Le chaos ou la beauté

Je n’y arrive pas, je n’y arrive plus. L’envie me taraude de fermer les écoutilles jusqu’à dimanche matin. Ce que je pense, dis ou écris, ne changera rien au chaos des esprits ni au choix des électeurs (relire éventuellement Tristes constats).

Comme si j’avais besoin de me conforter dans un pessimisme qui m’est d’ordinaire étranger, j’ai relu Les ingénieurs du chaos de Giuliano da Empoli, un essai qui date de 2019, tragiquement prémonitoire. Il faudrait le conseiller à tous les électeurs tentés d' »essayer » l’extrême droite :

« Un peu partout, en Europe et ailleurs, la montée des populismes se présente sous la forme d’une danse effrénée qui renverse toutes les règles établies et les transforme en leur contraire.
Aux yeux de leurs électeurs, les défauts des leaders populistes se muent en qualités. Leur inexpérience est la preuve qu’ils n’appartiennent pas au cercle corrompu des élites et leur incompétence, le gage de leur authenticité. Les tensions qu’ils produisent au niveau international sont l’illustration de leur indépendance et les fake news, qui jalonnent leur propagande, la marque de leur liberté de penser.
Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Matteo Salvini, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d’éclat. Pourtant, derrière les apparences débridées du carnaval populiste, se cache le travail acharné de dizaines de spin-doctors, d’idéologues et, de plus en plus souvent, de scientifiques et d’experts du Big Data, sans lesquels ces leaders populistes ne seraient jamais parvenus au pouvoir.
Ce sont ces ingénieurs du chaos, dont Giuliano da Empoli brosse le portrait. Du récit incroyable de la petite entreprise de web-marketing devenue le premier parti italien, en passant par les physiciens qui ont assuré la victoire du Brexit et par les communicants qui ont changé le visage de l’Europe de l’Est, jusqu’aux théoriciens de la droite américaine qui ont propulsé Donald Trump à la Maison Blanche, cette enquête passionnante et inédite dévoile les coulisses du mouvement populiste global. Il en résulte une galerie de personnages hauts en couleur, presque tous inconnus du grand public, et qui sont pourtant en train de changer les règles du jeu politique et le visage de nos sociétés.
 » (Présentation de l’éditeur)

Privatisation ?

Juste un mot sur un sujet qui ne semble pas alarmer grand monde : la privatisation de France Télévisions et de Radio France annoncée par le Rassemblement national. Oh bien sûr il y a les protestations d’usage, les appels des syndicats, mais les journalistes, y compris du service public, n’y accordent qu’un intérêt très relatif. Je n’ai encore vu aucun reportage, aucune enquête, qui décrive les conséquences d’une telle opération, si tant est qu’elle soit tout simplement réalisable. Un des acolytes de l’auto-proclamé futur Premier ministre essayait bien de rassurer son interrogateur en rappelant que les lois de la concurrence (l’Europe n’a pas que du mauvais semble-t-il) empêcheraient M. Bolloré d’accroître son empire médiatique. Mouais…

En revanche, personne ne semble se soucier du devenir des deux orchestres, du Choeur et de la Maîtrise de Radio France. Entre nous, le projet du gouvernement de fusion des entités actuelles en un seul pôle de service public avait aussi de quoi nourrir les inquiétudes.

En espérant que ces lendemains n’adviendront pas, réécoutons ce que les formations du service public peuvent produire de meilleur.Ici l’Orchestre national de France et Cristian Macelaru à Bucarest en septembre dernier

Oublier le chaos

J’ai trouvé refuge dans ma discothèque pour échapper au chaos ambiant et à venir.

Alexandre Tharaud qui a raison de manifester son inquiétude nous offre ces jours-ci le meilleur remède à la morosité, avec cette formidable compilation :

Dans le coffret Warner des enregistrements de Wolfgang Sawallisch (lire Les retards d’un centenaire), il y a deux pépites que les mélomanes chérissent depuis longtemps, les deux seuls enregistrements officiels de concertos que Youri Egorov a réalisés (lire La nostalgie des météores) : le 5e concerto de Beethoven et les 17 et 20 de Mozart.

J’ai eu envie de me replonger dans ce fabuleux coffret édité aux Pays-Bas et composé de prises de concert. Tout y est admirable.

Dans un récent article que je consacrais, entre autres, aux Etudes de Chopin, j’avais oublié de mentionner l’enregistrement exceptionnel de Yuri Egorov :

J’avais tout autant oublié Lukas Geniušas que j’avais pourtant entendu donner les deux cahiers à la fondation Vuitton en 2016, et invité à trois reprises à Montpellier.

Je trouve sur YouTube cette magnifique captation réalisée au conservatoire de Bruxelles, apparemment sans public (Covid ?)

Salut à la France

Je ne peux pas clore ce billet sans cet air de circonstance :

Croyons avec notre chère Jodie Devos que c’est cette France que nous aimons qui sortira victorieuse.

Post scriptum : Une ode à la joie

Depuis que j’ai bouclé ce papier hier soir, j’ai écouté une nouveauté qui m’a remis en joie, et qui est vraiment ce dont nous avons besoin aujourd’hui :

Encore une version de ce triple concerto de Beethoven, qui, en dehors de son ‘aspect inhabituel, l’insertion d’un trio avec piano dans une pièce d’orchestre, n’est pas le plus grand chef-d’oeuvre de son auteur ? Oui mais joué comme ça par cette équipe, on oublie toutes les réserves, on se laisse porter par l’inépuisable tendresse et la formidable énergie que dégagent ces musiciens qu’on adore : Benjamin Grosvenor au piano (comment pourrais-je oublier les 3e et 4e concertos de Beethoven joués à ma demande à Montpellier en juillet 2022 ?), Sheku Kanneh-Mason au violoncelle, qui force mon admiration chaque fois que je l’entends en concert (lire sur Bachtrack : La jeunesse triomphante de Sheku Kanneh-Mason), Nicola Benedetti que je ne connais que par le disque, et un chef, Santtu-Matias Rouvali, à qui je dois bien avoir consacré une dizaine de billets sur ce blog !

Mais il n’y a pas que le triple concerto sur ce disque. Les « compléments » sont tout sauf secondaires, ils font partie de la partie la moins connue de ‘l’œuvre de Beethoven, toutes ces mélodies, ces Songs qu’il a collectés sur les îles britanniques, arrangés pour quelques-uns pour trio autour du magnifique Gerald Finley.

Les joies de juin

D Day #80 : Félicitations

Félicitations à France 2, à la télévision publique en général, pour cette journée très réussie de commémoration des 80 ans du Débarquement. De Télématin à la cérémonie de fin d’après-midi, j’ai appris beaucoup de choses, de détails historiques, que j’ignorais, et cela sans le recours à d’incessants micro-trottoirs qui tiennent trop souvent lieu de reportages. Musicalement, la cérémonie internationale d’Omaha Beach avait l’allure et la carrure nécessaires : tout et tous étaient à leur place. Lambert Wilson, magnifique récitant, Alexandre Tharaud et son piano poétique, le choeur de l’Armée française préparé par sa cheffe Aurore Tillac, et peut-être surtout la Maîtrise populaire de l’Opéra Comique qui nous a profondément émus.

Chantilly sans crème

En septembre dernier, j’avais bien aimé le rendez-vous festif qu’Iddo Bar-Shai propose à Chantilly (Double crème). Je me réjouissais de retrouver le cadre imposant des anciennes écuries royales, en ce premier jour de juin, pour les Coups de coeur de Steven Isserlis.

Déception, frustration de ne pas plus et mieux entendre des musiciens que j’admire, comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Frustrations à Chantilly

Oslo à Paris

Mardi dernier en revanche, l’affiche a tenu ses promesses. Un programme tout Brahms proposé par l’Orchestre philharmonique d’Oslo en tournée, dirigé par un chef qu’on connaît bien à Paris, Klaus Mäkelä, jouant aussi la partie de violoncelle du double concerto de Brahms. En compagnie d’un violoniste, Daniel Lozakovich, qui ne cesse de nous impressionner, concert après concert. Compte-rendu enthousiaste à lire sur Bachtrack : Klaus Mäkelä voit double avec l’Orchestre philharmonique d’Oslo

En marge du concert, deux brèves rencontres inattendues. Dans le métro de retour d’abord, une vieille dame un peu voûtée, le regard pétillant, s’adressant à deux jeunes hommes qui venaient manifestement d’assister au concert, et une voix que je n’ai reconnue qu’au dernier moment avant qu’elle ne sorte à la station Stalingrad, l’une des productrices emblématiques de France Musique, Martine Kauffmann, que je n’avais plus revue depuis près de trente ans.

En revanche, je savais d’avance que j’apercevrais au pupitre de clarinettes, Pierre Xhonneux (prononcer O-noeud), un musicien que j’avais engagé tout jeune – il avait 18 ans ! – à l’Orchestre philharmonique de Liège, et qui avait rejoint les rangs du philharmonique d’Oslo en 2015. Impossible de le retrouver dans le dédale de couloirs et de salles qui forme les coulisses de la Philharmonie, au milieu des « flightcases » de l’orchestre. Le lendemain matin, sortant du Café Charlot, rue de Bretagne où j’ai mes habitudes pour le petit déjeuner, je tombe sur Pierre et deux de ses collègues norvégiens. Ou comment le hasard fait bien les choses…

Sawallisch inconnu

Je l’ai longuement évoqué il y a un mois (Sawallisch ou les retards d’un centenaire) à propos de deux publications récentes. Je n’avais pas encore reçu le premier des deux coffrets que Warner consacre au chef allemand, né en 1923, disparu en 2013. Par rapport à un premier coffret EMI, acheté naguère au Japon, qui était limité au répertoire symphonique et concertant, il y a bien sûr l’œuvre chorale (Schubert) et de nombreux disques de Lieder où Sawallisch est au piano, mais aussi quelques pépites que je n’avais jamais vues en CD parmi les premiers enregistrements du jeune chef avec le Philharmonia.

ou encore une complète découverte pour moi que ces mélodies de Pfitzner avec Dietrich Fischer-Dieskau

Et puis, last but not least, l’excellent texte de Remy Louis, qui est une mine d’informations de première main sur l’art de ce chef.

Mon marché de printemps

J’ai une dilection particulière pour ces musiques qu’Armin Jordan qualifiait de « décadentes » avec une gourmandise non feinte, comme celles de Schreker ou Zemlinsky. Christoph Eschenbach nous offre une belle nouveauté avec ce double album enregistré à Berlin, et deux solistes splendides, Chen Reiss et Mathias Goerne.

Trouvé à petit prix sur jpc.de, je n’avais jamais repéré ce CD paru en 1998 de Stephen Hough (pour la prononciation, je renvoie à Comment prononcer les noms de musiciens ?) consacré à un compositeur singulier autant qu’admirable, Federico Mompou

Le vrai Fauré

« Le monde musical, les programmateurs, les éditeurs phonographiques, semblent ne plus pouvoir se passer des anniversaires. La mode n’est pas récente. Je profite de cette première semaine de l’année 2024 pour signaler certains de ces anniversaires sous leur aspect peut-être le moins connu. » C’est ce que j’écrivais le 2 janvier ici même. Et je n’avais cité que des compositeurs dont on fête la naissance, parce que la commémoration du centenaire ou du bicentenaire d’une mort me semble peu opportune.

Mais il arrive que cela permette de remettre en lumière un compositeur, une oeuvre qui méritent d’être revisités. C’est le cas de Gabriel Fauré (1845-1924)

Le piano de Fauré

J’ai déjà évoqué ici la très bonne surprise qu’a constitué le coffret paru en début d’année, l’intégrale de l’oeuvre pour piano, de Fauré, somptueusement réalisée par Lucas Debargue (L’effet de printemps).

Depuis lors, j’ai redécouvert d’autres pianistes qui ont manifestement des affinités électives avec le compositeur ariégeois :

J’aime beaucoup le jeu au fond du clavier de la pianiste britannique Kathryn Stott, qui a récemment annoncé qu’elle mettrait un terme à sa carrière publique à la fin de cette année 2024.

Les Nocturnes de Fauré sous les doigts d’Eric Le Sage sont un « must »

La référence pour la musique de chambre

Je connais depuis longtemps le tropisme fauréen d’Eric Le Sage. J’ai même naguère hébergé, à la Salle philharmonique de Liège, quelques séances d’enregistrement. Depuis les premiers disques, je garde précieusement ce qui me paraît être l’intégrale idéale de la musique de chambre, où se révèle vraiment le génie de Fauré. Intégrale justement rééditée par Alpha, et pilier de toute discothèque qui se respecte
Eric Le Sage y a réuni la crème des musiciens, français pour l’essentiel.

On reviendra une autre fois sur d’autres aspects de l’oeuvre de Fauré, ses mélodies, ses oeuvres chorales, orchestrales etc.

Trouvailles et retrouvailles

Juste pour mémoire les suites de ma visite à Louis Langrée à Cincinnati : l’entretien que le chef français, directeur de l’Opéra Comique depuis deux ans, m’avait accordé est maintenant publié sur Bachtrack : « Le chef providentiel n’existe pas ».

J’invite, en particulier, à lire ce que Louis Langrée dit de la vie musicale américaine et du poids de la cancel culture qui a conduit, par exemple, les responsables du Lincoln Center de New York à supprimer Mozart de leur vocabulaire, parce que le nom même est jugé élitiste !! Heureusement la contamination reste limitée en Europe, et le travail exemplaire que font les équipes de l’Opéra Comique est de nature à nous rassurer !

(Louis Langrée dans son bureau de directeur général à l’Opéra Comique devant une affiche-programme de 1950)

L’actualité du chef est aussi ce nouveau disque dont le soliste est Alexandre Tharaud. Pour ne blesser personne, je me contenterai de remarquer que Louis Langrée trouve, dans Ravel et plus encore dans Falla, des couleurs admirables grâce à un Orchestre national en grande forme. Bravo pour le couplage inédit au disque !

Solti suite et fin

Il y a deux ans, j’avais reçu juste avant un séjour involontaire à l’hôpital, le deuxième des coffrets que Decca a consacrés à son chef star, Georg Solti (1912-1997) : Solti à Londres. Après un premier fort volume regroupant les enregistrements faits à Chicago durant un quart de siècle. Cette fois la boucle est bouclée avec un troisième coffret regroupant tout ce que le chef britannique a enregistré ailleurs qu’à Londres ou Chicago, pour la plupart à Vienne. Et ce sont, pour moi, de loin les meilleurs disques de Solti.

Les chauvins y retrouvent le seul disque enregistré avec l’Orchestre de Paris – dont Solti fut brièvement le « conseiller musical », des poèmes symphoniques de Liszt… et les 2e et 5e symphonies de Tchaikovski avec l’ancêtre de l’Orchestre de Paris, la société des Concerts du Conservatoire.

Je ne résiste pas au plaisir de citer encore la version la plus hallucinée des célèbres ouvertures de Suppé, captées en 1957 avec des Wiener Philharmoniker complètement survoltés : ici une Cavalerie légère au triple galop !

Braderie russe

Sur le site allemand jpc.de, je trouve régulièrement, à tout petit prix soldé, des disques dont j’ignorais même l’existence, parce qu’ils n’ont jamais ou très inégalement été distribués en Europe occidentale, publiés par le label Melodia, jadis le seul et unique éditeur officiel de l’URSS. Je viens de recevoir – et d’écouter – quatre albums assez incroyables.

D’abord Evgueni Svetlanov (1928-2002) dont on sait qu’il ne limitait pas son horizon à la seule musique russe, dont il a pourtant enregistré une quasi-intégrale symphonique. Ici c’est Ravel, et beaucoup moins attendu, le grand oratorio d’Elgar, The Dream of Gerontius. Grandiose vraiment !

Autres surprises, un double album consacré à Wagner (édité en 2013 à l’occasion du bicentenaire de sa naissance) et un époustouflant « live » de 1965 où Charles Munch dirige l’orchestre de Svetlanov (le symphonique d’URSS) dans une Mer de Debussy absolument déchaînée (au même programme: la 2e symphonie d’Honegger, la suite de Dardanus de Rameau et la 2e suite de Bacchus et Ariane de Roussel)

(Debussy, la Mer extrait, Charles Munch, Orchestre symphonique de l’URSS, Moscou 1965)

Le bonheur de Mahler

Passant avant-hier chez le libraire de la rue de Bretagne à Paris, je tombe sur un livre de poche au rayon « Musique ». Jamais entendu parler du bouquin à sa sortie en 2021, encore moins de son auteur, Évelyne Bloch-Dano.

«  »On ne connaît pas Natalie Bauer-Lechner. Et pour cause : le nom de cette talentueuse altiste a été effacé par l’entourage de Mahler. Avant-gardiste, membre d’un quatuor de femmes réputé, c’est aussi elle qui, la première, a cru en Gustav Mahler. Jusqu’au mariage du compositeur, elle fut sa confidente, la première lectrice de ses compositions… son âme sœur, dans une Vienne aux codes étouffants, ivre d’art et de musique. Évelyne Bloch-Dano nous emmène à la rencontre de trois personnages, un génie, une artiste et une ville, dans une époque euphorique et impitoyable que balaya la Première Guerre mondiale. Le récit d’une intimité hors normes qui a le souffle d’un roman ». (Présentation de l’éditeur)

Un feuilletage rapide donne l’impression d’un ouvrage sérieux, même si écrit comme une biographie romancée. En tout cas, l’idée n’est pas mauvaise de raconter Mahler par le biais de cette amitié particulière avec une authentique féministe, la musicienne Natalie Bauer-Lechner

Vacances 2022 : les trésors du Vatican

Comme promis, il est temps de boucler la série Vacances 2022.

Mais avant d’évoquer le temps le plus fort de ce séjour italien, quelques souvenirs encore glanés dans la mémoire de Pierre-Jean Remy (lire Intrigue à la Villa Médicis)

Tharaud, Cassard, Monteilhet et l’académicien

1995 à la Biennale de Venise sur l’art contemporain

« Le nouveau ministre, Douste-Blazy . Sa femme. Nous déambulons lourdement à travers deux des expositions de la Biennale au musée Correr et au Palazzo Grassi. Lourdement, exténués. Le monde de l’art contemporain : maffiosi, maffiosi et tutti quanti. Tous ces gens qui se connaissent, qui s’aiment, qui se tutoient et qui ne pensent qu’à faire de bonnes affaires. Avec les pique-assiette qui se greffent dessus. L’art contemporain est étouffé par le fric, bien sûr, n’en parlons pas, mais aussi par un discours; tellement étouffé que le discours finit par remplacer l’art. L’art lui-même n’est que la réalisation du discours, de bric et de broc, n’importe comment. Bon chic bon genre, arte povera, photographie morbide (et sublime) à la Boltanski ou petit rien du tout: au fond, c’est le message qui compte, et non plus la manière de la traduire.

Juin 1995 : Alexandre Tharaud

« L’accompagnateur de Claire (Brua) s’appelle Alexandre Tharaud. Renfermé,
assez beau, le visage très maigre. Avant de partir il me donne un disque Grieg
« .

J’avoue qu’avant d’avoir lu PJR, j’ignorais qu’Alexandre Tharaud eût enregistré un choix de Pièces lyriques de Grieg !

28 juin 1995 : « Arrive Véronique Gens, avec un joueur de luth, Pascal Monteilhet (1) Elle est grande, belle. Elle chante du Purcell. La salle est pleine, enthousiaste. Présence également de Véronique Dietschy, retrouvée. Nous nous étions un peu vus à Londres. Elle vient ici avec son accompagnateur, l’excellent pianiste qu’est Philippe Cassard. Très vite, une complicité.« 

(Pierre-Jean Remy, Villa Médicis, Souvenirs de Rome)

Les trésors du Vatican

Un conseil : s’y prendre longtemps à l’avance pour réserver ses tickets d’entrée dans les musées du Vatican. Bien se chausser, et profiter de la totalité des richesses exposées ! Treize musées à visiter !

Les chambres de Raphaël (Stanze di Raffaello)

Au moins autant que les plafonds et les murs de la Chapelle Sixtine, les quatre pièces d’apparat, dites Chambres de Raphaël, éblouissent le visiteur par la richesse et la somptuosité de leurs fresques dues à Raphaël, né à Urbino qu’on avait visité en 2020.

L’incendie de Borgo
Le couronnement de Charlemagne
L’Ecole d’Athènes
Héliodore chassé du temple

La Chapelle Sixtine

Pour une raison incompréhensible, il est interdit de prendre des photos à l’intérieur de la Sixtine (on dit qu’un important mécène de la restauration des fresques de Michel-Ange s’en réserve l’exclusivité !). Celles qui suivent ont donc échappé à la vigilance des surveillants. Elles peinent à restituer les proportions d’un lieu que chacun, avant d’y pénétrer, s’imagine plus large, plus haute, plus grande. La Chapelle impressionne, mais elle est étrangement à dimension humaine. On est durablement bouleversé, et profondément ému par la visite d’un tel lieu, et malgré la foule le recueillement, la contemplation, s’imposent.

(1) Pascal Monteilhet est ce merveilleux musicien, disparu le 23 août dernier, à 67 ans, regretté de tous ses partenaires et de ceux qui l’ont connu et côtoyé.

Hommage

Un sans-faute, très exactement ce qu’on attendait, ce qu’on espérait. Dignité, sobriété, simplicité. Toute la cérémonie d’hommage national aux victimes des attentats du 13 Novembre a été juste.

Mon ami Philippe Cassard n’était pas là pour accompagner Natalie Dessay, mais dans un avion en partance pour New York, il a écrit ceci à son arrivée, j’en partage chaque mot : http://piano.blogs.la-croix.com/liberte-de-la-musique/2015/11/28/

Je ne sais pas qui a organisé les aspects musicaux de la cérémonie, mais il/elle doit être félicité(e). On n’avait aucun doute sur la qualité des formations de la Garde républicaine – orchestre et choeurs – (admiration cependant pour des artistes confrontés à des températures problématiques pour leurs doigts et leurs instruments). Emotion particulière quand retentirent ces dernières strophes de La Marseillaise : « Amour sacré de la Patrie…. Liberté, liberté chérie »

Le Président de la République a dit ce qu’il fallait, un discours serré, essentiel, pour la Nation, pour l’Histoire. Pour la génération de mes fils.

Qu’elles étaient belles, qu’elles étaient fortes les voix mêlées de Camélia Jordana, Yaël Naïm et Nolwenn Leroy !

Quand on n’a que l’amour… pour unique raison, pour unique secours… (Jacques Brel)

Quant à Natalie Dessay, elle n’avait pas choisi par hasard Perlimpinpin. Après Brel, Barbara. Et Alexandre Tharaud au piano.

Et puis, des profondeurs de son violoncelle, dans l’immense silence de la Cour des Invalides, Edgar Moreau adressait la Sarabande de la 2e suite de Bach aux morts et aux vivants. (http://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/attaques-du-13-novembre-a-paris/videos-l-hommage-national-aux-victimes-des-attentats-de-paris-en-six-moments-forts_1195001.html).

C’est à Vézelay que Rostropovitch, le dissident, le survivant de la dictature stalinienne, avait choisi à la fin de son parcours, d’enregistrer les Suites de Bach.

https://www.youtube.com/watch?v=fbIvO0EyTUs

Au plus noir de l’horreur, il s’est toujours trouvé des artistes, des musiciens, des poètes, des hommes debout pour clamer comme Eluard :

Sur mes cahiers d’écolier

Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.

Liberté, Paul Eluard (1942)