Double crème

C’était dimanche dernier, sous la canicule, le plaisir de pouvoir enfin répondre aux invitations répétées du pianiste Iddo Bar-Shai qui anime, depuis 2021, les, ses « Coups de coeur à Chantilly« . Et d’y retrouver, à ses côtés, Matthias Goerne et le quatuor Modigliani dont on a peine à croire qu’ils fêtent leur vingtième anniversaire.

Compte-rendu à lire sur Bachtrack : Le quatuor Modigliani double crème pour ses vingt ans.

Le titre de mon billet a été vite trouvé : deux programmes de concert exclusivement viennois (Mozart, Beethoven, Schubert) à Chantilly ! Mais les spécialistes de l’art culinaire trouveront sans doute la comparaison osée : la Schlagsahne (ou Schlagobers) de la capitale autrichienne est-elle la même que la fameuse crème Chantilly ? Réponse : pour avoir goûté (et parfois abusé) aux deux in situ, je n’ai honnêtement jamais pu faire de différence ! On lira avec intérêt la très complète notice Wikipedia sur l’origine de l’association entre le château de prince de Condé et cette spécialité laitière !

Le concert du dimanche matin avait lieu dans la galerie de peintures du musée Condé – la deuxième collection française de peintures anciennes après le Louvre !, et réunissait le jeune quatuor Elmire et son aîné le quatuor Modigliani (sur la photo, les deux sont réunis pour le salut final… la parité n’est pas encore la règle dans l’univers feutré des quatuors !)

Au moment du déjeuner, on a pris la direction d’une auberge de campagne que la rumeur générale présentait sous un jour sympathique. Sympathique l’accueil l’a été, mais c’est à peu près tout. On ne lui fera donc pas de publicité.

Sur le chemin du retour vers Chantilly, on s’est arrêté à Senlis qu’on avait jamais vu de jour et sous le soleil !

J’ai bien fait rire mes amis de Facebook avec cette plaque de rue et cette sainte qui n’est répertoriée nulle part…

La belle cathédrale Notre-Dame de Senlis s’inscrit dans le circuit de ces chefs-d’oeuvre de l’art gothique si denses en ces terres picardes.

Et pour la première fois j’ai pu apercevoir l’ancienne chapelle royale Saint-Frambourg, qui fait partie de la légende Cziffra, du nom du pianiste d’origine hongroise, György devenu Georges Cziffra (1921-1994) qui s’était établi à Senlis et avait racheté, en 1974, ce monument à tous points de vue historique – c’est ici qu’Hugues Capet fut élu en 987 roi des Francs – en état de complet délabrement. C’est aujourd’hui le siège de la fondation Cziffra et un auditorium recherché par les musiciens. On a pu y pénétrer quelques instants avant un concert et y photographier les vitraux que Cziffra avait commandés à Juan Miro (les seuls que le peintre espagnol ait réalisés avec ceux de Saint-Paul-de-Vence.

Après cette halte caniculaire à Senlis, il était temps de retrouver Chantilly et ses grandes écuries pour le concert conclusif du week-end anniversaire des Modigliani.

On accède au lieu du concert en passant devant les stalles des pur-sang qui font les beaux jours de l’hippodrome de Chantilly

Bref extrait du quatuor avec piano K 478 de Mozart, avec Iddo Bar-Shai et les membres du quatuor Modigiliani à Chantilly


De gauche à droite, le quatuor Modigiliani : Amaury Coeytaux (1er violon), Laurent Marfaing (alto), Loïc Rio (2nd violon) et François Kieffer (violoncelle)

Et pour couronner ce vingtième anniversaire, le quatuor fait la couverture de Classica – une première en soi, on n’a pas le souvenir qu’un quatuor, français de surcroît, ait jamais fait la une d’un magazine musical ! –

La collection St-Laurent : les bons plans (I)

J’ai d’abord cru à une blague quand j’ai vu, sur le profil Facebook d’un ami critique, le nom d’Yves Saint-Laurent associé à des disques ! Je ne savais pas le grand couturier (1936-2008) mélomane ou collectionneur ! Il s’agit en réalité d’un presque homonyme canadien qui s’orthographie à la mode américaine : Yves St-Laurent. Le Devoir avait consacré à ce passionné tout un papier : Haute couture pour vieilles cires.

J’ai commencé, il y a peu, à devenir un client régulier de ce « couturier » du disque, depuis qu’il a élargi son catalogue à des périodes plus récentes. Je ne suis pas amateur, sauf rares exceptions, de vieilles cires même restaurées, je n’appartiens résolument pas aux nostalgiques d’un passé qui s’arrête à Furtwängler ou Toscanini, même si à titre documentaire ou historique, il peut m’être utile de prêter une oreille à certaines interprétations.

La présentation du site est spartiate : www.78experience.com mais, pour ce qui me concerne, le regard a été immédiatement attiré par les noms de grands chefs d’orchestre, et surtout par les enregistrements « live » qui sont proposés. Par quels moyens, plus ou moins légaux, sont-ils parvenus chez l’éditeur canadien, surtout quand il s’agit de captations européennes, françaises notamment ?

Le fait est qu’on dispose maintenant de deux événements de la vie musicale parisienne des années 70, Karajan avec Berlin dans une prodigieuse 6ème symphonie de Mahler et une intégrale des symphonies de Brahms

Quand on a vu un disque Schubert/Schumann dirigé par… Pierre Boulez, on a été piqué par la curiosité évidemment. Le résultat : une amère déception – certains diront qu’elle était prévisible ! – Ni l’interprétation – des semelles de plomb pour Schubert, un sérieux granitique pour Schumann – ni la prise de son (1971 pourtant) ni la gravure ne sont à sauver..

Mais quand Pierre Boulez aborde les classiques, Haydn une symphonie concertante lumineuse et insouciante, Beethoven une 2ème symphonie vive et joyeuse, et surtout un Mazeppa de Liszt enfiévré, emporté, on écoute et on déguste :

En revanche, que de belles surprises du côté de Chicago, Boston ou Pittsburgh avec des hérauts qui ont pour noms Jean Martinon, William Steinberg, Erich Leinsdorf ou Charles Munch. Les prises de concert de l’époque, mitan des années 60, n’ont rien à envier aux fabuleuses prises de son des disques RCA ou Columbia contemporains.

Etonnant de retrouver le timbre si sombre de Maureen Forrester, si magnifiquement épousé par la direction vibrante de Martinon dans le Poème de l’amour et de la mer de Chausson.

J’ai trouvé ce document sur Youtube, mais je dois préciser que le disque de St Laurent est d’une qualité supérieure.

Erich Leinsdorf* est particulièrement bien servi à Boston: pas moins de 14 galettes, et de vraies raretés par rapport à la discographie « officielle » du chef : Haydn (la Création), Bach (Messe en si), Schumann (Scènes de Faust).

Je recommande ce double CD, d’abord pour la qualité des prises de son et de leur restitution. Une exceptionnelle sélection du ballet de Prokofiev, arrêtes vives, modernité exacerbée, l’immense Gina Bachauer impériale dans un Deuxième de Rachmaninov qui fuit – merci Leinsdorf – les épanchements, une étonnante Beverly Sills dans l’opéra mal aimé de Richard Strauss et des vitraux respighiens multicolores.

Charles Munch, avec 39 galettes, est sans doute le chef le mieux documenté de la collection St.Laurent ! J’ai déjà tant de disques du chef alsacien que je n’ai pas encore cherché de ce côté-là, mais l’offre est alléchante !

L’autre star de ce catalogue est incontestablement William Steinberg, à qui j’avais déjà consacré plusieurs chroniques, notamment pour son intégrale des symphonies de Beethoven. 15 galettes, beaucoup d’introuvables dans la discographie de studio. Si j’ai bien compté, trois versions « live » différentes de la Septième symphonie de Bruckner !

Il est très aisé de commander ces précieux disques sur le site : www.78experience.com. Les prix indiqués sont en dollars canadiens, ce qui met un double album à 25 CAD à 16 € ! L’éditeur propose, pour réduire les frais de port, de n’envoyer que les CD dans leur pochette papier. Délai très court entre la commande et la réception (quand la poste française ne procrastine pas !).

Prochaines chroniques : Mravinski, Kondrachine et quelques autres Russes…

*Je n’ai encore jamais consacré de billet à ce chef que j’admire pourtant et que j’ai eu la chance de voir diriger peu avant sa mort, avec qui j’avais partagé un dîner, où le temps fut trop court pour que je lui pose toutes les questions qui me venaient. Oubli qui sera bientôt réparé !