Je pense souvent à Liège, on n’oublie pas quinze ans de vie et de travail. Je me demande ce que deviennent les uns ou les autres, que j’ai de près ou de loin connus. C’était le cas récemment pour un personnage qui a beaucoup compté pour moi : il était le presque inamovible échevin de la Culture (adjoint au maire) de Liège et surtout président de l’Orchestre philharmonique de Liège, lorsque j’ai été recruté comme directeur général il y a exactement 26 ans, le 1er octobre 1999 (lire Liège à l’unanimité) Hector Magotte est décédé le 26 septembre dernier à l’âge de 91 ans. Ses obsèques ont lieu aujourd’hui à Liège.
Je retrouve un article de La Libre Belgique de 2001 qui décrit bien la personne que j’ai connue, échevin de la Culture pendant 18 ans, profondément humaniste, amoureux de culture et d’histoire, un homme de bien comme il n’en existe plus guère. Il n’a jamais été remplacé, même s’il a eu des successeurs dans cette fonction.
Meurtre à Tours ?
Je connaissais Denis Raisin-Dadre évidemment de réputation – j’aurais pu le citer dans mon récent article Les défricheurs pour tout ce qu’il a fait pour nous restituer des pans entiers de répertoire de la Renaissance. Il est mort ce 29 septembre à Tours, dans des circonstances suspectes, puisque le procureur de la République a déclenché une enquête pour meurtre…
Brigitte Engerer rééditée
Il y a des rééditions aussi bienvenues qu’incompréhensibles. Je me réjouissais de voir Harmonia Mundi regrouper dans un coffret les enregistrements que la toujours si regrettée Brigitte Engerer (1952-2012) avait donnés au label français – après une très belle série pour Philips (lire Pour Brigitte).
CD1 Moussorgski LesTableaux d’une exposition+ pièces pour piano
CD2 BeethovenRondos, Variations sur Les Ruines d’Athènes, Lettre à Elise, Sonate 31
CD3/4 ChopinNocturnes
CD5 SchumannScènes d’enfants, Carnaval / Schumann-Liszt Er sit’s, Frühlingsnacht, Liebeslied / Clara SchumannGeheimes Flüstern
Beau texte d’hommage d’Alain Lompech !
On peut imaginer l’émotion que je ressens encore aujourd’hui à revoir et réécouter justement cette mélodie de Schumann transcrite par Liszt, Liebeslied, jouée par Brigitte Engerer à Liège lors de la Nuit du piano que je lui avais demandé de parrainer, et même d’organiser.
Mais pourquoi diable si Harmonia Mundi voulait rendre à Brigitte le juste hommage qui lui est dû, pourquoi ne pas avoir intégré à ce coffret les six disques de musique de chambre qu’elle a aussi enregistrés et qui sont mentionnés dans le livret du coffret ? Question sans réponse…
PS Il faut regarder jusqu’au bout cette vidéo de la Nuit du Piano : on y voit et entend un duo unique, qui ne s’est jamais reformé depuis, entre les fabuleux Severin von Eckardstein et Benedetto Lupo, donnant une extraordinaire version de la Suite pour 2 pianos de Rachmaninov !
Le 1er Mai pour les musiciens de l’Orchestre philharmonique de Berlin c’est toujours un jour travaillé. La preuve en a encore été donnée ce 1er mai 2025 dans le merveilleux théâtre Petruzzelli de Bari (Italie) avec Riccardo Muti (concert diffusé sur Arte Concert)
Depuis 1991, les Berliner Philharmoniker célèbrent le 1er mai, et l’Europe, grâce à un très généreux sponsor, en visitant les plus beaux lieux d’Europe, où les concerts sont captés et télévisés.
Les 25 premières années ont été rassemblées dans un coffret de DVD
En général, le soliste et/ou le chef de ces concerts ont un rapport avec le lieu ou la salle choisis.
C’est ainsi que le 1er mai 2003 Pierre Boulez dirigeait les Berlinois à Lisbonne avec comme invitée, une Lisboète pur jus, Maria-João Pires.
Deux ans avant, les mêmes jouaient à Istanbul, sans qu’il y ait aucun rapport entre les nationalités du soliste, Emmanuel Pahud (français et suisse) et du chef Mariss Jansons (letton).
J’ai un temps caressé l’espoir d’accueillir l’Orchestre philharmonique de Berlin à Liège, dans la merveilleuse Salle Philharmonique. Emmanuel Pahud, qui faisait alors partie du board de l’orchestre, m’avait dit que l’orchestre était toujours en quête de lieux chargés d’histoire pour leur 1er Mai… et qu’il n’avait encore jamais joué à. cette occasion en Belgique. Entre temps j’ai quitté Liège et le projet n’a jamais vu le jour..
Et en 2019 c’était au Musée d’Orsay à Paris d’accueillir les Berlinois avec Daniel Harding et Bryn Terfel
Mais impossible de ne pas évoquer la figure de la grande compositrice russe, qui vivait en Allemagne depuis 1991, Sofia Gubaidulina disparue ce 13 mars: lire l’excellent article que lui consacre Diapason.
Quelques souvenirs de concert me reviennent, dont un qui avait marqué le public de Liège, pour qui le nom même de la compositrice était inconnu et qui avait pourtant rempli la Salle philharmonique en 2005. Mais c’était une star du violon – Vadim Repin – qui jouait ce soir-là Offertorium, demeurée l’oeuvre concertante la plus célèbre de son auteur.
Ravel à Monte Carlo : un centenaire
Je suis ce week-end à Monte-Carlo pour « couvrir » plusieurs concerts du Printemps des Arts pour Bachtrack. Mon ami Jean-Louis Grinda, authentique Monégasque, qui, après l’Opéra royal de Wallonie à Liège, a dirigé de 2007 à 2023 l’Opéra de Monte-Carlo, y met en scène le spectacle qui réunira fin mars les deux ouvrages lyriques de Ravel : L’enfant et les sortilèges et L’heure espagnole
C’est en effet il y a quasiment un siècle, le 21 mars 1925, que la fantaisie lyrique composée par Ravel et Colette, fut créée ici même, à l’Opéra de Monte Carlo, alors dirigé par l’indétrônable Raoul Gunsbourg.
Au disque, j’ai toujours les mêmes (p)références : Lorin Maazel et Armin Jordan
Mais qu’il s’agisse de l’une ou l’autre oeuvre, il faut les voir sur scène, pour les goûter pleinement. J’ai deux souvenirs récents et lumineux dont j’ai rendu compte pour Bachtrack :le très poétique spectacle de l’Opéra Garnier à Paris, en novembre 2023 – Un Ravel de féérie à l’Opéra de Paris,
En commençant ce que j’imaginais comme une série (Il y a dix ans : l’annonce), je pensais avoir bien des choses à raconter sur mes années Liège, les gens que j’y ai côtoyés, etc. Et puis finalement je ne l’ai pas fait, ou très peu. C’est loin maintenant, il y a tout juste dix ans justement je refermais définitivement quinze ans de ma vie, après avoir vidé les lieux où j’ai vécu.
Les amis que j’ai gardés n’ont pas besoin que je rappelle ici la fidélité de nos liens, au sein comme en dehors de l’Orchestre. Les bons souvenirs sont infiniment nombreux, tellement plus que les déceptions humaines que l’on éprouve inévitablement quand on est aux responsabilités. Il y a tant de gens qui savent ce qu’il faut faire et qui ne font jamais, et si peu qui font et laissent une trace.
Il y a surtout toute la musique qui reste. Et cette richesse de souvenirs que je continuerai d’évoquer ici.
Parmi ces souvenirs des programmations que nous avons inventées pour élargir les publics de la Salle Philharmonique, il a Lionel Meunier et son ensemble Vox Luminis. Et ce coffret – 20 ans déjà ! – absolument indispensable. Le cadeau idéal pour Noël.
Plutôt sourire que s’offusquer
Elle n’est pas antipathique, mais elle n’est sans doute pas la plus grande pianiste du moment, même si elle bénéficie d’une intense campagne de promotion plutôt rare dans le domaine de la musique classique. Mais pourquoi l’exposer au ridicule et à la caricature ? Le texte qui est paru sur son dernier disque est navrant : n’y a-t-il plus personne dans les maisons de disques qui connaisse la musique et soit capable de relire et corriger cette piètre présentation truffée d’erreurs et d’approximations que même un non-mélomane repère immédiatement ?
Un conseil amical à K.B. : réécouter son aîné Wilhelm Kempff et l’authentique simplicité de Mozart.
ou, dans une autre optique, Vladimir Horowitz…
Encore une pépite
Parmi les pièces entendues – et découvertes – jeudi dernier à la Cité de la musique (lire Quandelles chantent), il y avait ce trop court extrait d’un quatuor avec piano de Louise Héritte-Viardot, qui me met toujours d’excellente humeur, et qui contrebat l’espèce d’état mélancolique qui me saisit toujours à l’approche des fêtes.
Comme je le rappelais dans le premier épisode de la série Il y a dix ans, l’Orchestre philharmonique royal de Liège entreprenait au printemps 2014 une nouvelle tournée en Suisse et en Autriche, qui avait commencé à Bâle le 18 mai.
A propos de cette belle ville frontalière de la France et de l’Allemagne, je ne peux m’empêcher de raconter à nouveau une anecdote vécue sur l’antenne de France Musique, il y a heureusement bien longtemps. Un présentateur devait annoncer puis désannoncer un disque enregistré par Armin Jordan dirigeant l’orchestre symphonique de la ville suisse. En anglais comme en allemand, Bâle se dit Basel. Et la dénomination allemande de l’orchestre est : Basler Sinfonie-Orchester. Ce qui donna sur France Musique : « Armin Jordan(e) dirige l’orchestre Basler » ! Rien de grave franchement, juste amusant.
Donc, le 18 mai 2014, l’OPRL était à Bâle, et j’en avais profité pour dresser le portrait d’une personnalité exceptionnelle liée à l’industrie pharmaceutique qui a fait la fortune de la cité suisse, Paul Sacher. Lire Le mécène musicien.
On pourrait suggérer à Warner de rééditer le legs discographique passionnant de ce monument du XXe siècle :
Il y a cinq ans, j’avais assisté à Liège au dernier concert de Christian Arming en sa qualité de directeur musical de l’OPRL (lire Fidélité). C’est lui qui très logiquement dirigeait la tournée de l’orchestre au printemps 2014, j’en reparlerai dans quelques jours à propos de l’étape viennoise.
C’est encore Christian Arming que j’accueillerais plusieurs fois à Montpellier (voir Ils ont fait Montpellier : Top chefs), notamment en 2018 avec les Liégeois et en ouverture de programme le chef-d’oeuvre du compositeur Guillaume Lekeu (1870-1894)
Dans le bilan que je tirais de la dernière édition du Festival Radio France que j’ai organisée à Montpellier, en 2022, j’écrivais, pour commenter les bons résultats de ce cru, qui ne retrouvaient cependant pas l’étiage de 2019 de l’avant-COVID :
« On n’a pas fini de mesurer les changements profonds que la pandémie a engendrés pour les artistes comme pour le public. »
« Il y a bien un avant et un après et il ne faudra pas se contenter de généralités approximatives si l’on veut comprendre les nouvelles attentes d’un public qui s’est déjà largement renouvelé ».
J’ai appris depuis longtemps qu’il ne fait pas bon jouer les Cassandre. Je n’ai jamais, pour autant, restreint ma liberté de parole (cf. L’Absente), et ce n’est pas maintenant que je ne suis plus « en responsabilité » que je vais changer.
On lit depuis quelques jours des articles alarmistes sur les restrictions imposées aux grands établissements culturels (voir l’article du Monde daté du 4 avril) le gouvernement, après sa période de prodigalité – qui a tout de même sauvé des pans entiers de notre économie, dont la culture – étant contraint de serrer la ceinture budgétaire à tout le monde. Et voici que, dans Le Monde de ce week-end, Michel Guerrin balance quelques vérités très bonnes à dire… et confirme deux ans après ce que je pressentais en 2022. :
« Les 3 milliards d’euros injectés pour sauver la culture lors de la crise liée au Covid-19 n’ont pas été l’occasion de réformer un secteur marqué notamment par une offre surabondante. Au point que le monde du spectacle, déjà mal en point avant la pandémie, se retrouve dans une situation pire depuis »
« L’Etat a sauvé la culture sans vraiment évaluer les besoins ni jauger les résultats. Il a piloté à vue, provoquant quelques beaux gâchis, et continue de naviguer dans le brouillard.
Je fais une incise pour rappeler que je ne suis pas un grand fan de la Cour des comptes en matière de culture. Je me rappelle quelques entretiens surréalistes, lorsque j’étais à Radio France, avec des inspecteurs de la rue Cambon (siège de la Cour des Comptes), qui démontraient de leur part une méconnaissance totale de la matière qu’ils étaient censés contrôler… J’invite à relire l’article que j’avais consacré à ce sujet il y a un an : Trop de musique ? où je rappelais que « si le général de Gaulle affirmait en 1966, à propos de la Bourse : « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille », on renverrait bien la formule aux magistrats de la rue Cambon : « La politique culturelle de la France ne se fait pas à la Cour des Comptes«
Mais je suis – malheureusement – d’accord avec la Cour des comptes et surtout Michel Guerrin lorsque ce dernier écrit :
L’essentiel des griefs est à venir. L’argent ne devait pas servir seulement à sauver le secteur culturel, mais à le moderniser en profondeur : estimer ce qui marche ou pas, définir des priorités. Il ne s’est rien passé, ou presque, déplorent les magistrats. Pire, de l’argent a été investi dans des programmes en dépit du bon sens. L’Etat n’a pas fait la différence entre un théâtre qui allait mal à cause de la crise liée au Covid-19 et un autre, déjà malade auparavant en raison de dysfonctionnements profonds. Des lieux se sont retrouvés avec plus d’argent que le ministère ne leur en donnait en temps normal.
Le résultat ? L’argent du Covid-19 a fait grossir l’offre culturelle. C’est effarant, car aujourd’hui, alors que la pandémie semble loin, le monde du spectacle, déjà mal en point auparavant, se retrouve dans une situation pire. Des théâtres et des opéras n’ont plus l’argent nécessaire pour produire une saison pleine ; ils suppriment une pièce ou une chorégraphie, écartent de jeunes artistes au profit de noms qui font remplir la salle. » (Michel Guerrin, Le Monde 6/7 avril 2024)
Je ne connais pas le détail des arbitrages de la ministre de la Culture, et surtout de Bercy : Rachida Dati affirme qu’elle a tapé dans le porte-monnaie des gros pour préserver les petits, notamment en province (oups, pardon, « les territoires »).
Responsabilité collective
Mais ces réductions venant de l’Etat ne doivent pas masquer un phénomène beaucoup plus large et nettement plus préoccupant. Puisque la plupart des structures culturelles ne dépendent que marginalement du ministère de la Culture, tout ce qui est spectacle vivant, diffusion et production de l’activité culturelle, est directement touché par les décisions des collectivités territoriales. On en sait quelque chose dans les villes gérées depuis 2020 par les écologistes (Lyon, Strasbourg) ou certaines régions gérées par la droite (comme Auvergne-Rhône-Alpes). Mais, de manière moins visible, il n’est pas une région française, de gauche ou de droite, qui n’ait sensiblement réduit sa contribution aux structures culturelles, tout en proclamant le contraire.
J’ai, tout au long de ma carrière dans les médias comme à la tête d’entreprises culturelles, connu les budgets « contraints », les restrictions annoncées ou brutales. Et toujours pensé que cette contrainte devait produire un sursaut d’imagination, de créativité, et non le repli sur soi. J’aurai l’occasion d’en faire état dans une série que je consacrerai prochainement à mes années liégeoises… non pour donner des leçons à quiconque mais pour faire état d’expériences réussies !
Un bref passage par Melomania, la seule adresse, l’unique, pour les amateurs de CD classiques, m’a fait découvrir des compositeurs, des oeuvres, de labels que j’ignorais complètement.
Zubin Mehta avec Paine
Je pensais avoir à peu près tous les disques enregistrés par Zubin Mehta du temps de son mandat à la tête du New York Philharmonic (lire Zubin à New York ) lorsque je suis tombé sur ce CD
Compositeur ? label ? inconnus au bataillon.
Pourtant je croyais plutôt bien connaître les compositeurs américains – les noms de George Chadwick, Edward MacDowell et Amy Beach par exemple ne me sont pas inconnus – mais John Knowles Paine (1839-1906) qui a constitué avec les pré-cités ce qu’on a appelé l’Ecole de Boston est resté terra incognita jusqu’à ma découverte de ce disque
Comme un bonheur n’arrive jamais seul, je trouve sur YouTube la 2e symphonie de Paine… toujours avec Zubin Mehta et le New York Philharmonic.
Temirkanov rime avec Petrov
Autre découverte pour moi qui suis à la recherche de raretés ou d’inédits du grand chef russe récemment disparu, Youri Temirkanov, ce CD manifestement d’origine russe sous un label « Manchester » qui ne l’est pas du tout.
En l’espèce ce sont des enregistrements de studio faits entre 1971 et 1977 à St Petersbourg, alors Leningrad, avec l’orchestre philharmonique dont le chef prendra la direction musicale en 1988. Un Petrouchka de Stravinsky scintillant, une 2e suite de Daphnis et Chloé de Ravel qui ne manque pas de séduction, et un troisième homme, parfaitement inconnu : Andrei Petrov (1930-2008).
Compositeur de musiques de films qui n’ont pas marqué l’histoire du cinéma mondial, de ballets et de pas mal d’autres partitions, c’est l’apparatchik-type – président de l’Union des compositeurs soviétiques de Saint-Pétersbourg de 1964 à sa mort !
Je laisse apprécier cette oeuvre ici mentionnée comme « Genesis », ou présentée comme « La création du monde ». L’avenir radieux de l’humanité est en route …
Le Russe oublié
C’est un nom que j’ai dû voir une ou deux fois, sans qu’il attire mon attention. Jusqu’à ce que le dernier numéro de Diapason le cite dans un passionnant dossier consacré aux Préludes de Chopin : Rudolf Kehrer (1923-2013).
Disques introuvables, notoriété nulle : comment est-ce possible avec un artiste de cette classe ? Comme on peut heureusement en juger par quelques vidéos audibles sur YouTube, comme ces fameux Préludes de Chopin
J’ai trouvé sur jpc.de un coffret de 5CD reprenant des enregistrements Melodia. Passionnants, même si les reports sont de qualité très variable :
La dernière valse à Liège
C’est l’histoire d’un disque qui est complètement passé sous mes radars. Et pourtant j’aurais dû le repérer dès sa sortie en 2020. Parce que Véronique Gens, si souvent accueillie à Montpellier (lire 2890 jours : ils ont fait Montpellier), parce que disque enregistré à la Salle Philharmonique de Liège, dont j’avais, dès sa réouverture en septembre 2000, fait un studio extrêmement apprécié par beaucoup d’artistes et de labels.
On a eu la semaine dernière la confirmation d’une nouvelle que je tenais depuis plusieurs mois du directeur général de l’époque de l’Orchestre philharmonique royal de Liège : la nomination de Lionel Bringuier comme directeur musical de l’orchestre à la rentrée 2025. J’ai craint un moment que ce que m’avait annoncé, en secret, Daniel Weissmann, ne soit finalement pas accompli. Parce qu’entre les projets même les mieux conçus de recrutement d’un directeur musical et la réalité des nominations, il y a souvent un écart.
Le bon choix pour Liège
Je vais raconter comment se passent les nominations de chefs d’orchestre, au moins celles que j’ai eu à connaître. Mais d’emblée je veux dire ici combien le choix de Lionel Bringuier pour Liège vient à point nommé, pour l’orchestre et pour lui. L’ère qui s’ouvre sera féconde et extrêmement bénéfique pour l’orchestre, dont j’ai quitté la direction générale il y a bientôt 10 ans ! Voir RTC
Pour l’OPRL c’est le retour à un étiage qu’il n’aurait jamais dû quitter. Je n’ai jamais compris l’enthousiasme – très relatif – qu’a pu susciter l’actuel directeur musical :Gergely Madaras sait, à coup sûr, manier la baguette, diriger des partitions complexes, et sans doute s’attirer les sympathies du public.
Mais la seule question qui vaille, s’agissant d’un directeur musical, et non pas juste d’un chef de passage, c’est : qu’a-t-il apporté à l’orchestre? quelle est sa valeur ajoutée ? quelle personnalité incarne-t-il face à une phalange qui s’est souvent hissée dans le passé au rang des meilleures ? Les seules fois où je l’ai vu diriger, j’ai trouvé sa direction bien peu singulière, souvent banale, et pas dans n’importe quel répertoire : un Sacre du printemps sans relief (il faut le faire !), une Quatrième symphoniede Mahler gentillette. On m’a reproché de ne pas avoir été tendre avec lui dans ses interprétations en concert ou au disque des oeuvres de César Franck (Hulda, Psyché), mais j’ai des oreilles pour entendre… et comparer.
Langrée, Rophé, Arming
Sur les trois chefs que j’ai eu à nommer durant mes fonctions à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (1999-2014), je me suis souvent exprimé, mais sans toujours révéler le dessous des cartes. Les conditions de l’arrivée de Louis Langrée à Liège sont connues : (re)lire Portrait d’ami.
Lorsque Louis Langrée m’avait annoncé qu’il ne prolongerait pas son deuxième mandat (2004-2006) – il s’est alors longuement expliqué sur ses raisons – nous étions convenus qu’il poursuivrait des projets et des tournées auxquels lui comme moi tenions beaucoup, et ce fut le cas. Pour succéder à un musicien qui avait apporté un tel enthousiasme et conduit un tel renouveau à un orchestre en crise, mais qui avait dû affronter aussi un ensemble qui n’était pas habitué, ni même prêt, aux exigences interprétatives du chef français, je pensais qu’un excellent technicien, certes trop réduit à l’étiquette « musique contemporaine », mais dont l’orchestre avait pu apprécier la précision, la capacité d’aborder des partitions complexes, serait un bon relais.Au cours d’un dîner à Paris, je proposai le poste à Pascal Rophé, qui en fut le premier surpris ! Et il y eut de grands moments, de très belles réussites – grâce à Pascal Rophé, l’OPRL fut invité à plusieurs reprises au festival Musica de Strasbourg, enregistra de très grands disques (Mantovani, Dusapin), mais lorsqu’il me fallut envisager de prolonger ou non le premier mandat de Rophé (2006-2009), je partageai mes doutes, mes hésitations, avec des musiciens de et hors l’orchestre dont je connaissais la sûreté de jugement. A peu près tous rejoignaient mon point de vue, il manquait au chef une vision du coeur de répertoire d’un orchestre symphonique, ses prestations dans Mozart, Beethoven, Brahms et même Mahler n’ayant guère convaincu,.. Je laisse le lecteur imaginer la teneur du dîner au cours duquel je dus dire en tête à tête à P.R. la décision prise à son égard.
Des conversations que j’avais eues pour sa succession, un nom ressortait fréquemment. Un jeune chef qui avait fait des étincelles à Liège en 2007, un chef très présent sur les réseaux sociaux (Facebook en l’occurrence).Voyant qu’il était à Paris… et moi aussi, je lui proposai un déjeuner qu’il accepta immédiatement. Je lui dis le bien que les musiciens de l’orchestre et moi pensions de lui, et lui demandai, en toute confidentialité bien sûr, s’il accepterait la direction de Liège. Il ne mit pas 24 h à me donner son accord, et nous nous retrouvâmes quelques semaines plus tard, avec le délégué artistique de l’orchestre, à son domicile en région parisienne. François-Xavier Roth débordait d’idées, d’enthousiasme, de projets. Un contrat fut signé avec son agente parisienne. Quelques semaines avant sa prise de fonction, FX m’indiqua qu’il passait désormais chez un agent basé à Londres, qui lui ouvrait des perspectives internationales. C’est alors que tout se déglingua : ledit agent me somma de revoir le contrat de FXR. Je lui répondis que je ne négociais pas à distance, et qu’un contact direct entre nous me paraissait un préalable. Je rencontrai ce personnage le jour même du premier concert de FXR et de l’orchestre à Bruxelles, en septembre 2009. Ce fut une descente en règle non seulement des termes du contrat du chef mais aussi et surtout de la politique de l’orchestre, qu’il fallait revoir de fond en comble. Bien entendu, toutes les décisions devaient revenir au seul chef d’orchestre, le directeur général ne servant qu’à porter les valises et à faire les comptes. Je mis quelques semaines à comprendre que cette attaque frontale ne servait qu’à préparer la rupture qui aurait lieu au printemps suivant. Entre temps ledit agent s’était « vendu » à une grande agence de concerts à Londres, et mes interlocuteurs allaient changer, sans pour autant que le conflit se règle. Disons que les contacts devinrent plus urbains. Pendant ce temps, je refusais de prêter du crédit aux rumeurs, informations, qui me parvenaient sur une prochaine nomination de FXR dans un grand orchestre allemand. C’est pourtant ce qui fut annoncé, un mois à peine après le communiqué que nous publiâmes en mars 2010 indiquant la rupture anticipée du mandat de directeur musical du chef.
Le traumatisme ne fut pas mince, pour les musiciens de l’orchestre, sonnés par un tel abandon, dont évidemment quelques esprits bien intentionnés ne manquèrent pas de m’attribuer la responsabilité (pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot !), pour mon équipe et pour moi aussi. Le président de l’agence londonienne eut le grand tort d’écrire une lettre au président de l’orchestre, dans laquelle il manifestait un tel mépris non seulement pour le directeur général mais aussi pour le conseil d’administration qui l’avait nommé – nous étions incapables de comprendre à quel musicien d’élite nous avions à faire en la personne d’un chef que le monde entier s’arrachait !! – qu’il provoqua de la part de tous les Liégeois, élus, musiciens, responsables, une réaction indignée et une manifestation de totale solidarité envers les dirigeants de l’orchestre. Le sentiment d’un gâchis, surtout à la veille de la saison anniversaire des 50 ans de l’orchestre (2010-2011) au cours de laquelle nous avions prévu un grand nombre de manifestations exceptionnelles, dont des concerts à Varsovie et Vienne ! Nous pûmes heureusement compter sur le concours de plusieurs chefs, dont Louis Langrée et Pascal Rophé, pour assurer le succès de cette saison, et en particulier le concert des 50 ans de l’OPRL, le 7 décembre 2010 qui réunit les trois anciens directeurs musicaux Pierre Bartholomée et ses deux successeurs.
Pour trouver le successeur de Roth, je décidai de changer complètement le processus de sélection et de recrutement, en impliquant directement l’orchestre. Je proposai aux musiciens de désigner en leur sein une commission de six à huit membres, qui travaillerait avec moi dans la plus totale confidentialité, et donc une totale liberté entre nous, pour d’abord dégager le profil du directeur musical qui conviendrait à un orchestre qui avait beaucoup évolué et progressé depuis dix ans, ensuite faire une « short list » de possibles prétendants. La règle était que rien ne devait sortir de nos discussions, que s’il y avait des fuites, cela ruinerait irrémédiablement le processus. J’eus dès le départ la certitude que le prochain directeur musical figurait parmi les chefs que nous avions déjà invités, et j’avais mes préférences. Cela reste une de mes fiertés que d’avoir pu conduire ce processus, dans un esprit d’ouverture, de dialogue, sans conflit, et dans la plus absolue discrétion. À un point tel que lorsque nous annonçâmes en mai 2011 la nomination du chef autrichien Christian Arming, ce fut une surprise totale pour tout le monde, et les musiciens l’approuvèrent d’autant plus chaleureusement qu’ils savaient qu’elle résultait des travaux du petit groupe qu’ils avaient désigné. Ce qui comptait le plus pour moi, c’est qu’aucune pression extérieure – et il y en eut évidemment, et de nombreuses, notamment de la part de chefs et/ou d’agents qui voulaient se placer – aucun argument autre qu’artistique, n’aient été pris en considération.
S’en suivit une période féconde pour l’orchestre, huit années de stabilité, puisque le premier contrat de Christian Arming (2011-2014) fut renouvelé le jour où j’annonçai mon départ de l’orchestre, et ma nomination à Radio France le 14 mai 2014. Je ne fus pas peu fier d’emmener « mon » orchestre pour la troisième fois en moins de dix ans, le 22 mai 2014, dans la grande salle dorée du Musikverein de Vienne !
(Christian Arming devant la statue de Johann Strauss à Vienne, mai 2014)
(Christian Arming dirigeant la Chevauchée des Walkyries / OPRL / JBR Productions)
PS. Je veux préciser ici que j’ai gardé avec chacun des chefs que j’avais choisis et nommés à Liège des relations cordiales, souvent amicales, quels qu’aient pu être nos différends. J’ai pour chacun d’eux une profonde admiration musicale et personnelle.
J’ai connu Thierry Geffrotin lorsqu’il officiait à Europe 1, comme l’une des rares voix à bien parler de musique classique sur une radio généraliste, où il n’a pas été et ne sera pas remplacé…
J’ai mieux appris à le découvrir en suivant, quasi quotidiennement via les réseaux sociaux, ses aventures d’amateur éclairé du vrai croissant, de défenseur intransigeant quoique souriant de l’oeuf mayonnaise, de promoteur actif de sa Normandie natale et de membre actif (ou d’honneur ?) de l’académie Alphonse Allais. C’est dire si avec Thierry Geffrotin on a peu de risques de s’ennuyer.
Cet éternel jeune homme s’est mis en tête de raconter les voyages de Mozart. Cela me renvoie aux conférences que j’avais données, en 1991, année du bicentenaire de la mort du divin Wolfgang, où il me fallait donner en moins de deux heures, un aperçu de la vie et de l’oeuvre du génie de Salzbourg. Je me rappelle très bien une double page d’un ouvrage savant que j’avais alors consulté, qui montrait une carte de l’Europe à la fin du XVIIIe siècle et qui pointait toutes les villes où Mozart, seul, mais le plus souvent avec son père ou sa mère (ladite maman est morte à Paris lors du second séjour de Wolfgang dans la capitale française en 1778) s’est arrêté. Je pense que nul n’a passé autant de temps en voyage, ni visité autant de lieux et de pays, que Mozart.
Thierry Geffrotin ne vise pas le récit encyclopédique et c’est tant mieux. Mais il nous rend un Mozart familier, presque contemporain, nous conte des histoires autant pour les enfants que pour les parents. Et grâce à plusieurs QR codes disséminés dans le livre, nous offre autant de séquences musicales parfaitement choisies. Le cadeau de Noël idéal !
Thierry Geffrotin n’en est pas à son coup d’essai dans sa dévotion à Mozart et à la musique classique accessible à tous :
C’est à Londres, dans le quartier de Chelsea, que le petit Mozart, âgé de 8 ans, compose en 1764, sa première symphonie ! Ici dans l’un des tout premiers enregistrements d’un autre enfant prodige, Lorin Maazel (1930-2014), avec l’Orchestre national.
Machart l’Américain
Renaud Machart qui fut l’une des voix les plus écoutées de France Musique, jusqu’à ce qu’on décide de se priver de ses services il y a cinq ans, et l’une des plumes les plus acérées – et donc redoutées – de la critique musicale dans Le Monde, qui est surtout un ami de longue date, a depuis toujours une dilection particulière pour les Etats-Unis, New York surtout, et la musique américaine, comme en témoigne la collection de ses monographies chez Actes Sud
Je sais qu’il préparait depuis un bon bout de temps la suite de cette galerie de portraits, cette fois sous un titre générique : la musique minimaliste
À l’heure où le mot « minimalisme » est devenu galvaudé, le présent livre revient, pour la première fois en langue française, sur l’acception originelle du terme et sur les diverses composantes de cette tendance artistique née aux Etats-Unis, à l’orée des années 1960, qui a durablement marqué les arts plastiques et la musique au point de constituer une indéniable révolution esthétique. En plongeant le lecteur dans la New York downtown des années 1960 et 1970, l’auteur décrit l’extraordinaire inventivité d’une scène artistique où se mêlaient les plasticiens d’art minimal et les compositeurs minima- listes (dont ses représentants principaux La Monte Young, Terry Riley, Philip Glass et Steve Reich), dans les lofts, les salles de cinéma ou de théâtre et les galeries d’art du quartier. Cet essai, avant tout dévolu à la musique, s’arrête sur des œuvres essentielles – dont les fameux In C (1964), de Terry Riley, et Einstein on the Beach, de Philip Glass et Bob Wilson, créé au Festival d’Avignon en 1976 – et des tendances emblématiques de cette esthétique, mais par- court également ses nombreuses ramifications en Eu- rope, ses liens avec la musique populaire et son utilisation dans la musique pour les écrans de cinéma et de télévision. (Présentation de l’éditeur)
C’est en grande part grâce aux émissions de Renaud sur France Musique que j’ai accédé moi-même à nombre de compositeurs et de musiques dont je ne connaissais souvent que le nom.
J’ai toujours parmi les trésors de ma discothèque un CD du quatuor Kronos, et le 2e quatuor « Company » -bouleversant – de Philip Glass. Ecriture minimaliste mais émotion maximale !
Quant à l’une des figures de proue de la famille minimaliste, John Adams (1947-) c’est pour moi un compagnon de longue date. Ce fut l’une des soirées d’exception du mandat de Louis Langrée à Liège, le 20 novembre 2003, il y a tout juste vingt ans, comme le racontait Nicolas Blanmont dans La Libre Belgique : Ambiance des grands soirs. Soirée diffusée en direct à la télévision avec le concerto pour violon de Brahms joué par le fabuleux James Ehnes (c’était ses débuts en Belgique !) et le chef-d’oeuvre orchestral de John Adams, Harmonielehre.
A l’été 2006, à New York, j’avais eu la chance d’assister à la première de l’opéra écolo de John Adams, A Flowering Tree
Patrice Chéreau est mort le 7 octobre 2013, quelques semaines après qu’on eut applaudi longuement sa mise en scène d’Elektra au festival d’Aix-en-Provence. Sans doute le plus grand souvenir que j’ai du festival avec De la maison des morts de Janacek, dirigé par Boulez en 2007.
D’autres que moi ont exprimé, bien mieux que je ne saurais le faire, l’admiration que j’ai toujours éprouvée pour cet artiste.
Il y a quelques semaines – L’été 23 : Dutoit à Montréal – j’évoquais la fantastique vitalité du chef d’orchestre suisse, Charles Dutoit, qui a fêté ses… 87 ans ce 7 octobre ! Avec force photos sur les réseaux sociaux, où on a presque peine à le suivre, tant il continue de parcourir le monde pour diriger bien sûr, mais aussi visiter tous les continents.
Pour lui souhaiter bon anniversaire, je choisis, à dessein, l’une de ces pépites dont sa discographie regorge, l’ouverture d’une opérette de Suppé, Fatinitza, dont l’argument fait écho à une sinistre actualité, puisque l’action se déroule entre la Turquie et Odessa pendant la guerre de Crimée…Une opérette qui connut paraît-il un grand succès au théâtre des Nouveautés à Paris en 1879 !
Du côté de Liège
Comme je le rapportais dans mon dernier billet – L’inconnu de Liège – j’ai passé quelques belles heures à Liège et alentour. Et pour fêter les 2×25 ans de Pascal C. dont l’amitié a survécu à mon éloignement de la Cité ardente.
Il y avait aussi un concert de l’Orchestre philharmonique royal de Liège ce samedi.
Bonheur de retrouver l’acoustique chaleureuse de la Salle Philharmonique, de revoir aussi quelques personnes chères et des figures familières, comme l’ancien directeur musical, mon ami Christian Arming. Pour le reste… no comment !