier » et non une critique a posteriori, Le Monde s’était fendu d’un long article (Alain Françon embarque sur le rêve de Labiche) qui, il est vrai, m’avait intrigué, ne serait-ce que parce qu’Alain Françon n’est pas réputé pour son appétit pour la gaudriole ou le vaudeville !

Eh bien, non seulement on n’a pas regretté sa soirée, mais on a redécouvert les ressorts du théâtre de Labiche, et cette pièce en particulier – Un chapeau de paille d’Italie – qu’on n’a pas le souvenir d’avoir jamais vue sur scène.

Je n’ai pas vu l’intérêt de la contribution de Feu! Chatterton à cette mise en scène, surtout après avoir assourdi toute la salle au lever de rideau… mais elle ne dénature pas l’esprit de Labiche. Esprit de Labiche qu’Alain Françon, au contraire, exalte, décuple, en exacerbant les effets comiques, poussant chacun de ses nombreux acteurs/actrices à l’extrême de leur fantaisie (qu’on veut tous citer ici : Vincent Dedienne, Anne Benoit, Eric Berger, Emmanuelle Bougerol, Rodolphe Congé, Laurence Côte, Suzanne De Baecque, Luc-Antoine Diquéro, Noémie Develay-Ressiguier, Antoine Heuillet, Tommy Luminet, Marie Rémond, Alexandre Ruby, Balthazar Gouzou, Victor Lalmanach, Noémie Moncel, Léa Constance Piette, Fiona Stellino, Baptiste Znamenak).

On ne s’aperçoit qu’aux saluts que c’est une actrice – fabuleuse Anne Benoît – qui joue le futur beau-père de Fadinard, le jeune rentier (Vincent Dedienne) et on applaudit absolument toute la troupe sans aucune exception! Spectacle évidemment chaudement recommandé… et bravo évidemment à Vincent Dedienne qui n’avait pas besoin de nous prouver qu’il est d’abord et surtout un formidable comédien.

Pour Chostakovitch

Les fidèles de ce blog savent ma fidélité à un compatriote de Klaus Mäkelä, presque un vétéran à 37 ans (!), mon très cher Santtu-Matias Rouvali, invité régulier du Festival Radio France à Montpellier, du temps où j’en avais la charge, entre 2014 et 2021. Je ne pouvais évidemment manquer le concert qu’il dirigeait à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France, à la maison de la radio, vendredi soir.

L’attraction de ce concert – sans entracte ! une « nouveauté » de la saison Radio France, il n’est jamais trop tard pour bien faire ! – était, paraît-il, la violoniste coréenne Bomsori. Dans un tube du répertoire, le concerto de Tchaikovski. La jeune femme, dans une robe rouge qu’elle arbore semble-t-il sur toutes les scènes, est bardée de prix et sort un premier disque chez Deutsche Grammophon (ce qui, aujourd’hui, compte-tenu de la politique artistique complètement erratique d’un label jadis prestigieux, ne représente au mieux que l’assurance d’un soutien promotionnel important). Jamais ce concerto ne m’a paru aussi ennuyeux que sous cet archet besogneux, non exempt d’accrocs et de traits bousculés, aussi banal et parfois de mauvais goût.

On était impatient de passer à la seconde partie du concert : la Sixième symphonie de Chostakovitch, qui tient une place particulière dans mon panthéon personnel

« Quant à la 6ème symphonie de Chostakovitch, c’est encore avec l’Orchestre de la Suisse romande que j’ai pu la programmer et l’entendre pour la première fois en concert ! Je me rappelle encore cette séance du comité de programmation de l’orchestre, présidé par Armin Jordan, lors duquel j’avais suggéré un programme qui me semblait original et cohérent, avec Les Fresques de Piero della Francesca de Martinu, les Chants et danses de la mort de Moussorgski (interprétés par Paata Burchuladze), et cette 6ème de Chostakovitch. Plusieurs membres dudit comité de se récrier, pas assez « grand public », deux oeuvres du XXème siècle ô horreur, même avec un soliste vedette ! Armin Jordan, qui devait diriger ce programme, trancha : « Je ne connais pas ni le Martinu, ni le Chostakovitch, mais si Jean-Pierre le propose, je suis son idée et je dirigerai ce programme ».  Point final ! Et le jour venu, devant un Victoria Hall comble (preuve que le public est toujours plus intelligent que les programmateurs frileux !), Armin Jordan dirigea l’un de ses plus beaux concerts ! » (extrait de mon billet du 18 janvier 2019).

Quand dans le concerto de Tchaikovski, chef et orchestre semblaient être en pilotage automatique, Santtu-Matias Rouvali et l’Orchestre philharmonique de Radio France allaient donner leur pleine puissance dans une oeuvre qui continue de fasciner, ce long mouvement lent qui l’ouvre, presque insoutenable, jusqu’à ce vide sidéral d’où seules émergent le piccolo et la flûte, suivi d’un allegro bien dans la veine sarcastique de son auteur et se terminant dans un presto grinçant à force de paraître si insouciamment guilleret.

Bernstein dans un formidable DVD explique, avec tellement d’évidence, le miroir que forment les deux 6e de Tchaikovski et Chostakovitch :

Pour cette 6e de Chostakovitch, et pour elle seule, on doit réécouter le concert de vendredi sur francemusique.fr.

Hommage incomplet

J’attendais impatiemment ce coffret d’hommage à Nicholas Angelich (lire Le piano était en noir)

On est évidemment très heureux de retrouver tous ces témoignages « live » de l’art d’un musicien si tôt disparu, mais à jamais installé parmi les très grands. Des Liszt captés à Radio France en 1999, la sonate de Berg, une rareté absolue, les quatre Fantaisies de Zemlinsky sur des poèmes de Dehmel (Douai 1995), la 2e suite anglaise de Bach (Québec 2011), les variations sur un thème de Haendel de Brahms (en avril 2019 en Bretagne, testamentaire), un programme tout Ravel, vraiment exceptionnel, au théâtre des Champs-Elysées en 2013, les variations Goldberg sur la meme scène deux ans plus tôt, le quintette de Franck avec les Ébène à Verbier, la sonate 2 pianos et percussions de Bartok avec Martha Argerich, une prodigieuse Waldstein (Lyon 2015) et des Tableaux d’une exposition idiomatiques (Paris 2013), et un seul CD de concertos (le 3e de Rachmaninov avec l’Orchestre philharmonique de Radio France en 2010, la Rhapsodie Paganini avec Tugan Sokhiev avec Toulouse en 2013).

Cet ensemble est formidable, mais on aurait pu/dû aisément le compléter par d’autres captations, tout aussi indispensables, réalisées en Belgique ou en Suisse par les radios publiques. Espérons qu’à défaut de figurer dans ce coffret, ces précieux témoignages seront bientôt disponibles pour le public. C’est le moins qu’on puisse faire pour rendre hommage à un musicien d’une telle envergure.

Rachmaninov : une Première mal aimée

Cet été j’ai pas mal voyagé et donc écouté beaucoup de musique. Une programmation aléatoire m’a fait entendre deux versions de la Première symphonie de Rachmaninov et m’a, du même coup, rappelé une promesse que je m’étais faite d’établir quelques discographies des oeuvres du compositeur russe, né il y a 150 ans et mort il y a 70 ans.

Les heureux Parisiens auront la chance de pouvoir l’entendre fin octobre à la Philharmonie avec l’orchestre « rachmaninovien » par excellence, celui que dirigea le compositeur lui-même et avec lequel il enregistra plusieurs de ses oeuvres, l’orchestre de Philadelphie et son actuel chef Yannick Nezet-Seguin

En attendant, revue de quelques versions -de ma discothèque- pas toujours les plus connues :

  1. Lorin Maazel, Orchestre philharmonique de Berlin (DG)

Une fois de plus, ce n’est pas spontanément qu’on associe Rachmaninov à un chef comme Lorin Maazel. Et pourtant sa gravure des trois symphonies avec Berlin est plus qu’intéressante, elle a été heureusement rééditée dans le coffret presque complet des enregistrements DGG du chef américain disparu en 2014.

2. Walter Weller, Orchestre de la Suisse Romande (Decca)

A l’occasion du décès du violoniste et chef viennois Walter Weller (1939-2015) en juin 2015, j’avais écrit ceci :

« Quelques années plus tôt, j’avais acheté au marché aux puces de St Ouen un coffret de 3 33 tours des Symphonies de Rachmaninov et j’avais été fasciné par la 1ere symphonie (plus, à l’époque, que par les 2e ou 3emes) et par la beauté de la version de….Walter Weller et de l’Orchestre de la Suisse Romande, une captation Decca réalisée en 1971 au Victoria Hall de Genève.

Je me dis que jamais plus je n’aurais l’opportunité d’entendre « en vrai » l’oeuvre et les interprètes de ce disque, si je ne demandais pas à Walter Weller de reprendre cette 1ere symphonie de Rachmaninov vingt ans après cet enregistrement. Il fut d’abord très surpris de ma demande – peut-être n’avait il jamais plus redonné l’oeuvre en concert depuis l’enregistrement ?!, moi-même j’ai dû attendre 2007 et l’enthousiasme de Patrick Davin pour la reprogrammer à Liège ! –

Inutile de dire que ce concert genevois de Walter Weller m’est resté en mémoire (d’autant plus que le Berg donné en première partie avait pour soliste un Pierre Amoyal au sommet de ses moyens).

3. Vladimir Ashkenazy, Concertgebouw Amsterdam (Decca)

Autant je suis loin d’être convaincu par le pianiste Ashkenazy – qui a beaucoup, trop, enregistré – autant je lui reconnais pas mal de belles réussites comme chef d’orchestre, en particulier dans l’oeuvre symphonique de Rachmaninov, où il bénéficie de surcroît du somptueux Concertgebouw d’Amsterdam

4. Charles Dutoit, orchestre de Philadelphie (Decca/Newton)

Ce n’est pas – et de loin – la part la plus connue de la discographie du chef suisse, et pourtant la quasi-intégrale symphonique Rachmaninov que Charles Dutoit a enregistrée l’a été à Philadelphie et compte pour moi parmi les plus inspirées.

5. Zoltan Kocsis, Orchestre national de Hongrie (Budapest Music Center)

Lorsque j’avais rendu hommage à Zoltan Kocsis, le grand pianiste hongrois disparu en novembre 2016, j’avais évoqué, trop brièvement, son activité de chef d’orchestre. La dernière fois que je m’étais rendu à Budapest (et que j’avais encore trouvé un magasin de disques !) j’avais pu acheter ce CD, comportant… la Première symphonie de Rachmaninov !

Je n’ai malheureusement pas trouvé de vidéo de cet enregistrement… mais je le recommande très chaudement. Comme on a toujours chaleureusement recommandé Kocsis dans les concertos de Rachmaninov…

6. Mikhail Pletnev, Orchestre national de Russie (DGG)

Le pianiste Mikhail Pletnev est, de mon point de vue, aussi génial au clavier que sur le podium du chef. Il ne laisse personne indifférent, et c’est pour cela qu’on l’admire.

Il a aussi gravé les trois symphonies de Rachmaninov, et ses partis-pris dans la 1ere peuvent déconcerter autant que passionner l’auditeur.

Pour ne pas encourir le reproche que d’aucuns de mes lecteurs ne manqueraient pas de me faire, je précise que les versions que j’ai retenues ici n’excluent pas évidemment les références que sont Ormandy, Jansons, Svetlanov, et qui demeurent chères à mes oreilles !

Des chefs étoilés

Je me dis, à l’occasion de la parution du Guide Michelin 2023, qu’il y a bien longtemps que je n’ai pas évoqué ici les bonnes tables que j’aime fréquenter. Promis c’est pour bientôt, surtout que les deux étoilés du Val d’Oise, où j’ai mes pénates, ont conservé leur macaron (pour ne pas les citer, le Chiquito à Méry-sur-Oise et L’Or Q’idée à Pontoise).

Je veux ici parler de deux très grands chefs… d’orchestre, qui sont depuis longtemps au firmament de nos amours musicales, à qui leurs éditeurs viennent de rendre un bel hommage discographique.

Abbado et la marque jaune

Comme naguère Deutsche Grammophon/Universal l’avait fait pour Karajan et Bernstein, le célèbre éditeur a réuni dans une grosse boîte très bien agencée la totalité du legs discographique pour Decca et DG de Claudio Abbado (1933-2014). Même s’il s’agit d’une édition limitée, le coffret n’est pas donné : plus de 700 € sauf sur Amazon.fr où il est accessible à 629 €.

L’éditeur a bien fait les choses: 257 CD et 8 DVD. Présentation par ordre alphabétique de compositeurs. Un beau livre richement illustré. Aucun inédit : tout ce qu’Abbado a enregistré depuis les premiers disques pour Decca au milan des années 60 jusqu’aux derniers avec son orchestre « Mozart » de Bologne ou le festival de Lucerne. Deux intégrales des symphonies de Beethoven (avec Vienne et Berlin, mais avec les Berliner seulement les captations faites en Italie, et non celles faites en studio à Berlin qu’Abbado avait finalement interdites), idem pour Brahms, pour Mahler quasiment trois intégrales partagées entre Berlin, Vienne et Chicago). La partie, pour moi, la plus intéressante, la plus émouvante aussi, est cette ultime série d’enregistrements réalisés à Bologne avec la formation fondée par le chef italien en 2004. Beaucoup m’avaient échappé, notamment ces Mozart si allègres, vif-argent. On ne peut s’empêcher d’être étreint par l’émotion lorsqu’on revoit les derniers concerts d’un homme dont le visage avait revêtu le masque de la mort qui allait finalement l’emporter au début de 2014.

Haitink et le Concertgebouw

Le lien entre l’orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam et le chef néerlandais Bernard Haitink (1929-2021) ne se réduit pas à la période, déjà considérable, pendant laquelle le second fut le directeur musical du premier, de 1964 à 1988. Les premiers enregistrements datent de 1959, les derniers des années 2010.

C’est ce que Decca a rassemblé dans un coffret luxueux – beaucoup moins cher qu’Abbado ! – Tous les détails ici : Bernard Haitink l’intégrale Concertgebouw

Comme je l’indique sur bestofclassic, le coffret regroupe tout ce que Bernard Haitink a enregistré avec la prestigieuse phalange amstellodamoise, et lorsqu’une intégrale comme les symphonies de Chostakovitch a été partagée entre Amsterdam et le London Philharmonic, l’éditeur a eu le bon goût de tout conserver !

Ce qui intéresse ici, c’est un grand nombre d’inédits en CD ou sur le marché international, comme des Dvorak, des Mendelssohn, c’est aussi, dans le cas de Bruckner et Mahler, l’ensemble des versions captées par le chef et l’orchestre, pas seulement celles retenues dans le cadre d’une intégrale. Et le cadeau des DVD – que j’avais déjà depuis longtemps achetés aux Pays-Bas- des concerts de Noël consacrés à Mahler.

Evoquant Bernard Haitink, je ne peux oublier les concerts qu’il a dirigés ces dix dernières années à la tête de l’Orchestre national de France. Je me rappelle en particulier celui du 23 février 2015, quelques semaines après l’inauguration de l’Auditorium de la Maison de la radio. J’étais bien sûr allé saluer le chef dans sa loge, qui était restée fermée un long moment, parce que, avec l’aide de son épouse, le vieil homme tenait à se changer et à se présenter « dans une tenue décente » (selon les mots de Madame !) à ceux qui venaient le féliciter. La modestie et la gentillesse de Bernard Haitink n’étaient pas feintes. C’est lui qui nous remerciait de l’avoir invité et écouté !

L’art de la critique (suite)

Voilà quelques semaines que j’ai endossé un nouveau rôle, celui de critique musical. Nouveau ? pas tant que cela m’ont répondu d’aucuns, puisque, selon eux, je le faisais déjà sur mon blog. Pas tout à fait faux, même si mes remarques ici ne peuvent être assimilées à une critique construite, étayée. Exercice auquel je dois me plier, essayer en tout cas, lorsque j’écris pour Bachtrack (voir mon dernier papier sur l’intégrale Schumann de l’ONF et Daniele Gatti)

Bon public

Je n’ai plus de responsabilité dans le monde musical, je ne suis plus directeur d’un festival, d’une entreprise culturelle, d’une chaîne de radio, mais je suis resté le même, à l’égard des musiciens, des artistes, des professionnels que j’ai côtoyés et qui sont souvent devenus des amis. Est-ce à dire que je dois m’interdire de les critiquer ? Non bien sûr, mais connaissant leur démarche, leur travail, je me mets à la place du public, je suis dans le public, et j’essaie de raconter ce que j’ai vu et entendu, et qui parfois m’a surpris ou déçu (ainsi du dernier récital de Fazil Say à Paris).

J’avoue que je suis parfois soulagé de ne pas avoir à faire la critique d’un concert auquel j’assiste. Dernier en date, mardi dernier, l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam à la Philharmonie, dirigé par Paavo Järvi, avec en soliste Lisa Batiashvili.

Je n’aurais pas pu écrire un dithyrambe comme celui de mon estimé collègue sur Bachtrack, qui ne tarit pas d’éloges sur le jeu de la violoniste dans le Concerto de Beethoven. Au sortir de cette longue, très longue première partie de concert, je faisais part à des amis – devrais-je dire maintenant des « collègues » ? – du Figaro, de Diapason, de ma perplexité : pourquoi ces tempi si lents qui rendent le premier mouvement interminable ? pourquoi une quasi-absence de l’orchestre et du chef ? J’avais le souvenir de ce disque si formidable :

Apercevant à quelques sièges le jeune violoniste Daniel Lozakovich, je me rappelais la toute autre impression qu’il m’avait laissée, le 11 juillet 2019, en ouvrant le Festival Radio France à Montpellier, au côté d’un autre Järvi ! :

« Le concerto de Beethoven passe comme un rêve, le petit prodige suédois nous donne à entendre l’essence, le coeur d’une oeuvre qui fuit l’épate et la virtuosité gratuite, Lozakovich et Järvi s’écoutent, se répondent, atteignent plus d’une fois au sublime, à cet état suspendu de pure beauté. Le silence est absolu dans la vaste salle de l’opéra Berlioz du Corum de Montpellier. Nous avons tous le sentiment de vivre l’un de ces moments que la mémoire rendra indélébile… » (Opening Nights).

Pour en revenir au concert de mardi dernier, l’unanimité s’est faite sur la deuxième partie, la Cinquième symphonie de Prokofiev. Pierre Liscia (Bachtrack) souligne l’extraordinaire démonstration de discipline orchestrale donnée par l’Orchestre du Concertgebouw, véritable star de la soirée .

On continue de ne pas aimer le très soviétique premier mouvement, comme un exercice obligé de la part du compositeur pour célébrer la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie (l’oeuvre est créée le 13 janvier 1945 dans la grande salle du Conservatoire de Moscou). Les trois mouvements suivants sont, eux, du pur Prokofiev, agreste, lyrique, virtuose. Paavo Järvi manifeste un contrôle de tous les instants sur la formidable machine orchestrale. On aimerait parfois qu’il se lâche un peu.

Le respect des artistes

Je me réjouissais d’entendre Lukas Geniušas le 8 février dans le bel écrin de la Salle Cortot. Le pianiste lituanien ayant déclaré forfait, il était remplacé par un artiste que j’avais souvent invité à Liège, libre, fantasque, étrange, Severin von Eckardstein. Programme étrange (sa transcription pour piano de Mort et transfiguration de Richard Strauss, Liszt, la 32ème sonate de Beethoven). Heureusement que je n’avais pas de critique à écrire…Je suis sorti décontenancé, malheureux, déçu. Il faut aussi accepter ces rendez-vous ratés, au nom même de l’admiration et du respect qu’on porte à ces artistes.

En attendant, il faut écouter les disques du pianiste allemand. Ils ne nous ont jamais déçu !