Oscars, Césars et Zanzibar

Je reviens de quelques jours sur une île dont le nom même m’a toujours fait rêver : Zanzibar. C’est souvent une escale, ou un complément de séjour pour ceux qui font des safaris en Tanzanie, en Ouganda ou au Kenya. Pour moi ce fut une vraie découverte.

Oscars, Césars et autres

L’avantage des longs trajets en avion c’est de pouvoir rattraper son retard en matière de cinéma. J’en ai bien profité !

Anatomie d’une chute

J’avoue que j’avais été d’abord indisposé par la déclaration ridicule et inopportune de Justine Triet à Cannes, puis par tout le foin fait dans les médias français avant les Oscars. Mais je dois reconnaître que l’Oscar du meilleur scénario est amplement justifié, et que cette Anatomie d’une chute est un film captivant. Très « hitchcockien » dans sa construction, sa narration, son absence d’effets. Et sans rien dévoiler – pour ceux qui n’auraient pas vu le film – on aime que le spectateur soit finalement laissé face à une énigme, ou plus exactement à plusieurs possibilités. Mention toute spéciale pour le jeune acteur, Milo Machado-Graner, qui est époustouflant de justesse, et pour celle qui est sa mère dans le film, l’actrice allemande Sandra Hüller – que je connaissais mal, je l’avoue -.

C’est vraiment un film à voir, et même à revoir.

Oppenheimer

Autre grand oscarisé, et attendu comme tel, le film de Christopher Nolan Oppenheimer. Trois heures bluffantes, exaltantes, angoissantes, qui évitent tout manichéisme, et restituent au contraire la complexité du personnage, resté dans l’imaginaire collectif comme « le père de la bombe atomique », et surtout le cynisme des hommes de pouvoir américains.

Lors d’un voyage aux Etats-Unis, il y a une quinzaine d’années, j’étais passé par Los Alamos, Zone toujours interdite, dans un paysage désertique. Circulez, y a rien à voir.

Second tour

Je ne suis pas systématiquement fan d’Albert Dupontel, et ce film sorti en octobre dernier m’avait échappé. Ce Second tour est d’une drôlerie déjantée, toujours aux limites de l’absurde, qui fait appel notamment à une Cécile de France hilarante en journaliste d’une télé privée sur la piste d’un scoop.

En revanche, j’ai vite abandonné Le règne animal, gagné peut-être par la fatigue.

L’île aux esclaves

Le nom même de Zanzibar serait d’origine perse : Zanğibar signifiant « la terre des Noirs ». L’île principale de l’archipel, Unguja, est comme un concentré d’histoire de l’humanité, tant les influences, les invasions, y ont été nombreuses : Arabes, Perses, Allemands, Anglais, Français, Portugais, Indiens, etc…

La ville principale de l’île, Stone Town, conserve et préserve la richesse et la diversité de cette histoire, y compris dans ses aspects les plus sombres, comme cet immense marché aux esclaves qu’elle fut jusque dans les années 20, malgré l’abolition officielle de l’esclavage décrétée au tout début du XXe siècle.

Deux églises, l’une catholique (construite par les Français en 1889), l’autre anglicane, rappellent les présences successives et la multuculturalité d’une ville et d’une île, où la population est aujourd’hui très majoritairement musulmane. Un mémorial rappelle le terrible passé esclavagiste de Zanzibar.

Stone Town, c’est bien sûr l’économie de la mer, de la pêche et quelques célébrités.

L’ancien fort a été préservé et sert à de nombreuses manifestations culturelles.

Ici sont nés l’explorateur David Livingstone, l’écrivain Abdulrazak Gurnah, Prix Nobel de Littérature 2021,

et Farrokh Bulsara, beaucoup plus connu sous son nom de scène Freddie Mercury, auquel est consacré un petit musée au centre de Stone Town.

Colobes et corail

On peut circuler en voiture sans trop d’encombres dans toute l’île – le réseau routier est en très bon état -. Il faut juste éviter la tombée de la nuit, la plupart des autos et des motos « oubliant » d’allumer leurs feux et ne pas oublier qu’on roule à gauche !

On peut ainsi visiter les quelques sites naturels ou historiques de l’île, traverser une nature très changeante, et constater la vitalité d’une population très jeune – les sorties des écoles, avec des centaines de filles et de garçons en uniformes, sont impressionnantes.

Le parc national de Jozani

A l’est de Zanzibar, ce n’est sans doute pas le parc, ni la forêt la plus spectaculaire qu’on ait visités en Afrique de l’Est, mais c’est le seul de l’île, et il attire évidemment beaucoup de monde (une fois de plus mention spéciale pour les groupes de Français qui se distinguent par leur discrétion, leur tenue… la honte quoi !)

La forêt est moins dense que certaines réserves qu’on avait visitées en Ouganda (voir Gare aux gorilles), et la faune y est plutôt rare. La mangrove est parfaitement préservée.

L’attraction de ce parc ce sont les singes, les colobes roux de Zanzibar, une espèce endémique. Bien qu’il soit explicitement demandé de ne pas s’approcher des animaux, les touristes agglutinés autour d’eux leur balancent leur smartphone sous la gueule et, mieux, prennent des selfies (ne dit-on pas que « qui se ressemble s’assemble » ?) :

En remontant vers le nord de l’île, on passe par un site qui n’a guère d’intérêt (Fukuchani), sauf à présenter une ruine d’une maison construite par les Portugais au XVIe siècle et une piscine souterraine.

Lagon et corail

Mais si on va à Zanzibar c’est bien finalement pour la beauté de ses plages et la douceur des mers qui la bordent. Excursion obligée en face de Matemwe vers l’îlot de Mnemba – propriété de Bill Gates – et son merveilleux lagon qui ressemble à un aquarium géant, ses centaines de poissons multicolores, ses étoiles de mer et ses quelques récifs de corail encore vivants.

Addendum : Zanzibar et Poulenc

Un fidèle lecteur me rappelle l’inénarrable air des Mamelles de Tiresias de Poulenc et Apollinaire, où il est question de Connecticut et de… Zanzibar, et me signale ce document exceptionnel de Denise Duval accompagnée au piano par le compositeur qui ne se prive pas de rajouter quelques répliques bien senties …

Couronnement

Puisque que, grâce à France 2, puis France 3, dans les journaux télévisés du 4 mai,

nul n’ignore plus que j’ai passé ce week-end à Londres avec mon petit-fils, je me sens comme une obligation de raconter comment nous avons vécu l’événement du couronnement de Sa Majesté le roi Charles III et de son épouse la reine consort Camilla.

La décision de Londres a été prise au dernier moment, je pensais que cela plairait à mon petit-fils en vacances de découvrir Londres à l’âge auquel je l’avais moi-même fait, et dans une circonstance ô combien exceptionnelle.

Outre la surprise de la télévision française nous cueillant à la sortie de l’Eurostar, nous eûmes le même soir celle de croiser sur le trottoir devant l’hôtel le Français le plus anonyme de Londres et le plus célèbre de France, l’invisible Jean-Jacques Goldman. Oui le vrai !

Décalage

On nous avait tellement annoncé l’effervescence qui s’emparait de la capitale britannique, des flots de touristes qui allaient s’y déverser, que j’ai été le premier surpris, d’abord de la facilité à trouver des places dans l’Eurostar, puis dans un hôtel de moyenne catégorie près de St.Pancras, et surtout du peu de cas qu’on semblait faire du couronnement de Charles III, en dehors de quelques artères très centrales de Londres (comme ci-dessous Regent Street)

Je me rappelle, tant pour les jubilés d’Elizabeth II que pour les mariages de William et Harry, la frénésie qui s’était emparée de tous les magasins de souvenirs. Rien de tel ici, j’ai même eu de la peine à trouver pour mon petit-fils un mug souvenir de cette journée.

Aucun d’entre nous, sauf peut-être ma mère qui a assisté, à Londres, au couronnement d’Elizabeth en 1953, n’a d’élément de comparaison quant à la cérémonie elle-même, censée être plus courte pour Charles que pour sa mère. N’eût été une partie musicale d’une exceptionnelle qualité, on se serait royalement ennuyé à ce cérémonial d’un âge vraiment révolu, même si les commentaires, brefs, concis et informés, des chaînes anglaises sur lesquelles on a regardé le couronnement, étaient de nature à informer le téléspectateur de 2023.

À mon petit-fils qui me demandait pourquoi Harry n’était pas avec son père, placé plusieurs rangs derrière son frère William, je fus bien incapable de donner une réponse convaincante. Au moins Charles aurait-il pu réunir ses deux fils sur le balcon de Buckingham, ça aurait eu de la gueule !

L’un des célèbres Coronation Anthems de Handel, Zadok the Priest, retentit tandis que Charles était oint des huiles saintes à l’abri des regards.

Nous étions allés faire quelques repérages vendredi après-midi – il faisait encore beau temps ! – dans les alentours du Mall et de Buckingham Palace, nous avons été enfermés une heure durant dans le parc de St James, les milliers de piétons que nous étions étant empêchés de traverser aux rares points de passage, puisque la priorité semblait être de laisser passer les quelques voitures, officielles ou non, qui pouvaient circuler dans le secteur. Je préfère ne pas me demander ce qui se serait passé si la foule avait été plus pressante ou si un fou s’y était baladé avec un couteau (puisque personne n’était contrôlé). Bizarre conception de la gestion de foule…

Mais j’aime l’Angleterre, où je n’étais plus revenu depuis 2014. Et j’ai éprouvé beaucoup de plaisir à montrer à celui que France 2 a appelé Gabriel, des lieux qui me sont familiers

J’ai aussi constaté les ravages du Brexit, l’inflation galopante. Quelques discussions avec des vendeurs, des serveurs de restaurant, des employés de monuments historiques ou d’attractions, m’ont confirmé que le Royaume-Uni traverse une très mauvaise passe et que les temps sont très durs pour tout le monde. Tout est incroyablement cher, l’entrée d’un musée, un simple repas… Il est très loin le temps où on venait faire ses emplettes du côté de Jermyn Street ou de Covent Garden.

Je reviendrai une autre fois sur les musiques jouées pendant ce couronnement. Notons tout de même qu’il n’y a que les Britanniques qui soient capables d’aligner autant de talents, de parer leurs cérémonies d’autant de musique.

Stephen Hough

Je me réjouissais d’entendre Stephen Hough jouer, jeudi soir, au Royal Festival Hall, le 3ème concerto de Beethoven, aux côtés du Philharmonia, dirigé par un chef que je ne connaissais pas, Ryan Bancroft.

Disons pudiquement que je n’ai guère été convaincu par le chef, un peu surpris, sans aller jusqu’à la déception, par le jeu et les partis-pris du pianiste. Pas grave, mon petit-fils aura apprécié le grand son du Philharmonia et l’acoustique idéale du Royal Festival Hall.

Menahem Pressler (1923-2023)

Au moment de boucler cet article, j’apprends la disparition de Menahem Pressler, à quelques mois de son centenaire. J’y reviendrai bien sûr, mais j’ai déjà beaucoup écrit sur le fondateur du légendaire Beaux-Arts Trio. Dernier grand souvenir, partagé par le public du Festival Radio France à Montpellier, en juillet 2016, deux jours après l’épouvantable attentat de Nice : La réponse de la musique

Ouverture de saison

La mort d’une reine

Hier, à l’heure où paraissait le communiqué annonçant la mort d’Elizabeth II, je prenais cette photo de la grande fontaine du parc de la Villette. Sans encore connaître la nouvelle, je me disais que le ciel de Paris, l’or du couchant qui illuminait la fontaine, étaient de circonstance.

Puisque nous allons être, nous sommes déjà, saturés d’informations, d’images, de témoignages sur la reine défunte, juste un souvenir. Il y a près de trois ans j’étais à Edimbourg et j’avais visité le palais de Holyrood, résidence officielle de la reine en Ecosse (Balmoral étant une résidence privée). Et j’avais pris cette photo de la salle à manger avec ce grand portrait de la souveraine, avant d’être interrompu par une employée, offusquée que j’aie osé photographier la reine, de surcroît dans sa demeure…

La rentrée de l’Orchestre de Paris

Du beau monde hier soir à la Philharmonie de Paris qui, à l’initiative de son nouveau directeur, Olivier Mantei, a décidé d’avancer les concerts à 20 h. Heureuse idée.

Un programme des plus copieux, et même audacieux. La marque du directeur musical de l’Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä ? Sûrement, pas moins de deux créations et une brève pièce de Kaija Saariaho, à côté de deux mastodontes (on parle ici de l’effectif orchestral !).

Concert donné en hommage à Lars Vogt, disparu lundi. À l’issue du concert, le directeur général Nicolas Droin, et la présidente de l’Orchestre de Chambre de Paris, Brigitte Lefèvre, me raconteront les derniers souvenirs, les derniers instants du pianiste et chef, l’émotion unanime que sa mort a suscitée (Ce qu’il nous reste d’eux)

Le fringant chef finlandais ouvrait le concert par une brève pièce de Kaija Saariaho Asteroid 4179, qu’il enchaînait immédiatement, et très naturellement, au célébrissime portique d’ouverture du poème symphonique de Richard Strauss Also sprach Zarathustra. J’admire le travail d’orchestre, la cohésion des pupitres, l’art du jeune chef de dégager des lignes claires dans une partition touffue, que je ne suis jamais parvenu à vraiment aimer (est-ce grave docteur ?). Puis arrive Aino, une création du compositeur péruvien Jimmy Lopez Bellido qui a fait ses études.. à Helsinki, dédiée à Klaus Mäkelä, directement inspirée d’un personnage essentiel du Kalevala, qui paie son tribut à Sibelius et à la musique de film (le compositeur Alexandre Desplat était assis devant moi !). Partition bien troussée, très consensuelle et consonante.

Jimmy Lopez chaleureusement applaudi à la fin de la première partie du concert.

En début de seconde partie, il faut dire que c’est beaucoup pour cela qu’on était venu à la Philharmonie, la création de A-Linea de Pascal Dusapin. Ce blog peut témoigner de la relation que j’ai avec le compositeur français, mon quasi-contemporain (il est mon aîné de quelques mois) : lire Présence de Pascal Dusapin. C’est le propre des grands créateurs que d’être immédiatement identifiés, reconnaissables. Cette nouvelle pièce d’orchestre d’une quinzaine de minutes est du pur Dusapin (les grands unissons, brièvement troublés de déflagrations des cuivres ou des percussions) et j’ai trouvé hier soir (les circonstances ?) teintée d’une nostalgie, d’ombres fugitives, comme une sonate d’automne.

Le concert se concluait par le Poème de l’extase de Scriabine. Etait-ce le menu trop copieux ? L’orchestre très beau, la trompette solo magnifique, le geste toujours élégant du chef, mais quelque chose qui manquait à cette montée vers l’orgasme musical ?

Après le concert, on fut heureux de retrouver quelques amis, collègues, et parmi eux une pianiste venue en groupie du chef…

Théâtres

On ne résiste pas à Feydeaudont les origines, la vie et la mort sont d’invraisemblables scènes de théâtre.

Georges Feydeau est officiellement le fils de l’écrivain Ernest Feydeau et de Léocadie Boguslawa Zalewska, en réalité selon les dires de sa mère, le fils de Napoléon III. Ou du demi-frère de l’empereur, le duc de Morny, lui-même descendant illégitime de Talleyrand  !

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Il puise son inspiration de sa vie de noctambule triste, notamment chez Maxim’s, au cours de laquelle il perd beaucoup d’argent au jeu, prend de la cocaïne dans l’espoir de stimuler ses facultés créatrices et trompe son épouse avec des femmes et, peut-être, des hommes. Il écrit plusieurs pièces en collaboration, notamment avec Maurice Desvallières7.

Après le succès de Tailleur pour dames en , Feydeau connaît une autre période difficile. Ses œuvres suivantes, (La Lycéenne, Chat en poche, L’Affaire Édouard…), ne reçoivent au mieux qu’un accueil tiède. La consécration vient en avec le succès retentissant des pièces Monsieur chasse !, Champignol malgré lui et, dans une moindre mesure, Le Système Ribadier, œuvres qui lui valent le titre de « roi du vaudeville ». Dès lors, Feydeau enchaîne les réussites : L’Hôtel du libre échange et Un fil à la patte en , Le Dindon en , La Dame de chez Maxim en , La main passe en , Occupe-toi d’Amélie en 4.

Collectionneur d’art, il fera notamment l’acquisition du tableau La Neige à Louveciennes d’Alfred Sisley lors de la vente Armand Doria par la Galerie Georges Petit en

En septembre 1909, après une violente dispute avec la coquette Marie-Anne, qui a pris un amant, il quitte le domicile conjugal du 148 rue de Longchamp (cette séparation aboutit au divorce en février 1916) et prétextant les embarras d’un déménagement, s’installe pour quelques jours dans un palace tout proche de la gare Saint-Lazare, le Grand Hôtel Terminus, chambre 189, rue de Londres. 

Ce lieu devient son domicile pour une dizaine d’années et les murs de sa chambre accueillent des œuvres d’artistes devenus à la mode comme Van Gogh ou Utrillo mais il a vendu la majeure partie de son importante collection. Dans cet hôtel, il commence à s’intéresser aux petits grooms de service et en fait apparaître dans ses pièces.

À la suite de sa séparation conjugale, Feydeau renouvelle le genre du vaudeville par une étude plus approfondie des caractères dans ses comédies de mœurs en un acte, montrant notamment la médiocrité des existences bourgeoises dont il trouve l’origine dans son propre environnement et qu’il tourne en ridicule : On purge bébé (), Mais n’te promène donc pas toute nue ! (). Il est le plus souvent question d’intrigues tournant autour du trio du mari cocu, de la femme infidèle et de l’amant, dont les turpitudes divertissent les spectateurs.

Très aimé de ses contemporains et des autres auteurs, il est témoin avec Sarah Bernhardt, le , au mariage d’Yvonne Printemps et Sacha Guitry, un ami qui le visitera quand il sera interné pour des troubles psychiques dus à la syphilis contractée par le biais d’une jeune travestie dans la clinique du docteur Fouquart à Rueil-Malmaison, pavillon des Tilleuls

Durant un séjour de deux ans dans ce sanatorium où il est soigné par le docteur Bour, Feydeau est atteint tour à tour de surmenage, de délire, de mégalomanie, de paranoïa, il parle aux objets… On essaie de le traiter avec les moyens de l’époque : douches froides, bromure, chloral, sédatifs. Puis on grillage la fenêtre de sa chambre. Il meurt à l’âge de 58 ans, ses funérailles ont lieu à l’église de la Trinité et il est enterré au cimetière Montmartre auprès de son père.

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On ne résiste pas à Feydeau, mais Feydeau résiste à l’usure du temps, aux changements d’époque, parfois même aux « adaptations » qu’on lui fait subir.

Le traitement que Zabou Breitman réserve à La Dame de chez Maxim, qui fait salle comble depuis des semaines au théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris, m’a laissé partagé.

D’abord le rôle de la Môme Crevette confié à Léa Drucker ! Un contre-emploi où personne ne l’attendait. Plutôt réussi. Chapeau l’artiste !

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On s’interroge, en revanche, sur les coupures qu’aurait pratiquées la metteuse en scène, et surtout sur le recours au travestissement qu’elle opère pour la scène de la noce à la campagne. 74597731_10157688036583194_6477029588261142528_n

Pourquoi rajouter des effets comiques à une mécanique déjà parfaitement réglée par Feydeau lui-même? On ne voit pas ce que cela apporte, en dehors de faire sourire – timidement – la salle.

En revanche, toute la distribution est à louer, à commencer par Anne Rotger, impayable épouse, bigote, trompée, par son grand dadais de mari, Micha Lescot. André Marcon campe un général que sa propre caricature finit par entraîner dans un fou rire communicatif. Tous les autres à l’avenant.

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Autre théâtre humain, celui dont la reine Elizabeth est le coeur, celui que dépeint l’excellente série The Crown dont on attendait avec impatience la saison 3.

https://www.youtube.com/watch?v=vLXYfgpqb8A

Il va de soi que The Crown court continûment le risque de verser dans l’élégie ou l’apitoiement à l’égard de personnages que rien ne porte à plaindre a priori. Mais son créateur, Peter Morgan, parvient la plupart du temps à contourner cet écueil, que ce soit par l’humour, la peinture des défaillances des personnages royaux ou, plus encore, au travers du spectre politique britannique que le premier ministre vient dépeindre chaque semaine à la reine. Par ailleurs, la structuration des épisodes et l’intelligence de la mise en scène (notamment dans l’épisode 1) en font une série qui n’innove en rien, mais reste remarquable. (Le Monde, 16 novembre 2019)

RellikL’actrice Olivia Colman incarne Elizabeth II parvenue à la quarantaine.

 

Mariage

C’est entendu, il ne sert à rien de s’interroger sur la pertinence, la nécessité, pour une chaîne de télévision de service public – France 2 – d’offrir sept heures ininterrompues de direct à un mariage princier outre-Manche.

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Finalement, cette twitteuse invétérée, qui râle plus souvent qu’à son tour, doit avoir raison : « C’est fou le nombre de gens qui ne comprennent pas qu’on puisse kiffer un beau mariage. Désolée, mais moi, ça me fait un bien fou de regarder ces gens heureux, bien habillés, riches… J’ai zéro aigreur. J’ai un plaisir de gamine à voir des jolies robes, une déco de malade… ça fait du bien de voir du beau, des trucs d’un autre siècle, d’un monde qui disparait petit à petit… On continuera à stresser et à faire la gueule demain, promis, mais là, laissez-nous nous émerveiller ».

Je me suis satisfait de l’un des multiples résumés diffusés par toutes les chaînes en une de leurs JT.

Beaucoup d’internautes ont relevé le haut niveau des prestations musicales qui ont accompagné la cérémonie. Il faut reconnaître aux Britanniques une évidente supériorité en la matière !

Le choix de musiques fait par les jeunes mariés (ou à eux conseillé !) est plutôt bien venu

https://www.youtube.com/watch?v=9qFyQmVyoJM

L’Ode pour l’anniversaire de la reine Anne de Haendel n’est pas l’oeuvre à laquelle on aurait pensé d’emblée. Il faut dire qu’on a le choix dans l’oeuvre du compositeur allemand natif de Halle, devenu sujet britannique : que d’odes et hymnes (comme les Coronation Anthems) pour les célébrations, funérailles, anniversaires, couronnements royaux !

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Le compositeur John Rutter (né en 1945) est une star outre-Manche, il perpétue une tradition chorale si profondément ancrée dans l’âme britannique.

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L’hymne Lord of All Hopefulness,entamé par la royale assistance de l’église St.George de Windsor, est l’oeuvre d’une femme Joyce Anstruther (1901-1953) qui eut quelques succès littéraires.

La prestation du jeune violoncelliste Sheku Kanneh-Mason (né en 1999) a été particulièrement remarquée.

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Sheku a enchaîné trois oeuvres, accompagné par l’orchestre de la BBC du Pays de Galles, dirigé par Christopher Warren-Green.

D’abord une Sicilienne faussement attribuée à la musicienne autrichienne Maria Theresa von Paradies (1759-1824), Elle a en réalité été composée par le violoniste Samuel Dushkin qui prétendit l’avoir découverte et qui se serait inspiré d’un thème de la sonate pour violon (opus 10 n°1) de Carl Maria von Weber.

Puis une transcription, réalisée par Pablo Casals, d’une célèbre mélodie de Gabriel Fauré, Après un rêve.

Enfin le célébrissime Ave Maria de Schubertqui avait toute sa place dans une célébration religieuse britannique, la mélodie de Schubert trouvant son origine dans La dame du lac de Walter Scott !

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C’est évidemment la prestation du Kingdom’s Choir qui aura fait la plus forte impression :

Avec Stand by Me de Ben E.King  et le gospel This little light of mine.

PS. Pendant que quelques millions de téléspectateurs suivaient minute par minute ce princier mariage, je redécouvrais ou découvrais des enregistrements du chef finlandais Esa-Pekka Salonen, rassemblés dans un généreux coffret. Détails ici : Salonen, le maître du XXème siècle.

Pompe et circonstances

Suite et fin (provisoire) d’une petite série royale (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/04/22/au-service-de-sa-majeste/). Retour sur l’étrange corporation des Masters of the Queens / Kings Music, les maîtres de musique de la Cour d’Angleterre. On s’était arrêté à Bax. En 1924, c’est un compositeur célèbre et déjà comblé d’honneurs qui accède à la royale fonction : Edward Elgar (1857-1934). Il a bien mérité cette distinction, c’est lui qui, pour le couronnement d’Edouard VII en 1902, a adapté la première de ses cinq marches intitulées Pomp and Circumstance : Land of Hope and Glory. Qui est quasiment devenue un second hymne national.

Land of Hope and Glory, Mother of the Free,
            How shall we extol thee, who are born of thee?
            Wider still and wider shall thy bounds be set;
            God, who made thee mighty, make thee mightier yet,
            God, who made thee mighty, make thee mightier yet.

https://www.youtube.com/watch?v=vpEWpK_Dl7M

Edward Elgar n’est bien sûr pas l’homme de ces seules marches. Ni celui de la modernité qui s’était emparée de l’Europe centrale dès le début du XXème siècle. On a peine à croire que son très romantique concerto pour violoncelle date de.. 1919 !

Document émouvant que celui-ci, Jacqueline du Pré et son mari de l’époque, Daniel Barenboim, enregistrés en 1967 :

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Pas beaucoup plus révolutionnaire, l’autre chef-d’oeuvre célèbre d’Elgar, ses Enigma Variations (https://fr.wikipedia.org/wiki/Variations_Enigma)

https://www.youtube.com/watch?v=aqvOVGCt5lw

Une version de référence :

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Le XIXème siècle voit défiler une série de Masters of Musick qui n’ont guère laissé de traces, à l’époque où l’Allemagne et l’Europe centrale menaient la danse…

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Au service de Sa Majesté

Les 90 ans d’Elizabeth d’Angleterre promettaient une actualité souriante. Et voici le monde entier plongé dans l’affliction : Prince meurt le jour de la Reine, la coïncidence (un complot ?) est troublante. L’histoire se répète (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/01/11/la-dictature-de-lemotion/). Désolé de ne pas participer à l’émotion générale et de sourire à ce détournement d’image :

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Hier donc j’évoquais le rapport de la souveraine britannique avec le monde de la musique (https://jeanpierrerousseaublog.com/2016/04/21/la-reine-et-la-musique/). De la même manière qu’elle a connu tous les chefs d’Etat, et grands personnages du monde, la longévité de son règne a permis à Elizabeth de connaître une incomparable galerie de compositeurs et de musiciens. Elle a perpétué une tradition semi-millénaire : les Maîtres de Musique de la Reine (ou du Roi).

Depuis deux ans, c’est une femme, la compositrice Judith Weir (1954) qui occupe cette fonction plus honorifique que réelle.

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Sur cette photo, on aperçoit au milieu le prédécesseur de Judith Weir dans la fonction, Peter Maxwell Davies, l’un des grands noms de la musique anglaise – comme tant d’autres méconnu sinon ignoré sur le continent – disparu récemment, le 14 mars dernier.

Remontant le XXème siècle à rebours, on ne trouve pas que des éminences dans la liste de ces Maîtres de musique. J’avoue n’avoir jamais entendu une note du dénommé Malcolm Williamson (1931-2003), Australien nommé à ce poste en 1975 à la surprise générale, et vite tombé en disgrâce parce qu’incapable d’achever la Jubilee Symphony que le Palais lui avait commandée pour le jubilé d’argent de la reine en 1977.

Ce n’est pas à Arthur Bliss (1891-1975) que pareille mésaventure serait arrivée. Nommé à la prestigieuse fonction en 1953, après avoir écrit the Processional for the Coronation – pour la cérémonie de couronnement d’Elizabeth, il a le temps d’achever sa dernière oeuvre, la cantate Shield of Faith, pour célébrer les 500 ans de la Chapelle Saint-Georges du château de Windsor.

Arthur Bliss est un original à tous les sens du terme, son oeuvre mérite vraiment une écoute attentive et curieuse. Je conseille un excellent coffret de la série British Composers, naguère EMI, aujourd’hui Warner

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Le prédécesseur de Bliss, Arnold Bax (1893-1953) est tout aussi passionnant. Il est certes l’auteur de la Marche du Couronnement de 1953, mais surtout de poèmes symphoniques et de symphonies qui respirent large les vastes espaces marins, comme ce magnifique Tintagel (https://fr.wikipedia.org/wiki/Château_de_Tintagel)

C’est au très grand chef Vernon Handley (1930-2008) qu’on doit la meilleure intégrale symphonique de Bax, à découvrir et écouter sans modération !

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https://www.youtube.com/watch?v=PTmtNU8NEn4

 

 

La reine et la musique

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Difficile d’ignorer que la reine Elizabeth fête aujourd’hui ses 90 ans !

En revanche, il y a peu de chances que les médias traitent un aspect nettement moins people de sa vie et de son règne : son rapport à la musique. Rapport personnel ou officiel. Petite revue de détail, grâce à l’excellent dossier constitué par ClassicFM 😦http://www.classicfm.com/music-news/latest-news/queen-elizabeth-classical-music/)

Dès 1930, le vieil Edward Elgar dédie sa Nursery suite aux deux jeunes princesses, Elizabeth et Margaret.

Le 25 mars 1944, les deux princesses et leur mère sont au Royal Albert Hall pour fêter le 75ème anniversaire du chef d’orchestre Henry Wood, qui a fondé en 1895 les célèbres Promenade Concerts (devenus Prom’s) et arrangé nombre de mélodies traditionnelles (ici sa Fantasia on British sea songs dirigée par mon ami Paul Daniel lors d’une soirée des Prom’s)

En 1951, la future reine participe avec toute la famille royale à l’inauguration du Royal Festival Hall sur Southbank. Avec le Barbican center quelques années plus tard, ce sera l’un des principaux temples de la musique classique de la capitale britannique, la « maison » de plusieurs des grands orchestres londoniens, le London Philharmonic, le Philharmonia entre autres (on y reviendra).

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Le 2 juin 1953, le couronnement d’Elizabeth est évidemment accompagné par beaucoup de musique et de nombreuses créations. Le sujet mérite à lui seul tout un billet. Patience !

Quatorze ans  plus tard, la reine inaugure la nouvelle salle de concert de Snape Maltings pour la 20ème édition du festival d’Aldeburgh fondé par Benjamin Britten (à droite sur la photo).

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On découvre en feuilletant l’album réuni par ClassicFM qu’Elizabeth II assiste à un concert à la Scala de Milan en 2000 et y entend l’ouverture d’Elgar In the South dirigée par Riccardo Muti.

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En 2005, la reine remet une nouvelle décoration The Queen Medal of Music au vétéran Charles Mackerras, en 2006 c’est le baryton gallois Bryn Terfel qui la reçoit à l’issue d’un concert organisé pour les 80 ans de la souveraine.

Prochain épisode : les « maîtres de musique » de la reine !