Les sorties de la rentrée

Jean-Marie Leclair enfin

J’aurais pu en faire un épisode de ma série La découverte de la musique. Ce fut l’un de mes premiers disques « baroques » :

Plus personne ne sait qui était Annie Jodry (1935-2016) ni son mari le chef d’orchestre Jean-Jacques Werner (1935-2017), plus personne ne sait qu’il y eut, en France, des pionniers qui firent tant pour la redécouverte et la diffusion d’un immense répertoire baroque et classique (Jean-François Paillard, Paul Kuentz…)

Stéphanie-Marie Degand signe une intégrale (la première française ?) des concertos pour violon de ce très grand compositeur – Jean-Marie Leclair -dont je ne comprends toujours pas qu’il soit resté si peu joué, enregistré, étudié.

Je connais la violoniste, de plus en plus souvent cheffe d’orchestre, depuis quelques lustres, depuis des séances mémorables à Liège où, de et avec son violon, elle enflamma autant l’Orchestre philharmonique royal de Liège que des publics de tous âges.

La flûte enchantée

J’ai manqué son concert à Paris mercredi dernier – mon camarade de Bachtrack est resté sous le charme ! – mais comme Radio France a eu la bonne idée d’en faire un artiste en résidence pendant cette saison, je saisirai d’autres occasions de le voir et l’écouter.

Je n’ose plus dire depuis quand je connais Emmanuel Pahud. En tout cas c’est un ami d’au moins trente ans !

En juillet 2017, Emmanuel Pahud était mon invité au festival Radio France.

Et ça m’a fait tout drôle que Warner lui consacre déjà une boîte de 14 CD comme on le fait d’ordinaire pour un artiste en fin de carrière ou décédé !

Eh oui ! Emmanuel a déjà 55 ans, mais il ferait aimer la flûte à la terre entière. Et il n’est pas près d’arrêter de jouer ni de tourner.

Emmanuel a ce quelque chose de rare qu’ont très peu d’artistes : quelle que soit l’oeuvre qu’il joue, où qu’il se produise, il capte instantanément l’attention du public, par son comportement, son rayonnement et bien sûr le son vraiment magique de sa flûte.

Un coffret passionnant à acquérir évidemment au plus vite : noter évidemment la variété du répertoire, et la place de la création contemporaine !

CD 1 Vivaldi Concertos (Tognetti/Australian Chamber Orchestra

CD 2 Telemann Concertos / Bach concerto brandebourgeois 5 (Kussmaul/Berliner Barocksolisten)

CD 3-4 Bach Suite n°2 / CPE Bach, Benda, Frédéric II, Quantz concertos (Pinnock, Potsdam Akademie)

CD 5 Devienne, Gianella, Glück, Pleyel, Hugot (Antonini, OC Bâle)

CD 6 Devienne, Danzi, Pleyel Symph.concertantes (Leleux, OC Paris)

CD 7 Mozart Concertos flûte, concerto flûte et harpe (M.P.Langlamet, Abbado, Berlin Phil.)

CD 8 Mozart Symph.concertante, M.Haydn, L.Hoffmann concertos (Schellenberger, Haydn Ensemble)

CD 9 Une nuit à l’opéra arrangements Verdi, Tchaikovski, Weber, Mozart, Bizet (Nezet-Seguin, Rotterdam)

CD 10 Hersant, Saint-Saëns, Chaminade, Poulenc, Fauré (Leleux, OC Paris)

CD 11 Nielsen (Rattle, Berlin Phil.), Khatchaturian, Ibert concertos (Zinman, Tonhalle)

CD 12 Penderecki, Reinecke, Busoni, Takemitsu (Repusic, radio Munich)

CD 13 Dalbavie, Jarrell, Pintscher concertos/créations (Eötvös, Rophé, Pintscher / OP Radio France)

CD 14 Gubaidulina Musique flûte (Rostropovitch, London Symphony), Desplat Pelléas et Mélisande (Desplat, Orchestre national de France)

La jeunesse de Mikhaïl P.

J’aurais pu le citer dans mon article Comment prononcer les noms de musiciens. Son nom s’écrit : Plet-nev, et se prononcer Plet-nioff. Mikhaïl Pletnev est d’abord un extraordinaire pianiste, avant d’être un personnage contesté, contestable. Et c’est ce que démontre ou rappelle ce coffret de 16 CD qui réunit pour la première fois les enregistrements de Mikhail Pletnev, réalisés dans les années 80 pour Virgin Classics, après sa victoire au Concours Tchaïkovski en 1978.

CD 1-2 Scarlatti Sonates

CD 3-4 Haydn sonates et concertos

CD 5-6 Mozart concertos 9,20,21,23,24 (Deutsche Kammerphilharmonie)

CD 7 Beethoven sonates 8,21,23

CD 8 Chopin sonate 2, scherzo 2, 4 nocturnes, barcarolle

CD 9 Brahms sonates clarinette (Michael Collins)

CD 10 Moussorgski Les tableaux d’une exposition, Tchaikovski/Pletnev La belle au bois dormant

CD 11-14 Tchaikovski oeuvres pour piano, Concertos 1-3, Symphonie 6

CD 15 Scriabine Préludes

CD 16 Rachmannov Concerto piano 1, Rhapsodie Paganini (Fedosseiev, Philharmonia)

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’aucune des interprétations de Pletnev ne peut laisser indifférent, dans Scarlatti, comme dans Mozart ou Moussorgski…

Humeurs et bonheurs du jour à suivre sur mes brèves de blog !

Les miracles de La Chaise-Dieu

Sacrée Arielle

Je ne me rappelais plus exactement quand j’étais venu la dernière fois à La Chaise-Dieu. J’avais été invité, dans ce qui était alors le fief de Jacques Barrot, par le président du festival, à un concert présenté comme « extraordinaire » et au dîner qui le précédait. Grâce aux archives de l’INA, j’ai retrouvé la date – août 1994 ! et un extrait éloquent de la prestation d’ Arielle Dombasle (à voir ici) puisque c’était elle l’invitée exceptionnelle ! Ce fut la seule fois où je l’entendis sur une scène, la seule aussi je partageai la table de son mari, Bernard-Henri Lévy, arrivé de Paris dans sa Rolls…

Retour à La Chaise-Dieu

C’est dire si j’étais impatient de revenir à La Chaise Dieu, version 2025, pour deux jours et quatre concerts dont je pressentais qu’ils ne me laisseraient pas indifférent.

Je ne me rappelais plus l’ampleur de l’Abbatiale Saint-Robert, encore moins ses qualités acoustiques plutôt exceptionnelles.

Première soirée : un programme Mozart particulièrement copieux, mais tout à fait dans la veine de ce que Julien Chauvin et son Concert de la Loge ont coutume d’oser.

Compte-rendu tout frais sur Bachtrack : La métaphysique des tubes par Julien Chauvin à La Chaise-Dieu

Dès le lendemain, jeudi après-midi, les mêmes remettaient le couvert – un peu moins nombreux que la veille – pour un programme tout Vivaldi, avec même Les Quatre saisons ! (cf. mon papier pour Bachtrack)

Ce jeudi, j’enchaînais à 17h30 avec un concert de musique de chambre, dans l’écrin parfait du petit Auditorium Cziffra – c’est en effet le pianiste français d’origine hongroise qui est à l’origine du festival de La Chaise-Dieu – dont j’ai renoncé à rendre compte. Non pas que le programme et les artistes ne présentassent pas d’intérêt, mais j’ai eu, tout le long, un sentiment d’inabouti, parfois d’impréparation, en tout cas de disparité tant dans le jeu que même dans la conception. C’étaient pourtant tous d’excellents musiciens, mais voilà ça n’a pas « fonctionné » comme je l’aurais souhaité. Il y avait un septuor de Rita Strohl, pas désagréable mais vraiment court d’inspiration, le célèbre quintette avec piano « La truite » de Schubert – annoncé dans le programme comme « quintette à cordes » (!) qui manquait d’à peu près tout ce qui est nécessaire pour faire passer les longueurs et les redites de l’oeuvre. Et la sublime Fantaisie en fa mineur pour piano à 4 mains, mais si séparément on aime le piano de Romain Descharmes et celui de Theo Fouchenneret, leur duo ici n’a jamais trouvé le chemin d’une communion de jeu et de pensée. Rien de grave, c’est cela aussi le risque du concert.

Le temps de casser une croûte très sympathique au Blizart, on se préparait à un programme comme on les aime, avec un chef, un chanteur et un orchestre qu’on aime depuis longtemps, depuis 1998 précisément et toute une semaine de France Musique organisée dans la capitale des Gaules (Lire 30 ans ont passé).

Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, Poème de l’amour et de la mer de Chausson, Valse et Boléro de Ravel. Une suite de merveilles, comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Un concert référence.

Humeurs et impressions au jour le jour dans mes brèves de blog

Musiques papales

Depuis lundi et l’annonce de la mort du pape François (voir 21.04.2025), on décortique tout de sa personnalité, ses goûts, ses pratiques culturelles. On savait son prédécesseur Benoît XVI fin mélomane et jouant lui-même du piano et frère de Georg Ratzinger, longtemps chef des Petits Chanteurs de Ratisbonne (Regensburger Domspatzen). Un article du journal canadien Le Devoir nous éclaire sur les goûts musicaux du défunt pape : Un souverain pontife amoureux de la musique classique.

Quant aux musiques associées au Vatican – dont je suis loin d’être un spécialiste – on est loin, en termes de notoriété, de Venise, Londres, Vienne ou même Paris. Je ne suis pas sûr que spontanément on arrive à citer les compositeurs qui ont officié à Saint-Pierre-de-Rome.

Palestrina (1525-1594)

Comme Vivaldi est associé à Venise, Pierluigi da Palestrina est lié à Rome où il est né et mort, où il devint maître de chapelle de Saint-Pierre, laissant entre autres cette célèbre Messe du pape Marcel

Benevolo (1605-1672)

Hervé Niquet aura largement contribué à faire connaître l’oeuvre étonnante de l’un des successeurs de Palestrina, le Romain Orazio Benevolo (ou Benevoli)

Alessandro Scarlatti (1660-1725)

Alessandro Scarlatti né à Palerme, mort à Naples, passe deux longues périodes de sa vie à Rome. On lui doit entre autres le motet Tu es Petrus, qui inspire quantité de compositeurs comme Liszt

L’hymne du Vatican

Je découvre que l’hymne officiel du Vatican – Inno e Marcia Pontificale -a été composé par le Français Charles Gounod !

Baroques et baroqueux

Le jour de sa sortie en librairie, la semaine dernière, j’achetais le dernier opus de Renaud Machart.

« Retour aux sources musicologiques, aux instruments d’époque, à des techniques de jeu anciennes : l’ouvrage de Renaud Machart nous plonge dans les cinquante années révolutionnaires qui ont vu le développement et la consolidation d’un mouvement d’interprétation « historiquement informé » de la musique baroque, de Monteverdi à Rameau.

Ce parcours est jalonné par dix-huit chapitres qui s’arrêtent sur la parution d’un disque décisif, un concert marquant ou une production lyrique restée mythique. Ce qui mènera le lecteur de la révélation du contre-ténor britannique Alfred Deller, en 1949, à la sortie, en 2001, d’un disque Rameau au piano, par Alexandre Tharaud, qui fit couler beaucoup d’encre, en passant par le portrait d’immenses interprètes : Gustav Leonhardt, Nikolaus Harnoncourt, Philippe Herreweghe, Jordi Savall, Michel Chapuis, Blandine Verlet, William Christie, Janine Rubinlicht, Scott Ross, etc.

Après de longues années passées en « résistance », dans le maquis de la musique classique, cette constellation d’artistes a imposé une pratique musicale aujourd’hui plébiscitée, et élargie à tous les répertoires. » (Présentation de l’éditeur)

Avant toute remarque de fond, saluons cette nouveauté qui fait figure d’exception. Le dernier ouvrage de même type, sur cette période, date de 1993, sauf erreur de ma part. C’était ce Guide orienté sur la discographie – alors que l’ouvrage de Renaud Machart a un objet plus large puisqu’au travers de portraits d’interprétes, parfois très personnels, il évoque les critères qui ont présidé à cette nouvelle vague d’interprétations « historiquement informées ».

La lecture de la prose de Renaud Machart est toujours savoureuse – on se rappelle ses critiques souvent piquantes dans Le Monde – Ici l’ex-producteur de France Musique se montre plus académique – dans l’acception scientifique du terme -qu’à l’accoutumée, avec de nombreuses références, citations, bibliographies à l’appui de ses dires.

On ne mesure plus du tout aujourd’hui l’importance des batailles d’arguments, des modes aussi, qui agitaient la sphère musicale, notamment sur l’antenne de France Musique, où un Jacques Merlet n’a jamais été remplacé ! Sans discernement, on applaudissait à tout ce que produisaient Harnoncourt, Gardiner ou Herreweghe, on jetait à la poubelle les Ristenpart, Jean-François Paillard ou même Karl Richter. Il n’était de bon Vivaldi que d’Alessandrini ou Biondi, des ensembles pionniers comme I Musici, I Virtuosi di Roma ou même les Solisti Veneti de Claudio Scimone étant définitivement jugés ringards.

Le temps faisant son oeuvre, on s’éloigne des extrêmes, on retrouve des vertus à certaines gloires du passé. Même s’il y a des versions qu’on ne peut vraiment plus entendre (lire à propos du 1er concerto brandebourgeois de Bach : Menuet brandebourgeois)

Ce qui m’a toujours gêné – au-delà de l’expression même « historiquement informé » qui laisse supposer que les grands interprètes du passé étaient des incultes – c’est la rigidité doctrinale qui s’était emparée de nombre de critiques, de musicologues et même de spectateurs. Il y a ceux qu’il fallait encenser et ceux qu’on ne pouvait que détester. Les jeunes générations ne sont heureusement plus prisonnières de ces querelles.

Qui se rappelle la révolution que constitua la version de 1966 du Messie de Haendel publiée par un Colin Davis tout juste quadragénaire ? Effectifs réduits, vision profondément « dégraissée », contraste revendiqué avec une tradition d’empois victorien illustrée par tous ses aînés (Beecham, Boult, Sargent) enregistrés à la même époque !

On a déjà eu l’occasion de souligner le travail qu’un autre Britannique – Neville Marriner (1924-2016) avait entrepris dès le début des années 60 avec son Academy of St Martin in the Fields.

J’ai consacré nombre de billets sur ce blog à des compositeurs et interprètes dits « baroques » au gré de mes humeurs et surtout de mes inclinations.

Je ne suis pas toujours Machart sur ses choix. Il a logiquement des attachements que je n’ai pas (Philippe Herreweghe par exemple) mais sur nombre de points je le rejoins. Par exemple quant à un interprète magnifique, disparu il y a dix ans déjà, Christopher Hogwood (lire Sir Christopher), que j’avais mis quelques années à découvrir, apprécier, et finalement aimer. Je ne me lasse de me replonger dans une discographie heureusement abondante et dans un art qui, parce qu’il a échappé aux modes, est intemporel.

Le voyage d’Ouzbékistan (IV) : Sur la trace de Tamerlan

Tout ou presque à Samarcande parle de lui, Timour, plus connu sous le nom de Tamerlan (du persan تيمور لنگ, Timur(-i) Lang, qui signifie littéralement « Timour le Boiteux »); voir Samarcande la magnifique.

Le livre de Jean-Paul Roux me semble constituer une bonne approche d’un personnage devenu mythique, comme Alexandre ou Gengis Khan, guerrier, bâtisseur d’un immense empire, et d’une dynastie qui a essaimé dans toute l’Asie.

« Tamerlan a laissé dans l’histoire un souvenir qui rivalise presque avec celui de Gengis Khan et qui est plus précis parce que moins lointain. Ce Mongol turquisé régna trente-cinq ans, de 1370 à 1404, à Samarkand, et mena inlassablement des campagnes militaires, toutes victorieuses, qui le conduisent de Delhi à la mer Egée, de Damas au Turkestan chinois. Entreprises au nom de la guerre sainte musulmane, par un étrange paradoxe, elles eurent pour résultat essentiel la ruine ou l’affaiblissement des plus grandes puissances de l’Islam.

Il y a un mystère Tamerlan et même un véritable mythe, né sans doute de ses retentissants succès et aussi de la complexité du personnage. Imprégné des traditions païennes de l’Asie centrale, il se posait en musulman fervent. Boiteux, infirme du bras et de la main, il avait une énergie et une résistance physiques sans égales. Ne pouvant supporter qu’on évoquât devant lui les horreurs de la guerre, il laissait publier, souvent avec une exagération manifeste, le récit de ses innombrables meurtres, et faisait édifier, partout où il allait, des minarets de crânes. Destructeur de villes millénaires, il construisait en même temps dans sa capitale les plus somptueux édifices et jetait les fondements de la Renaissance timouride, l’un des plus beaux fleurons de la civilisation musulmane.

Son époque fut, comme lui-même, au confluent de deux cultures _ celle de l’Asie centrale, chamaniste et nomade, et celle de l’Iran, musulmane et sédentaire. Avec ses incroyables raids équestres s’achève le temps où les cavaliers armés d’arcs et de flèches imposaient leur loi dans toute l’Eurasie » (Présentation de l’éditeur)

La carte des conquêtes de Timur donne le vertige.

La gloire de Tamerlan

Samarcande et sa région portent le témoignage architectural de la grandeur de la Renaissance timouride (voir Samarcande la magnifique et les albums photo Le Reghistan, Le mausolée de Tamerlan, La nécropole de Shoh-i-Zinda).

On visitait hier l’ensemble le plus monumental de Samarcande : Bibi Khanun, du nom d’une femme de Tamerlan. Les deux façades dépassent les 40 m de hauteur, la taille des mosquées est impressionnante. Mais comme beaucoup d’édifices de la période timouride, ils ont failli disparaître, en particulier pendant la période soviétique.

Partout dans la ville des travaux considérables de restauration, de reconstruction ont été entrepris dès le début des années 1990. Le classement de Samarcande en 2001 par l’UNESCO au patrimoine mondial de l’humanité a accéléré le processus, certainement encouragé par le tout-puissant président de l’époque, Islam Karimov, natif de Samarcande.

Voir l’album photos sur Facebook : Bibi Khanum

La ville natale

Ce n’était pas prévu au programme, mais la visite s’imposait : la ville natale de Tamerlan, Chakhrisabz, est à une centaine de kilomètres au sud de Samarcande, sur la route de l’Afghanistan. On franchit un col à 1650 m d’altitude au milieu d’un paysage de montagnes nettement plus sec que ceux qu’on a pu traverser au Kirghizistan.

On ne peut bien sûr pas comparer la magnificence de Samarcande avec Chakhrisabz, mais les vestiges de la puissance de Tamerlan dans sa cité natale, notamment les restes du Palais blanc, dont la façade dépassait les 70 m de hauteur, témoignent de la gloire passée.

Voir l’album photos sur Facebook Chakhrisabz

Tamerlan en musique

Spontanément, pensant à la figure de Tamerlan dans la musique classique, me viennent à l’esprit les noms de Vivaldi et Haendel.

Mais en cherchant un peu je vois que le personnage avait déjà inspiré Alessandro Scarlatti (Il gran Tamerlano) en 1706, Francesco Gasparini (Tamerlano) en 1710

L’opéra de Vivaldi – Bajazet ou Il Tamerlano – est créé en 1735

Il suit l’ouvrage de Haendel (1724) qui a eu plus de chance avec la postérité que celui de Vivaldi. J’ai depuis toujours une préférence pour la version de John Eliot Gardiner

Je trouve cette rareté sur YouTube… Placido Domingo dans le rôle de Bajazet sur la scène du Teatro Real de Madrid

Le voyage d’Ouzbékistan (III) : Samarcande la magnifique

Après la traversée du désert en voiture (lire La solitude des champs de coton) pour le trajet de Khiva à Boukhara, c’est cette fois un train rapide qu’on emprunte pour atteindre Samarcande. La gare de Boukhara est curieusement située à 15 km du centre ville, et le Talgo va se révéler plutôt inconfortable du fait de voies de chemin de fer sans doute mal calibrées pour ce genre de train.

La steppe, voire le désert, nous accompagnent presque tout le long, jusqu’à ce que le paysage verdisse lorsqu’on s’approche de Samarcande, située au coeur d’une oasis.

Samarcande ou l’émerveillement

Tout juste arrivés à l’hôtel – la nuit tombe tôt, à 19 h (3 heures d’avance sur la France) – nous sommes conviés à un dîner chez l’habitant, en l’occurrence chez une charmante vieille dame, ancienne professeure de français, qui nous paraît bien fatiguée et qui a du mal à tenir une conversation en français. Dans la cour de sa maison nous rejoindront bientôt son mari, son fils et l’un de ses petits-fils. La conversation tourne court. On apprécie le plov qu’elle a préparé – c’est le plat national ouzbek… et kirghiz, et c’est à peu de choses près ce qu’on connaît en France comme le riz Pilaf !

On est vite sorti de ce dîner, et on a hâte de rejoindre la fameuse place du Reghistan, à quelques centaines de mètres.

On sait, on s’y est préparé, et même si la place est fermée au public, comme elle le sera tous les soirs jusqu’au 25 août – un gigantesque spectacle se prépare pour un festival qui durera toute la semaine prochaine – on éprouve en s’approchant le choc, l’émotion, le sentiment d’être devant l’une des merveilles du monde

Lorsqu’on y revient en plein jour, l’impression n’est pas moindre.

Ce mercredi matin, on va visiter les trois somptueux édifices qui entourent cette place – littéralement la place du Sable – et bien sûr rester interdits devant tant de magnificence, de grandeur. Comme toujours, les photos, les vidéos, ne rendent pas compte du vertige qui vous saisit devant une immensité aussi intense.

La mosquée d’or au sein du Reghistan.

Voir toutes les photos sur Facebook : Samarcande, le Reghistan

On apprendra bientôt le détail de l’histoire de cette ville – Samarcande – et de celui qui en fut presque le créateur – Timur ou Tamerlan. C’est proprement vertigineux. On reviendra sur la figure et la dynastie de Tamerlan, parce qu’elles ont profondément modelé cette région du monde.

Le mausolée de Timur (Tamerlan)

Voir sur Facebook les albums photo complets : le mausolée de Tamerlan

La nécropole de Shohi Zinda qu’on découvre au nord-est de la ville de Samarcande est l’ensemble monumental le plus impressionnant qu’on ait jamais vu.

On est en milieu de semaine mais on nous dit que le dimanche ici est comme un métro bondé, tant la foule de touristes et de pèlerins est dense…

Voir l’album complet sur Facebook : Samarcande, la nécropole de Shoh-i-Zinda

Suite de la découverte de Samarcande et un point d’histoire demain sur Tamerlan. Avec un peu de musique (avec Haendel et Vivaldi notamment). Avant-goût :

Ce mercredi soir on dîne à la fraîche sur la terrasse d’un restaurant situé à l’arrière du Reghistan. Vue imprenable.

Précision orthographique : comme pour le russe, la transcription des noms de lieux, de villes se fait soit en recourant à la -détestable- transcription dite internationale, soit en essayant de reproduire phonétiquement des noms d’origine turque, persane, ouzbek, indienne ou russe ! bonjour le travail. Ainsi la ville de Boukhara s’écrit ici Buxopo. Ou la fameuse place de Samarcande : Registon qui se prononce bien Ré-gui-stan

Beethoven à l’américaine, Haydn à l’anglaise

C’est le printemps et les coffrets pleuvent comme les averses d’avril !

Haydn à Londres

Voici des disques que tout bon Haydnien thésaurisait, au fil de parutions aléatoires, sans imaginer qu’un jour – et ce jour est arrivé ! – paraîtrait un coffret de 18 CD, dont plusieurs inédits !

Au début des années 80, le violoniste et chef anglais Derek Solomons, impressionné par la première intégrale des symphonies de Haydn entreprise par Antal Dorati avec le Philharmonia Hungarica durant les années 70, se dit qu’il revisiterait bien ce corpus gigantesque, ou tout au moins une partie substantielle, à la lumière des éléments d’interprétation « historiquement informés » qui investissent la capitale anglaise, comme d’autres à Vienne (Harnoncourt) ou Amsterdam (Leonhardt).

Il réunit un orchestre de chambre qu’il nomme « L’estro armonico » en référence à la la série éponyme de concertos pour violon de Vivaldi. La liste des musiciens qu’il réunit donne le vertige : ce sont tous les grands noms qui brilleront au firmament de la musique baroque dans les décennies suivantes : Catherine MacIntosh, Elisabeth Wallfisch, Monica Huggett, Pavlo Beznoziuk, Roy Goodman (qui lui-même gravera une bonne cinquantaine de symphonies de Haydn !), Elisabeth Wilcock, dans les vents Stephen Preston, Liza Beznosiuk, Paul Goodwin, Alastrair Mitchell, Anthony Halstead, Timothy Brown, Michael Laird, etc. Excusez du peu !

L’ensemble décide d’abord d’enregistrer, en 1980, ce que les spécialistes appellent les Morzin Symphonies – j’invite fortement à lire l’excellent article (Symphonies pour le comte Morzin) ô combien documenté, paru sur le blog Passée des arts, naguère tenu par Jean-Christophe Pucek, qui officie aujourd’hui dans le magazine Diapason. Solomons et L’estro armonico complètent en 1986 cette première publication.Puis ils vont se consacrer au corpus central des symphonies de Haydn, qu’on regroupe par commodité sous l’étiquette de « Sturm und Drang« , même si toutes ne ressortissent pas exactement à ce mouvement littéraire et musical si important au XVIIIe siècle. Mais elles datent toutes de la période particulièrement féconde que Haydn passa au service du prince Esterhazy.

L’ensemble a bénéficié d’une remastérisation bienvenue. C’est un coffret indispensable. On conseille vivement de l’acquérir sur Amazon.it où il est proposé à 50 € au lieu des 70 et plus affichés sur les sites français !

Juste pour le plaisir, le finale d’une de mes symphonies préférées, la 39e en sol mineur – oui il y a bien une parenté évidente avec une autre « sol mineur » la 25e de Mozart !

Beethoven à Pittsburgh

Deutsche Grammophon a regroupé en un seul coffret de 17 CD les enregistrements réalisés dans les années 60 pour le label Command par William Steinberg et l’orchestre symphonique de Pittsburgh. Je renvoie à l’article très complet que j’avais consacré à une intégrale des symphonies de Beethoven, longtemps méconnue, car pas distribuée en Europe (Beethoven 250 : William Steinberg), qui est intégrée à ce coffret comme les 4 symphonies de Brahms déjà rééditées.

… et à Washington

Plus inattendue, une autre intégrale des symphonies de Beethoven enregistrée « live » ces deux dernières années par un chef qu’on ne connaissait pas dans ce répertoire et qu’on a toujours beaucoup aimé au concert- la dernière fois c’était avec l’Orchestre de Paris en février 2018 (Le tonnerre et les cloches) – l’Italien Gianandrea Noseda.

Je viens de recevoir ce coffret, et j’ai commencé d’en écouter des extraits. Le bel orchestre « national » de Washington, jadis dirigé par Antal Dorati, Rostropovitch, Leonard Slatkin ou Ivan Fischer, est depuis 2017 sous la houlette du chef milanais, et on comprend que Noseda ait souhaité marquer son mandat de ce corpus symphonique essentiel.

C’est d’ailleurs, à ma connaissance, la première fois que l’orchestre de la capitale fédérale des Etats-Unis livre une intégrale des symphonies de Beethoven.

La découverte de Bologne (I) : autour du Padre Martini

J’ai longtemps évité l’Italie. A part quelques incursions professionnelles à Florence ou Milan dans mes jeunes années, j’ai attendu la maturité pour rattraper le temps perdu, et depuis une vingtaine d’années je découvre, voyage après voyage, les inépuisables réserves de beauté de ce pays où je pourrais avoir mes origines.

Lors de vacances dans le nord-est de l’Italie, à peine déconfinée de la première vague du Covid, en août 2020 (lire Donizetti, Abbado et Ferrare), j’avais largement parcouru l’Émilie Romagne, mais évité Bologne, dont je pensais – à juste titre – qu’elle méritait un arrêt prolongé, et plus qu’une visite rapide d’une journée.M’y voici enfin pour y finir l’année 2023.

La ville, son centre historique, sont somptueux, mais j’y reviendrai plus tard.

Le hasard a fait que, tout juste arrivé hier, je passe devant le Palazzo Sanguinetti, siège du Musée international et Bibliothèque de la musique de Bologne. J’avais une heure et demie devant moi avant sa fermeture, et c’est peu de dire que je ne m’attendais pas à une telle richesse historique et documentaire. J’avais oublié combien Bologne avait été un centre musical exceptionnel, singulièrement depuis l’époque de Giovanni Batista Martini, dit le Padre Martini.

Je propose donc un petit feuilleton sur Bologne et la musique tels que je le découvre ces jours-ci.

Giovanni Battista Martini, dit Padre Martini (1706-1784)

Martini que ses fonctions ecclésiastiques attachaient à sa ville natale et empêchaient de voyager, assouvit sa curiosité sans limite, en invitant à Bologne tous les talents de l’Europe du XVIIIe siècle, en correspondant avec eux, en rassemblant près de 17.000 ouvrages exceptionnels !

On est évidemment saisi d’émotion et d’admiration quand on peut contempler, dans ce musée, non seulement des portraits familiers de ses contemporains – Vivaldi par exemple – mais aussi et surtout des partitions, des éditions uniques ou rares.

Amusant de trouver sur YouTube ce bref reportage tourné avec Jakub Jozef Orlinski à Bologne au printemps 2022.

Dans la bibliothèque du Padre Martini, des portraits saisissants de Jean-Philippe Rameau

de Jean-Chrétien Bach (1735-1782) peint par Thomas Gainsborough s’il vous plaît !

ou encore de George Frederic Handel

La suite pour les prochains épisodes …

Sous les pavés la musique (X) : Corboz la suite, Trevor Pinnock en 100 CD

Le slogan « Sous les pavés la plage  » est l’un des plus célèbres qui nous soient restés de Mai 68. Ce printemps 2023 semble, lui, particulièrement productif en pavés de disques.

C’était, à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire, le pavé Gardiner chez Warner (lire Les Pâques de Gardiner), il y a quelques semaines le superbe hommage du Concertgebouw à son chef historique, Bernard Haitink (voir Bernard Haitink l’intégrale).

Voici qu’en peu de jours j’ai reçu deux coffrets commandés dès l’annonce de leur publication, la suite des enregistrements de Michel Corboz, et un fort coffret de 99 CD et 1 DVD consacré au claveciniste, chef et fondateur de l »English Concert, Trevor Pinnock.

Corboz la ferveur

J’avais salué, comme la critique à peu près unanime, l’oeuvre pionnière du chef de choeur suisse, et la parution chez Warner d’un premier coffret consacré à la période baroque. La suite avait été d’emblée annoncée, puisque Michel Corboz n’a jamais limité ses curiosités et a souvent révélé des répertoires romantiques ou modernes moins fréquents au disque.

C’est ce que nous restitue un second coffret très complet :

Comme dans le premier coffret, il y a quelques doublons, qu’il est passionnant de comparer : deux fois le requiem de Mozart, la Missa di gloria de Puccini, le requiem de Fauré ou le requiem allemand de Brahms. Noter que les derniers enregistrements réalisés pour Aria Music et/ou Virgin Classics ont été tous repris ici. Comme les étonnants requiems du Portugais João Domingos Bomtempo (1775-1842) ou du spécialiste de l’opérette viennoise Franz von Suppé (1819-1895)

Ce qui caractérise l’art de Michel Corboz, plus encore si c’est possible que dans le répertoire classique ou baroque, c’est la ferveur, l’ardeur, de sa direction. Ce sont souvent les troupes du Gulbenkian de Lisbonne qui sont sollicitées, dans des prises de son souvent très réverbérantes (comme les aimait Michel Garcin, le légendaire directeur artistique d’Erato). Un coffret tout aussi indispensable que le premier.

Trevor Pinnock ou la distinction

J’avoue n’avoir jamais prêté une grande attention à la carrière et aux disques du quasi-contemporain de John Eliot Gardiner, Trevor Pinnock, 77 ans. J’ai bien eu dans ma discothèque quelques Haendel, ses Haydn (quelques messes et les symphonies dites « Sturm und Drang ») sans jamais m’y attarder vraiment. Allez savoir pourquoi !

Je me suis finalement décidé à acheter, à un prix réduit, le coffret qui rassemble tout ce qu’il a enregistré pour Archiv Produktion entre 1977 et 2000.

Voici plusieurs jours que je redécouvre d’abord un magnifique ensemble, The English concert, fondé il y a cinquante ans, qui rayonne de couleurs plus méditerranéennes que britanniques, notamment dans Vivaldi. Mais aussi dans une intégrale des symphonies de Mozart, où l’élégance, la fluidité du trait n’excluent pas la profondeur. Les Haendel sont de premier ordre, moins raides que ceux de Gardiner.

Ferveurs

Juste à la veille de ce « pont » de Toussaint, reçu deux coffrets commandés dès leur publication annoncée. Le collectionneur que je suis ne pouvait y résister, le mélomane et discophile que je suis aussi se demandait s’il n’allait pas être déçu, parce qu’on a toujours tendance à embellir le souvenir de ce qui a accompagné vos premiers pas, vos premières découvertes, ou tout simplement d’artistes qui vous ont marqué.

Michel Corboz ou la ferveur intacte

Michel Corboz est mort l’an dernier. Je n’ai pas un mot à retirer à l’hommage ému que je lui avais rendu : Michel Corboz (1934-2021)

Bien au contraire, le premier coffret qu’Erato (Warner) lui consacre – un autre est annoncé pour janvier avec le répertoire classique, romantique et XXe siècle – ne fait qu’aviver les souvenirs, et démontrer, au-delà des querelles d’écoles ou de chapelles, des comparaisons avec d’autres « inventeurs » du répertoire baroque, Michel Corboz c’est d’abord une ferveur rayonnante, une joie communicative de faire découvrir ou redécouvrir des chefs-d’oeuvre (Monteverdi, Ingegneri, Carissimi), de faire entendre un Bach si profondément humain (trois versions de la Messe en si, et ses Saint-Jean et Saint-Matthieu, compagnes de tant d’écoutes en concert ou au disque.

I Musici ou toutes les saisons de la musique

Ma première version des Quatre saisons de Vivaldi ce fut la leur, enfin l’une des leurs, la première en stéréophonie, en 1959, avec le prodigieux violon de Felix Ayo.

Oh bien sûr, tous les baroqueux ont bousculé parfois jusqu’à l’absurde ces tempi apaisés, cette lumière si puissante et douce, lorsque le soir tombe sur Venise. I Musici n’ont jamais oublié de chanter éperdument dans tous les répertoires qu’ils ont abordés. La perfection instrumentale de l’ensemble n’allait jamais sans cette élégance qui n’est qu’aux Italiens.

On reviendra bien sûr sur le contenu de ces deux malles aux trésors si précieux !