A force d’avoir été longtemps présenté comme le plus jeune ministre, le plus jeune président, on a fini par oublier que Valéry Giscard d’Estaing avait atteint un âge canonique : 90 ans le 2 février dernier. Avec 48 heures de retard, Happy Birthday Mr. President !
C’est si loin la présidence de Giscard, si flou aussi, injuste souvent.
Les circonstances de la vie m’ont fait approcher Giscard à quelques reprises, sans que je l’aie souhaité. Trois souvenirs me reviennent, dont un, étrange et récent.
1982, je suis jeune attaché parlementaire d’un nouveau député de Haute-Savoie, à Thonon-les-Bains. Pour je ne sais plus quelle raison, le président battu l’année précédente s’est annoncé dans la sous-préfecture des bords du Léman. D’abord un petit déjeuner avec quelques élus locaux, Giscard était l’invité la veille d’une émission de télévision suisse, les participants sont pétrifiés quand la haute stature de l’ancien président pénètre dans la salle à manger du bistrot où une table a été dressée. J’essaie de dérider l’atmosphère en félicitant VGE pour sa prestation de la veille…Le petit déjeuner sera à peine plus animé, personne n’osant engager la conversation avec quelqu’un qui ne suscite pas vraiment la familiarité ! Nous rejoignons ensuite à pied l’Hôtel de Ville tout proche où le Maire – élu en 1980 -a prévu de recevoir Giscard en compagnie de son prédécesseur Georges Pianta, qui avait été élu à l’Assemblée Nationale en 1956 la même année que l’ex-président. S’ensuit un dialogue extraordinaire. Georges Pianta pour montrer sa grande proximité avec son ancien collègue s’adresse à Giscard en le tutoyant d’abondance – je perçois une certaine crispation dans le visage impassible de l’interpellé – Giscard lui répond en commençant par : « Georges, je crois que nous nous tutoyons… » L’impertinent était renvoyé dans ses cordes… (Cela rappelle une anecdote tout aussi célèbre concernant Mitterrand : un obscur secrétaire fédéral de province accueillant le patron du PS à sa descente de train lui demande « Camarade je peux te tutoyer n’est-ce pas ? » Réponse : « Vous faites comme vous voulez » !)
1985, je suis en Auvergne l’été pendant une semaine politique. Impossible de ne pas inviter le député du coin, Giscard lui-même, qui, en toute chimplichité (!) arrive au volant de sa voiture pour déjeuner avec les jeunes présents et une brochette d’élus ruraux. Je surprends à la fin du repas un dialogue entre le maire d’une petite commune et l’ancien président, l’élu évoque un petit problème à régler, le député de lui répondre : « Vous me faites une petite note sur le sujet ? »… On ne se refait pas !
2012, 31 octobre au Théâtre des Champs-Elysées à Paris. Liège a décidé un déploiement en force – un concert exceptionnel avec les forces de l’Orchestre philharmonique de Liège, et celles de l’Opéra royal de Wallonie, choeur et orchestre, sous les baguettes de leurs directeurs musicaux Christian Arming et Paolo Arrivabeni. Pour promouvoir la candidature de la Cité ardente à l’organisation d’une Exposition internationale en 2017 – quelques semaines plus tard c’est la capitale du si démocratique Kazakhstan, Astana, qui sera choisie – !
Plusieurs personnalités sont attendues, dont l’ancien président de la République et son épouse. Le hasard fait que je me trouve sur le trottoir devant le théâtre de l’avenue Montaigne, lorsqu’arrive la voiture de Giscard, et en dehors d’un chargé de protocole de la Mairie de Paris, personne n’est présent pour accueillir et prendre en charge quelqu’un qui a droit à certains égards protocolaires. Je comprends d’un regard que je vais devoir me transformer pour quelques longues minutes en « accompagnateur » du couple Valéry-Anne Aymone. Je les conduis au premier étage du théâtre dans un petit salon réservé aux hôtes de marque, en sa qualité de plus haute personnalité française présente c’est à VGE que reviendra d’accueillir le Prince Philippe de Belgique (il ne deviendra Roi que l’année suivante à l’abdication de son père Albert) et sa femme la Princesse Mathilde. Pour passer le temps, j’explique à Giscard Liège, le programme du soir, César Franck, etc. Il fait mine de s’intéresser à ce que je lui raconte. Arrive bientôt le couple princier, Giscard retrouve tous les réflexes du grand séducteur qu’il a été, et fait un numéro de charme incroyable à Mathilde, il lui explique le programme du concert, le grand intérêt qu’il éprouve pour César Franck (!) et la jeune princesse de lui répondre qu’elle et son mari ont beaucoup aimé le spectacle de réouverture de l’opéra de Liège, quelques semaines plus tôt : un opéra de jeunesse du père Franck, Stradella. Preuve que les grands de ce monde peuvent parfois échapper aux banalités d’usage. La future reine de Belgique et le vieux président dissertant sur Franck, c’est un souvenir que je ne suis pas près d’oublier…
Ce récital, lundi soir, dans le délicieux cocon du théâtre de l’Athénée à Paris, était en soi une performance. La chanteuse britannique préférée des Français – 73 ans le 9 mai prochain – a allègrement dépassé l’âge – 70 ans – auquel on avait entendu jadis Victoria de Los Angeles ou Carlo Bergonzi. Il y avait, sans doute, dans le nombreux public de l’Athénée, quelques craintes de ne pas retrouver la Felicity Lottqu’on aime, qu’on admire depuis si longtemps.
« Bien sûr, on mentirait en prétendant que la voix est encore telle qu’au premier jour, mais la musicalité de l’artiste est intacte, ses aigus pianissimo laissent rêveurs, et l’interprète est comme toujours souveraine. Preuve en est ce troisième des Quatre Derniers Lieder, qui mobilise toutes les ressources de la soprano, et pour lequel son accompagnateur Sebastian Wybrew déploie lui aussi tout son art même si les qualités de la réduction pour piano n’ont que peu en commun avec les sortilèges de la version pour orchestre. « We really know our worth, the sun and I », déclare Yum-Yum dans l’air du Mikadoqui ouvre le programme, mais si « Flott » connaît sa valeur autant que le soleil, elle n’en joue pas moins les modestes avec une coquetterie délectable, déclarant qu’elle n’est plus très sûre des paroles, qu’elle ne sait plus ce qu’elle doit chanter ensuite, ou annonçant qu’elle a décidé de nous proposer tout ce qu’elle donne habituellement en bis, ce qui nous dispensera de devoir l’applaudir à la fin.
Transfiguré par l’élégance de l’interprète, « Parlez-moi d’amour » semble appartenir à l’univers de la mélodie française de salon, et sert de seuil au-delà duquel le programme entre dans la coquinerie, dès l’irrésistible extrait de Passionnément, qui figurait dans le disque Felicity Lott s’amuse, comme plusieurs autres airs chantés ce soir. « Dis-moi, Vénus » est un très grand moment : si elle n’a jamais eu exactement la voix du rôle, même il y a quinze ans, Felicity Lott en a totalement l’esprit, et nous fait rire comme si nous n’avions jamais entendu le texte de Meilhac et Halévy. Après tant de grivoiseries gauloises, petit détour par le monde anglo-saxon qui n’est pas en reste : la France découvrira-t-elle un jour Noel Coward, sorte de réponse britannique à Sacha Guitry, mais qui composait en outre la musique de ses propres chansons ? Même pour les auditeurs non-anglophones qui n’auront pas saisi l’entrelacs de jeux de mot dont le texte est truffé – le concert n’est pas surtitré –, le jeu de citations de Funiculi, funicula dans « A Bar on the Piccola Marina » suffirait à éveiller l’attention. « Les Chemins de l’amour » rendent hommage à Yvonne Printemps, mais certaines intonations font aussi songer à Mireille, et l’on ne saurait trouver meilleur modèle pour la diction du français et l’espièglerie du ton » (Laurent Bury, Forumopera, 25 février 2020)
Comme l’écrit Laurent Bury, Dame Felicity commence prudemment, à mi-voix presque, mais on oublie vite que l’organe n’a plus la puissance d’hier, tant la technique supérieurement intelligente permet à la chanteuse de restituer la pureté d’un timbre que les années n’ont pas altéré, des aigus immatériels, sans parler du caractère spécifique de chaque pièce.
The Sun Whose Rays Are All Ablaze de The Mikado (Gilbert et Sullivan)
La Flûte enchantée de Shéhérazade (Maurice Ravel)
Chanson de Vilja de La Veuve joyeuse, (Franz Lehár)
Rêverie (Reynaldo Hahn)
Si mes vers avaient des ailes (Reynaldo Hahn)
Beim Schlafengehen de Vier letzte Lieder, op. 150 (Richard Strauss)
Le Roi s’en va-t-en chasse des Folk Songs (Benjamin Britten)
Fancie (Benjamin Britten)
Fancy (Francis Poulenc)
Parlez-moi d’amour (Jean Lenoir)
L’amour est un oiseau rebelle de Passionnément (André Messager)
Ça fait peur aux oiseaux de Bredouille (Paul Bernard)
Les Chemins de l’amour de Léocadia (Francis Poulenc)
Invocation à Vénus de La Belle Hélène (Jacques Offenbach)
Tu n’es pas beau de La Périchole (Jacques Offenbach)
Ah ! Quel dîner de La Périchole (Jacques Offenbach)
Yes ! de Yes ! (Maurice Yvain)
A Bar On The Piccola Marina (Noel Coward)
L’émotion est à son comble lorsque, au bout d’une heure et demie, Felicity Lott prend congé de nous (et de la scène parisienne ?) par cet air tiré de Belle Lurette d’Offenbach
La félicité faite musique
Je connais personnellement Felicity Lott depuis 1988. Producteur à la Radio suisse romande, j’étais chargé, entre autres, d’organiser et de programmer certains concerts de l’Orchestre de la Suisse romande, notamment ceux qui se tenaient dans la partie francophone de la Suisse. C’est ainsi que Felicity Lott chanta pour la première fois avec l’OSR et son chef Armin Jordan à Bienne (dans le canton de Berne) les Illuminations de Britten.
Je fus l’acteur et le témoin de cette première rencontre entre la chanteuse britannique et le chef suisse, à laquelle allaient en succéder bien d’autres. Imaginez la grande dame, d’une élégance toute british et le chef qui n’aimait rien tant que raconter des histoires destinées à choquer le bourgeois, un dîner d’après concert dans un obscur bistrot biennois ! Ces deux-là eurent un coup de foudre réciproque.
Les agendas du chef et de la diva ne permirent pas de rééditer la rencontre à Genève avant janvier 1994.
J’avais quitté la radio suisse pour France Musique à l’été 1993, mais pour rien au monde je n’aurais manqué ce concert du Nouvel an en janvier 1994 que j’avais mitonné dans les moindres détails avec Armin et Felicity.
Ce 10 janvier 1994, un mauvais rhume aurait contraint n’importe quelle autre chanteuse à annuler. Felicity Lott nous demanda seulement de prévenir le public du Victoria Hall et de solliciter son indulgence.
Précautions inutiles, tellement inutiles que tout le concert fut enregistré en même temps qu’il était diffusé à la radio et qu’il donna ce disque, l’un des plus idiomatiques jamais consacrés à ce répertoire dit « léger » tant de la part du chef que de la cantatrice.
Entre temps les deux s’étaient retrouvés au Châtelet à Paris pour une série de représentations du Chevalier à la rose en septembre 1993. Comme elle le rappelait lundi soir, Felicity Lott a été « la » Maréchale de la fin du siècle dernier. Elle a cité les grands chefs avec qui elle l’avait chantée, Carlos Kleiber en particulier, elle a oublié Armin Jordan, mais on ne lui en voudra pas !
D’ailleurs, pour les 65 ans du chef suisse en 1997, ses amis genevois lui avaient préparé une surprise, dont je fus le complice actif. Contact avait été pris avec…Felicity Lott et Christian Zacharias, deux artistes avec qui Jordan avait commencé à travailler à la même époque, et qu’il aimait tout particulièrement. On me demanda si je pouvais organiser, dans le plus secret, les répétitions entre le pianiste et la chanteuse.. dans un studio de la maison de la radio à Paris.
Le soir du concert venu, Armin Jordan ne se doutant de rien fut interrompu par des problèmes d’éclairage du Victoria Hall! Lorsque surgissant de la pénombre, on entendit d’abord quelques notes de piano puis une voix, reconnaissable entre toutes…
La diva du siècle
Les années 2000 vont être fastes pour Dame Felicity. J’ai déjà raconté tout cela dans cet article du 30 octobre 2014 : Voisine
« Au début de l’année 2000, récemment nommé à la direction de l’Orchestre Philharmonique de Liège, je m’étais rendu à Genève pour un double événement : un Pelléas et Mélisande au Grand Théâtre (lire Un noir Pelléas illumine Genève), réunissant un plateau de rêve, la toute jeune et déjà fabuleuse Alexia Cousin, Simon Kennlyside, José Van Dam et à la baguette mon futur directeur musical, Louis Langrée, et le lendemain au Victoria Hall La Voix humaine de Poulenc avec Dame Felicity et Armin Jordan. À peine arrivé à Genève, je reçois un message très alarmant, Armin Jordan est au plus mal, je fonce à l’hôpital, on ne me laisse passer que parce que j’affirme que je suis de sa famille et j’accède à une salle de soins intensifs, ou plutôt palliatifs, où je découvre mon cher Armin tubé de partout, mais d’excellente humeur et absolument pas mourant. Certes il n’est pas en état de diriger le lendemain… et c’est Louis Langrée qui fera le concert. Felicity Lott est à son acmé dans ce monologue un peu daté de Cocteau et Poulenc.
Elle a aimé travailler avec Langrée. Je pense déjà au programme qui devrait ouvrir le mandat de Louis Langrée à Liège et Bruxelles en septembre 2001 : le Poème de l’amour et de la mer de Chausson et Shéhérazade de Ravel. Felicity est libre et enthousiaste. Quelques jours plus tard, son agent m’appelle, très ennuyé : Deutsche Grammophon a prévu un enregistrement du Rosenkavalier à Dresdeavec Giuseppe Sinopoli à la même période, Felicity ne peut pas refuser pareille proposition, elle qui a été une Maréchale inoubliable sur toutes les grandes scènes du monde. Finalement l’enregistrement ne se fera jamais, Sinopoli meurt d’une crise cardiaque le 20 avril 2001. Mais trop tard pour reprogrammer la chanteuse à Liège en septembre. On ouvrira donc la première saison Langrée/Liège avec… Alexia Cousin, et Felicity Lott nous récompensera de deux soirées mémorables de Nouvel An en janvier 2002. Avec tout ce répertoire dans lequel la plus française des cantatrices britanniques a triomphé notamment sur la scène du Châtelet avec Offenbach.
Nous nous rappelions l’autre soir cette semaine de l’hiver 2002 à Liège. Et une équipée baroque dans les rues commerçantes de la Cité ardente : Dame Felicitydevait être reçue à son retour à Londres par l’Ambassadeur de France dans la capitale britannique pour être décorée de la Légion d’Honneur, et il lui fallait une tenue en rapport avec la solennité de la circonstance ! Nous finîmes par trouver une belle boutique de la rue du Pot d’Or, où l’apparition de la chanteuse ne passa pas inaperçue. Après bien des essayages et des hésitations, Felicity choisit plusieurs ensembles griffés de couturiers français… »
J’ajoute que, pour ce programme de Nouvel an, Felicity Lott avait accepté de chanter l’air de Louise de Charpentier, Depuis le jour – l’un des plus érotiques de la littérature lyrique française. Elle m’avouera après coup n’y avoir jamais retouché depuis les représentations de La Monnaie vingt ans auparavant. Et pourtant quelle fraîcheur, quelle sensualité dans la voix et l’expression !
L’ovation que le public de l’Athénée lui a réservé lundi soir disait bien l’affection, l’admiration qu’on porte à une belle personne, à une musicienne exceptionnelle, à quelqu’un qui fait partie de notre famille de coeur.
On est habitué aux raretés au Festival Radio France Occitanie Montpellier, c’est même la marque de fabrique de la manifestation qui fêtera son 35ème anniversaire (et sa 36ème édition !) du 10 au 30 juillet prochains (cf. Fervaal de D’Indy le 24 juillet 2019)
C’est nettement moins souvent le cas – euphémisme ! – dans la programmation des saisons d’opéra. Pourtant, entre dimanche dernier et hier soir, j’ai été gâté : une création à Compiègne, une première française (?) à Bordeaux.
Connesson à Compiègne
« Vivre d’amour et d’eau fraîche, c’est une chose. Ç’en est une autre de mourir d’amour et d’eaux thermales… Né de la rencontre du romancier Olivier Bleys et du compositeur Guillaume Connesson, cet opéra-comique contemporain mêle les joies de la répartie, les plaisirs d’une enquête policière, le souffle du thriller, et les vertiges de l’amour au-delà de la mort. Une œuvre moderne à l’ancienne, menée avec finesse, humour, et parfumée de quelques gouttes de fantasmagorie. »
Evidemment, on était intrigué par ce que ce diable de Guillaume Connesson (lire Les nouveaux modernes) tout juste quinquagénaire, à l’éternelle allure de gendre idéal, allait nous réserver dans un genre qu’il aborde pour la première fois.
On se dit d’emblée, dans ce théâtre de Compiègne qui sonne si idéalement bien, qu’il n’y aura pas tromperie sur la qualité de la musique. Les ombres de Poulenc, Fauré, Messager, ces couleurs, alliages instrumentaux et transparences qui ne sont qu’à la musique française, Connesson en fait son miel, et délivre une partition qui tient en haleine tout au long d’une action – un livret du Québecois Laurent Siaud – qui eût gagné à plus de concision, de folie et de rebondissements. On n’est pas loin de partager l’avis de Benoît Fauchetqui assistait à cette création pour Diapason(lire : Guillaume Connesson plonge dans les eaux anciennes de l’opéra-comique.)
Belle distribution, les excellents musiciens de l’orchestre Les Frivolités parisiennes, direction au cordeau d’Arie van Beek.
Le Démon à Bordeaux
Pour une rareté, c’en est une que celle qu’affiche le Grand Théâtre de Bordeaux jusqu’au 9 février : Le Démon, opéra en trois actes d’Anton Rubinstein, composé en 1871 et créé en janvier 1875 au théâtre Marinski de Saint-Pétersbourg, à partir du poème éponyme de Lermontov
Survolant le Caucase, le Démon tombe amoureux de Tamara, une jeune Géorgienne qui attend le retour de son fiancé. L’esprit du mal fait tomber ce dernier dans une embuscade, où il perd la vie. Le Pervers poursuit ensuite la jeune fille, qui court s’enfermer dans un monastère. Le Démon parvient à la convaincre qu’il renoncera au mal pour elle. Tamara meurt lorsque le Démon l’embrasse. Un ange enlève la jeune fille à ce moment. Le Démon continue à rôder, « seul et sans espoir« , dans l’univers.
Pour la première hier soir (et la deuxième représentation demain), le titulaire du rôle-titre, le baryton-basse français Nicolas Cavallier s’était fait porter pâle – une mauvaise angine – C’est un tout jeune chanteur russe, Alexei Isaiev, qui l’a remplacé au pied levé, et avec quelle grâce, quelle musicalité !
Avec dans la voix des couleurs qui rappelaient celles du regretté Dmitri Hvorostovsky – disparu il y a deux ans, vaincu par le cancer – qui chantait ici dans une version de concert ce Démon qu’il incarnait à la perfection.
La mise en scène de ce Démon bordelais est due au directeur du théâtre Helikon de Moscou, Dmitri Bertman. On s’attendait à vrai dire à autre chose que cette vision très datée, très sixties.
C’est sur le plateau et dans la fosse qu’il faut chercher le succès de cette première : surprise de retrouver en Tamara la formidable Evgenia Muravevaqu’on avait tellement aimée dans La Ville mortede Korngoldà Toulouseen décembre 2018. A l’exception du prince Dougal à la voix ingrate et fruste du ténor Alexei Dolgov, tout le reste de la distribution est à louer. De même que les choeurs qui ont fort à faire dans cette partition foisonnante.
Il fallait un chef de l’envergure de Paul Daniel, le toujours inspiré directeur musical de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, pour traduire le foisonnement d’une musique puissamment romantique, sans verser dans Wagner, manier un orchestre mis à rude contribution par le compositeur, tant les changements de décor sonore, d’atmosphère, sont fréquents. Bien sûr on entend souvent Tchaikovski (dont Anton Rubinstein a été le professeur !) et, comme chez tous les Russes, un substrat populaire (certes moins évident que chez Borodine ou Rimski-Korsakov) qui transparaît dans les pages chorales.
On se réjouit de pouvoir écouter bientôt l’ouvrage sur France Musique et on ne peut que recommander à ceux qui le peuvent de se rendre au Grand Théâtre de Bordeaux !
(Domingo Hindoyan, JPR, Paul Daniel)
A l’issue de la représentation, le bonheur de retrouver un autre chef ami, présent à Bordeaux ce jeudi soir pour diriger un programme Schubert/Strauss avec l’ONBA, Domingo Hindoyan, qui sera le 17 juillet à Montpellier, pour diriger son épouse, Sonya Yoncheva, dans Fedora de Giordano, dans le cadre du Festival Radio France 2020 (#FestivalRF20)
(De précieux témoignages de la présence de Louis Jouvetdans ce théâtre qu’il dirigea de 1934 à 1951)
Les infatigables animateurs du Palazzetto Bru Zane(lire Un joyeux anniversaire) y proposaient, depuis le 19 décembre, le délicieux Yes(1928) de l’un des rois français de l’opérette Maurice Yvain(1895-1974). J’avoue que jusqu’à mardi dernier, je ne connaissais de l’ouvrage que cet air savoureux :
On s’amuse beaucoup de ce vaudeville qui a le rythme et la douce folie d’un Feydeau. Toute l’équipe du spectacle doit être citée et félicitée
Totte Clarisse Dalles Loulou / Clémentine Caroline Binder Marquita Negri Emmanuelle Goizé Mme de Saint-Aiglefin Anne-Emmanuelle Davy M. de Saint-Aiglefin Gilles Bugeaud René Gavard, le roi du vermicelle Éric Boucher Maxime Gavard, son fils Célian d’Auvigny César Mathieu Dubroca Roger Flannan Obé
Paul-Marie Barbier direction musicale, piano et vibraphone
Matthieu Bloch contrebasse
Thibault Perriard percussions et piano
J’ai eu la chance de voir les grandes oeuvres de ce maître si atypique, si étonnamment moderne, dans la plupart des musées que j’ai visités dans le monde, Tolède bien sûr (où Le Greco a vécu, travaillé et connu la gloire puis la ruine durant près de quarante ans, de son arrivée en Espagne à sa mort en 1614), Madrid, New York, Paris, Londres, Edimbourgrécemment.
La rétrospective proposée par le Grand Palais à Paris ne manque pas d’intérêt, ni de pertinence pédagogique. D’où vient cette impression qu’il y manque une dimension, l’absence de certaines grandes toiles, comme L’enterrement du comte d’Orgaz ?
Mais les chefs-d’oeuvre ne manquent pas, et on aurait tort de ne pas visiter l’exposition.
(Portrait du cardinal Nino de Guevara – vers 1600)
Toulouse-Lautrec
On ne s’ennuie jamais à lire le jargon des commissaires d’expositions ! L’exposition Toulouse-Lautrecque présente le Grand Palais jusqu’au 27 janvier ne déroge pas à cette crispante habitude qu’ont les grands musées publics de tenir à distance les manants incultes que nous sommes, nous pauvres visiteurs en quête de beauté et d’un peu de culture, par l’emploi de ce langage de spécialistes pour spécialistes.
« Depuis 1992, date de la dernière rétrospective française de l’artiste, plusieurs expositions ont exploré les attaches de l’oeuvre de Toulouse-Lautrec avec la « culture de Montmartre ».
Cette approche a réduit la portée d’un artiste dont l’œuvre offre un panorama plus large.
L’exposition du Grand Palais – qui réunit environ 225 oeuvres – veut, à la fois, réinscrire l’artiste et dégager sa singularité (!!)
Si l’artiste a merveilleusement représenté l’électricité de la nuit parisienne et ses plaisirs, il ambitionne de traduire la réalité de la société contemporaine dans tous ses aspects, jusqu’aux moins convenables.
L’exposition montre enfin comment cet aristocrate du Languedoc, soucieux de réussir, a imposé son regard lucide, grave et drôle au Paris des années 1890 et pourquoi Toulouse-Lautrec s’inscrit comme un précurseur de mouvements d’avant-garde du 20e siècle, comme le futurisme »
Mieux vaut en sourire…
Quoi qu’en dise la présentation, cette expo donne à voir et revoir le Toulouse-Lautrec qu’on a déjà vu cent fois, l’affichiste, l’illustrateur, le peintre de Pigalle et Montmartre. On n’apprend rien de neuf, même si on a plaisir à découvrir quelques toiles moins connues en Europe.
(Portrait de Toulouse-Lautrec par Henri Rachou, 1893)
(Jane Avril dansant, 1892)
(Le divan, 1893, musée de Sao Paulo)
(Clownesse Cha-U-Kao, 1895)
(Au Moulin Rouge, 1892-95, Chicago Art Institute)
(Bal du Moulin de la Galette, 1889)
(Portrait du Docteur Bourges, 1891, Pittsburgh Carnegie Museum)
Je suis, au choix, ou resté un enfant ou devenu un vieux ronchon, mais je ne supporte plus la marchandisation, qui me paraît chaque année plus accentuée, de la fête de Noël. Début novembre, le rayon « décos de Noël » était déjà installé chez mon pépiniériste, et à la mi-novembre, la plupart des villes étaient déjà « enguirlandées » !
(Place de la Comédie à Montpellier)
J’aime me rappeler que, dans ma famille – avant le sinistre hiver 1972(Dernièredemeure) le sapin de Noël et la crèche n’étaient installés, décorés, qu’au tout dernier moment, pour la veillée du 24 décembre, et que mes soeurs et moi les découvrions émerveillés, avec l’odeur des bougies et un disque de Christmas carols sur l’électrophone du salon.
Mais c’était il y a longtemps…
À un ami qui m’interrogeait il y a une semaine sur mes courses de Noël, je répondis que, comme chaque année, j’avais refusé de me prêter à cette course à la surconsommation dans des magasins bondés, et que je trouverais en temps utile les petits cadeaux qui feraient plaisir à mes proches.
Ce que j’ai fait avec un peu d’anticipation ce samedi pour mes petits-enfants, qui avaient émis le voeu – par écrit ! – d’assister à une représentation du Lac des cygnes.
Billets réservés depuis quelques semaines, au prix (très) fort – les organisateurs de spectacles de fin d’année « pour enfants » savent très bien comment plumer les parents et grands-parents ! – pour un spectacle décevant.
Mon premier Lac des cygnesau théâtre Mogador à Paris est présenté comme « un spectacleconté et dansé en deux actes de 40 minutes entrecoupés par un entracte, où l’histoire du « Lac des Cygnes » a été simplifiée pour devenir accessible aux plus jeunes. Il est interprété par une troupe de danseurs professionnels emmenée par Karl Paquette, ancien danseur étoile de l’Opéra National de Paris. »
Spectacle conté ? En voix off (!!) le comédien-français Clément Hervieu-Léger fait une très brève introduction au début de chaque partie, sans aucune explication du déroulement de l’histoire et des scènes qui vont se succéder. Ma petite-fille, 4 ans et demi, qui, elle, connaît par coeur l’histoire du Lac des cygnes, faisait remarquer qu’on s’était moqué de nous !
Quant aux danseuses et danseurs, emmenés par Karl Paquette, danseur étoile tout frais retraité de l’Opéra de Paris, on ne peut pas dire qu’ils se signalaient par leurs qualités d’ensemble et leur homogénéité. Je ne sais ce que l’ancienne directrice de la danse de l’Opéra de Paris qui était dans la salle en a pensé…
Pour oublier ce Lac médiocre, nous nous en fûmes découvrir les Champs-Elysées (question du garçon « Il n’y a pas de gilets jaunes aujourd’hui? » « Ils font grève? »).
Alors quid des cadeaux de Noël cette année ?
Je veux d’abord signaler l’initiative du Festival Radio France Occitanie Montpellierqui met en vente dès maintenant des places – les meilleures ! – pour deux des événements lyriques de son édition 2020, via le site de la FNAC (les billets sont donc accessibles partout !).
D’abord Fedora, l’opéra de Giordano, en version de concert, le 17 juillet 2020, qui marquera le retour à Montpellier de Sonya Yoncheva et de son mari, le chef Domingo Hindoyan (billets en vente ici)
(Domingo Hindoyan et Sonya Yoncheva en juillet 2017 à Montpellier après Siberia de Giordano)
Et comme c’est la spécialité du festival depuis l’origine, une résurrection, l’un des derniers ouvrages de Massenet, son opéra Bacchus(1909), le 25 juillet 2020, sous la houlette de Michael Schonwandt, avec, en tête de distribution, Catherine Hunold et Jean-François Borras (billets en vente ici)
Si vous êtes encore en panne d’idées, quelques conseils de livres ou de disques qui ne devraient pas décevoir…
Ils sont de retour. Encore mieux habillés, encore plus déconnectés. Mais attention : « Tu crois que je suis à côté de la plaque mais ce n’est pas toi qui décides où est la plaque » ! Les poètes du hors-sol. Les timbrés du premier rang des défilés de mode. Tout un monde souvent parisien, toujours à la pointe, jamais épuisés. Loïc Prigent revient avec le dernier bulletin de santé de ses petits camarades du monde de la mode.
On avait adoré le précédent opuscule, dont Catherine Deneuve avait donné un savoureux aperçu sur scène.
Deux ans après sa mort, on lira avec gourmandise le portrait nuancé, fourmillant d’anecdotes, que Sophie des Déserts avait dressé de Jean d’Ormesson. Qui vient de paraître en poche.
Pendant près de trois ans, « le dernier roi soleil » ouvre ses portes à la journaliste Sophie des Déserts. Elle s’approche. Il s’habitue. Ils s’apprivoisent. Une amitié se noue, dans la vérité des derniers temps. Sophie des Déserts voit aussi ses amis, son majordome, sa famille, les femmes de sa vie. Avec l’approbation de « Jean », tous lui parlent. Se livrent. Racontent. Ainsi apparaît Jean d’Ormesson, dans toutes ses facettes, au fil de ces pages lumineuses et sombres parfois, piquantes, drôles, tendres, où se révèle enfin l’homme.
On se précipitera aussi sur le dernier Plantu.
On reste fidèle à Blake et Mortimer et à leurs dernières aventures :
Quant à offrir de la musique, deux propositions qui sortent des sentiers battus.
Le Pointdu 19 décembre fait, sous la plume du vétéran André Tubeuf, l’éloge d’un musicien de 23 ans, Valentin Tournet, « beau et grand garçon, d’un blond tirant sur le roux, qui déjà, de sa taille (1m94) domine le champ de bataille où son arrivée fait quelque bruit ». Laurent Brunner lui a ouvert grand l’opéra et la chapelle de Versailles, et ça donne un premier disque enthousiasmant !
Avant que le deux-cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Beethovenne déferle sur 2020, empressez-vous d’acquérir ou d’offrir la moins chère (env. 20 €) des intégrales des symphonies du maître de Bonn, due au plus méconnu des grands chefs est-allemands du XXème siècle, Herbert Kegel.
Du passé faisons table rase… ou avant moi le déluge ! Quelle étrange et stupide manie de la part de certains directeurs d’institutions culturelles que celle qui consiste à laisser accroire qu’ils ont réinventé le monde et à renier ou cacher ce qui a été fait avant eux.
Ce matin, long reportage sur France 2 sur le spectacle donné au Châtelet à Paris pour ces fêtes de fin d’année : Un Américain à Paris. Interview de certains artistes, interview de l’actuel co-directeur du théâtre parisien qui a rouvert ses portes en septembre après deux ans de travaux. Tout le monde de louer le succès de l’entreprise, qui a tourné pendant cinq ans dans le monde entier, depuis la création de ce spectacle en 2014… au Châtelet à Paris. Mais pas un mot de celui qui avait lancé ce projet un peu fou de transformer en comédie musicale le film de Vincente Minnelli, couronné de six oscars en 1952, avec le couple légendaire formé de Gene Kelly et Leslie Caron… le directeur du Châtelet de l’époque, Jean-Luc Choplin.
Le spectacle proposé ces jours-ici au Châtelet est bien la reprise de celui créé il y a cinq ans !
Jean-Luc Choplin officie désormais au théâtre Marigny, délicieuse bonbonnière, toute refaite de neuf, à quelques mètres de l’Elysée.
Pour les plus anciens d’entre nous, c’est ici que furent captées, et le plus souvent diffusées en direct, les soirées de la mythique émission de Pierre Sabbagh Au théâtre ce soirde 1966 à 1986 !
C’est ici que se donne l’autre succès de cette fin d’année, la comédie musicale Funny Girl, créée le 26 mars 1964 au Winter Garden Theatre de Broadway à New York, par Barbra Streisanddans le rôle principal.
New York, années 1910.
Fanny Brice est la star des Ziegfeld Follies. Alors qu’elle attend la sortie de prison de son mari Nick Arnstein, elle se remémore les étapes de sa carrière, de l’adolescente ingrate à la star reconnue.
Fanny est une adolescente au physique difficile qui ne pense qu’à monter sur scène et qui obtient son premier emploi dans un théâtre de vaudeville.
Après des débuts chaotiques en tant que « chorus girl », elle se fait remarquer comme chanteuse comique et rencontre l’élégant Nick Arnstein.
Ils tombent amoureux dans la grande tradition romantique et se marient.
Mais alors que Fanny devient une star grâce à Florenz Ziegfeld, les affaires de Nick périclitent et il est arrêté.
La comédie musicale se termine là où elle a commencé : Nick revient, et Fanny et lui décident de se séparer.
Une distribution formidable, à commencer par celle qui relève le défi de faire oublier la créatrice du rôle, une boule d’énergie et de talent, Christina Bianco.
Le spectacle est prolongé jusqu’au 7 mars 2020. Aucune excuse pour le manquer !
On ne résiste pas à Feydeau, dont les origines, la vie et la mort sont d’invraisemblables scènes de théâtre.
Georges Feydeau est officiellement le fils de l’écrivainErnest Feydeauet de Léocadie Boguslawa Zalewska, en réalité selon les dires de sa mère, le fils de Napoléon III. Ou du demi-frère de l’empereur, le duc de Morny, lui-même descendant illégitime de Talleyrand !
Il puise son inspiration de sa vie de noctambule triste, notamment chezMaxim’s, au cours de laquelle il perd beaucoup d’argent aujeu, prend de lacocaïne dans l’espoir de stimuler ses facultés créatrices et trompe son épouse avec des femmes et, peut-être, des hommes. Il écrit plusieurs pièces en collaboration, notamment avecMaurice Desvallières7.
En septembre 1909, après une violente dispute avec la coquette Marie-Anne, qui a pris un amant, il quitte le domicile conjugal du 148rue de Longchamp(cette séparation aboutit au divorce en février 1916) et prétextant les embarras d’un déménagement, s’installe pour quelques jours dans un palace tout proche de lagare Saint-Lazare, leGrand Hôtel Terminus, chambre 189,rue de Londres.
Ce lieu devient son domicile pour une dizaine d’années et les murs de sa chambre accueillent des œuvres d’artistes devenus à la mode commeVan GoghouUtrillomais il a vendu la majeure partie de son importante collection. Dans cet hôtel, il commence à s’intéresser aux petitsgroomsde service et en fait apparaître dans ses pièces.
Très aimé de ses contemporains et des autres auteurs, il est témoin avec Sarah Bernhardt, le , au mariage d’Yvonne Printemps et Sacha Guitry, un ami qui le visitera quand il sera interné pour des troubles psychiques dus à la syphilis contractée par le biais d’une jeune travestie dans la clinique du docteur Fouquart à Rueil-Malmaison, pavillon des Tilleuls
Durant un séjour de deux ans dans ce sanatorium où il est soigné par le docteur Bour, Feydeau est atteint tour à tour de surmenage, de délire, de mégalomanie, de paranoïa, il parle aux objets… On essaie de le traiter avec les moyens de l’époque : douches froides, bromure, chloral, sédatifs. Puis on grillage la fenêtre de sa chambre. Il meurt à l’âge de 58 ans, ses funérailles ont lieu à l’église de la Trinité et il est enterré au cimetière Montmartre auprès de son père.
On ne résiste pas à Feydeau, mais Feydeau résiste à l’usure du temps, aux changements d’époque, parfois même aux « adaptations » qu’on lui fait subir.
Le traitement que Zabou Breitman réserve à La Dame de chez Maxim, qui fait salle comble depuis des semaines au théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris, m’a laissé partagé.
D’abord le rôle de la Môme Crevette confié à Léa Drucker ! Un contre-emploi où personne ne l’attendait. Plutôt réussi. Chapeau l’artiste !
On s’interroge, en revanche, sur les coupures qu’aurait pratiquées la metteuse en scène, et surtout sur le recours au travestissement qu’elle opère pour la scène de la noce à la campagne.
Pourquoi rajouter des effets comiques à une mécanique déjà parfaitement réglée par Feydeau lui-même? On ne voit pas ce que cela apporte, en dehors de faire sourire – timidement – la salle.
En revanche, toute la distribution est à louer, à commencer par Anne Rotger, impayable épouse, bigote, trompée, par son grand dadais de mari, Micha Lescot. André Marcon campe un général que sa propre caricature finit par entraîner dans un fou rire communicatif. Tous les autres à l’avenant.
Autre théâtre humain, celui dont la reine Elizabeth est le coeur, celui que dépeint l’excellente série The Crowndont on attendait avec impatience la saison 3.
Il va de soi que The Crown court continûment le risque de verser dans l’élégie ou l’apitoiement à l’égard de personnages que rien ne porte à plaindre a priori. Mais son créateur, Peter Morgan, parvient la plupart du temps à contourner cet écueil, que ce soit par l’humour, la peinture des défaillances des personnages royaux ou, plus encore, au travers du spectre politique britannique que le premier ministre vient dépeindre chaque semaine à la reine. Par ailleurs, la structuration des épisodes et l’intelligence de la mise en scène (notamment dans l’épisode 1) en font une série qui n’innove en rien, mais reste remarquable. (Le Monde, 16 novembre 2019)
L’actrice Olivia Colman incarne Elizabeth II parvenue à la quarantaine.
Je suis sûr que si l’on avait interrogé les téléspectateurs qui ont appris la nouvelle de sa mort hier, la plupart auraient répondu que cette tête leur était familière… mais qu’ils avaient du mal à lui accoler un nom.
Pourtant Michel Aumont, c’était « un sourire et un regard bienveillants/…./Il avait 82 ans. Acteur populaire et élégant, grand comédien de théâtre, il fut aussi un second rôle prolifique du cinéma chez Chabrol, Tavernier, Lelouch, Zidi encore ou Veber. Les planches étaient toute sa vie, sa passion première -il reçut quatre Molière au cours d’une carrière de plus de soixante ans, dont près de quarante à la Comédie-Française dont il était sociétaire honoraire-, mais les écrans, petit et grand, surent utiliser son grand talent. Souvent commissaire, homme de loi ou politique, son visage était connu de tous. Il avait tant tourné aussi pour la télé, comme « les Dames de la côte », feuilleton culte de la fin des années 1970. » (Le Parisien, 30 août 2019).
L’un des personnages importants de la pièce… et de la vie du compositeur est sa femme Pauline, qui a en partie inspiré la Sinfonia Domestica
Mais la présence de Michel Aumont au théâtre, à la Comédie-Française en particulier, fut innombrable et magnifique. Il est pour l’éternité l’Harpagon de l’Avare
J’avais adoré le film de Valérie Lemercier, Palais Royal, à sa sortie en 2005. Michel Aumont y incarne le conseiller/amant cauteleux à souhait de la reine Catherine Deneuve.
Vendredi soir, première parisienne d’un spectacle qui a beaucoup tourné depuis sa création en octobre 2015 à Toulon (sous la direction du chef belge Jean-Pierre Haeck), Mam’zelle Nitouche,l’opérette sans doute la plus connue de Louis-Auguste-Florimond Ronger, dit Hervé.
Au théâtre Marigny, à deux pas de l’Elysée, rouvert depuis quelques mois sous la houlette de l’ancien directeur du Châtelet, Jean-Luc Choplin, qui en a fait un nouveau temple de la comédie musicale et de l’opérette. En l’occurrence, cette série de représentations de Mam’zelle Nitouche – jusqu’au 15 juin – est à l’initiative du Palazzetto Bru Zane. On avait déjà applaudi une première « résurrection » de l’oeuvre d’Hervé due au PBZ, Les Chevaliers de la Table rondeen décembre 2015 !
On ne change pas une équipe qui gagne ! La recette du succès de ces Chevaliersa été appliquée avec bonheur à Mam’zelle Nitouche : la mise en scène loufoque et déjantée de Pierre-André Weitz, la direction spirituelle de Christophe Grapperon (avec, cette fois, dans la fosse, les excellents musiciens des Frivolités parisiennes).
Et une distribution qui ne mérite que des éloges :
Denise de Flavigny / Mam’zelle Nitouche, Lara Neumann Célestin / Floridor, Damien Bigourdan Fernand de Champlâtreux, Samy Camps Le Major, comte de Château-Gibus, Eddie Chignara La Tourière / Sylvia, Sandrine Sutter Le Directeur, Antoine Philippot Lydie, Clémentine Bourgoin Gimblette, Ivanka Moizan Gustave, officier, Pierre Lebon Robert, officier, David Ghilardi Le Régisseur, Piero (alias Pierre-André Weitz)
Au milieu de tout ce petit monde, tour à tour Mère supérieure du couvent de Hirondelles, Corinne, chanteuse de cabaret sur le retour, ou Loriot, Olivier Py s’en donne à coeur joie.
L’apparition de Sainte Nitouche au dernier acte n’est pas la moins réussie des surprises que nous réserve la mise en scène de Pierre-André Weitz !
Bref, on s’amuse beaucoup. Même si le sujet est un peu daté, la substance musicale un peu courte. On en redemande !
Toujours cette méfiance initiale pour les pièces à succès. Ridicule, comme si le succès était nécessairement démagogique…
Après le Tartuffed’Arditi et Weber, au théâtre de la Porte Saint-Martin (lire La Scala et Tartuffe), j’ai finalement vu une pièce de Florian Zeller, qui enchaîne les succès sur les planches.
J’avais deux bonnes raisons de voir la reprise du Fils, une histoire de père, de mère, et d’enfant. Histoire de culpabilité qui lamine ; histoire d’écritures aussi… Que Florian Zeller s’attaque au Fils, et on a l’impression que la boucle est bouclée, ou plutôt une trilogie familiale patraque et disloquée. En 2010, il créait la Mère, personnage ultra dépressif magistralement interprété par Catherine Hiegel. En 2012, vint un Père possédé par Alzheimer qu’incarnait superbement Robert Hirsch. Voilà qu’apparaît aujourd’hui ce fils adolescent en proie au naufrage intérieur — Nicolas —, que le metteur en scène Ladislas Chollat, habitué des univers tortueux de Zeller, a confié au jeune et très électrique acteur de cinéma Rod Paradot (Télérama).
Ma deuxième raison, c’était Florence Darel, l’amie, l’épouse de Pascal Dusapin, l’actrice de cinéma (Rohmer, Biette, Rivette…) encore jamais vue – à ma grande honte – sur une scène de théâtre.
(Ici chez Chaumette, en janvier 2015, avec, de gauche à droite, Pascal Dusapin, FlorenceDarel, Daniel Harding et Barbara Hannigan)
Comment qualifier ce qu’on a vu à la Comédie des Champs-Elysées ? On a craint au départ, avouons-le, d’assister à une sorte de télé-réalité, une suite de séquences assez convenue – un divorce, un ado mal dans sa peau, des personnages de parents un peu caricaturaux -, et puis on s’est laissé prendre comme le critique de Télérama :
« Le drame de Zeller bouleverse parce qu’il raconte — pour une fois sobrement — tout ce que la douleur d’un enfant qui se tait, qui ne peut plus parler, peut avoir de tragiquement énigmatique. Rendant l’entourage impuissant et même l’amour inutile. Les scènes s’enchaînent ; sèches et cliniques. Le père et sa jeune épouse tentent de remettre Nicolas dans les rails ; sa mère le couve désespérément de loin. « Le mal vient de plus loin », dirait la Phèdre de Racine. D’où ? C’est l’horreur sans fond des indicibles peines et invincibles chagrins, de ces abîmes de l’être dont nul n’est responsable ni coupable que Florian Zeller donne à pressentir ici avec une lumineuse et terrible délicatesse. Dans des décors presque abstraits, comme pour parer à la difficulté d’exister, Ladislas Chollat a dirigé avec rigueur ses acteurs. Et tous sont d’une magnifique et émouvante justesse. Qui concernera bien des pères, bien des mères. Bien des adolescents peut-être. »
Les larmes affleurent plus d’une fois. Tous les acteurs sont justes, vraisemblables, pudiques. Une pièce à voir assurément, au risque d’une émotion persistante.