La planète Holst

Voici un compositeur qui n’est l’homme que d’une seule oeuvre, passé à la postérité grâce à un titre et un tube qui fait le bonheur des chefs et des orchestres depuis 104 ans : Les Planètes. C’était encore le cas le 6 mars dernier avec Daniel Harding dirigeant l’Orchestre philharmonique de Radio France (lire Planètes parisiennes)

Gustav Holst, né il y a 150 ans le 21 septembre 1874, mort il y a 90 ans le 25 mars 1934, est un personnage qui mérite bien mieux que cette célébrité univoque.

J’invite à lire l’excellent article que Mark Pullinger consacre – en anglais – au compositeur britannique sur Bachtrack = Gustav Holst Top Ten

J’en traduis ici les premières lignes :

« Holst naît à Cheltenham le 21 septembre 1874 de parents musiciens, un père suédois et une mère anglaise. Il étudie le piano et le violon, mais une névrite au bras droit lui a rend la pratique du piano difficile (c’est la raison pour laquelle il dirigeait de la main gauche). Il avait une mauvaise vue et fut plus tard déclaré inapte au service militaire pendant la Grande Guerre. Le jeune Gustav commence à jouer du trombone, son père pensant que cela pourrait l’aider à lutter contre son asthme. Gustav étudie la composition au Royal College of Music avec Charles Villiers Stanford. Holst se passionne pour la musique de Wagner et en insère des bribes dans sa musique ; Stanford désapprouve: « Ça ne va pas, mon garçon, ça ne va pas. »

Au Royal College of Music, Holst rencontre Ralph Vaughan Williams. Ils deviennent amis pour la vie, partageant une fascination pour la chanson folklorique. Les deux partent en vacances pour collecter des chansons populaires, qu’ils utilisent chacun dans leur musique. En 1949, Vaughan Williams écrira que « Holst déclarait que sa musique était influencée par celle de son ami : l’inverse est certainement vrai. »

On doute que le sesquicentenaire(*) de Holst, en dehors de sa terre natale, contribue à enrichir la connaissance de son oeuvre par les publics continentaux. Suivons donc le guide Mark Pullinger qui recommande les 10 oeuvres à connaître de Gustav Holst :

Sur les Planètes, je renvoie à mon propre article (De la terre aux étoiles) et à l’une de mes versions favorites :

2. Egdon Heath (1927) est sans doute la pièce symphonique la plus achevée et la plus « moderne » de son auteur, celle dont en tout cas il était le plus fier, après le « fardeau » que représentait le succès planétaire des Planètes


3. Beni Mora (1912) est une pièce pour grand orchestre – qui précède donc Les Planètes – tout à fait étonnante; Holst l’écrit après un voyage en Algérie en 1908, où il a recueilli nombre de rythmes et de mélodies dans les rues d’Alger. Il en tire une musique qui évite l’orientalisme facile et qui, notamment dans le 3e mouvement, annonce le mouvement minimaliste par la répétition 163 fois d’un motif de huit notes joué à la flûte.

4. St.Paul’s suite (1913)

Charmante pièce pour cordes, composée pour l’orchestre d’étudiants de la St.Paul’s Girl School de Londres, elle fait le bonheur des orchestres de chambre.

5. The Perfect Fool (1923)

De l’opéra ouvertement symboliste de Holst, créé à Covent Garden le 14 mai 1923, on ne joue plus guère que les pièces du ballet.

6. The Hymn of Jesus (1920)

Un compositeur anglais qui n’écrit pas pour le choeur, ça n’existe pas. Non seulement Gustav Holst n’a pas échappé à la règle, mais c’est avec cette grande oeuvre de 1920 The Hymn of Jesus qu’il a connu son plus grand succès public (en dehors des Planètes).

Dans le même registre, on peut citer une autre fresque chorale The Cloud Messenger

7. Savitri (1908) est un opéra de chambre qui reflète la passion nourrie par le compositeur pour l’hindouisme, le sanskrit (qu’il apprend) et les légendes indiennes.

Mais toute l’oeuvre de Holst, qui est relativement peu abondante en regard de ses contemporains, mérite une écoute attentive. C’est une figure profondément originale dans un univers largement dominé par Elgar.

Quelques disques/coffrets recommandés :

(*) sesquicentenaire = 150e anniversaire

Les secrets de God Save the King et d’autres

L’hymne britannique figurait évidemment en première place des musiques jouées pour le couronnement de Charles III (lire Coronation Music), pour la plupart composées spécialement pour l’occasion

Une légende versaillaise

J’ai longtemps cru et propagé ce qui semble n’être qu’une légende : l’hymne britannique serait d’origine française, un motet composé par Lully pour saluer le « sauvetage » de Louis XIV opéré d’une fistule anale. La réalité semble un peu plus complexe, et peut-être moins scabreuse comme l’a démontré l’excellent Jean Lebrun dans un podcast (Le Vif de l’histoire), à lire et/ou écouter ici.

On lira aussi avec profit la notice très détaillée de Wikipedia : God Save the King

Coronation Anthems

Avant sa mort en 1727, le roi George Ier signe l’acte de naturalisation d’un compositeur allemand né en 1685 à Halle, installé depuis 1712 en Grande-Bretagne, George Frideric Haendel. C’est donc à un compositeur anglais qu’on doit les quatre hymnes écrits pour le couronnement, le 11 octobre 1727, du roi George II et de la reine Caroline, les fameux Coronation Anthems, et en particulier le plus spectaculaire d’entre eux, Zadok the Priest :

« Zadok, the Priest, and Nathan, the Prophet, anointed Solomon King;and all the people rejoic’d, and said:God save the King, long live the King, may the King live for ever!Amen! Alleluja!« 

La construction musicale de cette pièce reste toujours aussi impressionnante : ce lent crescendo sur un tapis de cordes en ‘arpèges qui semble venir de loin, comme une procession qui s’annonce, et qui débouche sur une explosion jubilatoire du choeur, j’en éprouve des frissons à chaque écoute, et bien sûr en situation comme à Westminster le 6 mai.

La version qui m’a fait découvrir ces quatre Anthems est celle de Neville Marriner et son Academy of St Martin in the Fields.

William le royal

On ne va pas ici de nouveau se lamenter sur l’ignorance dans laquelle on tient, sur le continent, la musique anglaise du XXème siècle (un festival – lire Festival d’inconnus – est loin d’avoir suffi à corriger cette désastreuse situation). Qui, chez nous, en dehors peut-être de deux ou trois oeuvres, connaît la personnalité originale, singulière de William Walton (1901-1983) ?

Walton a été sollicité à deux reprises, pour les couronnements de George VI en 1937 – Crown Imperial March -et d’Elizabeth en 1953 – Orb and Sceptre

Mais il faut bien sûr écouter, découvrir, une oeuvre protéiforme, souvent audacieuse, non conformiste, qui se distingue de ses contemporains Vaughan Williams ou Britten par exemple.

Dans l’excellente série British Composers de Warner (ex-EMI), on retient deux coffrets passionnants :

André Previn fut un ardent promoteur de la Première symphonie (1932)

Pomp and Circumstance

Tout le monde connaît la première des cinq marches intitulées Pomp and Circumstance d’Edward Elgar, qui, sur des paroles d’Arthur Christopher Benson devient Land of Hope and Glory pour le couronnement en 1902 d’Edouard VII qui, comme Charles, mais un peu moins longtemps que lui, aura attendu 60 ans pour succéder à sa mère la reine Victoria.

Lors du couronnement de Charles III, c’est la quatrième de ces marches qui fut jouée pour la sortie du cortège royal.

Parry dans l’ombre

I was glad le 6 mai c’était lui : Hubert Parry (1848-1918), Jerusalem, cet incontournable de chaque Last night of the Prom’s, c’est encore lui.

Hubert Parry est inhumé dans la crypte de la cathédrale St Paul de Londres.

Hubert Parry c’est un peu le chainon manquant entre Purcell, Haendel et le XXème siècle anglais. Pas le génie d’un Elgar ou d’un Vaughan Williams, mais une oeuvre chorale et symphonique qui mérite l’écoute et qu’a si bien illustrée Adrian Boult.

Couronnement

Puisque que, grâce à France 2, puis France 3, dans les journaux télévisés du 4 mai,

nul n’ignore plus que j’ai passé ce week-end à Londres avec mon petit-fils, je me sens comme une obligation de raconter comment nous avons vécu l’événement du couronnement de Sa Majesté le roi Charles III et de son épouse la reine consort Camilla.

La décision de Londres a été prise au dernier moment, je pensais que cela plairait à mon petit-fils en vacances de découvrir Londres à l’âge auquel je l’avais moi-même fait, et dans une circonstance ô combien exceptionnelle.

Outre la surprise de la télévision française nous cueillant à la sortie de l’Eurostar, nous eûmes le même soir celle de croiser sur le trottoir devant l’hôtel le Français le plus anonyme de Londres et le plus célèbre de France, l’invisible Jean-Jacques Goldman. Oui le vrai !

Décalage

On nous avait tellement annoncé l’effervescence qui s’emparait de la capitale britannique, des flots de touristes qui allaient s’y déverser, que j’ai été le premier surpris, d’abord de la facilité à trouver des places dans l’Eurostar, puis dans un hôtel de moyenne catégorie près de St.Pancras, et surtout du peu de cas qu’on semblait faire du couronnement de Charles III, en dehors de quelques artères très centrales de Londres (comme ci-dessous Regent Street)

Je me rappelle, tant pour les jubilés d’Elizabeth II que pour les mariages de William et Harry, la frénésie qui s’était emparée de tous les magasins de souvenirs. Rien de tel ici, j’ai même eu de la peine à trouver pour mon petit-fils un mug souvenir de cette journée.

Aucun d’entre nous, sauf peut-être ma mère qui a assisté, à Londres, au couronnement d’Elizabeth en 1953, n’a d’élément de comparaison quant à la cérémonie elle-même, censée être plus courte pour Charles que pour sa mère. N’eût été une partie musicale d’une exceptionnelle qualité, on se serait royalement ennuyé à ce cérémonial d’un âge vraiment révolu, même si les commentaires, brefs, concis et informés, des chaînes anglaises sur lesquelles on a regardé le couronnement, étaient de nature à informer le téléspectateur de 2023.

À mon petit-fils qui me demandait pourquoi Harry n’était pas avec son père, placé plusieurs rangs derrière son frère William, je fus bien incapable de donner une réponse convaincante. Au moins Charles aurait-il pu réunir ses deux fils sur le balcon de Buckingham, ça aurait eu de la gueule !

L’un des célèbres Coronation Anthems de Handel, Zadok the Priest, retentit tandis que Charles était oint des huiles saintes à l’abri des regards.

Nous étions allés faire quelques repérages vendredi après-midi – il faisait encore beau temps ! – dans les alentours du Mall et de Buckingham Palace, nous avons été enfermés une heure durant dans le parc de St James, les milliers de piétons que nous étions étant empêchés de traverser aux rares points de passage, puisque la priorité semblait être de laisser passer les quelques voitures, officielles ou non, qui pouvaient circuler dans le secteur. Je préfère ne pas me demander ce qui se serait passé si la foule avait été plus pressante ou si un fou s’y était baladé avec un couteau (puisque personne n’était contrôlé). Bizarre conception de la gestion de foule…

Mais j’aime l’Angleterre, où je n’étais plus revenu depuis 2014. Et j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à montrer à celui que France 2 a appelé Gabriel, des lieux qui me sont familiers

J’ai aussi constaté les ravages du Brexit, l’inflation galopante. Quelques discussions avec des vendeurs, des serveurs de restaurant, des employés de monuments historiques ou d’attractions, m’ont confirmé que le Royaume-Uni traverse une très mauvaise passe et que les temps sont très durs pour tout le monde. Tout est incroyablement cher, l’entrée d’un musée, un simple repas… Il est très loin le temps où on venait faire ses emplettes du côté de Jermyn Street ou de Covent Garden.

Je reviendrai une autre fois sur les musiques jouées pendant ce couronnement. Notons tout de même qu’il n’y a que les Britanniques qui soient capables d’aligner autant de talents, de parer leurs cérémonies d’autant de musique.

Stephen Hough

Je me réjouissais d’entendre Stephen Hough jouer, jeudi soir, au Royal Festival Hall, le 3ème concerto de Beethoven, aux côtés du Philharmonia, dirigé par un chef que je ne connaissais pas, Ryan Bancroft.

Disons pudiquement que je n’ai guère été convaincu par le chef, un peu surpris, sans aller jusqu’à la déception, par le jeu et les partis-pris du pianiste. Pas grave, mon petit-fils aura apprécié le grand son du Philharmonia et l’acoustique idéale du Royal Festival Hall.

Menahem Pressler (1923-2023)

Au moment de boucler cet article, j’apprends la disparition de Menahem Pressler, à quelques mois de son centenaire. J’y reviendrai bien sûr, mais j’ai déjà beaucoup écrit sur le fondateur du légendaire Beaux-Arts Trio. Dernier grand souvenir, partagé par le public du Festival Radio France à Montpellier, en juillet 2016, deux jours après l’épouvantable attentat de Nice : La réponse de la musique

So British

#FestivalRF22 #SoBritish

Les Anglais ne font rien comme tout le monde (cf. la situation politique actuelle !), c’est d’ailleurs pour cela qu’on les aime. Et pour cela qu’on leur consacre un Festival (lefestival.eu).

Mais contrairement à mes billets précédents (A Sea Symphony, La mer qu’on voit danser), je ne vais pas parler d’oeuvres ou d’artistes programmés à Montpellier ce mois de juillet, mais d’un label britannique, Alto, qui recycle, réédite des enregistrements parus sous d’autres étiquettes, souvent disparues, et dont le catalogue semble inépuisable et accessible à petit prix sur des sites britanniques (comme prestomusic.com).

Il y a peu, Jean-Charles Hoffelé signalait (Nuits de pleine lune) la réédition d’un disque Falla par Alicia de Larrocha naguère paru chez Hispavox, avec la première version enregistrée par la pianiste espagnole des Nuits dans les jardins d’Espagne

En prévision de l’été, j’ai bien sûr commandé ce disque et une palanquée d’autres, parmi lesquels je recommande aujourd’hui des « produits » typiquement britanniques, qu’on n’imagine simplement pas sous les labels français ou allemands.

Un programme parfait pour le Tea Time…

Plus original encore cette compilation qui donne à entendre les orgues des grandes cathédrales d’Angleterre et leurs titulaires. Suivez le guide !

Heureux d’entendre le Carillon de Westminster de Louis Vierne sur l’instrument de la célèbre cathédrale londonienne de… Westminster

Originalité encore avec le compositeur Samuel Coleridge-Taylor, né à Holborn en 1875 d’un père originaire de Sierra Leone et d’une mère anglaise, mort à Londres en 1912.

Amadeus Corea

Chick Corea est mort hier, des suites d’un « cancer rare » selon les médias, à quelques semaines de son 80ème anniversaire.

C’est curieusement par et dans Mozart que j’ai découvert le jazzman. Il fallait être Harnoncourt pour réunir en 1989 deux personnages, deux personnalités aussi contrastées que Friedrich Gulda et Chick Corea pour enregistrer le concerto pour deux pianos de Mozart. Oserai-je dire, sans attenter à la réputation du pianiste autrichien, que les incursions de Gulda dans le jazz – même s’il pouvait être un improvisateur génial en concert – ne m’ont pas toujours convaincu ? Tandis que Chick Corea m’a toujours semblé être chez lui dans Mozart.

Autre témoignage très émouvant de la pratique mozartienne de Chick Corea, cette vidéo d’un concert partagé avec un autre géant du jazz… et du classique, Keith Jarrett, qui a dû renoncer à jouer, en raison d’une paralysie consécutive à deux AVC.

Il y a un autre disque que je chéris comme un trésor, Mozart encore cette fois avec Chick Corea et Bobby McFerrin. Une vision si libre et joyeuse, conforme à l’esprit d’un Wolfgang qui ne se privait pas d’improviser au clavier. « Cette pratique abandonnée depuis longtemps est l’un des éléments du style mozartien que le chef d’orchestre Bobby et le pianiste Chick Corea explorent dans The Mozart Sessions, qui comprend des enregistrements des Concertos pour piano n ° 20 de Mozart en ré mineur, K.466 et n ° 23 en la. Major, K.488, joué avec le Saint Paul Chamber Orchestra. Les sessions Mozart sont sorties en octobre 1996. Non seulement Corea joue ses propres cadences dans les concertos, mais lui et Bobby associent leurs improvisations individuelles pour conduire l’auditeur directement dans chacun des concertos. Ce qui rend ces improvisations si inhabituelles est le fait que Bobby et Chick, un pianiste de jazz, apportent leurs propres styles créatifs distinctifs à la musique de Mozart. L’improvisation était considérée comme un talent essentiel pour un pianiste de concert à la fin du 18e siècle. Mozart et Beethoven ont ébloui le public par leur talent d’improvisation » (Chick Corea : The Mozart Sessions)