Giacomo Puccini est mort il y a cent ans, le 29 novembre 1924, à Bruxelles, des suites d’un cancer de la gorge pour lequel il subissait un traitement expérimental dans la capitale belge. Je lis, ici et là, qu’on « célèbre » le centenaire de sa mort, expression pour le moins malheureuse. Pourquoi pas « happy birthday » pendant qu’on y est !
Quand l’amour éperdu se chante en allemand… sublimes Fritz Wunderlich et Pilar Lorengar
Bruno Previdi (1928-1988)
D’un ténor italien dont je ne sais pas grand chose, Bruno Previdi, quelques airs sur un disque-compilation
Et puis on a la chance de pouvoir revoir cette Bohème de rêve qu’on avait adorée en juin 2023 au théâtre des Champs-Elysées, avec la fine fleur des chanteurs d’aujourd’hui
Je renvoie à mes précédents articles sur Puccini et à une sorte de discothèque idéale de ses grands ouvrages et si je ne les ai, à dessein, pas mentionnés ici, je reviens évidemment souvent à Freni, Pavarotti, Karajan, Maazel, Scotto, etc.
Pour un prix modique, le coffret qu’édite Warner n’est pas inintéressant, pour qui veut retrouver quelques grandes gloires du passé.
Comme souvent, les publications ont un métro/train/avion de retard. Roberto Alagna, notre ténor/trésor national a fêté ses 60 ans le 7 juin… 2023, mais ce n’est que maintenant que sortent disques et coffrets qui célèbrent son passage dans la catégorie des sexygénaires !
J’invite à relire ce précédent article : Un miracle qui dure et le long portrait que Sylvain Fort avait consacré à Roberto Alagna dans Forumopera, comme le texte qu’il avait signé pour ce premier coffret paru en 2018
Aujourd’hui Warner réédite l’intégrale des opéras auxquels Alagna a prêté sa voix et son talent, souvent en compagnie de son ex-épouse Angela Gheorghiu.
Que du connu et du reconnu ! Mais quel bonheur de retrouver intact ce timbre de lumière, cette fougue juvénile, et cette diction si parfaite !
Aparté publie, de son côté, un disque au titre explicite : Roberto Alagna y révèle le secret de son éternelle jeunesse.
Sawallisch suite et fin
En mai dernier, comme pour les 60 ans d’Alagna, je regrettais le retard mis à célébrer le centenaire de l’un des grands chefs du XXe siècle, Wolfgang Sawallisch (1923-2013). Lire : Les retards d’un centenaire.
Heureusement, Decca et Warner se sont bien rattrapés et on n’attendait plus que le complément annoncé : l’intégrale – ou presque – des opéras enregistrés par Sawallisch, pour l’essentiel à Munich dont il fut le Generalmusikdirektor incontesté de 1971 à 1992. Mais Warner précise – et c’est bien de le faire – que, même parus jadis sous étiquette EMI, Arabella et Friedenstag, ne sont pas inclus dans ce coffret pour des questions de droits.
Wagner et Richard Strauss s’y taillent la part du lion, mais ce coffret contient de vraies raretés comme Weber, Schubert ou les deux brefs opéras de Carl Orff.
Mozart: La flûte enchantée Weber: Abu Hassan Schubert: Die Zwillingsbrüder Wagner: Der Ring des Nibelungen, Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg Richard Strauss: Capriccio, Intermezzo, Die Frau ohne Schatten, Elektra Carl Orff: Die Kluge, Der Mond
Mais je conserve une affection toute particulière pour ma toute première version de La flûte enchantée, le premier coffret d’opéra que j’ai acheté à sa sortie en 1973, avec celle qui est à jamais la plus extraordinaire Reine de la nuit, l’immense Edda Moser.
On avait adoré Le Domino noir donné au printemps 2018 à l’Opéra-Comique (voir L’esprit Auber). Ce fut pour moi la dernière occasion d’applaudir Patrick Davin, si brutalement arraché à notre affection il y a un peu plus de quatre ans déjà. Pour le compte de Bachtrack, j’ai eu la chance d’assister à la première de la reprise de cette formidable production, dirigée cette fois par le maître des lieux, Louis Langrée. Mon compte-rendu vient de paraître : La reprise triomphale du Domino noir à l’Opéra Comique.
Ses amis furent heureux, à l’issue de cette première, d’assister à la remise de la Croix de Commandeur des Arts et Lettres à celui qui a bien mérité de la culture et de la musique française.
Avant-dernier épisode de la série Vacances 2002, la Villa Médicis, où je n’ai pas mis les pieds cette année, mon séjour romain fut relativement bref – il m’en reste à raconter notamment sur les trésors du Vatican.
Ma première fois à Rome c’était en mars 1995 à l’occasion d’un week-end – qui a failli rater – de France Musique à la Villa Médicis. Week-end dont j’avais conservé un souvenir contrasté.
Rome, la fontaine de la Piazza di Spagna et le grand escalier menant à l’église de la Trinité des Monts et en haut à gauche à la Villa Médicis / Juillet 2022
Le futur ministre ?
Je n’ai compris que bien plus tard le véritable enjeu de ce moment où France Musique n’était qu’un prétexte. Je suis tombé par hasard sur les mémoires de Jean-Pierre Angremy (de son nom de plume Pierre-Jean Rémy) où l’on comprend que le déplacement en grand appareil du PDG de Radio France Jean Maheu, du directeur de la musique Claude Samuel, du directeur de France Musique l’auteur de ces lignes, de quelques autres personnes forcément importantes, tous accompagnés de leurs conjoints, au prétexte d’assister à des concerts de pensionnaires de la Villa Médicis, dont l’écrivain à succès était alors le directeur transmis sur France Musique bien évidemment, ce déplacement donc avait pour objectif non avoué pour l’état major de la radio publique de se mettre au mieux avec celui qu’une rumeur insistante et récurrente présentait comme le probable, possible futur ministre de la Culture de Jacques Chirac bientôt élu président de la République. On était à un mois du premier tour de l’élection présidentielle de 1995, tandis que s’achevait la cohabitation Mitterrand-Balladur.
Extraits choisis de ce « Journal de Rome » :
« Noter l’arrivée de Jean Maheu et de sa femme, Isabelle. Nous nous embrassons, nous nous tutoyons. Il aurait souhaité lui-même venir à la Villa Médicis comme directeur. Un jour, brisant la glace, il m’a dit qu’il n’en était rien. Je n’en pense pas moins. Ai-je dit que Stéphane Martin, qui fut longtemps son directeur adjoint de cabinet (1) et à qui je dois ma place ici, s’est fait l’écho, comme beaucoup d’autres, du bruit qui a couru selon lequel j’intriguerais, toujours dur et ferme, pour me retrouver à la Culture ? Claude Samuel me parlera également de l’affaire. Sophie Barrouyer de France Musique (2), aussi, comme Sophie Barruel (3), petite énarque au jeune mari aussi, comme également Jean-Pierre Rousseau. Rumeur ou calomnie ? Je n’ai pas que des amis, c’est le moins que je puisse dire !«
(1) Stéphane Martin, qui a été un temps le bras droit de Claude Samuel à Radio France, est à l’époque directeur adjoint du cabinet de Jacques Toubon, ministre de la Culture. Il sera, de 1998 à 2020, le président du musée du Quai Branly
(2) J’ai l’impression que Pierre-Jean Rémy s’emmêle dans ses souvenirs, en évoquant la présence de Sophie Barrouyer…à qui j’avais succédé deux ans plus tôt (lire L’aventure France Musique)
(3) Erreur de PJR, il s’agissait de Sophie Barluet, prématurément emportée par une cruelle maladie en 2007, son « jeune mari » étant Alain Barluet, actuel correspondant du Figaro à Moscou. J’avais beaucoup apprécié Sophie Barluet comme directrice de cabinet de Jean Maheu et comme complice toujours bienveillante.
Liaison fatale ?
Suite du journal de Pierre-Jean Remy :
« SAMEDI 25 MARS. Toute la journée en direct, donc, de France Musique. En réalité, depuis vingt-quatre heures, les trois techniciens de France Musique se battent avec les Télécoms italiens, car on n’arrive pas à obtenir les canaux pour transmettre vers la France via… eh bien via Rome, tout simplement ! En 1995. il est tout de même paradoxal de voir qu’il n’y ait pas moyen de lier la Villa Médicis, au-dessus de Rome, au centre de la RAI, à Rome même. Les autres liaisons sont possibles, mais pas celle-là. Il est vrai que l’on ne travaille plus par liaison hertzienne, mais par liaison numérique câblée. Ceci expliquerait cela. Pendant vingt-quatre heures, on s’arrache progressivement les cheveux. Le 24 au soir, on est persuadé que rien ne pourra se résoudre. Samedi 25 au matin, rien ne fonctionne encore alors que la première émission en direct est prévue à 11 heures À 11 heures moins dix : miracle ! apothéose! Les canaux sont rétablis »
Pierre Jean Remy on the set of TV show « Vol de Nuit ». (Photo by Eric Fougere/VIP Images/Corbis via Getty Images)
Ce n’est faire injure à la mémoire de personne que de relater que cette situation a donné lieu à des énervements et des comportements proches du ridicule. Je savais, comme responsable de l’antenne, que les techniciens de Radio France faisaient tout leur possible pour trouver une solution (au pire on pouvait enregistrer les émissions et concerts prévus et les diffuser ultérieurement de Paris). Mais il fallait bien que le PDG de Radio France justifiât sa présence à Rome et manifestât son autorité. Il se mit en tête après avoir copieusement engueulé ses proches, dont moi évidemment, d’interpeller les plus hautes autorités du pays, en commençant tout de même par l’ambassadeur de France à Rome, son homologue de la RAI (je doute qu’il l’ait joint), voire le ministre italien des télécommunications, pour leur faire valoir l’imbroglio diplomatique qui résulterait de l’impossibilité pour France Musique de diffuser en direct de Rome… Pierre-Jean Rémy considérait tout cela avec un certain amusement, habitué qu’il était aux moeurs italiennes (il avait été en poste à Florence), surtout un week-end.
Finalement le direct
« C’est donc la première émission, le concert des Nouveaux interprètes, que je présente depuis le grand salon. Un froid polaire me caresse les côtes. Le concert,c’est le trio Schumann, trois jeunes gens de Turin. Tout à fait honorable. On joue, entre autres, du Kreisler et un trio de Brahms. Entre les morceaux, je parle de la Villa, je décris le paysage : beaucoup d’amis de France m’entendront, qui me le diront. Déjeuner, sieste rapide, puis, toujours en direct de la Villa, l’émission Les Imaginaires de Jean-Michel Damian. Damian erre comme un malheureux heureux, souriant, barbu et ventripotent, mais pas plus« .
S’ensuit un long développement sur les invités de Jean-Michel Damian, dont l’essentiel de l’émission est consacré à Ingres, le grand peintre originaire de Montauban, très lié à Rome et en particulier à l’Académie de France à Rome dont il est le directeur de 1835 à 1840. Damian laisse les spécialistes disserter en roue libre, le concert qui devait conclure l’émission sera réduit à portion congrue.
L’auteur à succès, Callas, Karajan
On a oublié aujourd’hui la place qui était celle de Pierre-Jean Rémy dans la vie intellectuelle, culturelle et mondaine française. Auteur à succès, il était de tous les cercles influents, recherchant les honneurs, mais sans être dupe de la comédie humaine, à laquelle il participait avec une manière de distance et d’auto-dérision. Dans ce Journal de Rome, il évoque, parlant de lui, une « culture superficielle, un vernis qui se craquèle comme les murs peints par Balthus dans la Villa Médicis », et on va le voir plus loin à propos de ses livres. Brillant, chaleureux, réservant ses flèches à ceux qui ne pourraient plus lui nuire, il veillait à entretenir ses réseaux. Après la Villa Médicis, j’ai eu quelques occasions de revoir PJR devenu en 1995 non pas ministre de la Culture, mais président de la Bibliothèque Nationale de France.
Suite de la journée France Musique à la Villa Médicis relatée par Pierre-Jean Rémy :
« La fin de la soirée sera encore plus chaotique dans la mesure où je donne simultanément un dîner pour vingt-cinq personnes et où je présente une soirée de France Musique de trois heures consacrée à Maria Callas. Pour me remettre dans le bain de Callas, j’ai été amené à relire mon livre : Dieu, qu’il était bon !
Et combien j’ai tout oublié… Je m’émerveille encore d’avoir été capable d’écrire ce livre, finalement si foisonnant et assez bien écrit, malgré des tics qui m’apparaissent à présent insupportables, des attendrissements ridicules ou des exclamations superfétatoires/…/ Donc, émission sur Maria Callas au cours de laquelle je présente d’une part la grande Tosca de Serafin, puis une série de cinq ou six enregistrements, dont La Gioconda, l’Elvire des Puritains, la mort d’Isolde, Traviata et Norma. Quelques discours attendris, quelques références subtilement piquées dans mes propres œuvres.«
Et, dans le même temps, j’essaie de faire de timides apparitions à l’une des trois tables où je suis censé être assis. Présence de Massimo Bogianckino, terriblement fatigué. Présence du vieux compositeur Petrassi, quatre-vingt-onze ans à présent, l’une des dernières grandes figures vivantes de la musique européenne. Il est sourd et heureux d’être à la Villa Médicis. Sa femme, grande cavale de trente ou quarante ans de moins que lui, se dit heureuse aussi. Elle promet de nous inviter chez elle, de nous faire une pasta. La soirée se terminera tard. dans l’allégresse, on boira beaucoup.. »
Précisions : Bogianckino (1922-2019) a été, à l’instigation de Jack Lang, le directeur de l’opéra de Paris de 1983 à 1985, avant d’être maire socialiste de Florence. Quant au vieux Goffredo Petrassi (1904-2003), il ne m’avait pas semblé si sourd que cela….
En matière de musique, Pierre-Jean Rémy savait surfer sur les sujets grand public Après Callas, il a été le premier à publier une biographie en français du chef autrichien, Herbert von Karajan (1908-1989). Comme pour Callas, la critique aura beau jeu de repérer les inexactitudes, les approximations, le côté compilation brouillonne d’un ouvrage qui sort souvent de son sujet, pour déborder sur les goûts personnels de l’auteur en matière symphonique ou lyrique.
En me baladant dans la Ville éternelle, après la visite des musées du Vatican (ce sera pour une chronique ultérieure), sans but précis, je suis tombé sur des plaques rappelant certaines présences comme… Riccardo (!) Wagner !
On a trouvé sur YouTube cette étonnante représentation filmée en 2000 à l’Opéra de Rome (pour le centenaire de la création de Tosca). Il y a les deux ténors les plus célèbres du moment : Luciano Pavarotti en Cavaradossi… et Placido Domingo à la baguette !
Le deuxième acte se situe au Palais Farnese, siège de l’Ambassade de France à Rome depuis 1874, mais fermé à toute visite, à l’exception, semble-t-il, des journées du patrimoine.
Il y a évidemment quantité de très belles versions de Tosca en CD comme en DVD.
J’en ai toujours deux auxquelles j’aime revenir : pour les sortilèges de l’orchestre puccinien, Karajan à Vienne en 1963 et, même si les « callasiens » préfèrent des versions antérieures, celle de Maria Callas, captée la même année à Paris avec Georges Prêtre
Samedi soir, c’est Toscade Puccini qui était à l’affiche du Scottish Opera, au Théâtre Royal– c’est le nom exact, en français, de l’établissement – de Glasgow
Rien ni personne, a priori, ne retenait l’attention dans la distribution d’une représentation qui annonçait la reprise d’une très ancienne mise en scène (1980) d’Anthony Beschconvoquant les mânes de Mussolini – et le dictateur lui-même dans le Te Deum du premier acte ! –
Et pourtant, comme cela m’est déjà arrivé plusieurs fois dans les lieux parfois les plus improbables (à Burgas en Bulgarie, à Split en Croatie), j’ai découvert des voix magnifiques, un orchestre somptueux… et une mise en scène qui fonctionne admirablement.
C’est la jeune soprano galloise, Natalia Romaniw, que je ne me rappelle pas avoir déjà vue sur une scène continentale, qui incarne une Toscacapiteuse, à la voix longue, pulpeuse et remarquablement homogène sur toute la tessiture, une découverte pour moi.
Son Cavaradossi est le ténor, gallois lui aussi, Gwyn Hughes-Jones, belle prestance, voix généreuse sans excès, tandis que le baryton anglais Roland Woodincarne, voix et physique, un Scarpia fourbe et tordu à souhait. Mêmes qualités vocales et scéniques remarquables pour les rôles d’Angelotti (Dingle Yandell), du Sacristain (Paul Carey Jones), et des deux policiers.
On se gardera d’insister sur le fait que ce plateau est exclusivement britannique ! Tout comme le chef Stuart Stratford, directeur musical de l’Opéra d’Ecosse depuis 2015.
Glasgow on the Hill
La vieille ville d’Edimbourg est édifiée sur une colline dominée par un imposant Castle, tandis que la New Town se déploie en contrebas, le centre de Glasgow est enserré dans un étroit tissu d’autoroutes urbaines, et semble parfois avoir des airs de San Francisco, avec des rues à forte pente et des immeubles très typés début XXème siècle.
On ne s’attend à rien, sauf au pire, lorsqu’on voit des affiches pour une représentation d’un opéra aussi spectaculaire que Turandot de Puccini dans une station balnéaire bulgare. Pourtant, à 10 € la (très bonne) place, on ne risquait pas grand chose, une heureuse surprise peut-être ?
Le théâtre d’été est situé au milieu d’un immense parc qui surplombe la mer – c’est ainsi que les longues plages de sable de Burgas ville ont été préservées de toute urbanisation intempestive –
Dix minutes avant le début de la représentation, le théâtre est loin d’afficher complet. A l’entracte on constatera une demie jauge. Désintérêt d’une population pourtant naguère largement éduquée à la musique, à l’opéra, au théâtre ?
Je crois bien que, plus encore que La Bohème, Tosca, Manon Lescaut ou Madame Butterfly, Turandot est l’ouvrage de Puccini que j’ai vu le plus souvent en scène (la saison dernière encore à Montpellier – lire Remaniement, amour et cruauté), l’un des opéras que je connais par coeur, et qui m’a toujours fasciné par son écriture orchestrale et chorale, plus que par les performances purement vocales, même si elles sont impressionnantes, des rôles principaux.
Eh bien cette Turandot bulgare, sans prétendre à l’originalité dans la mise en scène – des plus convenues – n’avait rien à envier à des productions plus prestigieuses. Le rôle-titre parfaitement assumé par une belle et large voix, celle de Gabriela Georgieva
Calaf était chanté vaillamment par un pilier de l’opéra de Sofia, Boiko Tsvetanov– qui a quand même craqué son Nessun Dorma. Belle révélation avec la Liu de la jeune Maria Tsvetkova, Des choeurs pas toujours homogènes, des voix parfois ingrates pour les ministres Ping, Pang, Pong, le reste de bon niveau et un orchestre tout ce qu’il faut de sensuel et rutilant sous la baguette experte de Grigor Palikarov.
Au disque j’en reviens toujours à deux versions, l’une – Karajan – pour la pure somptuosité orchestrale et chorale, malgré les erreurs de casting pour Turandot et Liu – l’autre – Leinsdorf -justement pour une distribution inégalée
Il faut bien qu’au moins une fois par an le calendrier me rappelle que je suis aussi citoyen helvète. C’est en effet le 1er août qu’est célébrée la Fête nationale de la Confédération helvétique, ce tout petit pays qu’est la Suisse, qui résulte d’une construction démocratique exemplaire. Salut à mes nombreux cousins, cousines, membres de ma famille maternelle, avec qui le lien est maintenu grâce à ce blog !
Hasard ou choix ? C’est en tout cas à la veille de cette fête nationale qu’a été annoncée la grande nouvelle de la nomination à Vienne du plus célèbre chef suisse du moment, Philippe Jordan
« Pianiste de formation, Philippe Jordan fait ses armes en tant que répétiteur à l’opéra de la petite ville d’Ulm, en Allemagne. Dans l’ombre, le jeune musicien apprend à diriger. En 1998, le chef d’orchestre de nationalités argentine et israélienne, Daniel Barenboïm, cherche un assistant à Berlin et lui confie la direction de son spectacle.
Le jeune apprenti devient un maître. S’offrent à lui des postes de prestige. De 2001 à 2004, il est directeur musical de l’Opéra de Graz et de l’orchestre Philharmonique de Graz, puis de 2006 à 2010, il est le principal chef invité à la Staatsoper Unter den Linden Berlin. Entre-temps, la consécration: en 2009, Philippe Jordan prend en charge la direction musicale de l’Opéra national de Paris. Cinq ans plus tard, il est nommé chef de l’Orchestre symphonique de Vienne en 2014. À nouveau, l’Autriche lui tend les bras.
Le musicien tient la baguette dans les plus grands opéras et festivals du monde. Pour ne nommer que les plus prestigieux: le Metropolitan Opera de New York, la Scala de Milan, le Royal Opera House de Londres, le Festival de Salzbourg, celui d’Aix-en-Provence. »
Heureusement, Philippe reste à l’Opéra de Paris jusqu’à la fin de son contrat en 2021.
Je ne suis pas objectif, évoquant le fils d’Armin Jordan(Emmanuel Pahud me rappelait, l’autre soir, que c’est à Liège, en mai 2006, qu’il avait joué pour la dernière fois avec le grand chef suisse quelques semaines avant sa disparition).
Tant de souvenirs personnels et musicaux me rattachent à Philippe Jordan. La première fois que je l’ai vu, c’était encore un à peine adolescent, au Victoria Hall à Genève, où il assistait à un concert de son père. Pourtant, les activités du père laissaient peu de place à la vie de famille, et Philippe a fait seul son chemin de musicien, sans renier l’influence, mais sans rester dans l’ombre paternelle. Je tiens d’Armin ce souvenir : Quelques semaines avant de rejoindre Aix, où il dirigeait pratiquement chaque année (comme je l’ai raconté après la disparition de Jeffrey Tate), il s’enquiert auprès de Philippe, qui vient de fêter ses 19 ans, de ce qu’il a prévu pour l’été à venir… Philippe lui répond : Je serai aussi à Aix-en-Provence, j’ai été engagé comme assistant de Jeffrey Tate » !
Depuis lors, le parcours du jeune homme n’a cessé d’être exemplaire. Un parcours « à l’ancienne », comme ses illustres aînés, comme son père, il a fait ses classes, sans brûler les étapes. Souvenir des pelouses de Glyndebourne en 2002, où je m’étais rendu pour un Don Giovanni décapant dirigé par Louis Langrée, d’un pic-nic partagé avec le chef suisse qui, lui, dirigeait sa première Carmen.
L’année suivante, Philippe Jordan vient diriger à Liège et à St Vith un programme original, une sérénade pour vents de Mozart (la K.388), la sérénade pour cor et ténor de Britten avec le ténor Patrick Raftery et le cor solo de l’OPRL Nico de Marchi, et la 3ème symphonie « Rhénane » de Schumann. Je n’aurai plus d’autre occasion de le réinviter à Liège, tant l’agenda du nouveau directeur de l’opéra de Graz se remplit, et les engagements internationaux du jeune chef explosent.
En 2009, à 35 ans, il est nommé directeur musical de l’Opéra de Paris. On sait ce qu’il est advenu de cette aventure artistique à haut risque, une relation d’une intensité, d’une exigence et d’une confiance exemplaires entre un chef qui sait ce qu’il veut et où il va et un orchestre composé de brillantes individualités qui n’était pas toujours réputé pour sa discipline.
Lorsque Philippe Jordan achèvera son mandat, en 2021, à la tête de l’opéra de Paris, on pourra sans risque inscrire son « règne » en lettres d’or dans l’histoire du vaisseau amiral de l’art lyrique français. Et lui dire notre infinie gratitude. Pour tant de soirées d’exception (comme ces Gurre-Lieder de Schoenberg à la Philharmonie), d’ouvrages lyriques où il nous a fait redécouvrir un orchestre débarrassé de l’empois d’une certaine tradition (que n’a-t-on lu sous la plume de certains spécialistes auto-proclamés : Philippe Jordan « manquait d‘italianita » dans Verdi ou Puccini, ou « dirigeait Wagner comme du Debussy » et inversement !).
Presque simultanément Deutsche Grammophon nous livre deux beaux coffrets sur l’art de deux des plus grands violoncellistes du XXème siècle, qui ont fait les riches heures de la marque jaune (et accessoirement de Philips et Decca) : Mstislav Rostropovitch* et Pierre Fournier.
Deux immenses personnalités, deux styles pour le moins opposés (pour user de clichés un peu faciles, l’élégance aristocratique du Français, l’intensité contagieuse du Russe). On peut aimer l’un et l’autre, et s’amuser au jeu des comparaisons lorsque le même chef (Karajan) les accompagne dans la même oeuvre (Don Quichottede Richard Strauss).
Le coffret Rostropovitch ne contient rien qui n’ait été déjà réédité, mais regroupe tout ce qui est paru sous les labels DGG, Decca et Philips (et par Melodiapour ce qui est des séances de trios avec Kogan et Gilels), et inclut – à la différence du coffret EMI/Warner – les prestations du violoncelliste comme chef d’orchestre (et d’opéra) et pianiste accompagnateur de son épouse Galina Vichnievskaia. Plusieurs doublons, voire triplons (le Quintette à deux violoncelles de Schubert avec les Taneiev, les Melos et les Emerson) Détails ici : Rostropovitch l’intégrale Deutsche Grammophon.
Dans le cas de Pierre Fournier, on attendait depuis longtemps pareil hommage (après le coffret Warner). La longue carrière du violoncelliste français y est richement documentée, depuis les premières gravures avec Clemens Krauss et Karl Münchinger en 1953, jusqu’à une ultime séance en 1984 deux ans avant sa mort avec son fils Jean Fonda. Deux versions du Don Quichotte de Richard Strauss. Deux intégrales magnifiques des sonates piano-violoncelle de Beethoven avec Friedrich Guldaet Wilhelm Kempff, et de celles de Brahms avec Rudolf Firkusnyet Wilhelm Backhaus. Et ce qui reste pour moi une référence des Suites pour violoncelle de Bach. Détails à lire ici : Pierre Fournier, l’aristocrate du violoncelle
Soirée de gala hier à l’Opéra Bastille. Les mécènes étaient en nombre (était-ce une raison pour commencer systématiquement chaque acte en retard ?), la presse aussi. Pourtant la première de cette Toscaavait eu lieu samedi dernier. Les premiers papiers, comme celui de Forumopera, laissaient augurer du meilleur.
La mise en scène de Pierre Audi ne se signale par aucune originalité, mais peut-on transformer, transposer, un ouvrage aussi lié à un contexte historique et géographique ?
Alors les chanteurs ? Le public est venu pour eux, pour le ténor Marcelo Alvarez, le baryton Bryn Terfel, peut-être surtout la soprano Anja Harteros. Et il ne sera pas déçu.
Alvarez campe un Cavaradossi solide, un peu poseur, la voix conserve un beau métal, à Terfel il manque de la noirceur dans le timbre (ou est-ce moi qui n’ai jamais beaucoup aimé cette voix ?), mais peut-on rater Scarpia ? Aucune réserve en revanche, une adhésion enthousiaste à l’incarnation du personnage de Floria Tosca, à la voix pulpeuse, sensuelle et homogène sur toute la tessiture d’Anja Harteros. Sublime Vissi d’arte, mais toutes les difficultés vocales d’un rôle périlleux entre tous sont franchies sans que jamais la voix ne s’altère. La grande Tosca du moment, assurément !
Quelle déception en revanche dans la fosse ! Pas du côté des musiciens évidemment. Je trouve le rédacteur de Forumopera (cf.supra) bien indulgent à l’égard d’une direction plate, banale, caricaturale. Pourtant Dieu sait que l’orchestre de Puccini est riche, vétilleux aussi par ses incessants changements de couleur et de rythme. Il faut une grande baguette pour en maîtriser tous les rouages et en extraire tous les sortilèges (un Karajan, un Levine, un Solti…). Dommage qu’on n’ait pas eu Philippe Jordan…
Il me l’avait fait promettre, je devais être à Berlin ce 18 octobre. De retour dans la grande salle du Konzerthausam Gendarmenmarkt pour l’une de ces cérémonies dont les professionnels de la congratulation sont si friands. Menahem Pressler a bien fait d’insister. Et moi de répondre à son invitation.
Dans et après cette soirée Echo-Klassik transmise par ZDF2 (l’équivalent allemand de France 2), les moments d’exception ont été si nombreux que je ne veux pas critiquer la longueur des présentations, l’enthousiasme tellement répétitif qu’il en était artificiel du maitre de cérémonie Roland Villazon ou la prestation caricaturale du plus célèbre pianiste de l’heure.
Récit :
Tapis rouge sur les marches du Konzerthaus, depuis la veille les équipes de télévision s’affairaient, la pluie qui menaçait a eu le bon goût de laisser la place à un timide soleil d’automne.
Installé aux premières loges en surplomb du parterre et de la scène, je ne vais rien manquer du spectacle, qui commence fort. L’orchestre du Konzerthaus joue la polonaise d’Eugène Onéguine de Tchaikovski, enlevée, élégante à souhait sous la baguette de Pablo Heras-Casado.
Puis la première star de la soirée, qu’on a déjà croisée à l’entrée des artistes, arrive pour recevoir le premier trophée Echo-Klassik et surtout pour chanter le célèbre « Recondita armonia » de Tosca de Puccini.
Et le miracle se produit, on est submergé par l’ardeur, la beauté, le raffinement de ce timbre, de cette voix, puis par la simplicité, la gentillesse du ténor allemand. On en aura une preuve supplémentaire quelques heures plus tard, lorsque, voisins de table au restaurant Borchardt, Jonas Kaufmann viendra saluer et discuter de belles et longues minutes avec Menahem Pressler.
Rien à dire, ou plutôt pas envie de dire du mal, de celui qui succède à Jonas Kaufmann sur la scène du Konzerthaus, il est récompensé, paraît-il, pour son engagement à enseigner le piano à des millions de petits Chinois, Lang Lang tel qu’en lui-même…
Arrivant tout juste de New York, où elle triomphe en Desdémone dans Otello au Met, Sonya Yoncheva n’a pas la voix jetlagée pour clamer « O Paris, gai séjour« de Lecocq, l’une des perles de son dernier disque.
Je retrouve plus tard Sonya, son mari Domingo Hindoyan (lui aussi juste rentré de Liège où il a passé la semaine avec l’orchestre) et leur petit garçon d’un an. Ils vont aussi dîner au Borchardt, on évoque le beau projet de l’été prochain. Ils s’en réjouissent d’avance, et moi donc !
La soirée avançant, je découvre que la télé allemande a ses stars, ingrédient nécessaire pour décontracter une cérémonie trop classique ? Villazon aurait bien suffi dans ce registre…
Vont se succéder, au gré des très (trop?) nombreuses récompenses, Maurice Steger, un Blockflötist (un flûtiste…à bec !) suisse – je me rappelle un premier CD très confidentiel chez Claves il y a plus de vingt ans, il remplit les salles aujourd’hui -, Cameron Carpenter, l’organiste fou (ah le look d’enfer !), un violoniste qui, sur le marché allemand, a ravi les têtes de gondole à André Rieu ou Nigel Kennedy, David Garrett, qui prouve ce soir qu’il n’a rien oublié de sa formation classique. On l’avait connu jadis en duo avec Jonathan Gilad jouant lors d’une veillée de Noël pour les enfants malades de l’institut Gustave Roussy de Villejuif, puis comme soliste du concert que l’Orchestre philharmonique de Liège avait donné au théâtre des Champs-Elysées en 2004 sous la direction de Louis Langée. Quelque chose dans son attitude sur et hors scène nous dit qu’il n’a pas pris la grosse tête…
Un duo moins prévisible et très réussi : le beau gosse Andreas Ottensamer (qui truste avec son père Ernst, son frère Daniel, les postes de clarinette solo de Vienne et Berlin, rien de moins !) et le nouveau Paganini tout en cheveux, Nemanja Radulovic, dans la célèbre Czardas de Monti.
Un projet de disque en commun ?
Défilé d’autres récompenses, avec un côté entre soi plutôt dérangeant : Villazon chanteur et metteur en scène d’un Elixir d’amour dirigé par le chef de la soirée Pablo Heras Casado, on ne savait plus qui remerciait qui..mais aussi un bel hommage à l’altiste disparu du quatuor Artemis.
Arrive alors le violoniste Daniel Hope… sans son violon. La présentatrice rappelle qu’il a été, avec le violoncelliste Antonio Meneses, membre du Beaux Arts Trio dernière manière. Même si on salue comme il se doit la très belle réédition du fabuleux legs discographique de ce trio mythique
ce n’est pas la raison de la présence de Daniel Hope. Il est venu dire les mots du souvenir et du coeur à l’adresse de l’homme à qui l’Allemagne a rendu, en 2013, sa nationalité, et à qui la salle comble du Konzerthaus va faire ce soir une prodigieuse standing ovation : Menahem Pressler.
Les mots du pianiste sont à l’unisson de ceux de Daniel : simples, justes, touchants. Et personne ne retiendra ses larmes, ni dans la salle, ni sur, ni hors scène, quand retentira, une fois encore, mais encore une fois différent des autres fois, ce Nocturne de Chopin
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A la sortie des artistes, tout un groupe attend, des jeunes surtout, pour tenter d’obtenir une signature du vieil homme. La fatigue est visible, mais dès que nous serons installés au restaurant Borchardt tout proche, l’appétit lui reviendra et il faudra insister pour qu’il rentre se coucher, avant de partir tôt ce matin pour Dresde où il doit répéter Mozart avec Christian Thielemann..
Jonas Kaufmann, le président de Sony, Cameron Carpenter, Sonya Yoncheva et Domingo Hindoyan, font tables voisines. Ce n’est pas le plus calme ni le meilleur établissement du quartier, mais Borchardt c’est une institution, the place to be après le concert.
(Daniel Hope et Menahem Pressler, les deux tiers du Beaux Arts Trio !)