Pour les chrétiens, la fête de Pâques commémore la résurrection du Christ. Il y a treize ans, j’étais en Russie le jour où la Pâque orthodoxe coïncidait avec les Pâques catholique et protestante (lire La grande pâque russe).
Musicalement, la Résurrection est inscrite dans toutes les messes « ordinaires », et la proclamation « Et resurrexit » est le moment d’une exultation, d’une joie extraordinaire.
Comme dans la Messe en si de Bach :
Et bien sûr dans la Missa solemnis de Beethoven, dans l’interprétation pour moi insurpassée d’un Otto Klemperer survolté :
Puisqu’on a brièvement évoqué le coffret Warner consacré à Neville Marriner, en attendant d’y revenir en détail, cet extrait de l’une des messes de Haydn enregistrées par le chef anglais à Dresde :
Parfois l’évocation de Pâques se cache dans les oeuvres les moins attendues, comme ce carillon de Première suite pour deux pianos de Rachmaninov :
On ne peut faire l’impasse sur le finale de la 2e symphonie de Mahler, dite « Résurrection », surtout après vu le film Maestro (Bernstein ou le génie à vif) où Bradley Cooper reproduit de manière saisissante cette fin de concert dirigée par Leonard Bernstein à Londres en 1974.
J’ignore comment on (et qui) programme les sorties chez Warner Classics, mais comme je l’écrivais ici « l’avalanche d’automne n’est pas terminée« , puisque coup sur coup sortent deux coffrets consacrés à deux magnifiques musiciens, nés à cinq mois d’écart en 1970, le Norvégien Leif Ove Andsnes et l’Allemand Lars Vogt tragiquement disparu le 5 septembre 2022 vaincu par le cancer.
On attendait cet hommage au pianiste allemand, on est plus surpris par celui du Norvégien qui est toujours, heureusement pour lui et nous, en pleine activité (mais qui a changé d’éditeur depuis quelques années !).
Lars Vogt ou la musique en famille
Avant qu’il ne devienne l’éphémère directeur musical de l’Orchestre de chambre de Paris, le pianiste Lars Vogt n’avait pas en France la notoriété qu’il avait tôt acquise dans la sphère germanique et au Royaume-Uni. Toujours les mystères des programmations….
Etrangement – à moins que ce ne soit délibéré – ce coffret récapitulatif comporte assez peu de pièces pour piano solo, un seul disque Beethoven, un seul Schumann, Brahms est mieux servi, comme Haydn et Mozart, quasiment pas de concertos, en dehors de ceux que le jeune Allemand grava avec Simon Rattle à Birmingham (Grieg, Schumann, Beethoven 1 et 2, dont 2 versions du n°1, l’une avec les cadences de Glenn Gould). En revanche, l’évidence apparaît, aveuglante : Lars Vogt faisait, aimait la musique en famille. Ses partenaires s’appellent Christian et Tanja Tetzlaff, Boris Pergamenchikov – et après la mort de ce dernier – Gustav Rivinius.
Pour moi, les noms de Lars Vogt, Christian et Tanja Tetzlaff sont à jamais liés dans ma mémoire à une date tragique – le 9 janvier 2015 : lire Le silence des larmes
On l’a compris, tout cet admirable coffret – disponible à petit prix – est absolument indispensable. Et on ne peut évidemment pas faire abstraction de ce que Lars Vogt nous a laissé à Paris, faisant jusqu’au bout triompher la musique…
Leif Ove Andsnes ou le clavier impérial
Ce qui frappe d’emblée à l’écoute des disques du coffret Warner – beaucoup d’entre eux m’étaient inconnus, à moins que je n’y aie pas porté intérêt à leur sortie – c’est la qualité de la prise de son, de la captation d’un piano somptueux, ce qui est loin d’avoir toujours été le cas chez cet éditeur.
Grieg bien sûr, ses Rachmaninov avec Pappano, les quelques sonates et concertos de Haydn, mais ses Schubert si simplement éloquents – et un partenaire qui en dérange plus d’un, Ian Bostridge – , la redécouverte d’un Chopin – les trois sonates pour piano – si poétique.
Encore un indispensable de toute discothèque d’honnête homme !
Être et avoir été
Puisque j’évoque des pianistes quinquagénaires, je rappelle l’hommage rendu il y a quelques semaines à un autre musicien trop tôt disparu, Nicholas Angelich (lire Hommage incomplet)
Mais je m’interroge aussi sur le devenir de pianistes qui ont connu très jeunes la célébrité, qui nous ont éblouis par leurs dons précoces, leur talent hors norme, et qui aujourd’hui, la cinquantaine passée, semblent assumer difficilement les avancées de l’âge. Leur jeu s’est crispé, la technique est de plus en plus souvent prise en défaut, comme en témoignent leurs derniers concerts ou enregistrements.
A propos d’Evgueni Kissin, je n’avais rien dit de sa prestation au Festival Radio France 2019, malgré l’intense déception que j’en éprouvai alors. Alain Lompech a parlé tout récemment dans Bachtrack de ses « errements« . J’écrivais moi-même à l’occasion de la publication de ce DVD : « Pour fêter ses 50 ans, l’enfant prodige du piano russe, Evgueni Kissin, donnait au festival de Salzbourg le 14 août 2021 un bien curieux récital : aucune grande pièce du répertoire, aucune grande sonate, une juxtaposition bien disparate de pièces courtes, censées évoquer ses propres souvenirs. Après la sonate de Berg bien pauvre en couleurs, que venaient faire ici quatre pièces totalement insipides d’un compositeur que le jeune Kissin se trouvait naguère obligé de jouer notamment lors de tournées à l’étranger, le tout puissant secrétaire de l’union des compositeurs de l’Union soviétique de 1948 à 1998 ( !) Tikhon Khrennikov. Totalement inutiles et inaudibles. Les préludes de Gershwin sont mieux venus, même s’ils sont bien peu idiomatiques. Les six pièces de Chopin qui suivent, dont la Polonaise « héroïques » rappellent le fabuleux interprète qu’en fut Kissin dans sa jeunesse, mais elles sonnent ici plus dur que virtuose. Les bis qui terminent cet étrange récital agissent comme une libération sur le pianiste qui ne s’est jusqu’alors jamais départi d’une réserve qu’on ne lui connaissait pas, notamment un amusant « tango dodécaphonique » de son cru » (Clicmusique).
L’autre célèbre quinquagénaire est Hélène Grimaud, qui fait la promotion de son nouveau livre. Je viens de visionner un nouveau DVD enregistré à Hambourg.
J’aurais tellement aimé louer la poésie de son jeu dans les concertos de Mozart (n°20) et Schumann, je n’en ai malheureusement retenu qu’une crispation, une dureté, parfois une précipitation, qui témoignent d’une fragilité, d’une incertitude, qui ne sont pas en soi répréhensibles dans le cas d’une artiste comme elle.
Est-ce à dire – je ne suis pas loin de le penser – qu’avoir été un musicien précoce, très tôt exposé à la célébrité, peut poser problème à certains de ces artistes, à qui on n’excuse aucune faiblesse, aucune difficulté ? Il y aurait tout un sujet à développer, avec exemples (des prodiges qui ont abandonné la carrière) et contre-exemples (comme une Martha Argerich, qui à 80 ans passés, continue d’être ce qu’elle était à 20 ans !)
D’un dimanche à l’autre, je suis passé par toutes sortes d’émotions « positives ».
Le Mahler de Mäkelä
Le festival Enesco de Bucarest s’achevait le week-end dernier par deux concerts de l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, dirigé par son futur chef Klaus Mäkelä. J’étais évidemment curieux de découvrir ce que donnerait la rencontre entre le jeune Finlandais, qui nous a habitués à Paris à tant de belles choses, et ce fabuleux orchestre hors ses murs. J’en ai fait le compte-rendu pour Bachtrack : Klaus Mäkelä et le Concertgebouw en majesté à Bucarest. Et comme je l’ai écrit, je ne veux retenir que le souvenir d’une Troisième symphonie de Mahler, dont le dernier mouvement continue de me hanter. Je n’ai pas l’habitude de recourir à l’exagération, mais je n’avais jusqu’alors jamais entendu d’aussi sublime.
J’emprunte à une consoeur de Bachtrack, une partie du papier (The definition of love) qu’elle fit à la mi-septembre après avoir entendu les mêmes in situ. J’aurais pu signer ces lignes :
In the finale, originally subtitled What Love Tells Me, one of the finest symphonic movements ever written, tears welled in my eyes after just the first few notes. The subdued restraint and beauty in the strings was quite overwhelming. Mahler asks the question: What is love? Words truly are not enough when we have music such as this.
The intense horn and string climax, the rising double bass figures, the warmth of the oboe entry – almost vocal in quality – displayed playing of the highest calibre/…/This was Mäkelä and the RCO at their best, finding long lines, the phrasing, the nuance and that special something in a score laden with Mahler’s detailed instructions while the music became ever more urgent. Horn bells aloft again, the final climax was perfectly timed before shimmering violas and a flute, wafting like a butterfly, led us to Mahler’s definition of love. This was not the usual triumphant ending, but something much more subtle. Tonight’s concert will stay long in the memory. (Backtrack, 16 septembre 2023, Clare Varney)
Titre provocateur qui ne correspond en rien à la réalité du spectacle vu ce jeudi soir au théâtre de la Porte Saint Martin… même si la promotion s’appuie sur la notoriété de l’humoriste/comédien.
Suivant une mode très contestable, qui consiste à faire un « avant-papier » et non une critique a posteriori, Le Monde s’était fendu d’un long article (Alain Françon embarque sur le rêve de Labiche) qui, il est vrai, m’avait intrigué, ne serait-ce que parce qu’Alain Françon n’est pas réputé pour son appétit pour la gaudriole ou le vaudeville !
Eh bien, non seulement on n’a pas regretté sa soirée, mais on a redécouvert les ressorts du théâtre de Labiche, et cette pièce en particulier – Un chapeau de paille d’Italie – qu’on n’a pas le souvenir d’avoir jamais vue sur scène.
Je n’ai pas vu l’intérêt de la contribution de Feu! Chatterton à cette mise en scène, surtout après avoir assourdi toute la salle au lever de rideau… mais elle ne dénature pas l’esprit de Labiche. Esprit de Labiche qu’Alain Françon, au contraire, exalte, décuple, en exacerbant les effets comiques, poussant chacun de ses nombreux acteurs/actrices à l’extrême de leur fantaisie (qu’on veut tous citer ici : Vincent Dedienne, Anne Benoit, Eric Berger, Emmanuelle Bougerol, Rodolphe Congé, Laurence Côte, Suzanne De Baecque, Luc-Antoine Diquéro, Noémie Develay-Ressiguier, Antoine Heuillet, Tommy Luminet, Marie Rémond, Alexandre Ruby, Balthazar Gouzou, Victor Lalmanach, Noémie Moncel, Léa Constance Piette, Fiona Stellino, Baptiste Znamenak).
On ne s’aperçoit qu’aux saluts que c’est une actrice – fabuleuse Anne Benoît – qui joue le futur beau-père de Fadinard, le jeune rentier (Vincent Dedienne) et on applaudit absolument toute la troupe sans aucune exception! Spectacle évidemment chaudement recommandé… et bravo évidemment à Vincent Dedienne qui n’avait pas besoin de nous prouver qu’il est d’abord et surtout un formidable comédien.
Pour Chostakovitch
Les fidèles de ce blog savent ma fidélité à un compatriote de Klaus Mäkelä, presque un vétéran à 37 ans (!), mon très cher Santtu-Matias Rouvali, invité régulier du Festival Radio France à Montpellier, du temps où j’en avais la charge, entre 2014 et 2021. Je ne pouvais évidemment manquer le concert qu’il dirigeait à la tête de l’Orchestre philharmonique de Radio France, à la maison de la radio, vendredi soir.
L’attraction de ce concert – sans entracte ! une « nouveauté » de la saison Radio France, il n’est jamais trop tard pour bien faire ! – était, paraît-il, la violoniste coréenne Bomsori. Dans un tube du répertoire, le concerto de Tchaikovski. La jeune femme, dans une robe rouge qu’elle arbore semble-t-il sur toutes les scènes, est bardée de prix et sort un premier disque chez Deutsche Grammophon (ce qui, aujourd’hui, compte-tenu de la politique artistique complètement erratique d’un label jadis prestigieux, ne représente au mieux que l’assurance d’un soutien promotionnel important). Jamais ce concerto ne m’a paru aussi ennuyeux que sous cet archet besogneux, non exempt d’accrocs et de traits bousculés, aussi banal et parfois de mauvais goût.
On était impatient de passer à la seconde partie du concert : la Sixième symphonie de Chostakovitch, qui tient une place particulière dans mon panthéon personnel
« Quant à la 6ème symphonie de Chostakovitch, c’est encore avec l’Orchestre de la Suisse romande que j’ai pu la programmer et l’entendre pour la première fois en concert ! Je me rappelle encore cette séance du comité de programmation de l’orchestre, présidé par Armin Jordan, lors duquel j’avais suggéré un programme qui me semblait original et cohérent, avec Les Fresques de Piero della Francesca de Martinu, les Chants et danses de la mort de Moussorgski (interprétés par Paata Burchuladze), et cette 6ème de Chostakovitch. Plusieurs membres dudit comité de se récrier, pas assez « grand public », deux oeuvres du XXème siècle ô horreur, même avec un soliste vedette ! Armin Jordan, qui devait diriger ce programme, trancha : « Je ne connais pas ni le Martinu, ni le Chostakovitch, mais si Jean-Pierre le propose, je suis son idée et je dirigerai ce programme ». Point final ! Et le jour venu, devant un Victoria Hall comble (preuve que le public est toujours plus intelligent que les programmateurs frileux !), Armin Jordan dirigea l’un de ses plus beaux concerts ! » (extrait de mon billet du 18 janvier 2019).
Quand dans le concerto de Tchaikovski, chef et orchestre semblaient être en pilotage automatique, Santtu-Matias Rouvali et l’Orchestre philharmonique de Radio France allaient donner leur pleine puissance dans une oeuvre qui continue de fasciner, ce long mouvement lent qui l’ouvre, presque insoutenable, jusqu’à ce vide sidéral d’où seules émergent le piccolo et la flûte, suivi d’un allegro bien dans la veine sarcastique de son auteur et se terminant dans un presto grinçant à force de paraître si insouciamment guilleret.
Bernstein dans un formidable DVD explique, avec tellement d’évidence, le miroir que forment les deux 6e de Tchaikovski et Chostakovitch :
Pour cette 6e de Chostakovitch, et pour elle seule, on doit réécouter le concert de vendredi sur francemusique.fr.
On est évidemment très heureux de retrouver tous ces témoignages « live » de l’art d’un musicien si tôt disparu, mais à jamais installé parmi les très grands. Des Liszt captés à Radio France en 1999, la sonate de Berg, une rareté absolue, les quatre Fantaisies de Zemlinsky sur des poèmes de Dehmel (Douai 1995), la 2e suite anglaise de Bach (Québec 2011), les variations sur un thème de Haendel de Brahms (en avril 2019 en Bretagne, testamentaire), un programme tout Ravel, vraiment exceptionnel, au théâtre des Champs-Elysées en 2013, les variations Goldberg sur la meme scène deux ans plus tôt, le quintette de Franck avec les Ébène à Verbier, la sonate 2 pianos et percussions de Bartok avec Martha Argerich, une prodigieuse Waldstein (Lyon 2015) et des Tableaux d’une exposition idiomatiques (Paris 2013), et un seul CD de concertos (le 3e de Rachmaninov avec l’Orchestre philharmonique de Radio France en 2010, la Rhapsodie Paganini avec Tugan Sokhiev avec Toulouse en 2013).
Cet ensemble est formidable, mais on aurait pu/dû aisément le compléter par d’autres captations, tout aussi indispensables, réalisées en Belgique ou en Suisse par les radios publiques. Espérons qu’à défaut de figurer dans ce coffret, ces précieux témoignages seront bientôt disponibles pour le public. C’est le moins qu’on puisse faire pour rendre hommage à un musicien d’une telle envergure.
Extrait : « L’homme qui pénètre, seul avec son violon, sur la scène de la Salle Gaveau a aujourd’hui 76 ans. N’était le grisonnant de la chevelure, on a l’impression de retrouver le Gidon Kremer qu’on a pu longuement écouter et fréquenter en 1987 au cours d’une tournée au Japon. Et son air d’éternel adolescent, toujours un peu gauche, presque timide quand il salue le public. Déjà à l’époque – sept ans après avoir fui l’Union Soviétique et son pays natal, la Lettonie, qui en faisait partie – le violoniste jouait systématiquement ses contemporains aux noms imprononçables, en bis des concertos ou sonates du répertoire inscrits à ses programmes. »
Le Japon en 1987
Avant la tournée au Japon et en Californie, à l’automne 1987, de l’Orchestre de la Suisse Romande, que j’avais été invité à suivre comme jeune producteur de la Radio suisse romande, je ne connaissais Gidon Kremer que par le disque (je me rappelle des pochettes Eurodisc !). Le violoniste letton était l’un des solistes, l’autre étant Martha Argerich, embarqués par Armin Jordan dans cette tournée de plus de 5 semaines ! Et ce fut pour moi, cela reste encore aujourd’hui, une somme inoubliable de souvenirs.
J’ai retrouvé sur YouTube l’un des deux concerts que l’OSR avait donnés à Tokyo : je me rappelle avoir préparé la captation avec les équipes de la NHK, la télé publique japonaise, qui n’avaient eu besoin de rien d’autre qu’une minutieuse préparation sur plans, pas de répétition générale, et dont je pense tous les cameramen étaient eux-mêmes musiciens. La preuve ? dans la bande mère que j’avais récupérée, il y avait des plans du public, et une caméra s’était attardée sur… Gidon Kremer présent dans la salle pour écouter sa camarade Martha Argerich ! Ce plan n’a évidemment pas été conservé mais le témoignage de ce concert tokyoite garde toute sa force :
Je n’ai malheureusement pas retrouvé de trace filmée des concerts où Gidon Kremer jouait le concerto de Sibelius. Je me rappelle très bien, comme je l’ai raconté dans mon article pour Bachtrack, que Kremer prenait un malin plaisir à jouer des bis complètement inconnus comme ce finale de la partita pour violon du Lituanien Vitautas Barkauskas (1931-2020)
Montpellier 2019
Du temps où le Festival Radio France Occitanie Montpellier faisait confiance à la curiosité du public et répondait en cela à sa vocation première, j’avais convié, le 15 juillet 2019, Gidon Kremer et sa Kremerata Baltica pour un concert à tous égards exceptionnel : Grâce à France Musique, on peut le réécouter intégralement ici.
Il y avait notamment ce soir-là, un véritable événement, puisque les deux créateurs du chef-d’oeuvre d’Arvo Pärt en 1977, Tabula Rasa, Gidon Kremer et sa partenaire d’alors Tatiana Grindenko, redonnaient ce double concerto devant le public de Montpellier et pour les auditeurs de la radio.
Tous ceux que je croisai ce soir-là à l’entr’acte – et il y avait pas mal d’officiels locaux – me dirent, le souffle encore court, l’intense émotion qui les avait saisis, alors même que, le plus souvent, ils ne connaissaient ni l’oeuvre ni le compositeur ni même les interprètes.
Tout Kremer sans réserve
J’ai déjà consacré pas mal d’articles à Gidon Kremer. J’y renvoie pour plus de détails. Plus je cherche, moins je trouve d’enregistrements, de disques qui seraient négligeables ou moins réussis.
On l’aura compris, moi qui n’aime pas les classements ni les superlatifs, je tiens Gidon Kremer pour le plus grand violoniste de notre temps. D’abord par la qualité exceptionnelle de son jeu, mais surtout par le charisme inépuisable d’une personnalité qui n’a cessé d’inspirer chacun(e) de ses partenaires. Il est, dans tout ce qu’il joue, comme la vibration de l’âme humaine.
Et comme il est d’une infatigable curiosité, il continue de jouer et d’enregistrer de nouveaux répertoires, comme le compositeur Mieczyslaw Weinberg
Rien ne m’irrite plus que l’usage de certains mots, certaines expressions, décalqués de l’anglo-américain, comme « inspirant ». D’un personnage décédé ou à qui on rend hommage, on dit qu’il a été « inspirant »… Il faudra que je trouve le temps de compléter mon Petit dictionnaire incorrect de mots actuels.
En revanche, ce week-end pascal m’a permis de puiser à plusieurs sources d’inspiration, spirituelle, intellectuelle, musicale.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, lorsqu’il m’était arrivé dans le passé de me rendre sur les côtes normandes, par exemple au Festival de Pâques de Deauville, je ne m’étais jamais arrêté dans un. charmant village de l’Eure, persuadé que j’étais qu’il se trouvait… en Bretagne ! Pourtant quelque part dans les tréfonds de ma mémoire, l’Abbaye du Bec-Hellouin m’était familière.
Souvenirs peut-être d’une visite lointaine à Canterbury, siège, depuis le XVIème siècle, de l’église anglicane. Parce que le lien entre les deux cités, les deux abbayes, est historique, et se rappelle avec évidence au visiteur fâché avec l’histoire de France d’avant la Guerre de Cent ans. Plusieurs abbés du Bec (qui deviendra Bec-Hellouin en référence à son fondateur le bienheureux Herluin) – Lanfranc de Pavie et Anselme d’Aoste – seront aussi archevêques de Cantorbéry, comme on l’orthographiait jadis.
Des livres forts
J’ai acheté/téléchargé deux livres forts, tout sauf consensuels ou « médiatiquement corrects ».
Ce n’est pas la première fois que j’apprécie et soutiens le combat de Raphael Glucksmann, qui me semble bien seul à gauche à dire des vérités que les plus gueulards des prétendument « Insoumis » taisent soigneusement quand ils ne les nient pas purement et simplement.
Raphael Glucksmann : « C’est l’histoire de la guerre secrète menée contre nos démocraties. C’est l’histoire d’élites corrompues qui se sont vendues à des puissances étrangères hostiles à nos principes et à nos intérêts. C’est l’histoire de la grande confrontation avec la Russie de Vladimir Poutine que nos dirigeants n’ont pas voulu voir venir mais à laquelle nous ne pouvons plus échapper. Je n’invoquerai pas dans ces pages la morale ou les grands principes, mais la sécurité et la souveraineté. Je n’appellerai pas à l’idéalisme, mais au réalisme. Oui, au réalisme. La guerre qui ébranle l’Europe n’a pas commencé le 24 février 2022 et ne se limite pas aux frontières de l’Ukraine. Elle dure depuis des années et, dans sa forme hybride, touche le cœur même de nos cités. Cette guerre nous vise, nous n’avons pas le droit de la perdre. Il est temps de le comprendre et de l’assumer.«
A lire les tombereaux d’insultes qui pleuvent sur le journaliste François Krug, on se dit qu’il a peut-être touché juste, en remettant au jour le passé peu glorieux, voire hideux, de certaines gloires littéraires actuelles.
Présentation de l’éditeur : Ils sont trois visages et trois têtes de gondole de la littérature française : Michel Houellebecq, Sylvain Tesson, ou encore Yann Moix. Des parcours différents, mais un point commun, ignoré de leurs lecteurs. Dans l’ombre, tous ont été, et sont restés, des « compagnons de route » de l’extrême droite. Cette enquête sur l’itinéraire de ces trois « stars », révèle comment s’est constitué une coterie littéraire très réactionnaire où se côtoient, depuis les années 1990, de petits et de grands écrivains, des éditeurs, des journalistes, des animateurs TV et des idéologues peu fréquentables. C’est l’histoire d’une génération qui, par goût de la provocation, mépris de son époque ou pure conviction, a franchi la ligne rouge – ou plutôt, brune. Sait-on que Michel Houellebecq n’a jamais cessé de prendre sous son aile des royalistes de l’Action française puis des blogueurs stars de la « fachosphère » jusqu’aux dirigeants de Valeurs actuelles ? Sait-on que Sylvain Tesson, l’écrivain-voyageur, a fait ses débuts sur Radio Courtoisie, la station d’extrême droite ? Que son premier voyage, un tour du monde à vélo, se fit sous l’égide d’une association d’anciens de l’Algérie française et du FN ? Qu’il entretient des liens étroits avec la Nouvelle Droite ? Sait-on que les liens de Yann Moix avec des antisémites et même des négationnistes ont été plus étroits qu’il ne veut le dire ? Que ses douteux amis ont joué un rôle dans ses plus grands succès ? Une enquête implacable sur les dessous d’une histoire méconnue.
Une très bonne affaire
Il faut se précipiter sur jpc.de pour acquérir une édition limitée d’un coffret de 34 DVD, pour moins de 70 € (!) :
Tous ces DVD étaient déjà disponibles à prix fort, ou regroupés par chef d’orchestre, à l’exception de deux témoignages tout récents : le concert d’adieu de Zubin Mehta à l’Orchestre philharmonique d’Israel en 2019, et le documentaire réalisé sur Bernard Haitink après sa mort en 2019.
Revoir ces formidables figures, pour trois d’entre elles au crépuscule de leur vie – Barenboim, Ozawa, Mehta -, pour les trois autres toujours si vivantes dans notre mémoire, c’est éprouver une immense gratitude à leur égard sans nostalgie mais avec des bonheurs toujours renouvelés.
Puisqu’il a été décidé que Serge Prokofiev, mort il y a 70 ans, méritait la une des deux magazines français de musique classique (lire Les deux Serge et Prokofiev etc.), réjouissons-nous de voir paraître un copieux coffret de 36 CD chez Warner.
Simple recyclage d’enregistrements déjà bien connus ? Pour partie oui, mais avec pas mal de redécouvertes. Et surtout un choix éditorial qui, dans un catalogue aussi vaste que celui des labels désormais regroupés sous la houlette de Warner (EMI, Erato, Teldec, etc.), prend des partis, retient telle version plutôt que telle autre.
Le piano
Ainsi, pour reprendre dans l’ordre de présentation des CD, dans les sonates pour piano, on retrouve partiellement la formidable intégrale de Vladimir Ovchinnikov, mais aussi l’énorme surprise qu’est la réédition de la 2ème sonate par le tout jeune Rafael Orozco.
Nikolai Luganski joue la 6ème sonate, et c’est, comme une forme d’hommage au pianiste franco-américain trop tôt disparu, à Nicholas Angelich que revient la 8ème sonate (comme son formidable cycle des Visions fugitives)
Les cinq concertos pour piano se partagent entre Andrei Gavrilov / Simon Rattle (1), le récent Beatrice Rana / Antonio Pappano (2), trois versions et non des moindres pour le 3ème, l’historique version du compositeur lui-même secondé par Piero Coppola et le LSO en 1932, Martha Argerich/Charles Dutoit et Alexis Weissenberg/Seiji Ozawa, Michel Béroff/Kurt Masur (4) et Richter/Maazel (5).
Le violon
C’est sans doute dans le chapitre « violon » et musique de chambre qu’il y a le moins de surprises : pour les deux sonates les inusables Repin et Berezovsky, pour les deux concertos les Oistrakh multi-réédités (j’aurais préféré les versions, pour moi insurpassées, de Nathan Milstein avec Giulini (1) et Frühbeck de Burgos (2)), mais aussi les moins connus Perlman avec l’apport de Rojdestvenski au podium.
Pierre et le Loup
Pour ce coffret, Warner avait l’embarras du choix dans les versions du conte musical Pierre et le Loup. Il y a pas moins de 6 versions, en français ,anglais, allemand, japonais, espagnol et néerlandais ! Avec d’illustres narrateurs : une version longtemps introuvable en allemand de Romy Schneider, à l’époque des Sissi, en espagnol avec Miguel Bosé, et en français c’est Claude Piéplu qui est annoncé sur la pochette… et c’est Peter Ustinov qu’on entend aux côtés d’Igor Markevitch et de l’Orchestre de Paris (1969). Le même Peter Ustinov, enregistré plusieurs années auparavant, est également présent dans la version anglaise avec Karajan et le Philharmonia (chef et orchestre qui manquent singulièrement de poésie !)
LesBallets
C’est sans doute le point faible de ce coffret. En dehors des versions archi classiques d’André Previn de Roméo et Juliette et Cendrillon et du bien médiocre Fils prodigue de Lawrence Foster, rien dans les autres ballets et musiques de scène de Prokofiev à se mettre dans l’oreille ! En revanche une belle surprise avec les trois suites de Roméo et Juliette, dues à Armin Jordan et l’orchestre de la Suisse romande, passées sous les radars à leur sortie.
Rien de neuf non plus côté musiques de films ou assimilées : l’Alexandre Nevski d’André Previn manquant vraiment de « russité », l’impressionnant Ivan le Terrible de Riccardo Muti.
Les opéras
A l’instigation de Claude Samuel, les forces musicales de Radio France – Choeur et Orchestre National – avaient prêté leur concours à un très coûteux pour les finances d’Erato : le monumental Guerre et Paix sous la conduite passionnée de Mstislav Rostropovitch. L’Amour des trois oranges réunit la fine fleur du chant français sous la houlette nettement moins fervente de Kent Nagano.
Les symphonies
C’est toujours Rostropovitch et le National qu’on retrouve pour la plupart des symphonies (notamment pour les deux versions de 4ème), Previn conduisant les 1 et 7. On aurait pu imaginer un choix un peu plus vaste, notamment pour la 5ème symphonie…
Le livret du coffret est réduit au minimum, pas de détails sur les CD, les dates d’enregistrement etc… (tout cela c’est sur chaque pochette, écrit en minuscules minuscules !). Un bon texte de Loic Chahine en trois langues.
Précision : j’achète tous les disques et coffrets que je commente et présente dans mon blog. Je n’ai jamais demandé ni reçu ce qu’on appelle dans le jargon professionnel des « services de presse » (gratuits).
Octobre n’est pas fini et on pleure déjà trop de morts.
Lari et France Musique
Le 28 septembre, sur Facebook, j’écrivais : J’apprends par ma chère Arièle Butaux le décès hier après-midi de notre ami Michel Larigaudrie.
De lui, nous qui avons eu la chance de le côtoyer à Radio France, à France Musique, nous pouvons dire : nous l’avons tant aimé.
Jusqu’au bout, dans sa retraite toulonnaise, il est resté un citoyen engagé, exigeant (à l’égard notamment de ses jeunes collègues du service public), révolté souvent par les injustices du monde, plein d’affection et d’attentions pour ses proches et ceux qu’il aimait.
Adieu Lari !
Ces dernières années, Michel Larigaudrie, Lari pour les intimes et comme il signait ses messages, ne manquait pas une occasion de me rappeler les jours heureux, les siens, les miens, de France Musique, m’envoyant les photos qu’il avait prises en maintes circonstances, documentant ainsi précieusement des émissions, des rencontres, qui n’auraient, sinon, pas laissé de traces autres que sonores.
Michael Ponti (1937-2022), j’en ai entendu parler pour la première fois à Genève. C’était son partenaire de musique de chambre, Robert Zimansky, à l’époque violon solo de l’Orchestre de la Suisse romande, qui s’était étonné auprès de moi que ce pianiste à la virtuosité exceptionnelle ne soit jamais invité par l’OSR ! Je ne l’ai jamais entendu en concert, surtout depuis qu’à la fin des années 90 un accident vasculaire l’avait contraint à réduire considérablement son activité. Il est mort le 17 octobre dernier en Allemagne où il vivait.
Mais il laisse un nombre impressionnant d’enregistrements d’oeuvres concertantes, qu’il fut parfois le seul, souvent le premier, à graver. On conseille en particulier ce coffret qui regroupe notamment tous les disques enregistrés pour le label américain Vox :
Jean Teulé le dégingandé
Je ne le croiserai plus dans les rues du Marais, où il avait ses pénates. C’est bête de mourir d’une intoxication alimentaire. C’est ce qui est arrivé à Jean Theulé, 69 ans.
Je n’étais pas ce qu’on peut appeler un « fidèle lecteur », plutôt occasionnel. Je vais rattraper mon retard.
Philippe Aïche, le dernier violon
Je me demandais pourquoi, depuis un bon moment, je ne voyais plus Philippe Aïche à la première chaise – c’est ainsi qu’on nomme la place à laquelle est assis le premier violon, le Konzertmeister, d’un orchestre – de l’Orchestre de Paris. Christian Merlin en révèle la triste raison ce matin dans Le Figaro. Une tumeur au cerveau et la disparition annoncée hier, à 59 ans, d’un musicien, entré en 1985 à l’orchestre, qui récolte l’hommage unanime de toute la profession. Encore une mort injuste.
Philippe Aïche, David Gaillard, répètent la Symphonie concertante de Mozart avec l’orchestre de Paris dirigé par Gianandrea Noseda.
J’ai plein de souvenirs évidemment de Philippe Aïche, mais un tout particulier, lorsqu’il créa, en 1997 je crois, le 2ème concerto pour violon d’Eric Tanguy.
Condoléances à sa famille et ses collègues de l’Orchestre de Paris.
Pauvre hommage
Voici bientôt un an que Nelson Freire a quitté cette vie (voir L’admirable Nelson). Decca annonce des inédits à paraître ces jours-ci.
J’aurais aimé dire du bien d’un livre qui était attendu par tous les admirateurs et les amis du pianiste brésilien – et ils sont nombreux -. Je regrette presque de l’avoir acheté. Voici comment l’éditeur le présente :
« Doté de fabuleux moyens, le Brésilien Nelson Freire est depuis son plus jeune âge l’un des plus grands pianistes au monde. Sa carrière a pourtant mis du temps à se hisser à la hauteur de son talent. Hypersensibilité maladive, caractère indocile et une sorte de malédiction l’ont maintenu à part, jusqu’à l’apothéose des dernières années.
Son jeu noble, puissant, sensuel et coloré a fini par lui valoir l’amour du public en plus de l’admiration des musiciens. Très proche de Martha Argerich, avec laquelle il a formé un duo de légende, il reste un interprète miraculeux de Chopin, Schumann, Brahms, Debussy ou Villa-Lobos.
En octobre 2021, sa mort soudaine a plongé le monde musical dans la sidération. Après une enquête minutieuse, Olivier Bellamy retrace son fascinant parcours et lève le voile sur l’un des secrets les mieux gardés du piano«
Les raisons de ma colère ? Je n’ai rien appris que je ne connusse déjà (et qui était déjà écrit dans le bouquin que le même auteur a consacré à Martha Argerich). Mais quand on a eu la chance d’approcher des êtres comme Nelson Freire, de partager parfois leur amitié, on ne se répand pas en anecdotes douteuses, en détails intimes, qui n’apportent rien à la connaissance de l’artiste et s’apparentent à une violation de la vie privée d’un mort et de ses proches. Je dois être trop old school..
Selon les sources, le violoniste israélien Ivry Gitlis, disparu le 24 décembre 2020 (lire mon hommage ici), est né le 22… ou le 25 août 1922, il y a cent ans donc, à Haifa.
Pourquoi le citer à propos de Vence ? Parce que les plus anciens d’entre nous – même si je n’y suis jamais allé – ont gardé le souvenir d’une sorte de Woodstock classique, très post 68 baba cool, le festival du Col de Vence fondé précisément en 1971 par Ivry Gitlis. Voici ce qu’il en disait dans Le Monde de la Musique en 2007 (source France Musique):
« Vence, c’était de l’amour. Même le public était artiste. Martha Argerich jouait tous les soirs. Charles Dutoit, Misha Maïsky, Alexandre Rabinovitch étaient là aussi. Leopold Stokowski, qui avait 95 ans, m’avait demandé s’il pouvait diriger ses arrangements de Bach et Haendel. Cziffra est venu deux fois, Igor Markevitch passait « en copain », Frédéric Lodéon aussi. Jean-Pierre Rampal était présent chaque année. Jessye Norman nous a apporté ses « Nuits d’été », le Quatuor Amadeus a joué vaillamment les derniers quatuors de Beethoven au pied du col de Vence devant 1200 personnes blotties dans des sacs de couchage jusqu’à une heure du matin. J’ai croisé l’archet dans le Double concerto de Brahms avec Pierre Fournier… »
Mythique évidemment. Peu ou pas de documents de cette époque, sauf un seul disque gravé par Ivry Gitlis et Martha Argerich, les sonates de Franck et Debussy.
Trouvé à l’occasion de ce billet le concert donné à la Philharmonie de Paris le 7 janvier 2019 en hommage à Ivry Gitlis, 96 ans à l’époque, surtout pour la présence magique de musiciens comme le si regretté Nicholas Angelich. Ne pas manquer le témoignage du quasi-contemporain de Gitlis, mon cher Menahem Pressler (voir La réponse de la musique).
Le village mythique
Saint-Paul-de-Vence, c’est aujourd’hui l’afflux de touristes, les boutiques d’artisanat plus ou moins authentique, les rues étroites. Vite infréquentable sauf à fuir la foule.
J’ai vu très peu de monde s’arrêter devant la Colombe d’Or, où Yves Montand et Simone Signoret se rencontrent en 1951, Ou même jeter un oeil sur les joueurs de pétanque juste en face.
J’ai un souvenir de mon précédent passage à Saint-Paul-de-Vence. Nous avions déjeuné à la Colombe d’Or (à l’intérieur, dans une déco restée dans son jus), déjeuner malheureusement pollué par le bruit et la goujaterie d’une immense tablée de russophones se croyant tout permis que le propriétaire dut finalement, et non sans mal, mettre à la porte. Au moment d’entrer dans le jardin, j’avais vu sortir d’une voiture une petite dame toute voûtée et peu ingambe, que personne ne reconnut, Françoise Giroud.
En écoutant Yves Montand évoquer Saint-Paul-de-Vence, on est évidemment pris de nostalgie, la nostalgie étant le regret mythifié de ce qu’on n’a pas connu…
Semaine parisienne chargée et achevée de façon inattendue à l’hôpital.
J’ai manqué lundi le récital de Jean-Marc Luisada à la salle Gaveau. Imprévu familial. Mais il y a ce beau dernier disque Schubert. Comme l’écrivait Jean-Charles Hoffelé : Et si après Chopin et Granados, Jean-Marc Luisada avait trouvé en Schubert son nouveau compagnon de route ? Qu’il poursuive ce voyage ! (Artalinna, 8 octobre 2021)
J’ai manqué aussi Tedi Papavrami et Martha Argerich dans cette même salle Gaveau mercredi (lire le papier d’Alain Lompech sur Bachtrack : Argerich et Papavrami à l’unisson), et sans doute plusieurs autres concerts et artistes que j’aurais aimé entendre.
Mercredi la présence de l’Orchestre national de France dans la fosse, de chanteurs français de premier rang dans la distribution, et le plaisir de retrouver un ouvrage connu et aimé m’avaient conduit au théâtre des Champs-Elysées pour l’avant-dernière représentation d’Eugène Onéguine, l’opéra de Tchaikovski inspiré du poème éponyme de Pouchkine.
On va penser que je manque singulièrement de personnalité, puisque je me réfère à d’autres papiers que les miens. Mais quand ils disent mieux que moi ce que j’ai vu, entendu, pensé, alors autant en conseiller la lecture. Ainsi, pour Eugène Onéguine, je n’ai rien à ajouter à la critique de Diapason, sauf peut-être pour remarquer combien il est difficile pour des chanteurs français (en l’occurrence les excellents Jean-François Borras/Lenski, Jean-Sébastien Bou/Onéguine, Jean Teitgen/Grémine) de s’approprier la langue russe. C’était moins flagrant pour les deux autres Françaises de la distribution, Mireille Delunsch et Delphine Haidan. Mais c’est bien de la fosse que la déception est venue.
Jeudi retour au TCE, pour un programme que je n’avais pas d’avance repéré mais qui m’a immédiatement séduit : l’Orchestre de chambre de Paris, dirigé par un expert en réjouissances musicales, Hervé Niquet, donnait un programme « Paris en fête« , qui n’a pas attiré la foule, mais infiniment ravi les présents.
Pourquoi ne joue-t-on jamais ce type de programme à Paris ?
HahnMozart, ouverture DuparcAux étoiles Hahn Concerto pour piano DukasVillanelle MilhaudScaramouche ChabrierLamento, Habanera AndersonThe Typewriter DelibesFanfare des chasseresses, extraite de Sylvia
C’était l’occasion de faire briller les solistes de l’orchestre, d’entendre des raretés, comme le concerto pour piano de Reynaldo Hahn que le talent de la pianiste Shani Diluka ne sauve pas d’un verbiage assez creux.
Avant ce concert, j’avais passé l’après-midi à la Bibliothèque naguère Gustav Mahler, aujourd’hui La Grange / Fleuret du nom de ceux qui la fondèrent, Henry-Louis de la Grange et Maurice Fleuret.
Pour y auditionner de jeunes chanteurs et chanteuses sélectionnées par le pôle voix de la fondation Royaumont (plaisir de saluer son fondateur Francis Maréchal), dans la perspective d’une future production au Festival Radio France
Un week-end à l’hôpital
Je n’avais pas vraiment prévu d’achever cette semaine à l’hôpital de Pontoise. Je ressentais depuis quelques jours des douleurs thoraciques tenaces, j’ai fini par appeler le 15 vendredi après-midi. Bien m’en a pris, puisqu’ on a détecté et immédiatement opéré un infarctus coronarien. Mon père, mon oncle, mon grand-père n’avaient pas eu cette chance…
Je voulais juste mentionner ici – puisque, après tout, c’est un blog personnel – l’expérience que j’ai faite de la fantastique chaîne humaine et professionnelle qui m’a pris en charge. Les pompiers, le SMUR, l’accueil aux urgences de l’hôpital public de Pontoise, tout le personnel soignant, cardiologues, chirurgiens, mobilisés un vendredi soir, avec cette chaleur humaine qui fait tant de bien quand on est en situation de souffrance. Grâce à eux, je peux écrire ce soir ce billet et regarder la vie devant moi. Merci !
Voici ce qu’on pouvait lire ce matin sur le site de la plus grande chaîne privée de la télévision brésilienne Globo-TV :
Le corps du pianiste Nelson Freire sera inhumé ce mercredi (3) à Boa Esperança (MG). Le musicien sera inhumé dans la tombe où reposent ses parents, au cimetière municipal de la ville. Le corps est arrivé en début d’après-midi à l’aéroport de Varginha, d’où il se rendra à Boa Esperança, la ville natale de Freire. Le corps de Nelson Freire est parti vers 11h30 de l’aéroport Santos Dumont, à Rio de Janeiro. Le transfert est effectué par le service d’incendie de Minas Gerais. L’avion a atterri vers 13h à Varginha. Désormais, le corps du musicien sera transporté à Boa Esperança par l’un des salons funéraires de la ville. Le trajet fait environ 70 km et devrait durer entre 1 et 2 heures. La ville de Boa Esperança a publié le calendrier des funérailles de Nelson Freire. Le corps sera reçu à l’entrée de Boa Esperança par la garde municipale, la police civile et la police militaire. Les pompiers seront également présents et conduiront en procession le corps du pianiste dans l’un de ses camions jusqu’au Boa Esperança Sports Club, où il sera surveillé. Les hommages ont été préparés par la Société musicale Lira Esperancense, par l’Académie des lettres de Dorense et par les anciens élèves de l’école de musique Nelson Freire. Le gouvernement du Minas Gerais a publié une note déplorant la mort du pianiste. Le sous-secrétaire d’État à la Culture, Maurício Canguçu, représentera le gouvernement lorsde l’enterrement.
L’enfant de Boa Esperança repose pour toujours dans sa terre natale, au côté de ses parents et de sa soeur.
Un premier hommage musical lui a été rendu au théâtre municipal de Rio de Janeiro
La disparition brutale de Nelson Freire le 1er novembre a suscité une vague d’émotion comme je ne me rappelle pas en avoir connu lors d’autres décès de musiciens célèbres. Comme si chacun de nous avait été touché au coeur, comme la perte d’un ami cher ou d’un membre de notre famille.
Depuis lundi, comme bien d’autres j’imagine, j’ai réécouté, retrouvé des enregistrements connus ou moins connus du pianiste brésilien. YouTube est une mine de ce point de vue, et même si la qualité des captations est parfois précaire, ces vidéos nous restituent si intensément ce qu’était l’art de Nelson Freire, quel fabuleux musicien il était.
Nelson Freire continue ainsi de vivre en nous, pour nous.