Ce n’est pas la première fois que je commente, voire que j’accueille, ici, les propos de Sylvain Fort (lire par exemple Perdre la face ?). Il faut reconnaître que, cette semaine dans L’Express, il a fait.. fort !

La virulence des réactions – sur Facebook notamment – n’a pas tardé, avec pour circonstances aggravantes, forcément aggravantes, pour l’auteur de l’article le fait d’être un ex-collaborateur, et donc toujours suppôt, du président de la République, et de soutenir Renaud Capuçon ! Sylvain Fort s’est fendu d’une mise au point aussi nécessaire que bienvenue :
« J’ai publié récemment dans L’Express un point de vue intitulé « La culture ne se confine pas », qui suscite l’émoi de certains artistes de musique dite « classique ». J’y explique tout simplement que la fermeture des salles ne doit pas mettre un terme à la vie culturelle. Qu’il existe bien des moyens de faire vivre la culture : le numérique, les captations, mais aussi le contact vivant avec le public hors des salles traditionnelles, surtout dans une période de grand esseulement et de grande détresse de nombre de nos concitoyens. Cela, les artistes classiques ne m’ont pas attendu pour le mettre en œuvre. Nombre d’artistes « classiques » se sont crus invités par cet article à se produire gratuitement dans des conditions précaires, et ont vu là une invitation bien arrogante. D’abord parce qu’ils ne peuvent pas se permettre le luxe de se produire gratuitement, ensuite parce qu’ils se produisent volontiers hors les murs. Il est étrange que ces artistes-là se soient sentis visés par l’article. D’abord parce qu’il est dit explicitement que cette exhortation ne saurait concerner les plus précaires. Ensuite parce que toute la fin de l’article rend hommage précisément à ceux qui savent aller au-devant des publics en dehors des cadres institutionnels. Enfin, plus secondairement, parce que depuis vingt ans, notamment sur Forum Opéra, j’interroge avec inquiétude le sort des artistes classiques, la malédiction des contrats précaires, la gangrène de la gratuité. C’est le sens même de l’éditorial de ce mois-ci sur Forum Opéra. Les artistes visés sont ceux au contraire qui pourraient, financièrement, sortir de leur zone de confort, mais qui ne le font pas. Qui pourraient, par leur talent et leur notoriété, apporter beaucoup à la collectivité nationale, mais qui ne le font pas.Récemment, Philippe Torreton a eu cette prise de conscience et a déclaré « c’est dommage que l’Etat ne nous ait pas demandé d’aller jouer dans les EPHAD ». Oui, il existe des privilégiés de la culture. Oui, il existe des artistes qui traversent cette crise sans inquiétude financière parce qu’ils ont gagné beaucoup d’argent ou parce que leur situation contractuelle les place à l’abri du besoin. Oui, il existe des artistes qui certes sont mis à mal par cette épidémie, mais qui la traverseront parce qu’ils ont une rente de situation, un lien avec le public, une notoriété qui les protègent du pire (et que souvent ils doivent à leur talent, quoique pas toujours). Ces artistes-là, les a-t-on vu se mettre au service de leur public ? La vérité, c’est qu’ils ont disparu des radars. Les mêmes qui rappliquent aux cérémonies des Césars, à Cannes, sur les plateaux de télévision, les télés-crochet, se font aimer et fêter ont simplement démissionné de leur fonction sociale pendant cette crise. C’est un fait. Au contraire, il est des artistes qui ont vu leur monde s’écrouler, leur public disparaître, leur portefeuille se vider, et qui n’avaient ni les moyens ni l’énergie d’aller au-devant des difficultés. Il est des artistes qui à longueur d’année donnent de leur personne pour nos aînés, les enfants, les malades. Mais que la crise présente a écrasés. Les artistes classiques sont dans cette situation. Il est paradoxal qu’en lisant l’article ils aient pensé que cela parlait d’eux et non des puissances établies qui auraient pu faire tellement et n’ont rien fait. Je suis désolé qu’ils aient pris pour eux, dont depuis vingt ans je dis la fragilité et la grandeur, ce qui était destiné à une population bien plus gâtée et bien moins active. L’Express n’est pas une publication de musique classique et ne s’adresse pas à un lectorat qui, quand on parle d’artistes, pense spontanément à un ensemble baroque plus qu’à une vedette de la chanson. Je regrette ce malentendu et ce qu’elle a pu causer de désarroi car je n’ignore rien de la situation des artistes classiques ou par extension du théâtre et de la musique, qui souffrent de cette situation. Surtout, dans une période aussi dure, je regrette d’avoir causé du désarroi à celles et ceux qui, précisément, nagent déjà dans des océans d’incertitude. J’espère qu’ils accepteront les excuses que je leur présente très modestement. » (sur Facebook 15/01/21)
Une polémique inutile ?
Je ne suis pas le plus mal placé pour apprécier la situation qui est celle du monde de la culture depuis bientôt un an.
Le 23 mars 2020 (Confinement) : « Difficile pourtant de rester rationnel, de s’en tenir aux faits/…./De ne pas céder à son tour à un vertige anxiogène et paralysant »
Le 15 avril 2020 j’écrivais cette Lettre à mes amis et aux autres : « J’ai résolu de ne participer à aucun débat, aucune polémique sur rien ni personne durant cette crise inédite » et, neuf jours avant de devoir annuler la quasi-totalité de l’édition 2020 du Festival Radio France Occitanie Montpellier, ceci :
Il n’est pas un jour, une heure, où je ne pense à mes amis musiciens, et au-delà d’eux à tous ceux qui font métier d’artiste.
Je me suis toujours demandé, depuis que j’ai la chance de travailler avec vous, pour vous, comment vous faisiez pour supporter l’incertitude, l’insécurité, qui est votre lot commun. Votre carrière, vos engagements, vos ressources, votre vie en somme, dépendent de tellement de facteurs que vous ne maîtrisez pas.
Aujourd’hui, et depuis plusieurs semaines, qui que vous soyez, célèbre ou débutant, riche ou pauvre, vous êtes doublement confinés, vous voyez s’annuler tous les projets, tous les engagements qui formaient votre horizon.
Et vous lisez sur les réseaux sociaux les pires nouvelles, colportées comme vérités d’évidence… Comme s’il fallait rajouter du désespoir à la morosité ambiante.
Oui c’est à vous, amis musiciens, que je pense en premier lorsque je dois prendre, lorsque je devrai prendre des décisions quant à la réalisation du festival que je dirige. Pourquoi baisser les bras avant même qu’on y soit, peut-être, contraint ? Pourquoi ne pas imaginer d’autres solutions que le tout ou rien ? Il y a tant de manières de vivre, de faire vivre la musique. Ce ne sont pas les idées qui nous manquent. Nous ne renoncerons jamais à explorer toutes les pistes, et à vous permettre de nous réenchanter.
C’est la promesse que je vous fais. »
Le 25 avril 2020, j’avais le Coeur lourd et, je le crois, une certaine lucidité :
Une certitude : le déconfinement se fera dans un désert culturel. Et les dégâts de la crise sanitaire pour tout le monde de la culture seront considérables, souvent irrémédiables. Dégâts artistiques, économiques, mais d’abord dégâts humains.
On voit bien, ici et là, resurgir la vieille rengaine populiste : la culture est un petit milieu privilégié (avec un régime d’assurance chômage qui serait trop favorable), et on aura bien d’autres soucis après la crise que de faire revivre les théâtres, les salles de concert, les festivals, qui vivent pour la très grande majorité de subventions publiques…
Le 17 juin 2020, j’annonçais un Festival autrement et le 30 juillet la réalisation, partielle certes, mais affirmée, de la promesse que j’avais faite aux musiciens (cf. plus haut) : Un festival malgré tout


Et maintenant ?
À la mi-janvier, je les vois déjà s’avancer, les éternels prédicateurs de catastrophes. Même Diapason s’y met : Festivals 2021, état d’urgence
Je ne change rien à ce que j’ai écrit en 2020, ni les espoirs, ni les constats.
Je réaffirme juste ceci : On ne fait jamais avancer une cause, sa cause, en se plaçant dans la position de la victime, du spectateur passif, du critique permanent.
Même si ça défoule, à quoi bon perdre son temps et son énergie à tirer sur ces gouvernants incapables ? Qui eût fait mieux ? Moi aussi, je préférerais que les salles de spectacle, de concert soient ouvertes, et je sais que personne n’y risquerait sa santé ! Moi aussi je préférerais que la vie reprenne dans les cafés, les restaurants. Moi aussi je préférerais que personne ne tombe malade.
Les mêmes qui, majoritaires, exprimaient leur défiance quant à la vaccination contre la Covid-19, manifestent maintenant leur impatience devant les lenteurs de cette même vaccination !
Je prépare, avec toute une équipe plus enthousiaste que jamais, un festival 2021 dont le slogan est déjà tout un programme :

Je pense que cette longue, évidemment trop longue et insupportable, période de confinement de la culture aura peut-être eu quelques effets positifs, comme celui d’obliger artistes et organisateurs à inventer de nouveaux formats, de nouvelles formes, de nouvelles formules et d’atteindre ainsi ces fameux publics trop longtemps tenus à distance de la chose culturelle.
J’y reviendrai plus longuement. Je suis un incorrigible optimiste !