Actualisation

Collectionneur impénitent je suis et je reste. Je ne parviens pas à me contenter d’une discothèque tout numérique. Tant qu’il y a encore des CD et des DVD, surtout lorsqu’ils sont rassemblés en coffrets (avant disparition ?), je suis preneur.

J’ai fait ces derniers temps quelques achats – neufs ou occasion – qui me semblent induire une actualisation de certains articles.

Etudes

Il y a plus de deux ans, j’avais écrit un article – Hautes études – en relation avec une discographie établie par la revue Gramophone des deux cahiers d’Etudes de Chopin. Entre temps de nouveaux disques sont parus et j’en ai découvert d’autres que j’ignorais, comme celui que le festival d’Auvers-sur-Oise faisait enregistrer à Jean-Frédéric Neuburger à tout juste 20 ans en 2006

Et chemin faisant, je trouve ceci de prodigieux sur YouTube, Daniil Trifonov, 20 ans lui aussi, à l’époque du concours Rubinstein de Tel Aviv

Et puis il y a eu ce disque de Yuncham Lim, dans sa vingtaine triomphante lui aussi)

Ce disque a obtenu toutes les récompenses possibles. Une première écoute rapide ne m’avait pas vraiment passionné : tout me paraissait un peu « trop », trop vite, trop uniforme, trop purement virtuose. Et à la réécoute je lui trouve finalement de très belles qualités.

Il y a aussi cette réédition – enfin – des Chopin du pianiste chinois naturalisé britannique Fou Ts’ong (1934-2020)

Saint-Saëns

À l’occasion du centenaire de sa mort, en 2021, j’avais consacré une série d’articles à Saint-Saëns, en particulier à ses concertos pour piano (lire Saint-Saëns #100)

J’y parlais déjà du premier volet des concertos enregistrés par le fils – Alexandre – et le père – Jean-Jacques Kantorow.

Ce n’est que récemment que j’ai pu acquérir les 2 CD. Indispensables évidemment !

Il y a surtout un disque que j’avais oublié dans ma recension, mais mentionné en bonne place en rendant hommage à Nelson Freire (1944-2021)

Des nouvelles de Carl

C’est un chef, violoniste à l’origine, dont j’ai quelquefois parlé ici avec admiration, Carl von Garaguly (1900-1984) pour les seuls enregistrements que j’avais trouvés de lui, Sibelius… et Johann Strauss !

Je viens de trouver sur IStore, en téléchargement uniquement donc, une formidable 2e symphonie de Nielsen enregistrée à Copenhague (avec un orchestre qui n’existe pas, sans doute l’orchestre de la radio danoise sous un pseudonyme !)

Puisque nous sommes encore dans l’année Strauss (Un bouquet de Strauss), rappelons cette merveille. Il faut écouter la liberté, la souplesse, dont use sans économie le chef qui n’a pas oublié ses racines hongroises.

Chansons tristes

Il y a tout juste un mois, j’évoquais les chansons tristes que j’aime écouter pour leur effet bienfaisant, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Je dois y ajouter une séquence qui m’émeut profondément quand je la revois, cette dernière rencontre entre deux amis, Serge Lama et Nana Mouskouri autour d’une chanson – Une île – que j’aurais dû ajouter à ma première liste

Et puis comme toujours mes humeurs, bonnes ou moins bonnes, dans mes brèves de blog

Alfred Brendel, le modeste géant

Ce n’est pas la tristesse qui me vient, lorsque j’apprends le décès, à 94 ans, d’Alfred Brendel (1931-2025), mais la gratitude, la reconnaissance envers celui qui m’a introduit dans l’univers de Bach, Beethoven, Schubert, qui a pour beaucoup fait mon éducation à la musique.

J’aime tellement cette photo du gros coffret que Decca lui avait consacré, reprenant l’intégralité de ses enregistrements pour Philips.

Je n’ai entendu le pianiste autrichien qu’une seule fois, à Montpellier, dans les années 90 : il jouait Haydn et Mozart. Haydn était étrangement crispé, Mozart sublimement détendu.

Avant que Philips ne grave sa légende, le jeune Brendel avait confié ses débuts discographiques à des labels comme Vox, Vanguard, qu’on trouve facilement sur les sites d’écoute en ligne ou en coffrets très bon marché

Le coeur de ce qui sera le répertoire de prédilection de Brendel s’y trouve déjà : une première intégrale des sonates de Beethoven, des Schubert, mais aussi des Chopin que j’aime beaucoup :

J’aurais du mal à choisir dans ma discothèque ces disques qui m’ont éduqué à la musique, comme ceux de Wilhelm Kempff

Revue de détail non exhaustive :

D’abord l’île déserte, le compagnon de toute une vie

Puis les concertos de Mozart avec Marriner – que la critique regardait parfois de haut.

Des impromptus de Schubert insurpassés pour moi.

Pour Beethoven, c’est l’embarras du choix, tant pour les sonates que les concertos. Peut-être une préférence pour la première intégrale Philips (sonates) et pour l’alliage inattendu avec James Levine et Chicago pour les concertos.

On ne peut oublier cette rencontre avec un autre géant, dont on célébrait il y a peu le centenaire de la naissance, Dietrich Fischer-Dieskau

Le même Alfred Brendel est présent, comme piano obbligato, dans deux enregistrements de l’air de concert de Mozart Ch’io mi scordi di te, avec Elisabeth Schwarzkopf (et George Szell) puis Jessye Norman (et Neville Marriner)

Il faut aussi lire Alfred Brendel.

Je suis très troublé, parce que cinq minutes avant d’apprendre sa mort, j’étais en train de ranger une partie de ma bibliothèque, et j’étais tombé sur ce livre… que je croyais avoir perdu dans un déménagement.

Ce soir, on peut méditer cet aphorisme que nous laisse Alfred Brendel :

The word LISTEN contains the same letters as the word SILENT

Le Mormon de la musique française

Lorsque le pianiste américain Abbey Simon est mort, à 99 ans, le 18 décembre 2019 (lire Le pianiste oublié), je relevais notre méconnaissance, de ce côté-ci de l’Atlantique, des artistes qui ont fait ou font l’essentiel de leur carrière dans leur pays natal, les Etats-Unis. Je le rappelais l’été dernier à l’occasion d’une autre disparition, celle d’André Watts. Même si ce dernier a enregistré pour des labels bien distribués en Europe (CBS/Sony, EMI)

Il faut chercher dans le catalogue du label américain Vox, qui n’a jamais bénéficié d’une distribution correcte, pour trouver nombre d’artistes passionnants, et des enregistrements souvent réalisés… en Europe. Ainsi ma récente trouvaille d’un triple album :

Un mot d’abord du pianiste : Grant Johannesen est né, le 30 juillet 1921, dans le berceau de l’église de Jésus Christ des saints des derniers jours à Salt Lake City, les membres de cette « église » étant plus connus sous la dénomination de Mormons. Mort en 2005, Grant Johannesen a enseigné à Aspen puis à Cleveland, et a démontré sa passion de la musique française et son intérêt pour des répertoires que bien peu de ses collègues ont explorés, comme en témoigne ce coffret de 3 CD

Franck: Prelude, Choral & Fugue
Fauré: Nocturne N° 7; Impromptus 3 & 5; Ballade pour piano et orchestre op. 19; Fantasie pour piano et orchestre op. 111 (Louis de Froment / Orchestre de Radio Luxembourg)
Chausson: Quelques danses
Saint-Saëns: Concerto pour piano n°4 (Bernard Kontarsky / Orchestre de Radio Luxembourg) Bourree
D’Indy: Chant de Bruyeres
Severac: Sous les lauriers roses; Pippermint-Get (Valse brillante de consert)
Dukas: Variations, Interlude & Finale sur des thèmes de Rameau
Chabrier: Bourrée fantasque; Ballabile; Impromptu
Satie: Preludes flasques pour un chien; Croquis et agaceries d’un gros bonhomme en bois; Poudre d’or
Roussel: Pièces op. 49
Milhaud: Quatre romances; Hymne de glorification
Ravel: Serenade grotesque
Debussy: Children’s Corner

Et comme c’est de saison, cette subtile Neige qui danse

Sur les rives de l’Ohio

Il y a exactement une semaine j’étais à Cincinnati, Ohio, Midwest, au coeur de cette Amérique industrielle jadis triomphante, aujourd’hui se rétablissant à peine d’années de crise économique et sociale. Le plus ardent défenseur de ce renouveau n’est autre que le directeur musical du Cincinnati Symphony depuis 2013, le Français Louis Langrée (lire Sur les ailes de la musique), qui, lui, a vu Cincinnati renaître par la volonté farouche d’une communauté locale.

Je dois bien avouer – mais je ne suis resté que 48 h sur place ! – que j’ai été moins sensible à ce renouveau. Je n’avais pas gardé un grand souvenir de mon précédent passage en 1989, à l’exception du joli musée Taft (lire Les peintres de chez moi).

Comme dans la plupart des villes américaines de moyenne importance, le commerce de centre-ville a purement et simplement disparu: les grandes enseignes Saks et Macy’s qui occupaient les beaux immeubles de la Fifth Street ou de Fountain Square ont fermé. Je cherchais ce samedi une boutique de vêtements pour homme. Lorsqu’après avoir tourné à pied dans une ville déserte, je demandai au concierge de l’hôtel où je pourrais trouver ce qu’il me fallait, il me répondit : « À 15 minutes d’ici »… mais en voiture bien sûr!

La fontaine Tyler Davidson, monument emblématique de la ville.

Contrastes

Une balade à pied dans le centre offre au visiteur tous les paradoxes.

Temple protestant, synagogue et cathédrale côte à côte !

Cet écureuil n’est pas effarouché par la foule… absente !

Quelques jolies maisons dans le quartier de Over-the-Rine sur Vine Street.

L’imposante façade du Music Hall, siège du Cincinnati Symphony

Le Cincinnati Symphony, des racines européennes

Comme me le faisait remarquer Louis Langrée, l’orchestre, qui est l’un des plus anciens des Etats-Unis, a connu 14 chefs (voir la liste ici), dont 3 Américains seulement – Frank van der Stucken, Thor Johnson, Thomas Schippers – une continuité faite de personnalités opposées.

La discographie, même parcellaire, de l’orchestre, témoigne de la variété des répertoires abordés au fil des décennies (la seule liste des commandes et des créations du Cincinnati Symphony est édifiante, le rythme s’étant accéléré sous le mandat de Louis Langrée) et de la marque qu’ont laissée ses chefs successifs.

Thomas Schippers (1970-1977)

Le chef américain, disparu prématurément à 47 ans, était à la direction d’orchestre ce que J.F.Kennedy était à la politique, la beauté, le talent et le charisme réunis. Cincinnati fut son seul poste fixe. Les enregistrements de « sa » période sont malheureusement peu nombreux, mais ils sont tous à écouter.

Walter Susskind (1977-1980)

Le chef d’origine tchèque devenu britannique n’aura pas le temps de marquer son bref mandat, puisqu’il décèdera à son tour trois ans plus tard.

Michael Gielen (1980-1986)

Peut-on imaginer plus grand contraste entre Schippers, Susskind et l’austère Michael Gielen, qui a lui laissé une empreinte importante à Cincinnati ne serait-ce que par ses choix de répertoire.

Jesús López Cobos (1986-2001)

De nouveau total contraste entre l’austère Autrichien et le solaire Espagnol qui va rester 15 ans à Cincinnati, explorant autant le répertoire franco-ibérique dans lequel il était attendu que les symphonies de Bruckner et Mahler dont il a laissé pour Telarc de très beaux enregistrements.

Paavo Järvi (2001-2011)

Après le Sud, un grand vent d’Est souffle sur Cincinnati avec l’arrivée d’un jeune chef estonien qui va se faire un prénom et une réputation sur les rives de l’Ohio, Paavo Jârvi.

Le coffret publié par Telarc à l’issue de son mandat témoigne de la variété de ses intérêts.

Louis Langrée (2013-2024)

L’industrie du disque classique étant ce qu’elle est devenue, il ne faudra pas s’étonner du petit nombre de CD publiés sous l’ère Langrée. Il faut donc privilégier les captations de concerts (cf. le concert du 14 octobre intégralement diffusé : Sur les ailes de la musique)

Les deux Serge

Le numéro de février de CLASSICA consacre sa une et une grande partie de son contenu à deux compositeurs, qu’on n’a pas forcément l’idée d’associer… et pourtant ! Excellente initiative d’évoquer les deux Russes les plus connus du tournant du XXème siècle, les deux Serge, l’aîné Rachmaninov – ou Rachmaninoff comme on l’orthographiait jusqu’à ce que la transcription internationale du russe prenne le dessus – (1873-1943) et le cadet Prokofiev/Prokofieff (1891-1953).

Sans doute parce qu’il y a quelques anniversaires à célébrer : le sesquicentenaire de la naissance et les 80 ans de la mort de Rachmaninov, pour Prokofiev les 70 ans de sa mort (le même jour que Staline !). Qu’à cela ne tienne, tout prétexte est bon pour parler de musique.

Quasi contemporains, ils ont quitté leur Russie natale pour les mêmes raisons – la Grande Guerre, la prise de pouvoir par les bolcheviks – Rachmaninov en 1917, Prokofiev en 1918. Le premier ne reverra jamais le pays, le second y reviendra, dans la pire période stalinienne, s’installant définitivement à Moscou en 1936.

L’un et l’autre étaient de formidables pianistes (s’il en était besoin, Alain Lompech et les pianistes russes Nikolai Luganski et Alexandre Melnikov nous le rappelleraient).

Les dossiers et interviews sont passionnants, en particulier ceux de Laetitia Le Guay – jadis connue comme jeune productrice à France Musique – auteur d’un excellent Serge Prokofiev chez Actes Sud.

Il faut lire ce numéro, même et surtout si on croit bien connaître l’un et l’autre compositeurs. Il y a toujours à apprendre. Notamment dans les interviews de Nikolai Lugansky et Melnikov. Qui vont à l’encontre de pas mal d’idées reçues. On y reviendra !

Classica fait des recommandations discographiques. On ne les évoquera pas toutes ici, puisqu’on « feuilletonnera » au fil de l’année une sorte de discothèque idéale pour l’un et l’autre compositeurs.

Pour ce qui de l’intégrale des symphonies de Prokofiev, j’aimerais vraiment mettre en valeur une version ignorée d’à peu près tous les guides, et jamais citée en « référence », alors qu’elle est, à mes oreilles, l’une des plus idiomatiques, celle de Jean Martinon réalisée en 1970 avec l’Orchestre national de l’ORTF pour le label américain Vox. Dans une prise de son admirable, le chef et l’orchestre français font éclater toute la modernité du symphonisme de Prokofiev.

Quand je déplorais la lenteur et la lourdeur de Riccardo Chailly et de son orchestre scaligère dans la 1ère symphonie dite « classique » (lire Bachtrack) – il semble que ce travers soit contagieux, à en croire mon confrère qui a assisté au concert de Pappano avec la même oeuvre – La tiédeur de Pappano – j’avais en tête la malice, l’ironie, le rebond de Martinon :

Les morts et les jours

Octobre n’est pas fini et on pleure déjà trop de morts.

Lari et France Musique

Le 28 septembre, sur Facebook, j’écrivais : J’apprends par ma chère Arièle Butaux le décès hier après-midi de notre ami Michel Larigaudrie.

De lui, nous qui avons eu la chance de le côtoyer à Radio France, à France Musique, nous pouvons dire : nous l’avons tant aimé.

Jusqu’au bout, dans sa retraite toulonnaise, il est resté un citoyen engagé, exigeant (à l’égard notamment de ses jeunes collègues du service public), révolté souvent par les injustices du monde, plein d’affection et d’attentions pour ses proches et ceux qu’il aimait.

Adieu Lari !

Ces dernières années, Michel Larigaudrie, Lari pour les intimes et comme il signait ses messages, ne manquait pas une occasion de me rappeler les jours heureux, les siens, les miens, de France Musique, m’envoyant les photos qu’il avait prises en maintes circonstances, documentant ainsi précieusement des émissions, des rencontres, qui n’auraient, sinon, pas laissé de traces autres que sonores.

Lire Fortes têtes, Les politiques au micro.

Michael Ponti l’intrépide

Michael Ponti (1937-2022), j’en ai entendu parler pour la première fois à Genève. C’était son partenaire de musique de chambre, Robert Zimansky, à l’époque violon solo de l’Orchestre de la Suisse romande, qui s’était étonné auprès de moi que ce pianiste à la virtuosité exceptionnelle ne soit jamais invité par l’OSR ! Je ne l’ai jamais entendu en concert, surtout depuis qu’à la fin des années 90 un accident vasculaire l’avait contraint à réduire considérablement son activité. Il est mort le 17 octobre dernier en Allemagne où il vivait.

Mais il laisse un nombre impressionnant d’enregistrements d’oeuvres concertantes, qu’il fut parfois le seul, souvent le premier, à graver. On conseille en particulier ce coffret qui regroupe notamment tous les disques enregistrés pour le label américain Vox :

Jean Teulé le dégingandé

Je ne le croiserai plus dans les rues du Marais, où il avait ses pénates. C’est bête de mourir d’une intoxication alimentaire. C’est ce qui est arrivé à Jean Theulé, 69 ans.

Je n’étais pas ce qu’on peut appeler un « fidèle lecteur », plutôt occasionnel. Je vais rattraper mon retard.

Philippe Aïche, le dernier violon

Je me demandais pourquoi, depuis un bon moment, je ne voyais plus Philippe Aïche à la première chaise – c’est ainsi qu’on nomme la place à laquelle est assis le premier violon, le Konzertmeister, d’un orchestre – de l’Orchestre de Paris. Christian Merlin en révèle la triste raison ce matin dans Le Figaro. Une tumeur au cerveau et la disparition annoncée hier, à 59 ans, d’un musicien, entré en 1985 à l’orchestre, qui récolte l’hommage unanime de toute la profession. Encore une mort injuste.

Philippe Aïche, David Gaillard, répètent la Symphonie concertante de Mozart avec l’orchestre de Paris dirigé par Gianandrea Noseda.

J’ai plein de souvenirs évidemment de Philippe Aïche, mais un tout particulier, lorsqu’il créa, en 1997 je crois, le 2ème concerto pour violon d’Eric Tanguy.

Condoléances à sa famille et ses collègues de l’Orchestre de Paris.

Pauvre hommage

Voici bientôt un an que Nelson Freire a quitté cette vie (voir L’admirable Nelson). Decca annonce des inédits à paraître ces jours-ci.

J’aurais aimé dire du bien d’un livre qui était attendu par tous les admirateurs et les amis du pianiste brésilien – et ils sont nombreux -. Je regrette presque de l’avoir acheté.
Voici comment l’éditeur le présente :

« Doté de fabuleux moyens, le Brésilien Nelson Freire est depuis son plus jeune âge l’un des plus grands pianistes au monde. Sa carrière a pourtant mis du temps à se hisser à la hauteur de son talent. Hypersensibilité maladive, caractère indocile et une sorte de malédiction l’ont maintenu à part, jusqu’à l’apothéose des dernières années.

Son jeu noble, puissant, sensuel et coloré a fini par lui valoir l’amour du public en plus de l’admiration des musiciens. Très proche de Martha Argerich, avec laquelle il a formé un duo de légende, il reste un interprète miraculeux de Chopin, Schumann, Brahms, Debussy ou Villa-Lobos.

En octobre 2021, sa mort soudaine a plongé le monde musical dans la sidération. Après une enquête minutieuse, Olivier Bellamy retrace son fascinant parcours et lève le voile sur l’un des secrets les mieux gardés du piano« 

Les raisons de ma colère ? Je n’ai rien appris que je ne connusse déjà (et qui était déjà écrit dans le bouquin que le même auteur a consacré à Martha Argerich). Mais quand on a eu la chance d’approcher des êtres comme Nelson Freire, de partager parfois leur amitié, on ne se répand pas en anecdotes douteuses, en détails intimes, qui n’apportent rien à la connaissance de l’artiste et s’apparentent à une violation de la vie privée d’un mort et de ses proches. Je dois être trop old school..

Les sans-grade (XII) : Walter Susskind

C’est l’un de ces noms qu’on voit sur pas mal de pochettes de disques, surtout comme « accompagnant » de solistes célèbres – Elisabeth Schwarzkopf, Ginette Neveu, Yehudi Menuhin, Shura Cherkassky, Christian Ferras, etc. C’est un patronyme qui ne dit pas grand chose de ses origines, surtout qu’il a passé l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis. Et c’est pourtant un très bon chef, demeuré trop discret : Walter Susskind (1913-1980)

Jan Walter Süsskind – comme on l’orthographie alors – naît dans l’une des nombreuses familles allemandes installées à Prague, le 1er mai 1913. Dans sa ville natale il apprend le piano avec Karl Hoffmeister, la composition avec Josef Suk (1874-1935), le gendre de Dvořák, et Alois Hába (1893-1973), et la direction d’orchestre avec George Szell, en poste alors à l’opéra allemand de Prague (qui sera dissout en 1938). Süsskind fuit la menace nazie et s’installe à Londres pendant la Seconde guerre mondiale. Il devient citoyen britannique en 1946. Une petite dizaine d’années comme chef au Royaume-Uni et en Australie, puis à partir de 1955 un tropisme américain qui le retiendra jusqu’à sa mort en 1980 : la direction de l’Orchestre symphonique de Toronto de 1956 à 1965, puis celui de Saint-Louis (Missouri) de 1968 à 1975, et enfin deux brèves années 1978 et 1979 à Cincinnati avant que la maladie ne le rattrape.

De son apprentissage auprès de Szell, Susskind (le ü a disparu avec l’anglicisation de sa nationalité et de son nom) a conservé la parfaite rigueur d’une lecture au laser des partitions qu’il agence comme personne, une apparente simplicité d’approche qui restitue en réalité l’authenticité des Dvořák, Smetana, Bartok, Prokofiev, Chostakovitch, et même Les planètes de Holst, qui constituent l’essentiel d’une assez maigre discographie d’orchestre. En revanche, son nom reste associé à d’impérissables gravures où il est mieux qu’un accompagnateur, un partenaire à égalité d’inspiration et de concentration.

Ginette Neveu, mais aussi Yehudi Menuhin et le jeune Christian Ferras (éblouissants concerto de Bruch et Symphonie espagnole de Lalo)

C’est Walter Susskind qui offre à Shura Cherkassky sa seconde gravure en stéréo du 2ème concerto pour piano de Tchaikovski

Sur ce même précieux double album, deux versions très classiques, épurées de tout contexte « soviétique » des symphonies 1 et 9 de Chostakovitch, une approche qui « universalise » le compositeur russe.

Enregistrés magnifiquement à St Louis, multi-rééditée, les trois grands concertos de Dvorak trouvent ici leurs versions de référence, et avec quels solistes ! Zara Nelsova, Ruggero Ricci et Rudolf Firkusny.

Il faut un peu chercher pour trouver par exemple cette admirable version du 3ème concerto de Rachmaninov par Leonard Pennario

En cherchant encore un peu plus, on tombe sur un Mozart inattendu… sous les doigts de Glenn Gould.

Rassembler la discographie orchestrale de Susskind n’est pas la chose la plus aisée qui soit. Pourtant on trouve en CD quelques superbes témoignages de l’art du chef d’origine tchèque. Sur les plateformes numériques, l’offre est un peu plus large, quoique encore très disparate.

Toujours dans la série consacrée par le label américain Vox à l’orchestre symphonique de Cincinnati, un double album qui fait entendre une version atypique du Chant de la Terre de Mahler, sans surcharge émotionnelle, avec deux chanteurs américains Richard Cassilly et Lili Chookasian. Belle sélection du Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn (et une Inachevée un peu palotte sous la direction d’une star de la baguette prématurément emportée par un cancer à 47 ans, Thomas Schippers)

Couplage étonnant, mais autant dans Holst que Smetana, la quintessence d’un art tout de clarté, de creusement des partitions, le contraire de l’esbroufe et de l’épate. Et quelles prises de son ! quel orchestre !

Eloquence a publié, il y a quelques mois, un double album un peu hétéroclite, où domine la figure d’un autre chef un peu oublié du XXème siècle, Hans Schmit-Isserstedt, mais où se trouve l’un des rares exemples de Susskind dans le répertoire viennois classique, en l’occurrence la 4ème symphonie de Schubert. Une lecture toute d’équilibre et de lumière qui ne prend pas au pied de la lettre le sous-titre – Tragique – de l’oeuvre d’un jeune homme de 19 ans.

Walter Susskind n’a pas oublié de servir les musiciens du pays qui l’a accueilli durant vingt-cinq ans, même si c’est à Londres qu’il a enregistré Copland et les Spirituals de Morton Gould, qui servirent jadis de générique à l’une des plus célèbres émissions de la télévision française, les Dossiers de l’écran !

Légendaires (suite)

Le label allemand Orfeo publie, à l’occasion de son quarantième anniversaire, une série de coffrets dont le titre est sujet à caution, comme je l’ai évoqué le 24 octobre dernier : lire Légendaires. Après les Legendary Voices, les Legendary Conductors, j’ai enfin reçu le troisième coffret consacré aux pianistes.

Plus encore que pour les chefs et les chanteurs/chanteuses la notion de « légendaire » est contestable pour des artistes en pleine activité (Konstantin Lifschitz a 43 ans !), ou dont la notoriété est restée limitée, comme Carl Seeman (1910-1983) ou Oleg Maisenberg, même si les prestations des uns et des autres sont loin d’être inintéressantes.

Géza Anda (1921-1976), est mort emporté par un cancer à 54 ans. Dans ces deux témoignages en concert, il est à son acmé, dans Brahms bien sûr – ce 2ème concerto qu’il a souvent donné et enregistré plusieurs fois, notamment avec Karajan. Il est plus rare, au disque, dans les concertos de Beethoven.

Rien de neuf non plus du côté des merveilles qu’ont laissées Gulda, Serkin et Kempff. En revanche, je n’avais pas vu passer les trois cycles de variations de Beethoven enregistrés par le contemporain de Martha Argerich, 80 ans l’an prochain, Bruno Leonardo Gelber

Glissés dans ce coffret, 2 CD récents (2010) d’une intégrale au piano des concertos pour clavier seul de Bach. joués par un pianiste qu’on admire depuis longtemps, une intégrale que je découvre… et qui me réjouit !

Je suis d’autant plus curieux d’écouter ce que fait Konstantin Lifschitz dans les sonates de Beethoven, qu’Alpha vient de publier dans le cadre de l’année Beethoven.

On l’aura compris, « légendaire » ou pas, le coffret Orfeo, vendu sur certains sites à moins de 30 €, ne décevra pas l’amateur de beau et grand piano.

La légende tchèque

Lorsque j’ai appris sa mort, il y a cinq ans, j’avais écrit ces lignes sur le pianiste tchèque Ivan Moravec (1930-2015) : Souvenirs mêlés.

J’ai commandé et reçu avant le week-end un coffret modestement intitulé Portrait, et ce que j’en ai entendu a heureusement corrigé les sentiments mitigés que je nourrissais à l’égard de ce pianiste.

Il faut d’abord féliciter l’éditeur Supraphon pour le livret richement documenté – trilingue – qui éclaire le parcours singulier d’un artiste qui n’a jamais connu véritablement la gloire internationale, mais qui fut admiré, reconnu, par des publics et des organisateurs fidèles, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, beaucoup plus qu’en France où il n’est resté connu que d’une poignée d’aficionados

Admirables prises de son, remastering de grande qualité pour des bandes qu’on a connues sous d’autres labels. Et, pour ce qui me concerne, une redécouverte de ses Chopin.

America is beautiful

En ce matin du 6 novembre 2020, les Etats-Unis ne savent toujours pas qui sera leur 46ème président (lire La Nuit américaine) même si tout semble indiquer que Donald Trump ne peut plus rattraper l’écart de voix de grands électeurs qui le sépare de Joe Biden.

J’évoquais avant-hier un aspect de la vie musicale américaine qui peut surprendre les Européens que nous sommes : le patriotisme, l’exaltation de la nation, du drapeau américains en toutes circonstances. Les fanfares, les défilés, les majorettes, dans la rue, mais aussi les célébrations dans les grandes salles de concert. Il faut avoir vécu, comme je l’ai fait, certaines de ces manifestations dans de petites villes perdues comme dans les grandes métropoles, pour mesurer que, dans un pays plus divisé que jamais, la musique – ces formes de musique en tous cas – transcende les particularismes et exprime l’attachement à une identité américaine.

Revue non exhaustive de ces musiques « patriotiques » et surtout de leurs interprètes (en complément de celles déjà citées dans La Nuit américaine).

Même le vénérable chef britannique Adrian Boult (lire Plans B) ne dédaignait pas d’enregistrer, à 80 ans passés, Sousa ou Gershwin :

Mais c’est évidemment aux Etats-Unis qu’on trouve les meilleurs et les plus fervents interprètes.

Sur la côte Ouest, le légendaire Hollywood Bowl Orchestra et des chefs longtemps oubliés que de récentes rééditions nous font redécouvrir, comme Carmen Dragon (lire Carmen était un homme)

ou Felix Slatkin, violoniste fondateur du légendaire Hollywood String Quartet, père du chef Leonard Slatkin.

Dans le MidWest, on se tourne évidemment vers les Cincinnati Pops, émanation du Cincinnati Symphony, animés, de leur fondation en 1977 à sa mort en 2009, par Erich Kunzel, surnommé « The King of Pops« .

Kunzel et les Cincinnati Pops ont beaucoup enregistré (pas loin d’une cinquantaine de CD !) pour deux labels américains aujourd’hui disparus Vox et Telarc, disques qu’on trouve encore par correspondance ou chez les vendeurs de seconde main (en Europe… puisque les disquaires ont quasiment tous disparu aux USA !)

Preuve que John Philip Sousa (1854-1932) n’a pas écrit que des marches, ce tango qui ne sonne quand même pas très argentin…

Mais les rois incontestés de ces musiques de fête, de célébration, américaines, sont, à mes oreilles en tout cas, les Boston Pops, leur chef légendaire Arthur Fiedler (1894-1979) de 1930 à 1979 et le compositeur Leroy Anderson étroitement associé à leur aventure.

Discographie innombrable, sous les baguettes successives d’Arthur Fiedler, de John Williams – excusez du peu ! – de 1980 à 1993, et, depuis 1995, de Keith Lockhart, dont, par euphémisme, on peut dire qu’il n’a ni la notoriété ni le charisme de ses prédécesseurs, même s’il a longtemps surfé sur son look de bad boy !

Le deuxième concerto

Le grand vainqueur du Concours Tchaikovski, Alexandre Kantorows’est d’emblée distingué en choisissant le Deuxième concerto de Tchaikovski au lieu du célébrissime Premier,

Bien lui en a pris ! Cet opus 44 n’est ni moins long, ni moins exigeant techniquement que l’opus 23, il en partage même beaucoup d’aspects : un premier mouvement qui est un monde en soi, qui dure plus de la moitié de l’oeuvre, une virtuosité spectaculaire. Et en introduction de son mouvement central – à l’instar du 2ème concerto de Brahms, son exact contemporain – un long dialogue entre violon et violoncelle solos avant que n’entre le piano, comme sur la pointe des pieds..

Tchaikovski , pas rancunier, dédie ce deuxième concerto à Nikolai Rubinstein (1830-1881) qui avait pourtant refusé la dédicace du Premier, jugeant celui-ci injouable et si mauvais qu’il en avait la nausée (sic)! Le dédicataire meurt brutalement, la partition à peine achevée. Après une première new-yorkaise le 12 novembre 1881, le Deuxième concerto est créé à Moscou en mai 1882 par Serge Tanéiev au piano et le frère de Nikolai, Anton Rubinstein à la baguette. Il est plusieurs fois remanié par le compositeur lui-même et surtout par l’un de ses élèves, Alexandre Ziloti (1863-1945) dont la version est la plus fréquemment jouée aujourd’hui.

Silotitchaikovsky(Ziloti et Tchaikovski)

Longtemps ce deuxième concerto est resté l’apanage de quelques originaux, certes pas des moindres (voir ci-dessous), il a aujourd’hui les faveurs de la nouvelle génération de pianistes, Boris Berezovsky, Denis Matsuev, Yuja Wang… et bien sûr Alexandre Kantorow, magnifiquement soutenu par Vassily Petrenko

https://www.youtube.com/watch?v=L0Hr6onpT-s

Mikhail Pletnev est sans doute le pianiste russe le plus admirable dans cette oeuvre (comme dans tant d’autres évidemment !).

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Ce n’est pas avec Pletnev que j’ai découvert l’oeuvre mais avec une pianiste argentine, Sylvia Kersenbaumqui a connu une célébrité plutôt éphémère en France, lorsqu’au début des années 70, elle grava quelques disques pour EMI, dont ce Deuxième concerto avec l’Orchestre National de l’ORTF et Jean Martinon. Une version qui m’est toujours chère, puisque ce fut ma première, et qui a été heureusement rééditée dans le beau coffret hommage au chef français.

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A peu près en même temps parut un coffret qui fit sensation, les trois concertos de Tchaikovski avec un Emile Guilels au sommet de sa carrière, accompagné par Lorin Maazel et le New Philharmonia.

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A la réécoute, je suis moins enthousiaste face à cette version un peu trop carrée, prévisible, à laquelle il manque l’étincelle, la folie, qui rendaient nombre de « live » de Guilels proprement irrésistibles.

Boris Berezovsky est époustouflant, notamment dans le finale, mais l’hyper-virtuosité dont il fait preuve ôte à ce mouvement son caractère de danse populaire endiablée et le rend injouable pour les pauvres musiciens d’orchestre qui s’essoufflent littéralement à essayer de le suivre.

817+GYrEzpL._SL1500_Denis Matsuev succombe un peu au même travers…

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Enfin, last but not least, un artiste que j’admire infiniment (et à qui je n’ai, étrangement, jamais encore consacré le moindre article de ce blog… il faudra corriger cela !), un personnage, une personnalité unique, que j’ai eu la chance d’entendre en récital il y a une trentaine d’années dans le cadre de Piano aux Jacobins à Toulouse : Shura Cherkassky (1909-1995). Préparant cet article, j’ai trouvé cette prodigieuse vidéo, qui réunit deux géants à la fin de leur carrière, Cherkassky et Svetlanov, captés au Japon en 1990. Il y a des notes à côté chez le pianiste, mais quelle classe, quel art de faire sonner son instrument, et surtout quelle manière inimitable de faire chanter le pays natal, ce foisonnement de thèmes et mélodies populaires russes et ukrainiennes qui ont toujours nourri et inspiré Tchaikovski. L’essence du romantisme en quelque sorte…

Je connais au moins deux enregistrements studio du pianiste russe, le second réalisé à Cincinnati (en stéréo) avec un grand chef, Walter Süsskindaujourd’hui bien oublié (un autre article à prévoir !) :

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