Remaniement (bis)

Je me suis amusé à relire ce que j’avais écrit ici à la suite de précédents remaniements gouvernementaux sous la présidence Macron.

16 octobre 2018 : »Trop souvent dans le passé, remaniement a rimé avec reniement. Oubliées les promesses de campagne, perdus de vue les enthousiasmes des débuts, reniées les alliances politiques.

Celui qui vient d’intervenir, après une attente qui a paru insupportable au microcosme médiatique, a au moins le mérite d’échapper à cette sinistre litanie. On ferait presque le reproche au président de la République de conforter sa majorité, de mieux s’appuyer sur ses alliés, de faire plus largement confiance à des élus de terrain, au détriment de ces fameux représentants de la « société civile » qui ont toujours, cette fois comme par le passé, démontré leurs limites dans l’exercice d’une fonction ministérielle (qui se rappelle Pierre Arpaillange à la Justice, Francis Mer à l’Economie, Luc Ferry à l’Education ?).

Souvenons-nous, ce n’est pas si loin que ça, de la nomination surprise par Nicolas Sarkozy de Frédéric Mitterrand au ministère de la Culture en 2009. » (Remaniement, 16 octobre 2018)

23 mai 2022 : « Plus les années passent, moins je ressens la nécessité de m’indigner, de m’insurger, de critiquer. Non pas que les motifs de le faire aient disparu, on serait plutôt sur une tendance exponentielle inverse. 

Tenez, prenez le nouveau gouvernement ! J’ironisais gentiment vendredi sur l’attente insupportable que nous faisaient subir le président de la République et la nouvelle Première ministre (En attendant Borne I). Depuis qu’il a été annoncé, c’est le déferlement. Pas un seul, journaliste, observateur, commentateur, pour dire que, peut-être, avant de leur tomber dessus, on pourrait juste attendre de voir ce que vont faire les nouveaux nommés ! Pas beaucoup plus pour creuser un peu plus les portraits de celles et ceux qui font figures de proue de ce gouvernement, à commencer par la Première ministre – une « techno » on vous dit !

Que c’est fatigant ces caricatures ! Dans un sens ou dans l’autre… Ainsi, à écouter la longue, très longue, litanie d’autojustification de la ministre de la Culture sortante, la si médiatique Roselyne Bachelot, on pouvait avoir le sentiment d’y perdre au change avec l’arrivée d’une conseillère de l’ombre, inconnue du grand public, dotée d’un patronyme qui signale la « diversité », Rima Abdul Malak. Ceux qui ont eu affaire au ministère de la Culture ces dernières années n’ont pas du tout la même perception du bilan de la rue de Valois pendant la pandémie…En revanche, la nouvelle ministre c’est moins de paillettes mais plus de sérieux. Le milieu culturel ne l’a pas encore dézinguée. De bon augure ? » (Bienveillance, 23 mai 2022)

Quelques observations sur ce premier gouvernement Attal.

Enfin le retour de la politique

On a tellement dit, et souvent à raison, que le deuxième mandat du président de la République était encalminé, sans perspective, que la Première ministre sortante n’imprimait pas, que la plupart des ministres était inexistants dans l’opinion…qu’on doit d’abord relever qu’Emmanuel Macron fait ou refait enfin de la politique. Il semble presque rejouer sa propre aventure de 2016.

Il déjoue les analyses, les pronostics des commentateurs – et ça me réjouit ! – et fait turbuler le système, comme il l’avait fait en 2017. Il a parfaitement compris que la menace Le Pen (ou Bardella ?) ne pouvait pas être contrée par les invocations et les lamentations d’une classe politique démonétisée à gauche comme à droite. Le choix des mots de ses voeux du 31 décembre, et de ses récentes interviews, ne doit absolument rien au hasard. Comme Sarkozy l’avait fait, et plutôt réussi, en 2007, Macron veut assécher les raisons de voter pour le RN.

Tout le monde a relevé que les quelques gestes accomplis par Gabriel Attal à l’Education s’inscrivent dans cette stratégie. Le choix de ce ministre – devenu en quelques mois le plus populaire de la classe politique active – comme chef du gouvernement est le meilleur, sinon le seul que pouvait faire le président de la République pour reprendre la main sur son quinquennat.

Et maintenant ?

Ce qui est extraordinaire dans ce type d’épisodes de la vie politique, c’est, à de très rares exceptions près, l’absence de réflexion, de culture politique, d’indépendance d‘esprit, dont font preuve la presque totalité des journalistes qui bavardent à longueur de plateaux télé. Ils ont tous colporté les rumeurs, soigneusement distillées comme des leurres par la présidence de la République, et personne n’a émis l’idée qu’un Denormandie ou un Lecornu à Matignon n’avait aucune espèce de chance de provoquer un quelconque sursaut. Lorsque le nom de Gabriel Attal est arrivé, tout le monde a feint la surprise, et comme pour expliquer qu’ils ne l’avaient pas vu venir, on s’est évertué à expliquer que Macron redoutait la concurrence de ce jeunot (!), que celui-ci ne pourrait pas s’imposer aux poids lourds demeurés à leurs postes…

Heureusement que quelques chevronnés, comme l’ancien Premier ministre Raffarin, ou l’éternel Alain Duhamel, ont remis tout cela en perspective. Eh oui, il se pourrait bien que Macron ait mis en selle non seulement celui qui pourra combattre Bardella aux prochaines élections européennes de juin, mais aussi celui qui, en 2027, pourrait donner un sacré coup de jeune à la politique et ringardiser les Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon tentés par une quatrième candidature à la présidentielle. Qui vivra verra…

Dati à la Culture

Je n’ai aucun lien, ni sympathie ni antipathie, avec la nouvelle ministre de la Culture. Je regrette certes que Rima Abdul-Malak qui a été, de loin, l’une des meilleures titulaires du poste, soit, comme tant de ses prédécesseurs, privée du temps long nécessaire à l’action de fond. Mais j’admets que le coup joué par Emmanuel Macron en appelant Rachida Dati est triplement bien joué.

D’abord parce que, pour la première fois depuis Jack Lang, le poste de ministre de la Culture échoit à une pure politique, connue de tous, reconnue comme une boxeuse de première catégorie, qui ne se laisse pas faire ni impressionner. Aura-t-elle le temps, le courage, et le soutien de l’Elysée et de Matignon, pour faire enfin bouger, revivre, un ministère complètement pétrifié ?

Ensuite parce que, tirant les conclusions de la calamiteuse élection municipale de 2020 à Paris, Macron a joué la seule carte qui permettra en 2026 de battre une maire sortante complètement démonétisée : soutenir la seule personnalité qui se soit imposée contre Anne Hidalgo, et éviter une nouvelle débâcle pour des troupes macronistes inconsistantes.

Enfin parce que, de toute évidence, Rachida Dati constitue la plus belle prise de guerre pour faire éclater ce qui reste d’un parti – Les Républicains – en état de décomposition avancée depuis la présidentielle de 2022 et le score ridicule de sa candidate d’alors.

PS Je précise, avant que certains de mes lecteurs ne m’en fassent le reproche (ou le compliment) que je ne fais ici qu’apporter une analyse, nourrie de ma propre expérience, rien de plus, rien de moins.

Les jours d’après

C’est l’avalanche, mais rien n’assure que ce soit des bestsellers. 

Qu’ont-ils tous à vouloir raconter leur vie au pouvoir ou dans les coulisses, mystérieuses, forcément mystérieuses, du pouvoir ?

En l’occurrence, l’ex-président, François Hollandeavait déjà tué le genre, en faisant lui-même, en long, en large.. et en travers (ce fut bien d’ailleurs son problème !), le récit de sa présidence.

61LrAunBP1L(Rançon du succès, le bouquin est sorti en collection de poche !)

Mais je reste friand de témoignages de première main, non par goût de secrets, qui n’en restent jamais longtemps, mais dans le souvenir de ce qui a fait une partie de ma vie, et qui la constitue encore, l’engagement politique, public, citoyen, peu importe l’adjectif.

Quand on a été aux responsabilités, quand on a une responsabilité, on sait que la réalité de leur exercice n’est jamais exactement ce que les autres – les médias, les citoyens, les collaborateurs – en perçoivent.

D’où l’intérêt de ces récits, des mémoires, de ceux qui ont assumé ou partagé ces responsabilités.

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Il y a ceux, comme Pierre-Louis Basse, qui essaient laborieusement de justifier un emploi qu’on n’oserait dire fictif au cabinet du président de la République, qui ne cachent certes pas leur peu d’influence – euphémisme ! – sur le cours de la vie élyséenne, et qui du coup en profitent pour parler de tout autre chose, comme de quelques figures marquantes du communisme français (beau portrait de Pierre Daix)

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Quand on a été pompier en chef du quinquennat écoulé, le témoignage n’est pas anodin. La carrière récente de Bernard Cazeneuve a bien, en effet, été placée sous le signe des missions impossibles, et pourtant réussies. Depuis dix mois ministre des affaires européennes, il est appelé, en mars 2013, au ministère du Budget, en plein scandale CahuzacUn an plus tard, nouveau changement de portefeuille, Manuel Valls devenant Premier ministre, Cazeneuve hérite de l’Intérieur, où il devra faire face à la pire vague d’attentats que la France ait connue – Charlie, Bataclan, Nice, etc.. Et lorsqu’à la fin 2016, Manuel Valls se met « en congé » de Matignon pour pouvoir se lancer dans la primaire de gauche, c’est à nouveau à Bernard Cazeneuve que Hollande fait appel pour parcourir les six derniers mois d’un quinquennat qui a politiquement pris fin le 1er décembre 2016 lorsque le président sortant a renoncé à se représenter.

L’intérêt du bouquin de B.Cazeneuve est moins dans le récit de ces derniers mois que dans la manifestation d’un caractère, d’une exigence de droiture, d’une morale de l’exercice de la chose publique, et dans une savoureuse galerie de portraits.

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« “L’entourage du président”, “un proche du chef de l’État”, “l’Élysée”… Pendant trois ans, c’était moi. Le lecteur des pages politiques des gazettes l’ignorait, mais je me cachais souvent derrière ces formules sibyllines que seuls les journalistes et les politiques savent décoder. »
En avril 2014, Gaspard Gantzer est nommé conseiller en communication de François Hollande. Dans l’ombre, il tente tout pour améliorer son image auprès des médias et des Français. Mais vite, les crises s’enchaînent. Le Mali, la Syrie et, surtout, les attentats les plus sanglants de notre histoire…
En parallèle, les menaces contre le président se  multiplient. La montée du Front national, le retour de Nicolas Sarkozy, les frondeurs, un Premier ministre trop ambitieux, cette nouvelle génération qui pousse, brille. Avec, parmi eux, un ancien camarade de l’ENA, Emmanuel Macron, qui prend de plus en plus de place.
De tout cela, Gaspard Gantzer a pris des notes quotidiennes. Jour après jour, jusqu’au dernier, il raconte, de l’intérieur et au plus près du président, les trahisons, les coups bas et les épreuves. Les chroniques édifiantes d’un quinquennat hors du commun. (Présentation de l’éditeur).

De cette présentation, je retiens l’adjectif édifiant. C’est exactement cela. Les toutes premières phrases pourtant laissaient craindre le pire, la manifestation d’un ego surdimensionné (genre le Président c’est moi). Et puis, on se passionne vite pour cette chronique haletante, sèche, précise, clinique, et pourtant terriblement humaine, des trois ans que Gaspard Gantzer a passés au plus près du président Hollande. Edifiant, oui, parce que, dans le coeur du réacteur, on mesure les forces et les faiblesses, l’humanité tout simplement, du pouvoir.

Au passage, on apprend que le destin de Hollande et de son successeur s’est joué le 11 février 2016 – si Emmanuel Macron avait été nommé Premier ministre ce jour-là ? – et plein d’autres choses sur les personnages-clés de l’époque. Une certitude : l’ex-conseiller de Hollande ne porte pas Manuel Valls dans son coeur !

Michèle Cotta qui a chroniqué quasiment toute l’histoire de la Vème République, et qui avait parfaitement brossé L’histoire d’un chaos politique – le quinquennat Hollande – livre son carnet de notes d’une année étonnante. Elle a eu l’honnêteté de n’en rien retirer. Elle n’a pas cru – et elle n’était pas la seule ! – aux débuts de l’aventure Macron, elle le dit, elle l’écrit. C’est ce qui rend ce témoignage d’autant plus pertinent qu’il évite non seulement la complaisance, mais aussi la tentation de réécrire l’histoire.

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Enfin, le duo Patrice DuhamelJacques Santamaria nous livre un quatrième opus, après le succès de Jamais sans ellesL’Elysée, coulisses et secrets d’un palais et Les Flingueurs

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« Toute vie consacrée à l’action publique se trouve bouleversée par un moment douloureux : celui où tout s’arrête.
Nous avons choisi de raconter les jours d’après de vingt-trois personnalités françaises, de De Gaulle à Manuel Valls, de Giscard à Jacques Delors, de Simone Veil à Jospin, présentant chacune un cas singulier dans son rapport au pouvoir. On découvrira ainsi ceux qui le quittent définitivement, par choix ou nécessité, ceux qui sont contraints de s’en éloigner après quelque revers mais qui s’emploient à le reconquérir, ceux qui ne comprennent pas que le pouvoir les délaisse pour un temps ou pour toujours…
Le défaut des hommes et des femmes politiques, y compris chez les grands fauves, est peut-être de ne pas savoir, et souvent de ne pas vouloir se préparer à ce jour où le pouvoir les quittera. Mais, au fond, n’en est-il pas ainsi de toute histoire d’amour ? »

Un bouquin, comme toujours avec ces auteurs, très documenté, puisant aux meilleures sources, qui en dit long – on y revient – sur la part d’humanité, forces et faiblesses, grandeur et mesquineries, de ces hommes et femmes de pouvoir. A lire évidemment !

Rien ne se passe comme prévu

Il n’aura échappé à personne que la séquence politique que nous avons traversée, en France mais pas seulement, ces douze derniers mois, n’était inscrite dans aucun scénario.  Et si rien n’était joué ? écrivais-je le 6 septembre 2016…

Je viens de terminer deux bouquins qui, à défaut d’expliquer, éclairent le quinquennat écoulé et l’émergence du phénomène Macron.

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 » C’est l’histoire d’un grand basculement. Elle met en scène des ambitions peu communes et des trahisons d’une qualité rare. Elle raconte à la fois un échec sans précédent, puisque soldé par un renoncement lui aussi inédit, et une conquête d’une audace incroyable, puisque partie de rien, si ce n’est des rêves d’un jeune homme à l’appétit carnassier.
Emmanuel Macron est l’enfant du règne. Le double et le contraire. L’héritier et l’inverse. Qui dit mieux, au moins dans la conquête ? Celle-ci n’a pas été le fruit d’une improvisation. Elle vient de loin. Ella a été préméditée. C’est en cela que le crime fut parfait. La victime et l’assassin l’ont souvent admis, à l’heure des confidences. Tout cela a été fait « avec méthode’, comme l’a dit un jour l’ancien président. Et maintenant ? Personne ne saura jamais ce que pensaient vraiment Emmanuel Macron et François Hollande lorsque, un matin de la mi-mai 2017, à l’Élysée, l’un est devenu retraité et l’autre président. On fera ici l’hypothèse qui en vaut bien d’autres qu’ensemble, fût-ce un bref instant, ils se sont remémoré cette histoire de cinq ans qu’ils ont vécue côte à côte, chacun à sa façon, et qu’il s’agit de raconter à présent dans sa totalité parce qu’on n’en reverra pas de sitôt de plus ébouriffante. « 

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« Il remonte de son interview au pas de charge. Sautillant. Soulagé. Presque heureux. Il a réussi sa sortie. Il vient de rentrer dans sa pyramide. Enfermé vivant. Le prix à payer pour en finir avec cet insupportable pression : même lui n y a pas résisté. »
Entre Manuel Valls, dont la colère et les chantages l’épuisent, Valérie Trierweiler, dont les SMS ne cessent pas, les visiteurs du soir qui se succèdent, les conseillers qui se font la guerre, et Macron l’enfant gâté, les 100 derniers jours de François Hollande n’ont pas été moins agités que le reste de son quinquennat.
Avec un sens savoureux de la formule, Françoise Degois dresse un portrait inédit, aussi truculent qu attachant, du « président normal chez qui il n’y a rien de normal ». Fine connaisseuse des arcanes du pouvoir, elle nous fait vivre jour après jour les coulisses de la campagne présidentielle la plus inattendue de la Ve République. »

Pour reprendre l’expression de François Bazin, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, rien ne se passe non plus comme prévu… par ceux qui faisaient métier de tout prévoir ! Et ce n’est pas la moindre des originalités du nouveau président que de prendre tout le monde à contre-pied et de s’inviter là où et quand on ne l’attend pas…

Message personnel pour Jean-Pierre Raffarin qui a annoncé, à la surprise générale, son retrait de la vie politique élective. Il avait 28 ans, j’en avais tout juste 21 ans, nous étions candidats aux élections municipales de 1977 à Poitiers sur une liste menée par le centriste Jacques GrandonNous fûmes battus, de peu, par une liste socialiste et communiste. « Raff » garda toujours ses racines politiques dans son Poitou natal, je le revis plus tard ministre du commerce et des PME de Chirac Premier ministre puis lui-même Premier ministre de Chirac Président. Dans son cas, retrait ne veut pas dire retraite !

Et puisque j’écris ce billet à Montpellier, une nouvelle qui a surpris tout le monde, la disparition, le jour de son 74ème anniversaire, d’une figure très populaire de la vie locale et du football, Louis Nicollin