Personnalité

Certains me reprochent d’être trop sévère dans les critiques que j’écris pour Bachtrack.

Cherchez le chef !

Dernier exemple en date : la Walkyrie donnée actuellement à l’Opéra Bastille. (La Walkyrie de Calixto Bieito pète un câble à l’Opéra Bastille).

De gauche à droite : Stanislas de Barbeyrac (Siegmund), Elza van den Heever (Sieglinde), Tamara Wilson (Brünnhilde), Christopher Maltman (Wotan), Eve-Marie Hubeaux (Fricka), Günther Groissböck (Hunding) / Photo JPR

Extrait :

« La direction de Pablo Heras-Casado ne sortira jamais d’une platitude soporifique, d’une lecture sans relief que ne compensera pas la qualité d’ensemble de l’orchestre« .

D’autres consoeurs et confrères trouvent que la direction du chef espagnol s’est améliorée depuis L’Or du Rhin, ou même qu’après un début timide, elle a trouvé ses marques en cours de représentation (c’était la première de la Walkyrie ce 11 novembre).

J’ai été rassuré de lire sous la plume de Christian Merlin dans Le Figaro, un titre et un constat que je partage totalement : La Walkyrie à l’Opéra Bastille à bâiller d’ennui.

« S’ennuyer à l’acte I de La Walkyrie, l’heure de musique la plus incandescente et l’heure de théâtre la plus torrentielle jamais écrites, était-ce donc possible ? Pressenti un temps comme directeur musical de l’Opéra de Paris, Pablo Heras-Casado sait maintenant qu’il ne le sera pas. Sage décision, tant l’éclectique et talentueux chef espagnol peine à imprimer une marque et une ligne directrice à sa direction linéaire, sans ces reliefs et contrastes qui font ressembler l’orchestre wagnérien à un oscillographe« .

En effet, chez Wagner plus que chez tout autre compositeur d’opéra, c’est le chef d’orchestre qui est le personnage le plus important. Quand on compare les versions, par exemple, de la Tétralogie, on parle de celles de Böhm, Karajan, Solti, Sawallisch, etc. Dans le cas de celle qui nous occupe à Paris, on ne peut pas simplement dire que les chanteurs sauvent la mise.

Le son du violon

Le 2 septembre dernier, j’assistais au premier concert d’une nouvelle série proposée par la Philharmonie de Paris, les Prem’s (référence évidente aux célèbres Prom’s londoniennes). Le titre de mon article est éloquent : Succès total pour la première des Prem’s avec le Gewandhaus de Leipzig.

Mais, à propos du concerto pour violon de Dvořák  qui y était joué, je notais :

« C’est Isabelle Faust qui officie. C’est bien, c’est très bien, techniquement irréprochable, mais dans cette œuvre hybride il manque le grain de folie, la liberté rhapsodique, un son de violon plus personnel.« 

La violoniste allemande joue partout, fait des disques, et pourtant je serais incapable de dire et décrire en quoi elle est remarquable, singulière.

Ce n’est pas affaire de génération, on ne peut pas toujours se référer aux gloires du passé. La preuve avec deux autres concerts que j’ai chroniqués récemment :

María Dueñas (22 ans) était, pour moi, une découverte, en octobre dernier, avec l’Orchestre national de France et Manfred Honeck : « La jeune violoniste espagnole s’impose par une sonorité qui nous captive, une technique qui nous éblouit, et plus encore par une personnalité qui nous subjugue par sa lumineuse simplicité, le rayonnement d’un jeu qui transcende la difficulté avec un naturel confondant.« 

Quant à Anne-Sophie Mutter, ce n’est plus une révélation, mais la confirmation que, cinquante ans après ses débuts sous l’égide de Karajan, elle a un son, un jeu, une personnalité reconnaissables entre tous, comme elle en témoignait encore en trio avec Pablo Ferrandez et Yefim Bronfman le 23 octobre dernier (Un trio radieux à la fondation Vuitton) : « On va enfin retrouver le son si chaleureux, reconnaissable entre tous, d’Anne-Sophie Mutter, ce vibrato serré dont elle usait parfois jadis avec excès« 

Je n’ose même pas évoquer les mânes de Milstein, Ferras, Menuhin, Heifetz, et d’autres, tous ces glorieux archets qu’on reconnaît à première écoute.

De la personnalité svp !

De quelques années (!) d’expérience comme directeur d’un orchestre et d’une salle de concert (Liège), puis des forces musicales de Radio France et enfin du Festival Radio France à Montpellier, je tire toujours la même conclusion. Le public n’adhère qu’aux véritables personnalités, chefs, solistes, chanteurs, celles qui projettent ce quelque chose d’indéfinissable et pourtant de très perceptible qu’on nomme charisme, aura ou rayonnement. Contrairement à ce qu’on croit – surtout quand on ne fréquente pas les salles de concert ! – le public n’aime pas l’esbroufe et l’artifice.

J’ai en mémoire deux souvenirs parallèles de deux stars du piano : un concert à Londres il y a une douzaine d’années, où Lang Lang jouait le concerto de Ravel (avec Daniel Harding et le London Symphony, avant un départ en tournée asiatique). Après une interprétation complètement hors sujet du Ravel, Lang Lang revient jouer un « bis » genre romance chinoise à l’eau de rose avec force expressions et contorsions. La réponse du public est sans appel : le pianiste a juste le temps de regagner les coulisses avant que cessent les maigres applaudissements qui « saluent » sa prestation. Il n’est que de le comparer à sa compatriote Yuja Wang, qui, indépendamment de ses tenues , suscite toujours la sympathie immédiate du public, parce qu’elle est époustouflante certes, mais surtout parce qu’elle a un tel plaisir communicatif de jouer et de rejouer (lire Le phénomène Yuja)

Et toujours humeurs et bonheurs du jour dans mes brèves de blog

Le chaos ou la beauté

Je n’y arrive pas, je n’y arrive plus. L’envie me taraude de fermer les écoutilles jusqu’à dimanche matin. Ce que je pense, dis ou écris, ne changera rien au chaos des esprits ni au choix des électeurs (relire éventuellement Tristes constats).

Comme si j’avais besoin de me conforter dans un pessimisme qui m’est d’ordinaire étranger, j’ai relu Les ingénieurs du chaos de Giuliano da Empoli, un essai qui date de 2019, tragiquement prémonitoire. Il faudrait le conseiller à tous les électeurs tentés d' »essayer » l’extrême droite :

« Un peu partout, en Europe et ailleurs, la montée des populismes se présente sous la forme d’une danse effrénée qui renverse toutes les règles établies et les transforme en leur contraire.
Aux yeux de leurs électeurs, les défauts des leaders populistes se muent en qualités. Leur inexpérience est la preuve qu’ils n’appartiennent pas au cercle corrompu des élites et leur incompétence, le gage de leur authenticité. Les tensions qu’ils produisent au niveau international sont l’illustration de leur indépendance et les fake news, qui jalonnent leur propagande, la marque de leur liberté de penser.
Dans le monde de Donald Trump, de Boris Johnson et de Matteo Salvini, chaque jour porte sa gaffe, sa polémique, son coup d’éclat. Pourtant, derrière les apparences débridées du carnaval populiste, se cache le travail acharné de dizaines de spin-doctors, d’idéologues et, de plus en plus souvent, de scientifiques et d’experts du Big Data, sans lesquels ces leaders populistes ne seraient jamais parvenus au pouvoir.
Ce sont ces ingénieurs du chaos, dont Giuliano da Empoli brosse le portrait. Du récit incroyable de la petite entreprise de web-marketing devenue le premier parti italien, en passant par les physiciens qui ont assuré la victoire du Brexit et par les communicants qui ont changé le visage de l’Europe de l’Est, jusqu’aux théoriciens de la droite américaine qui ont propulsé Donald Trump à la Maison Blanche, cette enquête passionnante et inédite dévoile les coulisses du mouvement populiste global. Il en résulte une galerie de personnages hauts en couleur, presque tous inconnus du grand public, et qui sont pourtant en train de changer les règles du jeu politique et le visage de nos sociétés.
 » (Présentation de l’éditeur)

Privatisation ?

Juste un mot sur un sujet qui ne semble pas alarmer grand monde : la privatisation de France Télévisions et de Radio France annoncée par le Rassemblement national. Oh bien sûr il y a les protestations d’usage, les appels des syndicats, mais les journalistes, y compris du service public, n’y accordent qu’un intérêt très relatif. Je n’ai encore vu aucun reportage, aucune enquête, qui décrive les conséquences d’une telle opération, si tant est qu’elle soit tout simplement réalisable. Un des acolytes de l’auto-proclamé futur Premier ministre essayait bien de rassurer son interrogateur en rappelant que les lois de la concurrence (l’Europe n’a pas que du mauvais semble-t-il) empêcheraient M. Bolloré d’accroître son empire médiatique. Mouais…

En revanche, personne ne semble se soucier du devenir des deux orchestres, du Choeur et de la Maîtrise de Radio France. Entre nous, le projet du gouvernement de fusion des entités actuelles en un seul pôle de service public avait aussi de quoi nourrir les inquiétudes.

En espérant que ces lendemains n’adviendront pas, réécoutons ce que les formations du service public peuvent produire de meilleur.Ici l’Orchestre national de France et Cristian Macelaru à Bucarest en septembre dernier

Oublier le chaos

J’ai trouvé refuge dans ma discothèque pour échapper au chaos ambiant et à venir.

Alexandre Tharaud qui a raison de manifester son inquiétude nous offre ces jours-ci le meilleur remède à la morosité, avec cette formidable compilation :

Dans le coffret Warner des enregistrements de Wolfgang Sawallisch (lire Les retards d’un centenaire), il y a deux pépites que les mélomanes chérissent depuis longtemps, les deux seuls enregistrements officiels de concertos que Youri Egorov a réalisés (lire La nostalgie des météores) : le 5e concerto de Beethoven et les 17 et 20 de Mozart.

J’ai eu envie de me replonger dans ce fabuleux coffret édité aux Pays-Bas et composé de prises de concert. Tout y est admirable.

Dans un récent article que je consacrais, entre autres, aux Etudes de Chopin, j’avais oublié de mentionner l’enregistrement exceptionnel de Yuri Egorov :

J’avais tout autant oublié Lukas Geniušas que j’avais pourtant entendu donner les deux cahiers à la fondation Vuitton en 2016, et invité à trois reprises à Montpellier.

Je trouve sur YouTube cette magnifique captation réalisée au conservatoire de Bruxelles, apparemment sans public (Covid ?)

Salut à la France

Je ne peux pas clore ce billet sans cet air de circonstance :

Croyons avec notre chère Jodie Devos que c’est cette France que nous aimons qui sortira victorieuse.

Post scriptum : Une ode à la joie

Depuis que j’ai bouclé ce papier hier soir, j’ai écouté une nouveauté qui m’a remis en joie, et qui est vraiment ce dont nous avons besoin aujourd’hui :

Encore une version de ce triple concerto de Beethoven, qui, en dehors de son ‘aspect inhabituel, l’insertion d’un trio avec piano dans une pièce d’orchestre, n’est pas le plus grand chef-d’oeuvre de son auteur ? Oui mais joué comme ça par cette équipe, on oublie toutes les réserves, on se laisse porter par l’inépuisable tendresse et la formidable énergie que dégagent ces musiciens qu’on adore : Benjamin Grosvenor au piano (comment pourrais-je oublier les 3e et 4e concertos de Beethoven joués à ma demande à Montpellier en juillet 2022 ?), Sheku Kanneh-Mason au violoncelle, qui force mon admiration chaque fois que je l’entends en concert (lire sur Bachtrack : La jeunesse triomphante de Sheku Kanneh-Mason), Nicola Benedetti que je ne connais que par le disque, et un chef, Santtu-Matias Rouvali, à qui je dois bien avoir consacré une dizaine de billets sur ce blog !

Mais il n’y a pas que le triple concerto sur ce disque. Les « compléments » sont tout sauf secondaires, ils font partie de la partie la moins connue de ‘l’œuvre de Beethoven, toutes ces mélodies, ces Songs qu’il a collectés sur les îles britanniques, arrangés pour quelques-uns pour trio autour du magnifique Gerald Finley.

Patrimoine de l’humanité

Les photos qui suivent sont des photos volées, ou plus exactement faites en cachette. En contravention avec des règles ridicules. C’était au musée du Belvédère à Vienne, vendredi dernier. S’y trouvent exposés quelques-uns des chefs-d’oeuvre que la capitale autrichienne héberge dans ses grands musées publics, notamment la fameuse série des KlimtMais le fameux portrait d’Adele Bloch-Bauer, qu’on avait vu ici en 2005, n’y figure plus, puisqu’il a été restitué à la descendante du modèle.

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Je me réjouissais donc de revoir, outre une exposition temporaire d’intérêt limité, les belles salles du palais du Belvédère, et des toiles qu’on ne se lasse jamais d’admirer, et même d’y découvrir un vaste panneau, le grand oeuvre de Max Oppenheimer, Die Philharmoniker, représentant les Wiener Philharmoniker et Gustav Mahler, le testament du peintre exilé à New York.

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Ai-je abîmé ce tableau en le photographiant avec mon smartphone ? Non évidemment, pas plus que tous les visiteurs du Louvre, d’Orsay, des musées parisiens qui ne doivent plus subir des règles antédiluviennes… depuis que la ministre de la Culture, Fleur Pellerin, s’en était affranchie en mars 2015 (lire L’instagram de Fleur Pellerin). 

Les musées publics sont les dépositaires des chefs-d’oeuvre de l’humanité, auxquels d’ailleurs tout un chacun a accès par internet. En vertu de quel raisonnement le visiteur, qui paie son ticket d’entrée (cher, très cher en Autriche), devrait-il avoir moins de droits que l’internaute installé dans son canapé, et être privé du plaisir de prolonger l’émotion ressentie devant un tableau ou une sculpture ? Une exposition temporaire peut-être et encore… Une galerie privée, pourquoi pas.

La Fondation Vuitton montre le bon exemple avec un droit d’entrée de 10 € prix fort et le libre accès photographique à toute la collection Chtchoukine !

Les jeunes gardiens du musée du Belvédère avaient beau répéter que la règle était ce qu’elle était, ils étaient bien conscients de son obsolescence.

img_7726(Josef Capek, mort à Bergen Belsen en 1945 / La Forêt, 1912)

img_7728(Vlaminck, Les Oliviers 1905)

img_7731(Josef Floch, Autoportrait 1922)

img_7733(Emil Nolde, Joseph racontant son rêve, 1910)

img_7738(Ferdinand Hodler, Emotion, 1900)

img_7747-2(Van Gogh, La plaine d’Auvers, 1890)

0x7251ac2279f62050c455819aa273a2f8(Klimt, Judith, 1901)

8860(Josef Danhauser, Wein, Weib und Gesang, 1839)

Une toile qui a inspiré le roi de la valse ?

https://www.youtube.com/watch?v=6JcC8CUlNtM

img_7808(photos à voir : Vienne en musique)

Duchamp et Gehry

Un samedi matin d’été indien, l’occasion idéale de retrouver le Centre Pompidou sur le plateau de Beaubourg. IMG_1360 IMG_1361 IMG_1362 IMG_1363 Et deux belles expositions, l’une sur Marcel Duchamp peintre sous influences, l’autre sur l’architecte star du moment, Frank Gehry. IMG_1364 IMG_1367 IMG_1370 IMG_1371IMG_1375IMG_1373  L’intérêt de l’expo Duchamp est surtout de rappeler au grand public que l’artiste né en 1887, mort en 1968, n’est pas que l’homme d’une seule « oeuvre » passée à la postérité universelle, le fameux Urinoir de 1917 exposé dans les collections permanentes du centre Pompidou. Ses débuts, ses amitiés, les influences qu’il subit ou revendique, le parcours proposé est passionnant. Quant à Frank Gehry, on passerait des heures à parcourir l’exposition-rétrospective qui lui est consacrée, à l’écouter parler aussi de son art et de sa vie. On ne retient de lui que ses dernières « oeuvres », le musée Guggenheim à Bilbao, le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles… ou la Fondation Vuitton inaugurée avant-hier, mais son parcours est considérablement plus riche. Une exposition… indispensable !

800px-Disney_Concert_Hall_by_Carol_Highsmith_edit2Ci-dessus le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles, ci-dessous la Fondation Louis-Vuitton à Boulognefondation-louis-vuitton