Il y a dix ans (III) : Liège à Vienne

Je ne vais pas rappeler ici une évidence : autant que les voyages forment la jeunesse, les tournées forment les orchestres. Plus précisément, on n’a jamais trouvé mieux qu’une tournée de concerts pour conforter, développer, améliorer la cohésion, l’unité d’un orchestre. Il est essentiel pour toute formation de se confronter à d’autres publics, d’autres salles, d’autres conditions de travail. C’est pourquoi, malgré les difficultés financières, les budgets restreints, j’ai toujours tenu à organiser pour l’Orchestre philharmonique royal de Liège entre 2000 et 2014 des tournées de concerts qui répondraient à cet objectif. Nous avons eu beaucoup de chance – nous l’avons certes favorisée ! – de pouvoir encore entreprendre ces voyages, que j’ai évoqués au fil de ce blog. Difficile de choisir dans les souvenirs, même si l’Amérique du Sud en août 2008 (lire Un début en catastrophe) reste à tous égards indélébile.

Mais les trois concerts (2005, 2011, 2014) dans la grande salle dorée du Musikverein à Vienne demeurent, encore aujourd’hui, mes souvenirs les plus forts. Le dernier avait lieu, il y a précisément dix ans le 22 mai 2014. Lire Les soirées de Vienne

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Le Viennois Christian Arming chez lui, dans le parc municipal de Vienne, à côté de la statue d’hommage au roi de la Valse Johann Strauss.

J’ai cité les trois dates mais pas toujours raconté les coulisses de l’exploit. En 2005 : Je me rappelle, comme si c’était hier, l’émotion qui nous avait tous saisis, des plus chevronnés aux plus jeunes musiciens de l’Orchestre philharmonique – qui n’était pas encore Royal ! – de Liège, lorsqu’en octobre 2005 nous étions entrés dans les coulisses, puis sur la scène de la grande salle du Musikverein. Pour un concert dirigé par Louis Langrée – le concerto en sol de Ravel avec Claire-Marie Le Guay, et bien évidemment la Symphonie de Franck.

Lorsque l’orchestre était arrivé de Zagreb l’avant-veille du concert, il avait rejoint, dans la banlieue de Vienne, l’hôtel que l’organisateur de la tournée avait réservé. J’étais de mon côté en voiture avec le chef et la soliste, tout juste arrivé à un autre hôtel jouxtant le Musikverein lorsque je reçus un appel affolé du régisseur de l’orchestre : beaucoup de musiciens refusaient de séjourner dans un établissement qui sentait l’oeuf pourri (à cause de la présence d’une usine de traitement des eaux usées à proximité!). J’entrepris une rapide discussion avec les représentants de l’orchestre et pris l’engagement de reloger l’orchestre au centre de Vienne, sans savoir s’il y avait ou non des disponibilités. Mais je me disais qu’en mobilisant la petite équipe qui accompagnait l’orchestre, on y arriverait… quoi qu’il en coûte ! Nous pûmes finalement reloger presque tout le monde à l’Intercontinental. Et il fallut ensuite réussir à prévenir tous les musiciens, dont beaucoup s’étaient déjà égayés dans la nature. Il y eut quelques scènes cocasses mais tout finit bien !

En 2011, situation plus compliquée, mais cette fois pas du fait de l’organisation ou des musiciens. Deux concerts étaient prévus, le premier à Varsovie, le second à Vienne, avec le chef qui avait inauguré en septembre 2009 le plus bref des mandats de directeur musical de l’OPRL, François-Xavier Roth*, et qui nous avait lâché au printemps 2010. Il avait fallu le remplacer pour toutes les prestations prévues au cours de la saison 2010-2011 des 50 ans de l’Orchestre ! Pour Varsovie, Louis Langrée avait relevé le gant, Pour Vienne, nous avions eu la chance de compter sur un autre chef viennois, Christoph Campestrini, avec la participation de l’excellent Cédric Tiberghien.

* Difficile d’ignorer la tourmente dans laquelle se trouve plongé François-Xavier Roth depuis l’article que lui a consacré Le Canard enchaîné ce mercredi. Je n’entends pas participer à la curée. Je me suis déjà exprimé ici – Remugles – sur les « affaires » qui avaient déjà éclaboussé le monde musical. La prudence s’impose et seule la justice, pour autant qu’elle soit saisie, peut qualifier la réalité des faits allégués.

18 mai : Arming, François, Bâle

Le centenaire de Samson

Je l’avais anticipé le 17 mars dernier – Rédécouvrir Samson – c’est aujourd’hui le centenaire de la naissance du pianiste Samson François. On ne manquera pas le nouveau Portrait de famille que Philippe Cassard lui consacre aujourd’hui sur France Musique

Il y a dix ans (II) : halte à Bâle

Comme je le rappelais dans le premier épisode de la série Il y a dix ans, l’Orchestre philharmonique royal de Liège entreprenait au printemps 2014 une nouvelle tournée en Suisse et en Autriche, qui avait commencé à Bâle le 18 mai.

A propos de cette belle ville frontalière de la France et de l’Allemagne, je ne peux m’empêcher de raconter à nouveau une anecdote vécue sur l’antenne de France Musique, il y a heureusement bien longtemps. Un présentateur devait annoncer puis désannoncer un disque enregistré par Armin Jordan dirigeant l’orchestre symphonique de la ville suisse. En anglais comme en allemand, Bâle se dit Basel. Et la dénomination allemande de l’orchestre est : Basler Sinfonie-Orchester. Ce qui donna sur France Musique : « Armin Jordan(e) dirige l’orchestre Basler » ! Rien de grave franchement, juste amusant.

Donc, le 18 mai 2014, l’OPRL était à Bâle, et j’en avais profité pour dresser le portrait d’une personnalité exceptionnelle liée à l’industrie pharmaceutique qui a fait la fortune de la cité suisse, Paul Sacher. Lire Le mécène musicien.

On pourrait suggérer à Warner de rééditer le legs discographique passionnant de ce monument du XXe siècle :

La fidélité à un chef

Il y a cinq ans, j’avais assisté à Liège au dernier concert de Christian Arming en sa qualité de directeur musical de l’OPRL (lire Fidélité). C’est lui qui très logiquement dirigeait la tournée de l’orchestre au printemps 2014, j’en reparlerai dans quelques jours à propos de l’étape viennoise.

C’est encore Christian Arming que j’accueillerais plusieurs fois à Montpellier (voir Ils ont fait Montpellier : Top chefs), notamment en 2018 avec les Liégeois et en ouverture de programme le chef-d’oeuvre du compositeur Guillaume Lekeu (1870-1894)

Les voyages de Mozart et la famille Adams

Raconte-nous Mozart

J’ai connu Thierry Geffrotin lorsqu’il officiait à Europe 1, comme l’une des rares voix à bien parler de musique classique sur une radio généraliste, où il n’a pas été et ne sera pas remplacé…

J’ai mieux appris à le découvrir en suivant, quasi quotidiennement via les réseaux sociaux, ses aventures d’amateur éclairé du vrai croissant, de défenseur intransigeant quoique souriant de l’oeuf mayonnaise, de promoteur actif de sa Normandie natale et de membre actif (ou d’honneur ?) de l’académie Alphonse Allais. C’est dire si avec Thierry Geffrotin on a peu de risques de s’ennuyer.

Cet éternel jeune homme s’est mis en tête de raconter les voyages de Mozart. Cela me renvoie aux conférences que j’avais données, en 1991, année du bicentenaire de la mort du divin Wolfgang, où il me fallait donner en moins de deux heures, un aperçu de la vie et de l’oeuvre du génie de Salzbourg. Je me rappelle très bien une double page d’un ouvrage savant que j’avais alors consulté, qui montrait une carte de l’Europe à la fin du XVIIIe siècle et qui pointait toutes les villes où Mozart, seul, mais le plus souvent avec son père ou sa mère (ladite maman est morte à Paris lors du second séjour de Wolfgang dans la capitale française en 1778) s’est arrêté. Je pense que nul n’a passé autant de temps en voyage, ni visité autant de lieux et de pays, que Mozart.

Thierry Geffrotin ne vise pas le récit encyclopédique et c’est tant mieux. Mais il nous rend un Mozart familier, presque contemporain, nous conte des histoires autant pour les enfants que pour les parents. Et grâce à plusieurs QR codes disséminés dans le livre, nous offre autant de séquences musicales parfaitement choisies. Le cadeau de Noël idéal !

Thierry Geffrotin n’en est pas à son coup d’essai dans sa dévotion à Mozart et à la musique classique accessible à tous :

C’est à Londres, dans le quartier de Chelsea, que le petit Mozart, âgé de 8 ans, compose en 1764, sa première symphonie ! Ici dans l’un des tout premiers enregistrements d’un autre enfant prodige, Lorin Maazel (1930-2014), avec l’Orchestre national.

Machart l’Américain

Renaud Machart qui fut l’une des voix les plus écoutées de France Musique, jusqu’à ce qu’on décide de se priver de ses services il y a cinq ans, et l’une des plumes les plus acérées – et donc redoutées – de la critique musicale dans Le Monde, qui est surtout un ami de longue date, a depuis toujours une dilection particulière pour les Etats-Unis, New York surtout, et la musique américaine, comme en témoigne la collection de ses monographies chez Actes Sud

Je sais qu’il préparait depuis un bon bout de temps la suite de cette galerie de portraits, cette fois sous un titre générique : la musique minimaliste

À l’heure où le mot « minimalisme » est devenu galvaudé, le présent livre revient, pour la première fois en langue française, sur l’acception originelle du terme et sur les diverses composantes de cette tendance artistique née aux Etats-Unis, à l’orée des années 1960, qui a durablement marqué les arts plastiques et la musique au point de constituer une indéniable révolution esthétique. En plongeant le lecteur dans la New York downtown des années 1960 et 1970, l’auteur décrit l’extraordinaire inventivité d’une scène artistique où se mêlaient les plasticiens d’art minimal et les compositeurs minima- listes (dont ses représentants principaux La Monte Young, Terry Riley, Philip Glass et Steve Reich), dans les lofts, les salles de cinéma ou de théâtre et les galeries d’art du quartier. Cet essai, avant tout dévolu à la musique, s’arrête sur des œuvres essentielles – dont les fameux In C (1964), de Terry Riley, et Einstein on the Beach, de Philip Glass et Bob Wilson, créé au Festival d’Avignon en 1976 – et des tendances emblématiques de cette esthétique, mais par- court également ses nombreuses ramifications en Eu- rope, ses liens avec la musique populaire et son utilisation dans la musique pour les écrans de cinéma et de télévision. (Présentation de l’éditeur)

C’est en grande part grâce aux émissions de Renaud sur France Musique que j’ai accédé moi-même à nombre de compositeurs et de musiques dont je ne connaissais souvent que le nom.

J’ai toujours parmi les trésors de ma discothèque un CD du quatuor Kronos, et le 2e quatuor « Company » -bouleversant – de Philip Glass. Ecriture minimaliste mais émotion maximale !

Quant à l’une des figures de proue de la famille minimaliste, John Adams (1947-) c’est pour moi un compagnon de longue date. Ce fut l’une des soirées d’exception du mandat de Louis Langrée à Liège, le 20 novembre 2003, il y a tout juste vingt ans, comme le racontait Nicolas Blanmont dans La Libre Belgique : Ambiance des grands soirs. Soirée diffusée en direct à la télévision avec le concerto pour violon de Brahms joué par le fabuleux James Ehnes (c’était ses débuts en Belgique !) et le chef-d’oeuvre orchestral de John Adams, Harmonielehre.

A l’été 2006, à New York, j’avais eu la chance d’assister à la première de l’opéra écolo de John Adams, A Flowering Tree

Saint-Saëns #100 : bouquet final

L’Orchestre national de France et son chef Cristian Măcelaru – ainsi que le Choeur de Radio France – ont bien fait les choses pour commémorer le centenaire de la mort de Camille Saint-Saëns : ce soir à 20h à l’auditorium de Radio France, en direct sur France Musique, ils donnent du très connu – la Troisième symphonie avec orgue – Olivier Latry étant à la console des grandes orgues de l’auditorium – et de l’inconnu, le Requiem, composé en huit jours à Berne , dédié à un généreux donateur, Albert Libon, et créé le 22 mai 1878 à l’église Saint-Sulpice de Paris.

Pour notre part, nous allons clore ici une série commencée en septembre dernier (Saint-Saëns #100) avec quelques pépites discographiques (qui s’ajoutent à toutes celles qu’on a dénombrées dans les articles précédents !)

Avec ou sans S ?

Mais d’abord une interrogation musicologique et linguistique de la plus haute importance : faut-il ou non prononcer le « s » final du nom Saint-Saëns ? Aujourd’hui tout le monde prononce « sens », et pas « cent ». Pourtant le propre père de Camille tenait, semble-t-il, à ce qu’on ne prononçât point cette finale. À cause de l’histoire !

La très jolie petite ville normande de Saint-Saëns, aujourd’hui située en Seine-Maritime, doit son nom au moine irlandais Saen (en gaélique ancien, il correspond au prénom « Jean ») qui, vers l’an 675, fonda un monastère sur les rives de la Varenne, en lisière de la forêt d’Eawy, d’où naquit le bourg qui porte depuis son nom. Le « S » final est une adjonction récente apparue au XVIIème siècle. Et malgré ladite adjonction, jusqu’au XIXème siècle, on a continué de dire « cent », et non « sens ».

Le Carnaval de Karl B.

Pour être inattendue, cette version n’en est pas moins ma préférée, et Dieu sait s’il y a d’excellentes versions du Carnaval des animaux.

Oui Karl Böhm lui-même n’a pas craint d’enregistrer avec l’Orchestre philharmonique de Vienne, la version de référence de cette plaisanterie musicale, de même qu’un fantastique Pierre et le Loup de Prokofiev.

Le récitant de la version française est Jean Richard.

Dans la monumentale réédition des enregistrements symphoniques de Karl Böhm chez Deutsche Grammophon, on a laissé deux versions, en anglais, et en allemand – c’est le fils du chef d’orchestre, l’acteur Karlheinz Böhm (1928-2014), qui en est le récitant. Mais pas de version française, ou, ce qui eût été infiniment préférable, SANS récitant !

Du violoncelle à la trompette

J’ai encore un souvenir merveilleux de ma rencontre avec le trompettiste russe prodige Sergei Nakariakov – 44 ans aujourd’hui ! -. J’avais ses disques, je savais qu’il était fabuleusement doué, mais je ne l’avais jamais entendu en concert jusqu’à ces jours d’août 2008 où il avait été pressenti par les organisateurs locaux de la tournée de l’Orchestre philharmonique royal de Liège en Amérique du Sud. Il devait jouer une fois à Rio de Janeiro, une autre fois à Rosario, la troisième ville d’Argentine au nord-ouest de Buenos Aires. Nous fîmes route ensemble de Buenos Aires à Rosario – où il devait jouer le concerto pour trompette de Hummel, un grand classique – mais Sergei ne me parla que musique contemporaine, création, nouveaux répertoires. C’est au cours de ce trajet qu’il me fit entendre un extrait d’une oeuvre nouvelle, à lui dédiée, Ad Absurdum de Jörg Widmann. Je décidai de la programmer dès que possible à Liège, j’en parlai à François-Xavier Roth qui devait prendre la direction musicale de l’orchestre à l’automne 2009, et Nakariakov offrit aux publics de Liège et Bruxelles une version… soufflante de ce petit chef-d’oeuvre du surdoué Jörg Widmann.

Mais Sergei me parla aussi beaucoup de ses transcriptions d’oeuvres, de concertos écrits pour d’autres instruments. Dans le coffret anthologie publié par Warner (lire L’indispensable anthologie), il y a une version aussi réussie qu’inattendue du 1er concerto pour violoncelle de Saint-Saëns, mais aussi joué à la trompette !

Transcriptions

Le grand pianiste américain Earl Wild (1915-2010), outre ses dons de virtuose, était un transcripteur forcené. C’est à lui qu’on doit par exemple cette version pour le piano du poème symphonique Le Rouet d’Omphale de Saint-Saëns

J’en profite pour signaler une version peu connue du très connu Deuxième concerto pour piano due à Earl Wild :

Valses

Etonnamment, le virtuose qu’était Saint-Saëns a relativement peu écrit pour le piano solo, et pas de pièces d’importance. Il est d’autant plus émouvant de le retrouver jouant sa Valse mignonne, filmé par Sacha Guitry en 1914 (Saint-Saëns avait encore de sacrés doigts sept ans avant sa mort !)

Bertrand Chamayou donne la référence moderne de la Valse nonchalante

Une valse gaie ? La voici sous les doigts de François-René Duchâble (un enregistrement qu’on a retrouvé avec bonheur dans l’anthologie Warner)

Deux disparitions

J’apprends coup sur coup deux disparitions qui me touchent, celle du chef d’orchestre Gabriel Chmura, celle d’un personnage connu du seul milieu professionnel de la musique, un impresario – comme on ne dit plus aujourd’hui – aimé et reconnu, Pedro Kranz.

Gabriel Chmura (1946-2020)

Le chef d’orchestre d’origine polonaise Gabriel Chmura est mort hier à l’âge de 74 ans. Quand je le rencontre pour la première fois, je ne connais de lui qu’un disque que la critique avait vivement recommandé, d’ouvertures de Mendelssohn.

C’est lui qui a été choisi par l’agence Weinstadt de Bruxelles pour diriger la tournée de l’Orchestre philharmonique de Liège en Espagne en octobre 1999. Pierre Bartholomée avait claqué la porte de la direction de l’orchestre au printemps et je venais d’en être nommé directeur général.

J’ai retrouvé Gabriel en Espagne, je l’ai invité à dîner un soir dans l’une des meilleures tables ibériques et j’ai le souvenir d’un homme charmant, cultivé, qui pouvait éventuellement être un candidat à la direction musicale de l’orchestre, même s’il était bien trop tôt pour l’envisager. En revanche, dès que j’évoquai avec lui l’idée de donner la Deuxième symphonie « Résurrection » de Mahler pour la réouverture de la salle de concerts du Conservatoire de Liège*, en septembre 2000, après deux ans de travaux de rénovation – il me supplia de l’inviter à la diriger. Me disant ses affinités électives avec la personnalité et la musique de Mahler. Ainsi Gabriel Chmura dirigea-t-il cette « Résurrection », comme en témoigne une mauvaise copie vidéo de la captation réalisée par la RTBF

L’émotion est grande de retrouver, vingt ans après, tant de visages familiers, dont beaucoup sont aujourd’hui retraités ou malheureusement disparus.

Nous réinviterons Gabriel Chmura à plusieurs reprises : en janvier 2002 pour des concerts de Nouvel an avec Felicity Lott, les années suivantes pour des symphonies de Prokofiev et Weinberg, ou pour remplacer Louis Langrée, malade, dans un programme Richard Strauss. Toutes ces dernières années, Chmura s’était voué à ce qu’il considérait comme la mission de sa vie: faire redécouvrir le contemporain de Chostakovitch, le compositeur russe d’origine polonaise Mieczysław Weinberg (1919-1996).

Hommage à ce grand musicien et pensées pour sa famille.

Pedro Kranz

Je n’ai jamais su l’âge réel de celui qui fut, dès 1964, le co-directeur de l’agence Caecilia de Genève.

Je pleure aujourd’hui quelqu’un que j’ai toujours infiniment respecté et avec qui j’avais fini par nouer une relation d’amitié plus que d’affaires. Je n’ai jamais considéré Pedro Kranz comme un « agent » – malgré le succès de la série Dix pour cent, je continue de trouver ce mot horrible surtout dans le domaine de la musique. Je lui préfère mille fois celui d’impresario, parce que ces personnages de l’ombre ne sont pas – ne devraient pas être – seulement ceux qui « gèrent » la carrière d’un artiste (et empochent en effet dix, quinze ou vingt pour cent de leurs cachets !) mais d’abord des organisateurs, des conseillers, des visionnaires même. Ce que fut si bien Pedro Kranz.

Ainsi c’est grâce à lui, je peux le dire maintenant, que j’ai engagé de jeunes chefs comme Christian Arming ou Domingo Hindoyan. Mais Pedro Kranz ne m’imposait jamais rien, quand il me disait du bien d’un jeune artiste, je savais que je ne serais pas déçu. Il représentait les plus grands, et les plus grands étaient ses amis, mais jusqu’au bout il a toujours eu la curiosité du découvreur, du dénicheur de talents, et il accompagnait aussi longtemps que possible ceux qu’il avait décidé de soutenir.

Pedro Kranz ce fut aussi celui qui organisa, à ma demande, certaines des plus belles aventures de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, les invitations en 2005, 2011 et 2014 au Musikverein de Vienne, les tournées en Suisse et en Europe centrale, et peut-être la plus mémorable d’entre elles, la tournée en Amérique du Sud à l’été 2008 (lire Un début en catastrophe)

Je pense ici en particulier à son fils Pierre-André Kranz qui y avait contribué, je pense évidemment aussi à sa radieuse épouse, disparue il y a près de trois ans, après un combat acharné contre la maladie. Il l’a désormais rejointe. Je conserve un souvenir lumineux de cet homme et de ce couple, qui avaient l’amour de la musique et des musiciens chevillé au coeur.

*La salle des concerts du Conservatoire a été rebaptisée Salle Philharmonique de Liège après sa réouverture en septembre 2000.

La découverte de la musique (VIII) : Joao, Vinicius, Tom etc.

Joao Gilberto est mort et je ne suis pas triste, parce que je lui dois, à lui et à ses copains Vinicius de Moraes, Antonio Carlos dit Tom Jobim la découverte d’une musique que je ne nommais pas encore bossa nova lorsque, étudiants à Poitiers, nous passions avec A. des soirées, des nuits entières à les écouter.

https://www.youtube.com/watch?v=EQC4Ye7hr9Y

Véronique Mortaigne, dans Le Monde, en fait le portrait le plus complet et sensible : Lire Un touche-à-tout de génie

https://www.youtube.com/watch?v=Fj1SDkA9PJQ

Je n’ai pas eu la chance de voir ou d’entendre sur scène ces géants, mais ils ne sont jamais loin de mes oreilles.

En deux occasions, pendant le carnaval 2006, et en août 2008, au cours d’une tournée de l’Orchestre philharmonique royal de Liège en Amérique du Sud (lire Un début en catastrophej’ai approché les lieux, les atmosphères, qui ont donné naissance à la bossa nova, mais j’ai manqué cet émouvant récital de Joao Gilberto :

Il y a quelques années, j’avais trouvé à petit prix ce formidable coffret. Tout y est de ce qu’on aime et que la disparition de Joao Gilberto rend plus vivant que jamais.

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Un début en catastrophe

Le dimanche 17 août 2008 au petit matin, lorsque les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Liège aperçurent par les hublots de l’avion qui les amenait de Roissy, une colonne de feu qui s’élevait du centre de São Paulo, ils ne pouvaient imaginer que la tournée qu’ils entreprenaient dans le continent sud-américain, sous la direction de Pascal Rophé, allait commencer en catastrophe.

J’étais arrivé la veille à Rio de Janeiro pour rencontrer les organisateurs de la tournée et nos agents locaux et j’allais rejoindre l’orchestre à São Paulo lorsque, juste avant le départ de mon avion, je reçus un message du directeur de production de l’orchestre : « Vol bien passé mais la salle de concert a brûlé, infos suivent » Tout juste le temps de fixer une réunion de crise en fin de matinée avant que le vol Rio-Sao Paulo ne décolle.

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Pour ne pas affoler les musiciens, le grand patron de la Societa et du Teatro Cultura Artistica, Gerald Perret, un Suisse installé au Brésil depuis la fin des années 70, était venu en personne accueillir l’orchestre, alors que son beau théâtre finissait de se consumer. Lorsque j’arrivai à mon tour à l’hôtel où l’OPL était hébergé, Gerald était reparti sur les lieux du drame. Consigne de silence absolu avant une rencontre en tout petit comité en début d’après-midi.

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(Les restes de la Sala Cultura artistica le 17 août 2008)

L’OPL devait donner deux concerts dans cette salle les 18 et 19 août ! J’avais eu le temps depuis le matin d’envisager tous les scénarios possibles : le plus probable était l’annulation pure et simple, un scénario catastrophe pour un début de tournée dans la plus grande ville du Brésil… à moins que l’un des deux concerts puisse être déplacé dans une autre salle ?

C’était sans compter sur la personnalité et l’influence de Gerald Perret. Tout autre que lui, après avoir vu son théâtre disparaître dans les flammes, aurait baissé les bras, surtout pour un orchestre étranger. Etonnamment calme lors de notre première réunion,   il demanda à notre petite équipe de ne pas nous inquiéter, de ne rien dire aux musiciens, promettant qu’il allait sauver la situation ! Il me confia avoir reçu des dizaines de témoignages des plus hautes autorités de l’Etat, de la ville, de ses collègues et confrères, tellement choqués par ce drame. De retour à l’hôtel en fin d’après-midi ce dimanche 17 août 2008, Gerald nous annonça que le concert du 18 aurait lieu à l’Opéra municipal de Sao Paulo – la direction et toute l’équipe technique avaient proposé d’ouvrir le théâtre exceptionnellement un lundi et d’accueillir le concert de l’OPL – et que celui du 19 se déroulerait dans la merveilleuse Sala São Paulo, construite dans une ancienne gare, siège de l’Orchestre symphonique de Sao Paulo, dotée d’une des meilleures acoustiques du monde.

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Un pot d’accueil pour les musiciens était prévu dimanche en fin d’après-midi. La plupart d’entre eux s’étaient égayés en ville ou reposés dans leurs chambres. Nous avions décidé de mettre leurs délégués dans la confidence des événements du jour. Rien n’avait filtré jusqu’à cette fin de journée, et le récit que Gerald Perret fit devant une assistance ébahie et admirative. Longue ovation bien méritée pour celui qui, en moins de 24 heures, avait enduré le pire cauchemar qui puisse arriver à un directeur de salle de concert, et sauvé les débuts de la tournée de l’Orchestre philharmonique de Liège.

Ce lundi 18 août 2008, il y a tout juste dix ans, je crois avoir entendu, à l’Opéra municipal de Sao Paulo, sans doute le concert le plus chargé d’émotion de l’OPL. Le très vieux et respectable président de la Societa Cultura Artistica, 95 ans, était monté sur scène, devant une salle comble et un parterre garni de tous les officiels de la ville, affirmer qu’il ne mourrait pas avant d’avoir vu son théâtre renaître de ses cendres. Je ne sais pas s’il a pu tenir sa promesse – le théâtre a été reconstruit à partir de 2010 et rouvert en 2012.

Pascal Rophé dirigeait l’ouverture Le Corsaire, suivie des Nuits d’été de Berlioz – sublime Susan Graham ! – et, comme il se devait, la Symphonie de Franck

https://www.youtube.com/watch?v=c3aX4Wfz59g

Les géants

Impressionnant finalement de visiter en moins de deux semaines les deux pays les plus peuplés du monde et trois mégalopoles à côté desquelles Paris ou même Londres font figure de villages : Pékin, Shanghai et maintenant Bombay.

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Il faudra refaire défiler les souvenirs et les photos à tête reposée lorsque l’excitation et les fatigues d’une tournée seront retombées.

Autant Shanghai donne le sentiment d’une planification et d’un développement méthodiques et organisés, autant Bombay confirme un sentiment déjà perçu l’an dernier, d’une immensité en mouvement perpétuel, peu regardante sur l’état du patrimoine… et des humains. Malheur/Bonheur sont plus que jamais des notions aux contours flous.

Quelques photos prises dans la vie trépidante de Bombay l’attestent.

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Luxe, fougue et volupté

Hier soir au Théâtre des Champs-Elysées, tout semblait n’être, pour paraphraser Baudelaire, qu’ordre et beauté, luxe, fougue et volupté.  10629754_10152877901613202_306024264946485697_n On n’a pas le souvenir de longtemps d’un concert aussi pleinement et continûment réussi. L’affiche ne pouvait décevoir, mais il est arrivé que les plus belles promesses ne soient pas tenues. C’était, de surcroît, la première fois que j’entendais l’orchestre de Philadelphie « live », dirigé évidemment par son directeur musical, le pas encore quadragénaire Yannick Nézet-Seguin. Un soliste excellent, mais qui est si souvent à Paris, qu’on finirait par l’écouter distraitement : Emanuel Ax était au contraire à l’unisson de cette soirée, exceptionnel !

D’abord cet orchestre, ce son légendaire – le Philadelphia Sound – celui forgé par Stokowski, surtout Eugene Ormandy pendant près de 50 ans, soigneusement cultivé par leurs successeurs Riccardo Muti et Wolfgang Sawallisch… et aujourd’hui le jeune chef canadien Yannick Nézet-Seguin. Des cordes parmi les plus denses, onctueuses, sensuelles du monde, un hautbois si caractéristique, doux, rond, fruité, comme on le dirait d’un grand bordeaux – des vents et des cuivres qui ne claquent ni ne clinquent pas.

Dès les premières notes de la Troisième symphonie de Brahms, ces deux accords ascendants donnés à pleine puissance et qui peuvent plomber tout le reste du mouvement si l’impulsion initiale n’est pas déterminée, on a su que le chef allait nous raconter un Brahms passionnant. 3527fb261fd3dd254bcf13a44e0209b5bd06ad8a Quatre mouvements enchaînés, comme Brahms l’avait imaginé, une incroyable souplesse des phrasés, ces fameuses doublures, qu’on a tant reprochées au natif de Hambourg, et qui ne sont qu’alliages précieux de timbres. Une sorte de perfection, pour une symphonie si difficile à réussir en concert (et rare aussi, pour une autre raison que peu de chefs osent avouer : à la différence de ses trois soeurs, la 3e symphonie de Brahms s’achève dans la pénombre, presque le silence, comme si elle se refusait aux vivats de l’assistance !).

On comprend tout lorsqu’on écoute Yannick Nézet-Seguin parler de ce « jardin secret » de Brahms :

Après l’entracte, Beethoven et son 3e concerto pour piano – mon préféré depuis toujours, j’expliquerai une autre fois ! – On aime le musicien et l’homme Emanuel Ax, mais le hasard des tournées et des engagements  a fait qu’on l’a beaucoup entendu ces derniers mois (Brahms avec Haitink et l’orchestre de chambre d’Europe à Pleyel en novembre dernier). On craint la routine, on est heureusement détrompé, même si les débuts du concerto sont un peu laborieux du côté des doigts. Le reste ne sera que fougue et poésie, et quelle présence de l’orchestre et du chef qui sont tout sauf de simples accompagnateurs. On attend un bis, on aura droit à un pur moment de musique : Yannick revient avec Emanuel Ax se mettre au piano. Il explique : « Au moins vous allez pouvoir entendre mon accent canadien…Entre Beethoven et Richard Strauss, saturé de valses, nous nous sommes dits qu’une valse de Brahms serait une transition idéale. ». La salle exulte après la 15e valse de l’opus 39 comme chuchotée, émue sous les quatre mains du chef et du soliste.

Bouquet final avec la grande suite du Chevalier à la rose de Richard Strauss. Là où tant d’autres en rajoutent dans l’orgie orchestrale, YNZ éclaire la partition de tendresse, de nostalgie et de ce chic viennois si subtil qu’on le croit d’ordinaire réservé aux natifs des bords du Danube. À dire vrai on ne se rappelle pas avoir entendu cette suite aussi parfaitement jusqu’à hier soir… En plus d’être un grand musicien, on soupçonne Yannick Nézet-Seguin d’être un fin gourmet : à la salle qui l’ovationnait, il expliqua qu’après avoir servi (pour l’orchestre) et dégusté (pour l’auditoire) un saint-honoré, il n’y avait plus de place pour une sucrerie supplémentaire… You’re right Maestro ! 11393179_10153326270448194_1734085869129199994_n