Les raretés de l’été (V) : Béatrice Uria-Monzon et Montpellier

Un triste hasard a voulu qu’on apprenne le décès, à 61 ans, de la cantatrice Béatrice Uria-Monzon le jour de la clôture de la 40e édition du Festival Radio France Occitanie Montpellier. Et que le titre de cette rubrique porte particulièrement bien son nom, puisqu’il rend un double hommage à l’artiste disparue et à un festival qui l’accueillit jadis pour ce qui a longtemps fait son originalité absolue – la recréation d’un opéra oublié.

C’est en effet en 2006 que le Festival, alors animé par son fondateur René Koering (à qui j’eus l’honneur et le bonheur de succéder de 2014 à 2022), recréa, avec une distribution de grand luxe, l’opéra mal-aimé de LaloFiesque – qui fut en effet un fiasco. Béatrice Uria-Monzon y chantait aux côtés de Roberto Alagna.

Ils se retrouveront deux ans plus tard à Orange pour une Carmen restée dans toutes les mémoires, que France 4 rediffuse ce mardi 22 juillet.

Si, heureusement, l’inoubliable Carmen qu’a été Béatrice Uria-Monzon sur toutes les scènes du monde a été largement documentée, on ne peut que regretter la rareté de la présence discographique de la chanteuse. Heureusement que des chefs comme les fidèles Jean-Claude Casadesus et Michel Plasson l’ont invitée pour les raretés que sont les cantates de Berlioz ou Ravel, ou l’oratorio Rédemption de César Franck.

Les plus chanceux peuvent essayer de trouver la seule Carmen au disque de Béatrice Uria Monzon, dirigée par Alain Lombard.

Rendez-vous, en tout cas, ce mardi 22 juillet pour une soirée bienvenue d’hommage à une belle personnalité sur France 4

Montpellier

« Depuis 2023, le Festival de Radio France Occitanie Montpellier présente un visage différent. La programmation demeure de grande qualité, les concerts du soir au Corum en constituent toujours la colonne vertébrale, mais le choix des œuvres paraît moins aventureux. Le souvenir de soirées montpelliéraines durant lesquelles nous découvrîmes de véritables raretés, qui justifiaient le déplacement, même de loin, et contribuaient à sa réputation, reste bien présent, non sans nostalgie » (Sébastien Foucart, ConcertoNet, 17 juillet 2025).

Je ne me livrerai pas – je m’y suis toujours refusé dans toutes les fonctions que j’ai occupées – à des comparaisons oiseuses, à des regrets aigris (« c’était mieux avant »!). Le Festival Radio France n’est plus en 2025 ce qu’il était à sa création en 1985. Il a failli, plus d’une fois, perdre l’un de ses piliers fondateurs, Radio France. Aujourd’hui le service public est plus présent que jamais, avec les moyens dont il dispose et qui sont chaque année plus « contraints » – pour reprendre le terme consacré par l’administration de l’Etat. De cela on doit se réjouir.

Mais pour reprendre la dernière décennie, il est vrai, comme le note Sébastien Foucart, qu’on est venu au festival, parfois de très loin, pour des résurrections d’ouvrages rares (17 opéras de 2015 à 2022) parmi lesquels Fantasio d’Offenbach (2015) avec Marianne Crébassa, Iris de Mascagni (2016) et Siberia de Giordano (2017) avec Sonya Yoncheva, Kassya de Delibes (2018) avec Véronique Gens, l’immense Fervaal de d’Indy (2019) avec Michael Spyres et en 2022 la version originale d’Hamlet pour ténor avec John Osborn et l’inoubliable Ophélie de la si regrettée Jodie Devos.

Le projet d’édition discographique de Fervaal n’ayant pas abouti, on peut heureusement retrouver l’écho de sa diffusion sur France Musique sur YouTube

Heureusement en effet, France Musique conserve une mine de trésors captés au Festival depuis 1985 (il y a eu beaucoup de rediffusions cet été). Pourquoi pas une chaîne thématique numérique de plus avec ces formidables archives ? Suggestion à Laurent Frisch et Marc Voinchet !

C’était le premier concert de « ma » programmation, le 10 juillet 2015

Avec un chef que je suis très heureux d’avoir invité plusieurs fois à Montpellier, Domingo Hindoyan, qui fait aujourd’hui l’une des plus intéressantes carrières qui soient, à Liverpool d’abord, et bientôt à l’opéra de Los Angeles. Je découvre dans le tout dernier numéro de BBC Music Magazine, un article dont le ton et le titre sont sans équivoque : Tchaikovsky 6 with passion and power

Et toujours mes humeurs et réactions à l’actualité sur mes brèves de blog

Le chaos ou la beauté

Je n’y arrive pas, je n’y arrive plus. L’envie me taraude de fermer les écoutilles jusqu’à dimanche matin. Ce que je pense, dis ou écris, ne changera rien au chaos des esprits ni au choix des électeurs (relire éventuellement Tristes constats).

Comme si j’avais besoin de me conforter dans un pessimisme qui m’est d’ordinaire étranger, j’ai relu Les ingénieurs du chaos de Giuliano da Empoli, un essai qui date de 2019, tragiquement prémonitoire. Il faudrait le conseiller à tous les électeurs tentés d' »essayer » l’extrême droite :

« Un peu partout, en Europe et ailleurs, la montée des populismes se présente sous la forme d’une danse effrénée qui renverse toutes les règles établies et les transforme en leur contraire.
Aux yeux de leurs électeurs, les défauts des leaders populistes se muent en qualités. Leur inexpérience est la preuve qu’ils n’appartiennent pas au cercle corrompu des élites et leur incompétence, le gage de leur authenticité. Les tensions qu’ils produisent au niveau international sont l’illustration de leur indépendance et les fake news, qui jalonnent leur propagande, la marque de leur liberté de penser.
Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Matteo Salvini, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d’éclat. Pourtant, derrière les apparences débridées du carnaval populiste, se cache le travail acharné de dizaines de spin-doctors, d’idéologues et, de plus en plus souvent, de scientifiques et d’experts du Big Data, sans lesquels ces leaders populistes ne seraient jamais parvenus au pouvoir.
Ce sont ces ingénieurs du chaos, dont Giuliano da Empoli brosse le portrait. Du récit incroyable de la petite entreprise de web-marketing devenue le premier parti italien, en passant par les physiciens qui ont assuré la victoire du Brexit et par les communicants qui ont changé le visage de l’Europe de l’Est, jusqu’aux théoriciens de la droite américaine qui ont propulsé Donald Trump à la Maison Blanche, cette enquête passionnante et inédite dévoile les coulisses du mouvement populiste global. Il en résulte une galerie de personnages hauts en couleur, presque tous inconnus du grand public, et qui sont pourtant en train de changer les règles du jeu politique et le visage de nos sociétés.
 » (Présentation de l’éditeur)

Privatisation ?

Juste un mot sur un sujet qui ne semble pas alarmer grand monde : la privatisation de France Télévisions et de Radio France annoncée par le Rassemblement national. Oh bien sûr il y a les protestations d’usage, les appels des syndicats, mais les journalistes, y compris du service public, n’y accordent qu’un intérêt très relatif. Je n’ai encore vu aucun reportage, aucune enquête, qui décrive les conséquences d’une telle opération, si tant est qu’elle soit tout simplement réalisable. Un des acolytes de l’auto-proclamé futur Premier ministre essayait bien de rassurer son interrogateur en rappelant que les lois de la concurrence (l’Europe n’a pas que du mauvais semble-t-il) empêcheraient M. Bolloré d’accroître son empire médiatique. Mouais…

En revanche, personne ne semble se soucier du devenir des deux orchestres, du Choeur et de la Maîtrise de Radio France. Entre nous, le projet du gouvernement de fusion des entités actuelles en un seul pôle de service public avait aussi de quoi nourrir les inquiétudes.

En espérant que ces lendemains n’adviendront pas, réécoutons ce que les formations du service public peuvent produire de meilleur.Ici l’Orchestre national de France et Cristian Macelaru à Bucarest en septembre dernier

Oublier le chaos

J’ai trouvé refuge dans ma discothèque pour échapper au chaos ambiant et à venir.

Alexandre Tharaud qui a raison de manifester son inquiétude nous offre ces jours-ci le meilleur remède à la morosité, avec cette formidable compilation :

Dans le coffret Warner des enregistrements de Wolfgang Sawallisch (lire Les retards d’un centenaire), il y a deux pépites que les mélomanes chérissent depuis longtemps, les deux seuls enregistrements officiels de concertos que Youri Egorov a réalisés (lire La nostalgie des météores) : le 5e concerto de Beethoven et les 17 et 20 de Mozart.

J’ai eu envie de me replonger dans ce fabuleux coffret édité aux Pays-Bas et composé de prises de concert. Tout y est admirable.

Dans un récent article que je consacrais, entre autres, aux Etudes de Chopin, j’avais oublié de mentionner l’enregistrement exceptionnel de Yuri Egorov :

J’avais tout autant oublié Lukas Geniušas que j’avais pourtant entendu donner les deux cahiers à la fondation Vuitton en 2016, et invité à trois reprises à Montpellier.

Je trouve sur YouTube cette magnifique captation réalisée au conservatoire de Bruxelles, apparemment sans public (Covid ?)

Salut à la France

Je ne peux pas clore ce billet sans cet air de circonstance :

Croyons avec notre chère Jodie Devos que c’est cette France que nous aimons qui sortira victorieuse.

Post scriptum : Une ode à la joie

Depuis que j’ai bouclé ce papier hier soir, j’ai écouté une nouveauté qui m’a remis en joie, et qui est vraiment ce dont nous avons besoin aujourd’hui :

Encore une version de ce triple concerto de Beethoven, qui, en dehors de son ‘aspect inhabituel, l’insertion d’un trio avec piano dans une pièce d’orchestre, n’est pas le plus grand chef-d’oeuvre de son auteur ? Oui mais joué comme ça par cette équipe, on oublie toutes les réserves, on se laisse porter par l’inépuisable tendresse et la formidable énergie que dégagent ces musiciens qu’on adore : Benjamin Grosvenor au piano (comment pourrais-je oublier les 3e et 4e concertos de Beethoven joués à ma demande à Montpellier en juillet 2022 ?), Sheku Kanneh-Mason au violoncelle, qui force mon admiration chaque fois que je l’entends en concert (lire sur Bachtrack : La jeunesse triomphante de Sheku Kanneh-Mason), Nicola Benedetti que je ne connais que par le disque, et un chef, Santtu-Matias Rouvali, à qui je dois bien avoir consacré une dizaine de billets sur ce blog !

Mais il n’y a pas que le triple concerto sur ce disque. Les « compléments » sont tout sauf secondaires, ils font partie de la partie la moins connue de ‘l’œuvre de Beethoven, toutes ces mélodies, ces Songs qu’il a collectés sur les îles britanniques, arrangés pour quelques-uns pour trio autour du magnifique Gerald Finley.

Servir plutôt que se servir

Les valeurs de Renaud Capuçon

Prononcer son nom sur certains réseaux sociaux vous expose à toutes sortes de railleries et d’apostrophes. Renaud Capuçon on aime ou on déteste !

Le violoniste que j’ai invité le 16 juillet prochain à Montpellier avec Michel Dalberto à jouer Fauré, Elgar et Richard Strauss (lefestival.eu) se livre, comme jamais, dans un long entretien au magazine Classica de juillet.

Ses admirateurs comme ses détracteurs devraient lire ce que dit Renaud Capuçon, sans aucune langue de bois :

Sur la crise sanitaire : « Je n’ai laissé voir que le côté bon élève gentil qu’on retrouve dans mon aspect physique ou ma manière de m’habiller. Or j’étais intérieurement désespéré. Pas pour moi, mais pour les autres. Je sais que l’Etat a fait beaucoup, bien plus que les autres pays du monde, mais si le musicien d’orchestre ou les intermittents ont été protégés, ce n’est pas le cas des solistes qui ont vu s’annuler tous leurs concerts de l’année contre une maigre obole de 1500 €. Il y a eu des gens connus qui n’arrivaient plus à payer leur loyer.. »

Un projet sans lendemain : « Au lieu de pleurer, j’ai imaginé le projet d’une gigantesque captation de toute la musique française, de Rameau à nos jours, pour donner du travail à tous et créer un document unique, payé par l’Etat, consultable partout et qui pourrait s’avérer un trésor national »…. Le violoniste dit en avoir parlé à Emmanuel Macron, Bruno Le Maire et Roselyne Bachelot, mais constate que ça n’a pas pu se faire : « Je n’en veux à personne, mais c’est dommage car c’était un vrai plan Marshall pour la culture, qui aurait mis tous les musiciens français, connus ou pas connus, à égalité et qui aurait rallumé la flamme »

Notre-Dame et les insultes : Renaud Capuçon évoque sa traversée de la crise sanitaire, les projets qu’il a imaginés avec de jeunes musiciens pour des captations, et un épisode qui l’a meurtri : « à Pâques en 2020, l’archevêché de Paris m’a demandé de jouer les Sept dernières paroles du Christ de Haydn avec mon quatuor à cordes. Je suis musicien, croyant, amoureux de Notre-Dame, j’ai tout de suite dit oui. Mais le général Georgelin a prévenu qu’il était impossible d’accueillir plus d’un musicien pour des raisons de sécurité. J’y suis donc allé seul. Après cette expérience, j’étais encore rempli d’émotion quand un ami m’a appelé. C’est par lui que j’ai appris le déchaînement d’insultes déversées sur ma page Facebook. Il y avait des violonistes, des personnes que je connaissais. J’étais abasourdi. Cette période révèle la vraie nature des gens »

Plus loin, Renaud Capuçon confesse une addiction paradoxale aux réseaux sociaux, mesure les avantages comme les inconvénients de la célébrité, de l’exposition (surexposition ?) médiatique..

Servir et non se servir de la musique : « Mon obsession, c’est que la musique ne soit jamais reléguée au second plan. Ne jamais perdre de vue le noyau, l’intégrité. Chaque jour je dois prendre des décisions, je suis très souvent sollicité pour des choses qui pourraient me tenter… J’ai refusé de participer à Prodiges* qui est une émission de divertissement. Je reste attaché à une certaine éthique, celle des Casals, Busch, Menuhin.

En un mot, j’aime et j’admire ceux qui ne se servent pas de la musique mais qui la servent.

Je n’ai pas regardé les dernières Victoires de la musique classique. Je reste marqué par une certaine époque et une certaine classe, celle d’un Jacques Chancel hier ou d’une Anne Sinclair aujourd’hui. Partager le beau avec un large public sans avilir. J’ai souvent l’impression que la télévision ignore ce qu’est un vrai talent ou un vrai musicien. Sur les chaînes publiques la musique fait partie du cahier des charges, mais on lui demande aussi de faire de l’audience alors même qu’il n’y a plus de publicité à cette heure-là. Il faudrait s’inspirer de la BBC qui opère une distinction entre culture et divertissement…. Ce n’est pas le nombre de followers qui doit décider qui joue bien une sonate de Mozart. La musique classique, c’est tout sauf ce monde-là ! »

Il faut lire toute la suite de l’entretien, largement consacrée au répertoire du musicien, à ses rapports avec les compositeurs d’aujourd’hui, à son activité d’enseignement et aux projets qu’il nourrit avec l’Orchestre de chambre de Lausanne dont il vient d’être nommé directeur artistique


Quant à moi, je ne suis pas surpris de lire cet entretien. Je connais Renaud depuis ses 18 ans ! Je l’ai vu se former, se forger son identité de musicien, progresser pas à pas, je l’ai invité plusieurs fois à Liège – Brahms, Rihm, Escaich, Beethoven… -. Je l’ai entendu créer les oeuvres de Dusapin, Mathias Pintscher. Je lui avais demandé, en 2017, de jouer à Montpellier le concerto de Khatchaturian, voici ce qu’il en disait au micro de France Musique : « C’est la première fois que je joue ce concerto. Au départ, je comptais présenter le n°1 de Prokofiev mais j’ai accepté le challenge de travailler un nouveau concerto car il était totalement dans le thème de cette soirée appelée « Aux confins de l’Empire ». Je suis très heureux de le jouer car c’est une œuvre que je connaissais mal. Elle a beaucoup d’allure et qui va plaire au public. C’est très daté dans l’écriture car quand on compare avec ce que pouvait composer Schönberg, Stravinsky ou Berg à la même époque ou plus tôt. Ce concerto illustre extrêmement bien l’époque, la Russie des années 1940.« 

J’ai hâte de le retrouver le 16 juillet prochain à Montpellier.

(* Prodiges est une émission de France 2, un « concours » pour jeunes musiciens avec un jury dont fait partie Gautier Capuçon, le frère violoncelliste de Renaud)

Ravel à Liège

J’avais déjà évoqué la somme colossale réunie par Manuel Cornejo, l’intégrale de la correspondance de Ravel (Souvenirs de Ravel)

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Je savais que le compositeur français avait été l’un des hôtes d’honneur de l’Exposition universelle organisée à Liège en 1905 pour célébrer les 75 ans de la création du royaume de Belgique.

Les quelques lettres que Ravel écrit à ses amis en juin 1905 sont savoureuses et plutôt à l’honneur de la Cité ardente et de ses environs qu’il découvre en remontant la Meuse sur le yacht Aimée…

Dimanche 11 juin 1905 / Yacht Aimée

à Maurice Delage

Mon cher Delage

Nous entrons dans Liège. Une pluie quasi hivernale nous y attendait, assez d’ensemble avec le pays d’ailleurs. Liège est très étendue et je crois qu’à l’autre bout elle doit être très différente. Pour le moment nous traversons un pays tout industriel. Des maisons noires ou de briques brunes. Des usines magnifiques et singulières. Une surtout, une sorte de cathédrale romane de fonte supportant un cuirassé boulonné. Il sort de là-dedans une fumée rousse et des flammes sveltes. Voici maintenant l’Exposition, elle est très réussie, paraît-il, et nous nous ne ennuierons pas durant les deux jours que l’on reste ici. À part une vision étonnante de Huy, une petite ville très Gustave Doré, au pied d’une colline fortifiée, la journée d’aujourd’hui n’a offert rien de très remarquable. Je continuerai ma lettre plus tard.

Lundi matin (12 juin 1905)

Nous sommes rentrés fort tard hier ayant pris contact avec l’Exposition. Villages sénégalais, montagnes russes nautiques, manèges d’aéroplanes, etc. la ville est très jolie, très animée. Un soleil superbe. Je cours à la poste chercher des lettres. On est heureux de vivre; j’étais idiot, hier. Alea jacta est, dirait Madame Toutain.

Vers Liège, 11 juin 1905

à Jean Marnold

Cher Monsieur Marnold,

J’ai été horriblement occupé dans les quelques jours qui ont précédé mon départ, à cause d’une pièce de harpe* commandée par la maison Erard. 8 jours de travail acharné et 3 nuits de veille m’ont permis de l’achever, tant bien que mal. En ce moment, je me repose par un voyage féerique, et suis tenté chaque jour de remercier ces messieurs de l’Institut°./…../ Je me dépêche de remonter sur le pont; j’aperçois une usine singulière et magnifique. Nous entrons dans Liège…

Liège, mercredi 14 juin 1905.

à Maurice Delage

Ne suis pas encore au Japon comme vous pourriez le croire mais à l’Exposition de Liège.

Maastricht, jeudi 15/6 05

Première impression de Hollande. Cathédrales et carillons dans la nuit. Petite ville somnolente.

* La pièce pour harpe est un septuor Introduction et allegro pour harpe, flûte, clarinette et quatuor à cordes

° Les membres du jury du Prix de Rome 1905 avaient recalé Ravel au concours d’essai.

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Le bateau de Ravel passe sous le pont de Fragnée, avant de s’arrêter devant la Boverie et le grand pavillon de l’Exposition Universelle devenu Palais des Beaux-Arts.

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Au Palais des Beaux-Arts avait succédé le MAMAC (Musée d’art moderne et d’art contemporain), lui-même complètement rénové et rouvert en 2016 sous le nom de La Boverie

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On avait eu une belle surprise à l’automne 2016 (voir Picasso et Ravel).

Dommage qu’on n’ait pas pensé, pour cette inauguration, à faire jouer cette « pièce » pour harpe qui avait donné bien du mal à Ravel, juste avant de partir pour Liège :

 

Picasso et la musique

IMG_6056Ce jeudi avait lieu le vernissage de l’exposition d’été du Musée Fabre de Montpellier : Picasso, donner à voir

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Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est la première fois, dans l’histoire du musée montpelliérain, qu’une grande exposition est consacrée à Picasso, comme l’ont rappelé Michel Hilaire, le directeur du Musée Fabre, et Laurent Le Bon, le président haut en couleurs du Musée Picasso de Paris. Ce n’est évidemment pas dans la cohue d’un vernissage qu’on peut apprécier la qualité des oeuvres rassemblées et leur mise en espace. On y reviendra au calme…

Comme nous l’avons déjà fait les années précédentes, l’occasion était trop belle de nouer un partenariat entre cette exposition et le Festival Radio Franceplacé sous l’égide de la Douce France

Le lien entre Picasso et la programmation du Festival ? Une oeuvre, Le Tricorneune commande des Ballets russes  à Manuel de Falla, créée en 1919 par Ernest Ansermet. dans des décors signés Picasso ! Les deux suites du Tricorne sont au programme du concert du 16 juillet 2018, que donnera une formation que je connais bien (!) pour exceller dans la musique française, l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège et son chef, mon cher Christian Arming (avec une soliste d’exception qui m’est tout aussi chère, Beatrice Rana). 

C’est d’ailleurs à Liège que j’ai pu voir les esquisses de Picasso pour ces décors du Tricorne, dans la grande exposition parrainée par Anne Sinclair à l’automne 2016 pour l’inauguration de La Boverie.

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Je ne surprendrai personne en disant que la version du créateur de l’oeuvre est depuis toujours une référence, et occupe une place à part dans ma discothèque. J’attends avec impatience ce que les Liégeois nous offriront dans un mois.

La collaboration de Picasso avec les Ballets russes ne s’est pas limitée au Tricorne, comme le rappelle une exposition au MUCEM de Marseillequ’il faut se dépêcher d’aller voir (elle se termine le 24 juin).

En 1917, c’est le scandale Parade de SatieCollaboration renouvelée en 1924 pour Mercure.

https://www.youtube.com/watch?v=YejpJ4kMH_0

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Un an après le Tricorne, toujours dans l’incroyable floraison créatrice des Ballets russes, Ansermet retrouve Picasso pour la création le 15 mai 1920, à l’Opéra de Paris, de Pulcinella de Stravinsky

 

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Un an plus tard, au théâtre de la Gaité lyrique à Paris, l’Espagne natale du peintre et du compositeur du Tricorne revient en force avec Cuadro Flamenco, une suite de danses populaires andalouses arrangée par Manuel de Falla

Le sujet Picasso et la musique ne s’arrête évidemment pas à ces collaborations remarquées à l’époque trépidante des Ballets russes. Je ne sais combien de toiles la musique et les musiciens ont inspirées à Picasso…

64e5cfc6bf767b9343a79e24af90e02d(Picasso, Trois musiciens, 1921)

Le label Naïve avait réalisé, il y a une dizaine d’années, une intelligente compilation des musiques qui ont inspiré et nourri le peintre.

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Dignité

Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans tout autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen. 

J’aime cette définition de la dignité, de la dignité de l’homme, celle du philosophe des Lumières Emmanuel Kant (dans ses Fondements de la métaphysique des moeurs)

J’ai lu, entendu, beaucoup de commentaires sur les crimes commis, la semaine dernière, à Trèbes et à Parisun mot a manqué, celui-là justement : la dignité. L’heure n’est pas à la polémique, mais il faudra bien qu’un jour on cesse d’excuser l’indignité.

28947839_1898652643539666_8185962787625418215_o(L’hommage de Plantu dans Le Monde du.26 mars)

Quand le langage des médias se fait complice des idéologies de mort et de stigmatisation, cela donne dans un reportage sur la messe présidée dimanche dernier par l’évêque de Carcassonne : « des représentants de la communauté musulmane… s’exprimaient à la sortie ». Dans le même ordre d’idée, l’indignation d’une journaliste qui sait encore ce que valent les mots, Anne Sinclair :

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Aujourd’hui, bien au-delà, on l’espère, de la « communauté française », la communauté des hommes rend hommage à Arnaud Beltrame et Mireille Knoll,  Pour que leur martyre ne soit pas vain !
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Le gamin de Paris

On ne pourra jamais lui faire le reproche – et on ne le lui a d’ailleurs jamais fait ! – de ne pas savoir bien parler le français. D’être parfois trop long oui, un bavard impénitent oui. Mais quand on aime, on accepte (presque) tout..

Je viens de terminer Une minute pour conclure de l’ami Ivan Levaï.

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Pas vraiment des mémoires, quoique l’échéance – redoutée ? -de ses proches 80 printemps ait sans doute incité celui qui restera pour moi et quelques millions d’auditeurs « la » voix de la revue de presse quotidienne de France Interà livrer bien des souvenirs intimes, sa naissance à Budapest, une enfance de migrant, le gamin de Paris, de la rue des Pyrénées à la rue François Ier et aux studios d’Europe 1.

https://www.youtube.com/watch?v=C684BtPLR9U

Orphelin d’une femme libre et d’un père inconnu, Ivan Levaï commence sa vie en France, sous Pétain. Il a 7 ans quand le général de Gaulle s’écrie, du balcon de l’Hôtel de Ville :  » Nous sommes ici chez nous dans Paris levé, debout pour se libérer, et qui a su le faire de ses mains.  » C’est là, près de la Seine, que l’enfant caché venu du Danube décidera d’être français et plus tard journaliste, afin de raconter ce qu’il entend et voit. 
Pendant plus d’un demi-siècle, le chroniqueur, plus européen qu’austro-hongrois, interrogera tous les acteurs de la vie publique, politiques, artistes, créateurs, grands patrons, magistrats et personnalités étrangères… 
Mais c’est aujourd’hui qu’il dit tout des bons et des méchants qu’il a pris le temps d’observer durant sa carrière. En effet, pour Ivan Levaï, c’est à l’heure de conclure une longue et belle vie qu’il convient d’être gai et de chanter. Même si la musique diffusée garde son parfum de nostalgie, prix à payer d’une authentique sincérité.  (Présentation de l’éditeur).

Moi qui croyais connaître un peu Ivan Levai, ses amitiés éclectiques, sa fidélité à Mitterrand, Montand, Signoret, j’ai découvert dans ce bouquin des aspects de sa personnalité qui finalement ne me surprennent pas : une très grande culture, nourrie d’une insatiable curiosité, une vraie connaissance de la musique et des musiciens. Bref tout le contraire d’un conteur d’anecdotes superficiel.

Et en ces temps de grand remue-ménage électoral, certains candidats à la magistrature suprême seraient bien inspirés de lire ce témoignage de première main d’un observateur affûté qui fut aussi un acteur discret de l’histoire de notre République française du demi-siècle écoulé.

Pour Ivan, ces échos des bords du Danube :

https://www.youtube.com/watch?v=uryxnRmuABI

https://www.youtube.com/watch?v=UNxFm7_XTyA

Picasso et Ravel

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L’automne à Liège, ce sont ces grands ciels clairs et l’air vif qui pique sur la Meuse. J’ai emprunté ce mercredi matin la nouvelle passerelle qui conduit du quai de Rome au parc de la Boverie (lire Nostalgie).

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J’avais déjà visité le nouvel ensemble muséal de Liège, inauguré en mai dernier, La Boverieinstallé dans un pavillon construit en 1905 pour l’Exposition universelle.

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La venue d’Anne Sinclair à Liège, il y a un mois, avait fait l’événement de cette rentrée. Elle était venue inaugurer l’exposition 21 rue La Boétie (vidéo), qui relate les aventures peu ordinaires de son grand-père, Paul Rosenbergcollectionneur, galeriste, ami de Picasso, Matisse, Chagall, Marie Laurencin et quelques autres du même acabit ! Aventures que la star des médias avait contées dans un émouvant livre de souvenirs :

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Disons-le sans réserves : on ne regrette pas un droit d’entrée assez élevé (17 €). La réalisation touche à la perfection, les oeuvres présentées sont de premier rayon, le parcours pédagogique est exceptionnellement documenté, les explications concises… et compréhensibles par tous (on échappe, pour une fois, à ce jargon abscons qui fleurit sur les cimaises de nos grands musées). Une exposition à voir absolument, à Liège puis dans quelques mois à Paris.

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Parmi les pièces exposées, une série qui ne pouvait manquer de me toucher : les esquisses du décor que Picasso avait conçu pour Le Tricorne de Manuel de Falla, créé à Londres par Ansermet en 1919 dans le cadre des Ballets russes.

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img_5988img_5990img_5994

img_6002img_6003img_6004Symbole d’une cité qui a entamé une mue profonde depuis une vingtaine d’années, cette « Tour des Finances » qui a autant d’admirateurs que de détracteurs, selon la bonne tradition liégeoise (française ?)…img_6005

Il y avait une logique certaine dans le choix de ma soirée de mercredi. D’abord le compositeur que j’allais écouter avait justement visité Liège à l’occasion de l’Exposition de 1905, et toute son oeuvre était contemporaine des artistes vus à La Boverie : RavelL’opéra de Cologne propose en ce moment, dans ses locaux provisoires en bord de Rhin, le diptyque lyrique de Ravel, L’Heure espagnole et L’Enfant et les sortilèges.

Là encore une réussite complète. Le nouveau Generalmusikdirektor de la cité rhénane, François-Xavier Roth en est le premier artisan, toutes les couleurs, les subtilités, la sensualité, si françaises, de l’orchestre ravélien semblent ne plus avoir de secret pour sa phalange germanique. Les chanteurs sont tous à l’unisson, même si tous ne sont pas francophones – mais les petits défauts sont à peine perceptibles – la mise en scène est un régal. Seul bémol, le texte, l’histoire même de l’Heure espagnole a moins bien vieilli que la poésie facétieuse de l’Enfant et les sortilèges. Mais Franc-Nohain n’est pas Colette !