Jonas et les coffrets de juin

Jonas 55

On ne sait si c’est pour célébrer son 55e anniversaire le 10 juillet prochain ou pour clore un partenariat de plusieurs lustres* entre Decca et le ténor star Jonas Kaufmann, toujours est-il que paraît un coffret de 15 CD à prix très doux qui récapitule les grandes années du chanteur, avec quelques pépites qui méritent d’être signalées.

Je ne sais qui a choisi la photo de couverture, légèrement too much non ? Mais le fan club ne sera pas déçu !

CD 1 Sehnsucht Mozart, Schubert, Beethoven, Wagner (Claudio Abbado / Mahler Chamber Orchestra)

CD 2 Verismo Arias (Antonio Pappano / Accademia Nazionale di Santa Cecilia)

CD 3 Romantic Arias (Marco Amiliato / Prague Philharmonic Orchestra)

CD 4-5 Wagner Airs d’opéras + commentaires de J.K.

CD 6 Schubert, Die schöne Müllerin (Helmut Deutsch)

CD 7-8 Weber Oberon (en anglais) (John Eliot Gardiner, Orchestre révolutionnaire et romantique, Hillevi Martinpelto, Steve Davislim)

CD 9-10 Beethoven Fidelio (Claudio Abbado, Lucerne Festival Orchestra, Nina Stemme)

CD 11-13 Humperdinck Königskinder (Armin Jordan, Orchestre national Montpellier)

CD 14-15 Verdi Requiem (Daniel Barenboim, Scala, Anje Harteros, Elina Garanca, René Pape)

J’éprouve un attachement particulier pour le dernier enregistrement d’Armin Jordan un an avant sa mort en 2006. C’était à Montpellier, du temps où le Festival Radio France faisait, chaque année, découvrir au moins un ouvrage lyrique inconnu ou oublié. Un ténor de 35 ans, qui était encore loin d’être la star qu’il est devenu, participait à l’aventure de ces Königskinder / Les enfants du roi d’un compositeur qui n’est resté dans les mémoires que pour son « tube » Hänsel et Gretel, Engelbert Humperdinck (1854-1921).

Souvenir amusant à propos de ce « live ». En contact avec les responsables de la branche française (Accor) d’Universal – pour les disques réalisés avec l’OPRL et Louis Langrée – je leur avais suggéré, au moment où la notoriété de Kaufmann montait en puissance, de mettre en valeur la participation de ce dernier à ces Enfants du roi. Quelques mois plus tard on voyait ressortir l’enregistrement dans un nouvel habillage (lire la critique qu’en fit Forumopera). Le coffret Decca a repris la pochette d’origine.

(*lustre = période de cinq ans)

Le piano des antipodes

Je n’ai pas évoqué ici les résultats du dernier Concours Reine Elisabeth de Belgique : j’ai, en son temps, écrit tout ce que je pensais de ce concours en particulier, et plus généralement des concours pour jeunes musiciens : De l’utilité des concours. Mon ami Michel Stockhem qui ne peut pas être suspecté d’être défavorable au CMIREB (acronyme de Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique) a écrit le 1er juin sur Facebook un billet que je pourrais signer et que j’invite vivement à lire.

Jiaxin Min, éliminée du palmarès final !

Apparemment les résultats du dernier Concours Van Cliburn ont été plus convaincants. Le nom du vainqueur, Aristo Cham, me fait irrésistiblement penser aux… Aristochats et à cette séquence

Je veux évoquer ici un coffret de 11 CD proposé à moins de 50 € sur le site anglais prestomusic.com, qui dresse un passionnant panorama d’un concours de piano, qui est l’un des plus importants de l’hémisphère sud, celui de Sydney. L’édition de ce coffret est due au responsable de la collection Eloquence, lui-même australien, Cyrus Meher-Homji (lire Des chefs éloquents) La plupart des noms de lauréats me sont inconnus, et c’est justement l’occasion de sortir de « l’européocentrisme » dénoncé par Michel Stockhem, Et en regardant la liste, on a la surprise d’y retrouver le 1er prix du concours Reine Elisabeth 1999, le pianiste ukrainien Vitaly Samoshko, que j’ai eu le bonheur d’inviter plusieurs fois à Liège. Le monde est petit !

Liste des pianistes représentés dans ce coffret :

Albright · Arimori · Bogdanov · Bolla · Broberg · Cazal · John Chen · Moye Chen · Cominati · Cyba · Del Pino · Deng · Fung · Fushiki · Gifford · Gillham · Gortler · Goto · Gough · Grigortsevich · Gugnin · Ham · Hill · Janssen · Joamets · Jurinic · Kameneva · Khairutdinov · Kim · Kitamura · Kolesova · Kolomiitseva · Jianing Kong · Xiang-Dong Kong · Kudo · Kurbatov · Kuzmin · Lakissova · Lee · Leske · Li · Liu · Lopatynskiy · Malikova · Malmgren · Masliouk · Melnikov · O’Callaghan · Owen · Pegoraro · Rashkovsky · Samoshko · Samossoueva · Sato · Scott · Shamray · Sim · Soo Rhee · Takada · Takao · Tarasevich-Nikolaev · Tarasov · Tsvetkov · Uehara · Ukhanov · Urassin · Vetruccio · Volodin · Wallisch · Wisniewski · Wright · Xie · Yemtsov · Young · Yu · Zabaleta · Zheng

Le Beethoven des Lindsay

Autre coffret proposé par prestomusic.com, l’intégrale des quatuors de Beethoven par les Britanniques du quatuor Lindsay (1966-2005). Il ne va pas dépareiller ma discothèque où se trouvent déjà, sans ordre de préférence, les Amadeus, Artemis, Hongrois, Italiano, Berg, Cleveland, Emerson, Ysaye, pour ne citer que les intégrales.



Et toujours mes brèves de blog, comme ce beau souvenir de ma soirée du 12 juin :

Sonya Yoncheva et Jean Pierre Rousseau / Auvers-sur-Oise / 12 juin 2025 / @Bachtrack

En scènes : Alagna, Sawallisch et le Domino noir

Roberto le sexygénaire

Comme souvent, les publications ont un métro/train/avion de retard. Roberto Alagna, notre ténor/trésor national a fêté ses 60 ans le 7 juin… 2023, mais ce n’est que maintenant que sortent disques et coffrets qui célèbrent son passage dans la catégorie des sexygénaires !

J’invite à relire ce précédent article : Un miracle qui dure et le long portrait que Sylvain Fort avait consacré à Roberto Alagna dans Forumopera, comme le texte qu’il avait signé pour ce premier coffret paru en 2018

Aujourd’hui Warner réédite l’intégrale des opéras auxquels Alagna a prêté sa voix et son talent, souvent en compagnie de son ex-épouse Angela Gheorghiu.

Que du connu et du reconnu ! Mais quel bonheur de retrouver intact ce timbre de lumière, cette fougue juvénile, et cette diction si parfaite !

Aparté publie, de son côté, un disque au titre explicite : Roberto Alagna y révèle le secret de son éternelle jeunesse.

Sawallisch suite et fin

En mai dernier, comme pour les 60 ans d’Alagna, je regrettais le retard mis à célébrer le centenaire de l’un des grands chefs du XXe siècle, Wolfgang Sawallisch (1923-2013). Lire : Les retards d’un centenaire.

Heureusement, Decca et Warner se sont bien rattrapés et on n’attendait plus que le complément annoncé : l’intégrale – ou presque – des opéras enregistrés par Sawallisch, pour l’essentiel à Munich dont il fut le Generalmusikdirektor incontesté de 1971 à 1992. Mais Warner précise – et c’est bien de le faire – que, même parus jadis sous étiquette EMI, Arabella et Friedenstag, ne sont pas inclus dans ce coffret pour des questions de droits.

Wagner et Richard Strauss s’y taillent la part du lion, mais ce coffret contient de vraies raretés comme Weber, Schubert ou les deux brefs opéras de Carl Orff.

Mozart: La flûte enchantée
Weber: Abu Hassan
Schubert: Die Zwillingsbrüder
Wagner: Der Ring des Nibelungen, Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg
Richard Strauss: Capriccio, Intermezzo, Die Frau ohne Schatten, Elektra
Carl Orff: Die Kluge, Der Mond

Mais je conserve une affection toute particulière pour ma toute première version de La flûte enchantée, le premier coffret d’opéra que j’ai acheté à sa sortie en 1973, avec celle qui est à jamais la plus extraordinaire Reine de la nuit, l’immense Edda Moser.

Je recommande très vivement ce coffret :

Auber à l’Opéra-Comique

On avait adoré Le Domino noir donné au printemps 2018 à l’Opéra-Comique (voir L’esprit Auber). Ce fut pour moi la dernière occasion d’applaudir Patrick Davin, si brutalement arraché à notre affection il y a un peu plus de quatre ans déjà. Pour le compte de Bachtrack, j’ai eu la chance d’assister à la première de la reprise de cette formidable production, dirigée cette fois par le maître des lieux, Louis Langrée. Mon compte-rendu vient de paraître : La reprise triomphale du Domino noir à l’Opéra Comique.

Ses amis furent heureux, à l’issue de cette première, d’assister à la remise de la Croix de Commandeur des Arts et Lettres à celui qui a bien mérité de la culture et de la musique française.

Wolfgang S. : les retards d’un centenaire

J’ai vérifié, le copyright des deux coffrets est bien daté 2024 ! Ce n’est donc pas une publication retardée. Pourquoi, comment a-t-on pu rater d’un an chez les deux grands éditeurs concernés, le centenaire… en 2023 du grand chef allemand Wolfgang Sawallisch (1923-2013) ?

Comme pour se rattraper de ce retard, Warner et Decca nous proposent deux forts pavés – avec un troisième annoncé – qui nous restituent un legs discographique longtemps resté en retrait ou sous-estimé.

En réalité, c’est le chef lui-même qui est resté en retrait, un peu comme un autre grand chef allemand, Karl Böhm (à propos de qui j’avais écrit un billet qui m’avait valu quelques indignations : Faut-il être sexy pour être un grand chef ?). Du temps des Karajan, Bernstein, Abbado, Kleiber, Muti qui brillaient sur les podiums, l’allure austère, le maintien sérieux de Wolfgang Sawallisch ne manquaient pas d’influer, consciemment ou non, sur la considération que lui portaient la critique et le grand public : un honnête Kapellmeister, disait-on avec cette condescendance qui n’appartient qu’aux ignorants.

Si l’on fait abstraction de cette « impression », et que l’on se fie à ses seules oreilles – ce que j’ai toujours fait pour lui comme pour d’autres – on (re)découvre un chef qui sans être ni un révolutionnaire ni un visionnaire est, stylistiquement, un modèle dans le répertoire classique et qui, dans les grandes fresques chorales et/ou lyriques, fait mieux que nous révéler l’essence du romantisme allemand. La seule réserve en effet qu’on peut faire sur ce legs discographique, c’est qu’il ne sort quasiment jamais de la sphère germanique. Mais, que ce soit avec les formations dont il a été le directeur musical (Wiener Symphoniker, Philadelphie, Opéra de Bavière) ou qu’il a régulièrement dirigées (Dresde, Londres, Amsterdam) Wolfgang Sawallisch est, au sens premier du terme, magistral. Et il se niche dans ces deux coffrets, de bien belles surprises.

Sawallisch chez Philips

Cyrus Meher-Homji, le responsable de la collection Eloquence, a repris tous les enregistrements réalisés pour Philips et DG, y compris les disques où Sawallisch se fait compagnon au piano de Fischer-Dieskau, Prey, Schreier. Avec quelques inédits et surtout une remasterisation qui redonne un air bienvenu à des intégrales symphoniques de Schubert (à Dresde) et Brahms (à Vienne) qui souffraient jadis de prises de son qui sentaient le renfermé.

Avec le Concertgebouw, auquel il reviendra dans les années 80 pour une intégrale Beethoven, il grave une Pastorale et une 7e de toute beauté :

Et plus surprenant, puisqu’il n’y reviendra plus – en dehors des ballets – Tchaikovski et une Cinquième symphonie exemplaire qui bénéficie de ce son si spécifique au Concertgebouw (la salle comme l’orchestre)

A une époque où elles étaient plutôt rares, les cinq symphonies de Mendelssohn ont trouvé en Sawallisch un interprète magnifique, auquel on doit joindre la version de référence de l’oratorio Elias :

Et puis, outre les récitals de Lieder, l’ajout considérable de ce coffret (par rapport à un précédent qu’on avait trouvé et acheté au Japon), ce sont les opéras de Wagner captés à Bayreuth dans un son somptueux et avec des équipes glorieuses : Le Vaisseau fantôme, Lohengrin, Tannhäuser.

Peu d’inédits en dehors de quelques extraits en mono de Lortzing et Mascagni, et surtout un second disque de polkas et valses de Strauss que j’ignorais. En écrivant ces mots; je trouve sur YouTube ce document étonnant, où Sawallisch explique l’esprit de la valse viennoise au piano puis à la tête de l’orchestre de la RAI :

Sawallisch Warner vol. 1

EMI et Wolfgang Sawallisch, c’est une histoire qui a commencé à la fin des années 50, le chef était tout jeune, à l’instigation du grand patron du label anglais Walter Legge. Il y en a quelques traces dans ce coffret Warner présenté comme un 1er volume (orchestre, oeuvres chorales) qui devrait être suivi d’un coffret comportant tout le legs lyrique, en particulier les opéras de Richard Strauss.

Comme un formidable disque d’ouvertures de Weber :

Autant que dans le coffret Decca, il y a dans cette boîte Warner de magnifiques documents, notamment tout ce que le chef allemand a gravé avec le somptueux orchestre de Philadelphie, dont il a assumé la direction musicale de 1993 à 2003, à la suite de Riccardo Muti. Les Hindemith et Richard Strauss sont splendides, tout comme l’étonnant disque de transcriptions de Stokowski.

Dans les sommets de cette discographie, il y a la version jamais dépassée des Symphonies de Schumann, avec une Staatskapelle de Dresde en état de grâce.

Les symphonies de Beethoven – rebelote avec le Concertgebouw – sont à remettre très haut dans la liste des références, alors qu’elles avaient été peu remarquées à leur sortie.

De même les symphonies de Brahms, enregistrées cette fois à Londres, avec deux extraordinaires concertos pour piano avec Stephen Kovacevich en soliste

On devrait consacrer tout un article à Sawallisch pianiste, accompagnateur recherché par les plus grands chanteurs de son temps. Je le ferai certainement.

Ansermet enfin

On savait par son biographe, l’ami François Hudry, que Decca avait prévu d’honorer le chef suisse Ernest Ansermet (1883-1969) par une monumentale réédition de son legs discographique à l’occasion des 50 ans de sa mort en 2019. Puis silence radio (lire mon billet de décembre 2021 Disques fantômes). Sur la foi d’une nouvelle date de parution annoncée pour avril 2022, j’avais commandé le premier et plus important coffret de cette édition – Ernest Ansermet, the Stéréo Years – chez l’éditeur allemand jpc.de. C’est finalement un an après la date annoncée que j’ai reçu le précieux coffret.

On n’a pas à regretter le retard pris sur la date initiale de publication, tant l’objet qui nous est livré est à tous égards remarquable.

A la différence d’autres éditeurs (Sony, Decca pour le récent Dorati/Detroit), on a ici des minutages très généreux… et des pochettes d’origine. Sur chaque pochette, figurent tous les détails qu’un mélomane curieux est en droit d’attendre, les interprètes bien sûr, les minutages, les dates et lieux précis d’enregistrement.. et de première publication, les équipes de prise de son, etc… Dans le livret quadrilingue (français, anglais, allemand, japonais), d’excellents, quoique trop brefs à notre goût, textes de François Hudry et Jon Tolansky. Et le tableau extrêmement détaillé de tous les enregistrements réalisés par Ansermet, de leurs dates de publication, etc. Un coffret « mono » doit suivre.

Je connaissais déjà la quasi totalité de ces enregistrements, et en admirais de longue date les prises de son, presque toutes réalisées au Victoria Hall de Genève, par les ingénieurs de Decca de la grande époque. De ce que j’ai pu entendre de ce nouveau coffret, les remastérisations sont impressionnantes, en ce qu’elles gomment les défauts des premières prises stéréo, sans altérer – au contraire – leur parfait équilibre. Et quand Decca annonce toutes les captations stéréo cela comprend aussi des enregistrements qu’on ne connaissait pas en CD, comme une 1ère et une 8ème symphonies de Beethoven captées en mai 1956 (sept ans avant l’intégrale des symphonies)

En terres germaniques

Quant au contenu, il permettra, on l’espère, d’élargir la perception qu’on a de ce grand chef, une fois pour toutes catalogué comme spécialiste de la musique française. On aime tellement enfermer les musiciens dans des cases…

Qu’on écoute seulement ce qu’Ansermet fait de la demi-douzaine de cantates de Bach qu’il a gravées, des symphonies parisiennes de Haydn (la première intégrale en stéréo !), bien sûr des symphonies de Brahms et Beethoven, si proches de conception de son contemporain Monteux

Les Weber, Mendelssohn, Schumann (magnifique 2ème symphonie) ne manquent ni d’élan ni de saveur.

Maître de ballet

Qui pourrait oublier qu’Ansermet a été, de 1915 à 1923, le chef des Ballets Russes, qu’il a, à ce titre, créé les partitions du Tricorne de Manuel de Falla, de Noces de Stravinsky, qu’il a étroitement connu ceux dont il dirigeait les oeuvres ! Ses enregistrements des trois grands ballets de Tchaikovski, de Coppélia de Delibes, de Glazounov, évidemment de Stravinsky (malgré la brouille qui les a séparés après la guerre, Ansermet refusant de jouer les partitions « révisées » par Stravinsky, qui, ce faisant, régénérait le compteur de ses droits d’auteur!). Dans Tchaikovski en particulier, les tempi d’Ansermet peuvent parfois surprendre, on ne doit jamais oublier que lui savait ce qu’était qu’accompagner des danseurs !

Une curiosité sans limite

On ne peut résumer ici ce que fut l’incroyable carrière du chef suisse, fondateur en 1918 de l’Orchestre de la Suisse Romande qu’il dirigea jusqu’en 1967, ni l’étendue de ses curiosités et de ses répertoires. Mais on en trouve, dans ce coffret, l’éclatant témoignage.

De Sibelius, il a laissé deux symphonies, dont une surprenante Quatrième :

En septembre 1968 pour l’un de ses tout derniers enregistrements, il grave la 3ème symphonie d’Albéric Magnard.

Il n’oublie jamais ses contemporains suisses, Honegger bien sûr (c’est Ansermet qui crée le poème symphonique Pacific 2.3.1, Frank Martin

On l’a bien compris, ce coffret est une malle aux trésors, qu’on n’a pas fini de redécouvrir.

L’archet et la baguette : le roi Heinrich

C’est un patronyme porté par plusieurs grands artistes : Schiff, comme Andras, le pianiste anglais d’origine hongroise, ou comme Heinrich, le violoncelliste et chef d’orchestre allemand, disparu en 2016 à 65 ans.

Un beau (et cher) coffret Universal est récemment paru, pour un hommage mérité mais univoque puisqu’il se concentre sur l’activité d’instrumentiste de Heinrich Schiff.

Je n’ai pas toujours prêté attention à ce violoncelle généreux, qui sonne comme un orgue, à cette personnalité extravertie, aventurière dans ses choix interprétatifs et ses partenaires.

Sur un site allemand (jpc.de), j’ai trouvé un coffret qui reflète beaucoup mieux le musicien qu’était Heinrich Schiff, violoncelliste certes, mais aussi chef d’orchestre inspiré ! Et à un prix qui défie toute concurrence (voir détails ici)

De J.S.Bach à Zimmermann ou Friedrich Gulda, Neos – qui reprend en partie des enregistrements du coffret Decca – propose plusieurs « live », des duos fascinants entre Schiff et Gulda ou Christian Zacharias. Et surtout Heinrich Schiff chef d’orchestre : Beethoven, Mozart, une phénoménale 2ème symphonie de Schumann captée à Oslo, une Quatrième de Bruckner qui vaut le détour…

Depuis que j’ai reçu ce coffret, je vais de surprise en émerveillement.

Les sans-grade (XII) : Walter Susskind

C’est l’un de ces noms qu’on voit sur pas mal de pochettes de disques, surtout comme « accompagnant » de solistes célèbres – Elisabeth Schwarzkopf, Ginette Neveu, Yehudi Menuhin, Shura Cherkassky, Christian Ferras, etc. C’est un patronyme qui ne dit pas grand chose de ses origines, surtout qu’il a passé l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis. Et c’est pourtant un très bon chef, demeuré trop discret : Walter Susskind (1913-1980)

Jan Walter Süsskind – comme on l’orthographie alors – naît dans l’une des nombreuses familles allemandes installées à Prague, le 1er mai 1913. Dans sa ville natale il apprend le piano avec Karl Hoffmeister, la composition avec Josef Suk (1874-1935), le gendre de Dvořák, et Alois Hába (1893-1973), et la direction d’orchestre avec George Szell, en poste alors à l’opéra allemand de Prague (qui sera dissout en 1938). Süsskind fuit la menace nazie et s’installe à Londres pendant la Seconde guerre mondiale. Il devient citoyen britannique en 1946. Une petite dizaine d’années comme chef au Royaume-Uni et en Australie, puis à partir de 1955 un tropisme américain qui le retiendra jusqu’à sa mort en 1980 : la direction de l’Orchestre symphonique de Toronto de 1956 à 1965, puis celui de Saint-Louis (Missouri) de 1968 à 1975, et enfin deux brèves années 1978 et 1979 à Cincinnati avant que la maladie ne le rattrape.

De son apprentissage auprès de Szell, Susskind (le ü a disparu avec l’anglicisation de sa nationalité et de son nom) a conservé la parfaite rigueur d’une lecture au laser des partitions qu’il agence comme personne, une apparente simplicité d’approche qui restitue en réalité l’authenticité des Dvořák, Smetana, Bartok, Prokofiev, Chostakovitch, et même Les planètes de Holst, qui constituent l’essentiel d’une assez maigre discographie d’orchestre. En revanche, son nom reste associé à d’impérissables gravures où il est mieux qu’un accompagnateur, un partenaire à égalité d’inspiration et de concentration.

Ginette Neveu, mais aussi Yehudi Menuhin et le jeune Christian Ferras (éblouissants concerto de Bruch et Symphonie espagnole de Lalo)

C’est Walter Susskind qui offre à Shura Cherkassky sa seconde gravure en stéréo du 2ème concerto pour piano de Tchaikovski

Sur ce même précieux double album, deux versions très classiques, épurées de tout contexte « soviétique » des symphonies 1 et 9 de Chostakovitch, une approche qui « universalise » le compositeur russe.

Enregistrés magnifiquement à St Louis, multi-rééditée, les trois grands concertos de Dvorak trouvent ici leurs versions de référence, et avec quels solistes ! Zara Nelsova, Ruggero Ricci et Rudolf Firkusny.

Il faut un peu chercher pour trouver par exemple cette admirable version du 3ème concerto de Rachmaninov par Leonard Pennario

En cherchant encore un peu plus, on tombe sur un Mozart inattendu… sous les doigts de Glenn Gould.

Rassembler la discographie orchestrale de Susskind n’est pas la chose la plus aisée qui soit. Pourtant on trouve en CD quelques superbes témoignages de l’art du chef d’origine tchèque. Sur les plateformes numériques, l’offre est un peu plus large, quoique encore très disparate.

Toujours dans la série consacrée par le label américain Vox à l’orchestre symphonique de Cincinnati, un double album qui fait entendre une version atypique du Chant de la Terre de Mahler, sans surcharge émotionnelle, avec deux chanteurs américains Richard Cassilly et Lili Chookasian. Belle sélection du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn (et une Inachevée un peu palotte sous la direction d’une star de la baguette prématurément emportée par un cancer à 47 ans, Thomas Schippers)

Couplage étonnant, mais autant dans Holst que Smetana, la quintessence d’un art tout de clarté, de creusement des partitions, le contraire de l’esbroufe et de l’épate. Et quelles prises de son ! quel orchestre !

Eloquence a publié, il y a quelques mois, un double album un peu hétéroclite, où domine la figure d’un autre chef un peu oublié du XXème siècle, Hans Schmit-Isserstedt, mais où se trouve l’un des rares exemples de Susskind dans le répertoire viennois classique, en l’occurrence la 4ème symphonie de Schubert. Une lecture toute d’équilibre et de lumière qui ne prend pas au pied de la lettre le sous-titre – Tragique – de l’oeuvre d’un jeune homme de 19 ans.

Walter Susskind n’a pas oublié de servir les musiciens du pays qui l’a accueilli durant vingt-cinq ans, même si c’est à Londres qu’il a enregistré Copland et les Spirituals de Morton Gould, qui servirent jadis de générique à l’une des plus célèbres émissions de la télévision française, les Dossiers de l’écran !

La grande Eileen

Sacré caractère, sacrée voix, la chanteuse américaine Eileen Farrell (1920-2002) ne lâche plus celui qui l’a écoutée une fois.

C’est un disque, un cadeau, qui me l’a fait connaître non pas comme la grande cantatrice qui a fait les beaux soirs du Met, mais comme une chanteuse de jazz.

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Depuis lors, je n’ai plus cessé de collectionner les disques d’Eileen Farrell.

Sony nous restitue – enfin – un inestimable capital, trop longtemps indisponible ou mal distribué, dans un coffret de 16 CD, dont chaque galette est une pépite. L’art unique de cette voix immense qui n’a cessé de se partager entre les grands rôles lyriques et le jazz ou la comédie musicale, jusque dans ses dernières années comme elle en témoigne ici :

71TGOmGZv3L._SL1500_(détails complets du coffret iciEileen Farrell)

CD 1-2 BERG Wozzeck / Mack Harrell (Wozzeck), New York Phil. dir. Dmitri Mitropoulos (live 1951)

CD 3 CHERUBINI Medea extr. (1958)

CD 4 Airs de Beethoven (Fidelio, Ah perfido), Weber (Freischütz), Gluck (Alceste)

CD 5 Airs d’opéras de Puccini

CD 6 I gotta right to sing the blues 

CD 7 Lieder de Schubert, Schumann, Debussy, Poulenc

CD 8 Carols for Christmas / Handel Messie, extr. dir. Eugene Ormandy

CD 9 Airs d’opéras de Verdi

CD 10 Here I go again

CD 11 BEETHOVEN Missa solemnis, dir. Leonard Bernstein

CD 12  Duos d’opéras de Verdi, avec Richard Tucker, ténor

CD 13 The Fling called Love 

CD 14 WAGNER Immolation de Brünnhilde, Wesendonck Lieder / VAUGHAN WILLIAMS Serenade to Music, dir. Leonard Bernstein

CD 15 Together with Love, Andre Previn dir. et piano

CD 16 Mélodies de Respighi, Castelnuovo-Tedesco, Debussy, Fauré

Un indispensable de toute discothèque !

L’héritage d’un chef

Depuis la disparition de Mariss Jansons (lire La grande traditionje me suis replongé dans ma discothèque pour y retrouver non seulement les grandes références laissées par le chef letton (voir Mariss Jansons une discographiemais aussi quelques CD plus rares ou moins souvent cités comme représentatifs de son art.

De précieux « live »

D’abord un enregistrement précieusement conservé depuis le début des années 90, lorsque, au lieu des traditionnelles et lourdes bandes magnétiques, la BBC avait fait parvenir aux radios membres de l’UER, un double CD du concert donné par Mariss Jansons et l’orchestre philharmonique de Saint-Petersbourg dans le cadre des Prom’s, le 31 août 1992 au Royal Albert Hall de Londres.

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Programme des plus classiques : Ouverture de La pie voleuse de Rossini, le Deuxième concerto de Rachmaninov (avec Mikhail Rudy en soliste), et une Cinquième symphonie de Chostakovitch où chef et orchestre se couvrent de gloire.

Avec trois bis qui ne pouvaient manquer d’enflammer le public du Royal Albert Hall de Londres, dont le fameux menuet de Boccherini (déjà évoqué dans mon précédent billet)

D’Elgar, la danse des ours sauvages de la 2e suite de The Wand of youth

Avec Oslo, Jansons réalisera d’ailleurs un disque de « bis » (des Encores comme on dit en anglais !)  comme plus personne n’en fait plus, qui sort vraiment des sentiers battus (et qui se négocie aujourd’hui sur certains sites à plus de 30 € !)

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Autre disque qui est une vraie rareté, par son programme et les circonstances de son enregistrement (un disque naguère trouvé en Allemagne à petit prix, aujourd’hui proposé à près de 100 € !)

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Dans le cadre de cette académie d’été au bord de l’Attersee, le plus grand lac d’Autriche situé dans le Salzkammergut, où les jeunes musiciens sont coachés par leurs aînés des Wiener Philharmoniker, Mariss Jansons dirigeait, le 31 août 2002 au Grosses Festspielhaus de Salzbourg,  des oeuvres qu’il n’enregistrera jamais au disque, le Double concerto de Brahms et la Sinfonietta de Zemlinsky.

Haydn et Schubert

Quant aux répertoires, en dehors de Beethoven et Brahms, on ne s’attend pas à entendre Jansons dans Haydn, Schubert et même Gounod (la messe de la Sainte-Cécile).

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Mariss Jansons aborde les symphonies de Schubert sur le tard, la 3ème est de belle venue, sans bouleverser la discographie, mais la surprise – la mienne ! – vient de la 9ème symphonie, donnée en concert en mars 2018, comme propulsée par une énergie, une vitalité qui font défaut à d’autres gravures de cette période.

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Incursions limitées mais pas négligeables dans la Seconde école de Vienne (Im Sommerwind de Webern et La Nuit transfigurée de Schoenberg)

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(Schönberg, Verklärte Nacht)

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Requiem

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Le XXème siècle

En dehors de Chostakovitch, les compositeurs du XXème siècle sont rares, mais bien choisis, dans le répertoire de Mariss Jansons, comme en témoignent quelques beaux enregistrements de concert.

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Concerto pour orchestre de Lutoslawski, la superbe 3ème symphonie de Szymanowski, et la 4ème symphonie, chorale elle aussi, du complètement inconnu compositeur russe, Alexandre Tchaikowsky (né en 1946).

814TfnPZVXL._SL1500_Dans ce coffret censé dresser un portrait de celui qui fut le directeur musical de l’orchestre de la Radio bavaroise de 2004 à sa mort, on trouve par exemple Amériques de Varèse

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On note que le premier CD – Haydn – de ce coffret a été inexplicablement amputé : pourquoi le seul menuet de la symphonie n°88 qui figurait en entier dans le disque original (cf. ci-dessus), mais que les CD 4 et 5 dépassent 80 minutes.

Poèmes symphoniques

J’ai déjà évoqué les Honegger, Kurt Weill, Varèse, Bartok, Hindemith, abordés par Jansons pour la plupart en concert (Mariss Jansons une discographie). Il est d’autres oeuvres que le chef avait dirigées pour le disque, mais jamais reprises en concert (en tous cas pas dans ceux qui ont été édités !). Panorama quelque peu hétéroclite, mais le plus souvent passionnant.

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Mariss Jansons a très peu dirigé à l’opéra. Exception, cette belle version de La Dame de pique de Tchaikovski.

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Comme accompagnateur, on le retrouve au côté de solistes qui ont en commun avec le chef le refus de l’épanchement facile – Leif Ove Andsnes, Frank Peter Zimmermann, Midori, Truls Mork (on doit citer aussi Mikhail Rudy dans Rachmaninov, Tchaikovski, Chostakovitch, pas très intéressant). Sur le dernier disque du clarinettiste star Andreas Ottensamer, Mariss Jansons lui offre le plus romantique des écrins dans le 1er concerto pour clarinette de Weber.

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Les musiciens en peinture

C’est peu de dire que les musiciens sont partout à Berlin, et bien entendu dans les musées. Petite galerie de portraits rassemblée au gré de mes visites à la Alte Nationalgalerie, à la Gemälde-Galerie, au Musée des instruments de musique qui jouxte la Philharmonie.

IMG_0701Portrait à 14 ans du pianiste Josef Hofmann (1876-1957) par Anna Bilinska, Varsovie 1890.

Josef Hofmann fut un interprète virtuose considérable, admiré, adulé même (c’est à lui que Rachmaninov a dédié son Troisième concerto), pédagogue exceptionnel (de 1924 à 1938 il dirige le département piano du Curtis Institute de Philadelphie).

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IMG_0730Le harpiste et compositeur Jean-Baptiste Krumpholtz né en Bohème en 1742, mort à Paris en 1790.

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Buste de Gluck

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Wanda Landowska (1879-1959)  la première « star » du clavecin

IMG_0717Le célèbre portrait de Carl-Maria von Weber (1786-1826) par Caroline Bardua

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IMG_0703Richard Strauss (1864-1949) par Max Liebermann

IMG_0670Diego Velazquez(1599-1660) Les trois musiciens

IMG_0662Gerard ter Borch (1617-1681) Le concert

1024px-Adolph_Menzel_-_Flötenkonzert_Friedrichs_des_Großen_in_Sanssouci_-_Google_Art_ProjectLe fameux tableau d’Adolf von Menzel représentant le roi de Prusse, Frédéric II, jouant de la flûte dans son château de Sans Souci.

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La cathédrale Ste Edwige (à l’arrière de la Staatsoper) : le choeur de Ste Edwige, dirigé par Karl Forster (1904-1963) a été le partenaire de tant d’enregistrements de la fin des années 50, début 60. Mes premiers disques sacrés de Mozart, Haydn, Brahms…

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La toute nouvelle salle Pierre Boulez, à l’arrière du bâtiment de la Staatsoper, voulue par Daniel Barenboim, conçue par Frank Gehry, inaugurée en mars 2017.

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Et puis un beau souvenir d’une soirée d’octobre 2015 à Berlin, avec mon très cher Menahem Pressler (à l’arrière-plan, on aperçoit Jonas Kaufmann et Daniel Hope qui vont venir saluer le vieux pianiste, d’autres photos à voir ici : Les échos de la fête)

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Les sans-grade (X) : Horst Stein

« He shunned the flamboyant and jetset lifestyle enjoyed by the likes of Karajan, and to watch he could be somewhat uncharismatic. » On peut difficilement faire plus juste et piquant que The Telegraph dans la nécrologie que le journal britannique publia à la mort du chef d’orchestre allemand Horst Stein (1928-2008)

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Une tête, un physique qu’on croirait échappés d’un tableau médiéval, et une notoriété en effet très loin de celle des stars de la baguette, réduite au cercle restreint des mélomanes avertis.

Et pourtant Horst Stein a fait une carrière plus qu’honorable, malheureusement interrompue par la maladie à la fin des années 90 et a surtout laissé une discographie de très grande qualité.

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J’avais salué le beau coffret consacré à Max Reger pour l’essentiel constitué d’enregistrements réalisés par Horst Stein avec l’orchestre symphonique de Bamberg, une phalange qui a fêté ses 70 ans l’an dernier et dont il a été le directeur musical de 1985 à 2000.

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Avant Bamberg, Stein avait dirigé l’Orchestre de la Suisse Romande, de 1980 à 1985, où il avait succédé à Wolfgang Sawallisch. Et enregistré pour Decca quelques disques qui font référence, comme un exceptionnel ensemble Sibelius

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Dans la même collection Eloquence, à signaler toute une série d’enregistrements, passés inaperçus, mais hautement recommandables, avec l’Orchestre philharmonique de Vienne, comme une fantastique intégrale des concertos pour piano de Beethoven avec Friedrich Gulda,,les 2ème et 6ème symphonies de Bruckner (Decca avait entrepris une intégrale avec Vienne et plusieurs chefs, Abbado, Maazel notamment), Weber, Wagner.

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https://www.youtube.com/watch?v=8P1HEpHhkqQ