Merci pour la beauté !

Un retour et un adieu

À propos du concert que dirigeait ce jeudi soir Daniel Barenboim à la tête de l’Orchestre de Paris, le titre et le contenu de mon article pour Bachtrack sont explicites : L’apothéose de Barenboim à la Philharmonie de Paris.

C’est peu dire que l’émotion nous a submergés tous, musiciens et public.

Modernités

Juste avant ce concert, j’ai visité l’exposition ouverte depuis mercredi au rez-de-chaussée de la Philharmonie : Kandinsky, la musique des couleurs.

Ceux qui fréquentaient le Centre Pompidou connaissaient déjà les oeuvres exposées ici et la relation de Vassily Kandinsky (1866-1944) avec la musique, Schoenberg en particulier. Mais ici on vous confie à l’entrée un casque audio, malheureusement difficilement réglable – qui permet d’entendre autant que voir les oeuvres et leur contexte.

Quitte à heurter certains de mes lecteurs, je n’ai toujours pas été convaincu – après la visite de cette exposition – par les tentatives de Kandinsky de s’adonner à un « art total » notamment à la musique, pas plus que je n’ai jamais été convaincu des talents de peintre de Schoenberg. Non pas qu’il faille qu’un artiste reste enfermé dans son domaine de prédilection, mais je crains qu’à de très rares exceptions près, le génie ne se partage pas. Admiration donc intacte pour Kandinksy peintre, maître de l’abstraction et de la couleur.

Je garde ma liberté d’accoler à ces toiles les musiques qui me viennent…et je comprends la fascination qu’ont pu exercer les trois pièces pour piano op.11 de Schoenberg sur Kandinsky

Roberta Alexander (1949-2025)

On a appris hier le décès, à 76 ans, de la soprano américaine, installée depuis 1975 à Amsterdam, Roberta Alexander.

Je dois à cette artiste certaines de mes plus belles curiosités, certains de mes plus grands bonheurs musicaux.

C’est par et grâce à elle que j’ai découvert ce petit chef-d’oeuvre de Samuel Barber : Knoxville, Summer of 1915.

Avec elle, j’ai trouvé la version idéale des oeuvres vocales du compositeur néerlandais Henrik Andriessen (lire Vendredi saint)

Roberta Alexander a contribué à faire connaître en dehors de ses Pays-Bas natals, l’oeuvre superbe d’Alphons Diepenbrock (Le Hollandais oublié). Mais elle a évidemment aussi et surtout chanté Mozart, Mahler et ce qu’on appelle le grand répertoire. Avec ce quelque chose, ce vibrato serré, dans la voix, qui la rendait unique.

PS À propos de Schoenberg, cité à propos de Kandinsky, s’est développée sur Facebook l’une de ces discussions qu’affectionnent certains sur l’orthographe des noms allemands et russes de musiciens. Il faudra que j’y revienne dans une prochaine brève de blog !

Des Américains à Paris

Mercredi dernier, j’étais à la Philharmonie de Paris pour le concert d’ouverture de la saison de l’Orchestre de Paris et de son chef Klaus Mäkelä (cf. Paris passé présent avenir). Programme avantageux dont le clou était assurément An American in Paris, le célébrissime chef-d’oeuvre de Gershwin. Mais, comme je l’ai écrit pour Bachtrack (L’Amérique pressée et bruyante de Klaus Mäkelä et l’Orchestre de Paris) j’ai été déçu, non pas par la prestation de l’orchestre, virtuose, éblouissant, mais précisément par l’excès de brillant, voire de clinquant, de la vision du chef. Je ne peux pas être taxé d’anti-« mäkelisme » primaire, il n’est que de lire plusieurs de mes papiers enthousiastes dans Bachtrack ! Mais il arrive à tout le monde, même aux meilleurs, de faire sinon fausse route, du moins de se méprendre sur une oeuvre.

Gershwin à Paris

George Gershwin vient à Paris au printemps 1928. Il reviendra au pays avec ce qui restera son oeuvre la plus célèbre (avec Rhapsody in blue) : An American in Paris / Un Américain à Paris. Dont le descriptif est précis comme un scénario: une balade sur les Champs-Elysées au milieu des taxis qui klaxonnent, puis dans le quartier des music-halls avant un café à une terrasse du Quartier latin. Au Jardin du Luxembourg, notre Américain a la nostalgie du pays (le superbe blues chanté à la trompette bouchée). Rencontrant un compatriote, ils échangent leurs impressions – Gershwin récapitule les épisodes de cette promenade heureuse.

Dans une oeuvre aussi descriptive, aussi imagée, le chef doit se laisser porter par les atmosphères successives, et laisser jouer ses musiciens avec une certaine liberté.

Quelques exemples de versions récentes, qui répondent à ces critères. Trois chefs français, Louis Langrée (avec l’orchestre de Cincinnati qu’il a dirigé de 2013 à 2024), Alain Altinoglu et son orchestre de la radio de Franfort, et Stéphane Denève, actuel chef du St Louis Symphony, ici à la tête de l’Orchestre national de France. Aucun d’eux ne joue la virtuosité, le super-contrôle, bien au contraire.

Dans ma discothèque personnelle, j’ai dénombré 27 versions différentes, dont pas mal qu’on peut qualifier d’exotiques, et qui sont loin d’être les moins intéressantes.

Kurt Masur / Gewandhaus de Leipzig

Je me rappelle très bien la surprise qui avait été celle des participants à la défunte émission Disques en Lice de la Radio suisse romande, lorsque nous avions élu – après écoute à l’aveugle – la meilleure version de Rhapsody in blue – Siegfried Stöckigt au piano, Kurt Masur dirigeant l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig !

Kirill Kondrachine / Concertgebouw Amsterdam (1977)

Voir le long article que j’avais consacré à celui qui fut l’un des plus grands chefs du XXe siècle, Kirill Kondrachine (1914-1981) : le Russe oublié

On ne trouve malheureusement plus les disques de cette fabuleuse collection de « live »…

André Cluytens / Société des Concerts du Conservatoire (1949)

Eh oui André Cluytens, en 1949, s’encanaille avec un orchestre un peu brouillon mais plus « jazzy » si possible que des collègues américains

Felix Slatkin / Hollywood Bowl Orchestra (1960)

J’ai déjà dit ici mon admiration pour le grand Felix Slatkin (1915-1963) – on évitera par charité de comparer le père, Felix, et le fils, Leonard ! – Pas loin de mettre sa version au sommet :

Neville Marriner / orchestre de la radio de Stuttgart (SWR)

On n’associe pas spontanément Gershwin à Neville Marriner (1924-2016), et on se trompe parce que sa version captée à Stuttgart n’est pas la moins réussie de la discographie

Les Américains à Paris

Gershwin a fait une visite plutôt furtive à Paris et en a rapporté un chef-d’oeuvre. Mais bien d’autres Américains ont été captivés par la ville lumière. Cole Porter (1891-1964) y passe une dizaine d’années après la Première Guerre mondiale. Il étudie avec Vincent d’Indy, rencontre celle qui deviendra sa femme, la riche héritière Linda Lee Thomas, qu’il épouse à la mairie du 18e arrondissement le 18 décembre 1919. Le Châtelet avait donné fin 2021 un spectacle intitulé Cole Porter in Paris : ma déception avait été à la mesure de l’attente d’un spectacle bien maigre.

Aaron Copland chez Nadia Boulanger

Autre hôte d’importance de Paris, le compositeur Aaron Copland (1900-1990), qui sera durablement marqué par sa rencontre avec Nadia Boulanger au conservatoire de Fontainebleau qu’il fréquente de 1921 à 1924. Conséquence de ce séjour parisien, la Symphonie pour orgue et orchestre de 1924 sera créée à New York le 11 janvier 1925 avec Nadia Boulanger.

Julius Katchen (1926-1969)

À intervalles réguliers je me replonge dans un merveilleux coffret, qui récapitule la discographie d’un formidable artiste, malheureusement disparu à 42 ans des suites d’un cancer, le pianiste américain Julius Katchen. Encore un Américain devenu Parisien, de la fin des années 50 à sa mort en 1969.

Depuis longtemps, les Brahms virtuoses autant que poétiques de Julius Katchen sont une référence. Sa version du 1er concerto avec Pierre Monteux (85 ans au moment de l’enregistrement !) reste l’une des plus fameuses qui soient.

Mais l’art de Katchen ne se réduit pas à Brahms.

En 1958, il signe avec Georg Solti l’une des versions les plus électrisantes du 2e concerto de Rachmaninov.

Et toujours impressions et humeurs du jour sur mes brèves de blog

Jupiter

Les symphonies de Mozart ne sont quasiment plus au répertoire des orchestres symphoniques traditionnels. C’est dire si, comme je l’ai écrit pour Bachtrack, la présence de la 41e symphonie dite « Jupiter » de Mozart au programme de l’Orchestre national de France dirigé par Simone Young le 19 juin dernier faisait figure d’événement.

La conception de Simone Young, ici à Munich en 2018, n’a pas foncièrement changé. C’est l’illustration même de ce que je décris dans mon article : Soir de fête pour Simone Young et l’Orchestre national

Je crois me souvenir que la dernière fois que j’ai entendu la Jupiter en concert, c’était à Liège avec Louis Langrée en janvier 2006 ! Je me rappelle surtout une séance pédagogique où il avait réparti le public de la Salle Philharmonique en cinq groupes suivant chacun l’une des cinq « phrases » fuguées par Mozart dans le dernier mouvement. On peut voir quelques extraits du grand festival Mozart dans ce film à 26′

L’ultime chef-d’oeuvre symphonique de Mozart a évidemment bénéficié d’un grand nombre d’enregistrements. J’en ai distingué quelques-uns dans ma discothèque, parfois surprenants ou inattendus

Les grands classiques

Josef Krips, Amsterdam (1971)

Souvent réédité le bloc des symphonies 21 à 41 enregistrées par le chef viennois Josef Krips à Amsterdam au début des années 70, garde son statut de référence, même si les réussites y sont très inégales. Mais la 41e symphonie a fière allure

L’autre inévitable est Karl Böhm, auteur de la première intégrale des symphonies de Mozart, très inégale elle aussi, mais on retrouve bien dans la 41e symphonie ce mélange d’apparente rigueur et d’élan qui a souvent caractérisé l’art de ce chef

Karl Böhm, Berlin (1962)

Pour des raisons commerciales probablement, on a confié peu de Mozart à Eugen Jochum, qui pourtant dans Haydn, Mozart, Beethoven, était en terrain de connaissance et de liberté

Eugen Jochum à Boston (1973)

James Levine a gravé une autre intégrale des symphonies de Mozart à Vienne.

La 41e commence à 28′

Autre intégrale remarquable, globalement la plus réussie, celle de Charles Mackerras avec l’orchestre de chambre de Prague (il a réengistré les six dernières symphonies avec le Scottish chamber orchestra). C’est pour moi la plus recommandable globalement.

Les inattendus

On n’attend pas vraiment Zubin Mehta dans ce répertoire. Pourtant, formé à Vienne auprès des meilleurs, le chef indien se coule sans peine dans la peau du chef mozartien…

Zubin Mehta à Vienne

Autre chef inattendu dans ce répertoire, et surtout le seul à avoir officiellement enregistré la 41e symphonie, alors âgé de 28 ans, avec l’Orchestre national de l’époque. Et ça sonne vraiment bien…

Lorin Maazel avec l’ONF (1958)

Quelques mois avant sa mort, le chef américain se retrouve invité (à grands frais certainement) en Galice en 2012.

Lorin Maazel en Galice (2012)

Sur YouTube, on trouve dette étonnante captation d’un concert où le vieux chef soviétique Evgueny Svetlanov épouse la grandeur du compositeur, donnant une version fascinante.

Evgueni Svetlanov à Moscou (1992)

Yehudi Menuhin, Sinfonia Varsovia

Pour rappel, Yehudi Menuhin était aussi un excellent chef d’orchestre (lire Le chef oublié) et Hugues Mousseau dans Diapason avait justement distingué sa version de la Jupiter de Mozart

La nouvelle génération

Maxim Emelyanychev, Il Pomo d’Oro

J’écrivais, il y a trois ans, après les deux concerts finaux du Festival Radio France : « Maxim Emelyanychev réinvente tout ce qu’il dirige, sans céder aux excès de certains de ses contemporains plus médiatisés« . Je me réjouis infiniment de retrouver le jeune chef russe, actuel chef principal du Scottish Chamber Orchestra, à la tête de l’Orchestre national de France ce jeudi au Théâtre des Champs-Elysées.

Il a commencé un projet Mozart enthousiasmant :

Julien Chauvin et le Concert de la Loge

J’ai le même enthousiasme pour le parcours de Julien Chauvin et son Concert de la Loge. Je me rappelle la jubilation éprouvée avec le Don Giovanni « implacable et génial » donné à l’Athénée en novembre 2024, qui vient d’être distingué par le Prix 2025 du syndicat de la critique Théâtre, Musique et Danse.

Plus radicales certes, mais passionnantes, les démarches de Mathieu Herzog et Riccardo Minasi

Mathieu Herzog, Appassionato

Riccardo Minasi, Resonanz

PS Je précise, une fois de plus, à l’intention de certains lecteurs – qui ne manquent jamais une occasion de me reprocher mes choix, mes oublis, voire mon ignorance – que, dans ce type d’articles, je n’ai, d’abord, aucune prétention ni volonté d’exhaustivité, et que je fais un choix tout à fait subjectif. En plus de celles déjà citées, je n’ignore pas les versions d’Abbado, Barbirolli, Barenboim, Beecham, Bernstein, Blech, Blomstedt, Boult, Brüggen, Davis, Dorati, Adam Fischer, Fricsay, Gardiner, Giulini, Glover, Harnoncourt, Hogwood, Jacobs, Jordan, Karajan, Keilberth, Klemperer, Koopman, Krivine, Kubelik, Leibowitz, Leinsdorf, Manacorda, Marriner, Monteux, Munch, Muti, Oistrakh, Pinnock, Reiner, Rhorer, Sawallisch, Schmidt-Isserstedt, Schuricht, Solti, Suitner, Tate,Tennstedt, Vegh, Walter… pour ne citer que celles que j’ai dans ma discothèque !!

Et toujours mes brèves de blog !

Munich-Amsterdam

Mes dernières acquisitions discographiques – oui j’aime bien avoir sous la main des coffrets de CD, même si je suis abonné à Idagio qui reste pour moi le meilleur site de téléchargement classique – révèlent des proximités pas si étranges que cela entre deux grandes capitales musicales : Amsterdam et Munich.

Work in progress… ou comment ranger, arranger les rayons d’une discothèque volontairement restreinte en surface !

Mahler Live

L‘Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam recèle des trésors d’archives de concert, qui sont depuis une vingtaine d »années soigneusement éditées par l’orchestre lui-même à partir des captations réalisées par l’une ou l’autre radio publique néerlandaise (voir Un orchestre royal et pour le détail des coffrets Concertgebouw 125)

En fonction des anniversaires, ces archives sont rééditées en coffrets « dédiés » comme Beethoven (Les géants d’Amsterdam) et Bruckner (Bruckner et alors?)

C’est au tour de Mahler d’être « mis en coffret ».

Certes, dans ce coffret, il y a des enregistrements bien connus et plusieurs fois réédités, mais il y a surtout, pour les années récentes, de nouvelles archives « live ».

Das Lied von der Erde : Haitink 2006

Symphonie 1 : Chailly 1999

Symphonie 2 : Gatti 2016

Symphonie 3 : Van Beinum 1957

Symphonie 4 : Mengelberg 1939

Symphonie 5 : Chailly 1997

Symphonie 6 : Haitink 2001

Symphonie 7 : Jansons 2016

Symphonie 8 : Jansons 2011

Symphonie 9 : Haitink 2011

Symphonie 10 : Chailly 2000

Les Bavarois

Le lien le plus évident entre Amsterdam et Munich est la communauté de direction musicale entre le Concertgebouw et l’orchestre de la Radio bavaroise : Mariss Jansons (1943-2019) a été le chef du premier de 2004 à 2016, et du second de 2003 à 2019. Tout cela a été amplement documenté, on ne compte plus les doublons, voire les triplons, entre les captations réalisées aux Pays Bas ou en Bavière.

Mais il y eut bien d’autres relations musicales entre les deux villes. Bernard Haitink (1929-2021) , le légendaire patron du Concertgebouw de 1961 à 1988 fut l’un des invités les plus réguliers de l’orchestre de la radio bavaroise fondé après la guerre par Eugen Jochum. Cette relation est documentée, entre autres, par deux coffrets passionnants :

Les mélomanes les plus avertis peuvent s’amuser à comparer les différentes versions des mêmes oeuvres telles que Bernard Haitink les a données au fil des décennies, dans Mahler ou Bruckner bien sûr. Mais aussi dans cette 7e symphonie de Dvorak, que le chef hollandais avait enregistrée au tout début de sa carrière pour Philips, avant même de prendre la direction du Concertgebouw

et cette captation de concert à Munich en 1981 :

Pour l’actualité, toujours mes brèves de blog

Ravel #150 : Daphnis et Chloé

Nous y sommes : Maurice Ravel est né le 7 mars 1875, il y a très exactement 150 ans. Poursuivons la mini-série autour du compositeur basque et de ses oeuvres les plus connues.

Avec le Boléro et la Valse (on y reviendra), la 2e suite de Daphnis et Chloé est sans doute sa pièce symphonique la plus jouée en concert. Je préfère évoquer ici la partition intégrale de cette « symphonie chorégraphique pour orchestre et choeur sans paroles », comme est intitulée cette musique du ballet composé pour les Ballets russes et créé sur une chorégraphie de Michel Fokine, le 8 juin 1912, au théâtre du Châtelet sous la direction de Pierre Monteux. Pierre Monteux décidément abonné à toutes les créations importantes de l’époque (Petrouchka, Le Sacre du printemps…).

Les versions intégrales sont nettement moins nombreuses au disque que la seule 2e suite.

Je me rappelle encore une émission de « Disques en lice » – la défunte tribune de critiques de disques de la Radio Suisse romande – où, au terme d’une écoute à l’aveugle, la version qui dominait la confrontation était celle de… Pierre Monteux, magnifiquement enregistrée à Londres.

Charles Munch à Boston n’était pas loin…

Ernest Ansermet n’est pas à son meilleur dans cet ouvrage, mais ses héritiers – revendiqués ou non – les deux Suisses, Charles Dutoit et Armin Jordan, y sont admirables

Intéressant de confronter les versions de Jordan père (Armin) et fils (Philippe) :

La version la plus inattendue de la discographie, et peut-être la plus extraordinaire à mes oreilles, est celle du grand Kirill Kondrachine*, captée à Amsterdam en 1972, jadis rééditée dans une série devenue collector

*décédé le 7 mars 1981 à Amsterdam au lendemain d’un concert où il dirigeait la 1e symphonie de Mahler à la tête de l’orchestre de la radio de Hambourg (NDR)

Coda

« A “coda” is a musical element at the end of a composition that brings the whole piece to a conclusion. A coda can vary greatly in length. My life’s coda is generous and rich. Life is precious ». / En musique, la coda est l’élément qui marque la fin d’une composition, la conclusion de la pièce. La longueur d’une coda peut varier considérablement. La « coda » de ma vie est généreuse et riche. La vie est précieuse » (Michael Tilson Thomas, 24 février 2025)

Hier Michael Tilson Thomas postait un message bouleversant sur sa page Facebook, où il annonce que la tumeur qui le touche depuis trois ans a repris de la vigueur et que ses chances de s’en sortir sont incertaines (« the odds are uncertain« ).

Nous sommes tous confrontés, un jour ou l’autre, avec la fin de vie, la fin d »une vie. Nos sociétés contemporaines refusent la mort, ou sans aller si loin, la retraite, le retrait, la mise à l’écart de l’activité sociale, quelles qu’en soient les raisons.

Je disais, dans un précédent billet (Complexité, perplexité), que l’obstination que mettent certains musiciens, les chefs surtout, à durer au-delà du raisonnable, était souvent incompréhensible. Pourquoi, par exemple, publier (ou laisser publier) cet enregistrement récent de la Symphonie de Franck par un Daniel Barenboim qui n’est plus que l’ombre de lui-même (le 6 février dernier il reconnaissait lui-même être atteint de la maladie de Parkinson depuis plus de trois ans), alors qu’il a livré avec l’Orchestre de Paris il y a quarante ans une version qui avait fait date.

Il y a, heureusement, des contre-exemples, des miracles parfois : les pianistes Horszowski, Pressler… ou Rubinstein !

Et comme on le relevait dans un précédent article (Nelson et Martha), la pianiste argentine, 84 ans dans trois mois, semble être atteinte, elle, du syndrome de l’éternelle jeunesse

Témoin ce document étonnant et récent (capté au Japon ?) où Martha Argerich fait d’un mauvais piano droit l’instrument d’une ineffable poésie dans les Jeux d’eau de Ravel…

et ce merveilleux trio de Mendelssohn capté le 20 décembre dernier à Toulouse !

Mauvais traitements (V) : un scherzo de Bruckner

Tout est parti d’un dossier réalisé par Hugues Mousseau, dans le dernier numéro de Diapason, sur la 9e symphonie de Bruckner.

A sa manière, sans manières justement, le critique taille des croupières à des valeurs supposées sûres, élimine sans barguigner des versions considérées comme des références, en oublie surtout pas mal qui eussent largement mérité d’être au moins citées et mises en confrontation. D’où un débat comme Facebook les aime, dont je suis un peu responsable puisque c’est moi qui l’ai lancé en regrettant qu’Hugues Mousseau ait oublié Carl Schuricht comme l’un des chefs qui comptent dans la discographie de l’ultime symphonie de Bruckner.

Comme pour Schubert (Une affaire de tempo ) et bien d’autres partitions, je m’aperçois que je suis, depuis toujours, très sensible au respect du caractère d’un mouvement, singulièrement dans une oeuvre symphonique : le troisième mouvement est très souvent… à trois temps, un menuet, un scherzo, voire une valse. C’est moins affaire de tempo métronomique que d’esprit. En l’occurrence, dans la 9e symphonie de Bruckner, c’est le 2e mouvement qui est un scherzo dont le compositeur précise les contours : Bewegt, lebhaft, qu’on peut traduire par « Animé, vivace ». Le plus important, parce que c’est la partition qui le commande, c’est de respecter la pulsation de ce 3/4 qui prend appui sur le premier temps.

Le moins qu’on puisse dire est que les conceptions des (grands) chefs qui ont dirigé et enregistré cette symphonie divergent du tout au tout, surtout dans ce passage.

Commençons par les caricatures :

Je n’ai jamais compris la fascination qu’exerce encore Sergiu Celibidache sur les auditeurs de ses disques (en concert, la gestique, la posture pouvaient faire illusion).

Quant à Leonard Bernstein, le champion de Mahler, il n’a jamais enregistré de Bruckner que la seule 9e symphonie, à New York d’abord, à Vienne ensuite (quelques mois avant sa mort). Les deux fois, il est vraiment à côté de la plaque.

Carlo-Maria Giulini que nul plus que moi ne révère – j’ai eu la chance d’assister à ses derniers concerts à Paris – prend un parti étonnant dans sa gravure à Chicago. Dès que le scherzo est lancé, il ralentit le mouvement, l’enserre dans une tenaille incompréhensible, c’est raide et sans ressort.

Christoph von Dohnanyi (lire Authentiques) à Cleveland n’est pas très viennois dans son approche, mais au moins c’est un scherzo « bewegt » et « lebhaft » C’est l’un des plus rapides de toute la discographie.

Bernard Haitink dans son unique gravure de la 9e de Bruckner (voir L’intégrale Concertgebouw) est comme souvent, un modèle de respect du texte

Approchons-nous des versions chères à nos oreilles.

J’ai toujours admiré la liberté d’Eugen Jochum dans ses deux intégrales Bruckner. Il n’édifie pas d’impressionnantes cathédrales sonores, immuables, intangibles, il anime toujours, bouscule parfois, chaque partition. Ici personne mieux que lui ne rend ce scherzo aussi poussé dans ses retranchements, accélérant, retardant, relançant le discours.

Karajan en 1966, souvent cité comme une référence au sein même de sa propre discographie, c’est vraiment quelque chose :

On ne sera pas étonné que j’achève ce trop bref tour d’horizon par ma version de chevet, « oubliée » par Hugues Mousseau, qui la considère comme « médiocre », découverte lors d’un Disques en Lice il y a plus de trente ans, qu’au terme d’une écoute à l’aveugle nous avions de loin placée en tête : Carl Schuricht (81 ans) dirigeant l’Orchestre philharmonique de Vienne en 1961 dans une superbe stéréo.

Et puisque, dans cette confrontation, figurait l’un des tout premiers disques de Zubin Mehta avec le même Orchestre philharmonique de Vienne, enregistré il y a 60 ans, je ne résiste pas au plaisir d’en faire entendre cet extrait : le tempo est retenu mais le jeune Mehta respecte l’esprit et la lettre de la partition !

Post-Scriptum : j’ai pris connaissance du commentaire (voir ci-dessous) de Patrice Merville, et je m’apprêtais à lui répondre d’abord que je ne m’attribuais aucune compétence particulière de « Brucknérien », ensuite que dans cet article je ne prétendais à aucune exhaustivité. Mais je dois aussi reconnaître mes torts… ou mes travers : je n’ai jamais aimé ces tribunes, ces discographies comparées, où l’on ramène toujours tout à Furtwängler ou Toscanini. J’ai donc « zappé » le Bruckner de Furtwängler, et j’ai eu bien tort, tant cette version par exemple, et le scherzo central, sont proches de l’idéal que je décris au début de mon article, la fureur, la noirceur en plus. Prodigieux oui vraiment !

L’été 24 (IX) : Kurt Sanderling

J’ai passé une partie de l’été qui s’achève à réécouter les disques d’un très grand chef, Kurt Sanderling, né il y a 112 ans le 19 septembre 1912, mort 99 ans plus tard le 18 septembre 2011 ! Il y a un an j’avais consacré un billet à ces chefs d’orchestre pères et fils :

« Je pense ne pas être démenti si j’affirme que la famille Sanderling est unique en son genre : le père Kurt (1912-2011) a donné naissance à trois chefs, Thomas(1942), Stefan (1964) et Michael (1967). J’ai eu l’immense privilège de les voir diriger tous les quatre, et d’inviter Thomas et Stefan à Liège.

Je suis inconditionnel de Kurt Sanderling, dont il existe heureusement nombre de témoignages enregistrés, de disques qu’on chérit comme des trésors. Je me rappellerai jusqu’à la fin de mes jours les deux Neuvième – Mahler et Beethoven – que Sanderling avait dirigées à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande au début des années 90. » (Chefs pères et fils, 18 juin 2023).

Etablir une discographie de Kurt Sanderling relève du parcours du combattant. D’autant que la plupart de ses enregistrements de studio ont peu ou prou disparu des rayons, alors que surgissent ça et là des « live » bien cachés dans des coffrets récapitulatifs (lire Bruckner et alors ?)

Dans Bruckner comme dans Mahler, on perçoit bien les caractéristiques de l’art du grand chef allemand; le creusement continu des partitions, une maîtrise impérieuse des grands équilibres, le refus de l’esbroufe.

Celui qui a travaillé auprès du grand Mravinski à Leningrad adopte le même traitement pour les symphonies de Chostakovitch. On cherchera autant le studio que les « live » plutôt nombreux.

Comme tous les chefs de sa génération, Kurt Sanderling s’est d’abord nourri des grands classiques, Haydn, Beethoven, Brahms, curieusement pas de Mozart. Son intégrale des symphonies « parisiennes » est depuis longtemps dans mes préférées.

Tout comme une intégrale des symphonies de Beethoven captée au début des années 80 à Londres avec le Philharmonia.

Autres pépites d’une discographie dont aucun élément n’est négligeable :

Bruckner et alors ?

On y est, on l’avait annoncé : Les anniversaires 2024 : Bruckner. Le compositeur autrichien est né le 4 septembre 1824 à Ansfelden près de Linz.

Honnêtement, on n’a rien attendu, ni rien à attendre de ce bicentenaire. Rien à découvrir de caché, aucune nouvelle édition « originale », certes quelques nouveautés discographiques plutôt marginales. Mais une « première » au festival de Salzbourg le 15 août dernier : Riccardo Muti dirigeant la 8e symphonie à la tête des Wiener Philharmoniker ! Peut-être pas indispensable…

Alors pour marquer le coup, indépendamment de mes « références » Jochum, Schuricht (relire mon billet de janvier), quelques versions que je chéris particulièrement des symphonies et de quelques grandes oeuvres chorales de Bruckner :

1ere symphonie (1868) : pourquoi pas l’une des premières gravures du jeune Claudio Abbado avec l’Orchestre philharmonique de Vienne (1970) pour Decca… et la toute dernière à Lucerne en août 2012

Symphonie n°2 (1872)

C’est par Carlo-Maria Giulini et sa version enregistrée, en 1974, avec l’orchestre symphonique de Vienne que j’ai naguère découvert cette 2e symphonie. Je lui garde toutes mes faveurs.

Symphonie n°3 (1874)

Carl Schuricht bien sûr avec les Wiener Philharmoniker, mais aussi le grand Kurt Sanderling et le formidable Gewandhaus de Leipzig ou un « live » de 1978 aux Prom’s.

Signalons aussi un « live » prodigieux à Amsterdam, qu’on trouve désormais dans un coffret issu de la monumentale (et très coûteuse) édition de prises de concerts de l’orchestre amstellodamois.

Symphonie n°4 (1874)

La plus connue, la plus jouée (?) des neuf symphonies, peut-être à cause de son surnom « Romantique », est aussi la plus enregistrée. Il y a pléthore d’excellentes versions. Celle-ci est un peu passée sous les radars : Istvan Kertesz (1929-1973) l’enregistrait en 1966 avec l’orchestre symphonique de Londres.

Symphonie n°5 (1878)

Sans doute impressionné par sa longueur, son aspect monumental, c’est la symphonie de Bruckner que j’écoute le moins. Peut-être est-ce pour cela que j’aime la version du jeune Lorin Maazel à Vienne, parce qu’il ne la traite pas justement comme un monument, peut-être un peu trop « tchaikovskien » ?

On aura bientôt la chance de redécouvrir la somme enregistrée à Cleveland par Christoph von Dohnányi qui fête ses 95 ans (!) ce 8 septembre, en particulier les 6 symphonies de Bruckner qu’il a gravées et qui n’ont jamais été bien distribuées en France

Symphonie n°6 (1881)

A l’inverse de la Cinquième, c’est sans doute la symphonie de Bruckner que j’écoute le plus souvent. Je pourrais citer Klemperer, Rögner, Haitink, Sawallisch dans mes favoris, mais j’ai découvert récemment cette réédition d’un chef magnifique, qui n’a jamais bénéficié de la notoriété de ses contemporains, Ferdinand Leitner (1912-1996)

Je me rappelle avoir programmé cette 6e symphonie à Liège en 2008 avec le chef finlandais Petri Sakari. Grand souvenir !

Symphonie n°7 (1884)

Ici aussi pléthore de grandes versions. Pour l’émotion de ce concert de 2005 – avec en première partie Alfred Brendel dans Beethoven ! – Claudio Abbado au festival de Lucerne.

Symphonie n°8 (1892)

Au disque, définitivement et sans concurrence, Eugen Jochum à Berlin.

Et en vidéo, ce témoignage bouleversant d’un Karajan en fin de vie qui y jette ses dernières forces.

Symphonie n°9 (1887)

Comme Jochum pour la 8e, j’en reviens toujours à Carl Schuricht pour la 9e symphonie, magnifique gravure en stéréo (1961) avec l’Orchestre philharmonique de Vienne. Et un deuxième mouvement qui est véritablement un scherzo…

Pour les oeuvres chorales, en dépit de quelques réussites individuelles, la somme enregistrée par Eugen Jochum reste insurpassée.

PS Je préfère anticiper les commentaires/reproches que la publication de ce billet va inévitablement susciter. Ce sont ici quelques choix très subjectifs, qui ne prétendent aucunement constituer une sorte de « discothèque idéale » de Bruckner encore moins résumer ma propre discothèque en la matière. Inutile donc de me rappeler les mérites de Blomstedt, Celibidache, Karajan, Klemperer, Jochum/Dresde, Masur, Skrowaczewski, Wand et tant d’autres… !

L’été 24 (III) : avec Shura Cherkassky

Dans un billet de juin 2019 où je le citais (Le deuxième concerto), j’écrivais « il faudra corriger cela » en évoquant le pianiste Shura Cherkassky (1909-1995) auquel je n’ai encore jamais consacré un seul article de ce blog. Cinq ans après, il est temps !

J’ai téléchargé la petite vingtaine de CD que j’ai de lui, pour profiter enfin, durant mon séjour dans le Sud , d’un art absolument unique, d’une manière de jouer du piano qui n’existe plus, tant dans les grandes oeuvres que dans une multitude de piécettes, de bis, qu’il adorait servir au public. La seule fois où j’ai entendu le pianiste américain né à Odessa (Ukraine) en vrai, c’était à Toulouse, dans le cadre d’une des premières éditions de Piano aux Jacobins. Je ne parviens pas à retrouver l’année (entre 1987 et 1992) même sur le site du festival toulousain ! Je me rappelle au moins six bis, et je crois bien la 3e sonate de Chopin. Ce petit monsieur qui s’avançait sur scène avec une démarche de danseuse, m’avait impressionné au dîner qui suivait par sa grosse voix de basse qui a bien profité de la vie.

Decca avait publié une sorte d’édition Cherkassky en une dizaine de CD, que des « live ». Jamais réédités, jamais réunis en coffret. Il y a des merveilles chez DG, EMI, Nimbus, Hännsler etc… Un conseil – celui que je suis depuis des années – toujours acheter un CD de Cherkassky dès qu’on le trouve, souvent dans les magasins d’occasion (pour rappel, le meilleur à Paris : Melomania)

Qu’on écoute seulement les sons qu’il tire de son piano, l’inégalable élégance d’un jeu qui peut tout se permettre dans ces deux pièces qui faisaient jadis l’ordinaire des « encores » des très grands…

Je retrouve un article d’Alain Lompech dans Le Monde du 30 décembre 1995 : La mort de Shura Cherkassky. : « Le répertoire de Shura Cherkassky était à l’image d’un homme qui, n’ayant jamais vécu qu’à l’hôtel, refusait de s’installer dans ses meubles, comme il refusait le confort d’un répertoire rebattu. Cet anticonformiste avait souffert de ce qu’on ne pouvait le faire entrer dans une case. A peine l’avait-on admiré dans le Carnaval de Schumann qu’il pouvait indifféremment se lancer dans une de ces transcriptions d’un kitsch incroyable dont les virtuoses du XIXe siècle avaient le secret, dans l’une des dernières sonates de Beethoven, ou dans une des études de Georgy Ligeti, qu’il avait mises à son répertoire à quatre-vingts ans passés dès qu’elles furent éditées… quand les pianistes n’enrichissent généralement plus leur répertoire après soixante ans. » Il faut lire tout l’article en accès libre, pour comprendre le génie de cet interprète.

Il faut surtout écouter et réécouter parfois plusieurs versions d’une même oeuvre : toujours lui-même et jamais exactement pareil.

J’avais découvert le nom de ce pianiste dans l’un de mes tout premiers disques… de Karajan, où il est le soliste de la Fantaisie hongroise de Liszt.

Je découvre à’l’instant ce récital filmé à Amsterdam en 1992. Tout simplement prodigieux…