Haydn encore

A chaque fois que j’évoque le compositeur né en 1732 à Rohrau, mort à Vienne en 1809, le père du quatuor et de la symphonie, Joseph Haydn, je m’amuse au souvenir de certains hommes (et femmes) de radio s’escrimant à écorcher ce nom. Dans un article – souvent consulté – Comment prononcer les noms de musiciens ?, j’expliquais : le grand Josef Haydn n’a pas non plus été mieux servi des décennies durant. Il est si simple de dire : Haille-deunn, mais plus fun sans doute d’ânonner un improbable : Aïn-d !.

Toujours revenir à Haydn, père nourricier. Comme je le fais dans ma discothèque, et m’apercevant qu’ici j’ai été plutôt discret sur des parutions que j’admire et j’écoute souvent.

Ainsi je suis passé un peu vite sur une intégrale dont je découvre chaque jour les pépites, l’inspiration, la qualité de la réalisation : Thomas Fey, Johannes Klumpp et les Heidelberger Sinfoniker sont peut-être de parfaits inconnus de ce côté-ci du Rhin. Leurs symphonies de Haydn méritent beaucoup plus qu’un coup d’oreille distrait :

Il faudra qu’un jour je me fasse ma propre tribune d’écoute comparée de cette prodigieuse Symphonie n°39 en sol mineur (la même tonalité que les 25 et 40 de Mozart) que j’avais découverte au concert grâce à Armin Jordan dirigeant l’Orchestre de la Suisse romande, puis réentendue le 13 mars 2008 avec le chef le moins attendu dans ce répertoire, avec un orchestre tout aussi inattendu : Riccardo Muti et l’orchestre national de France ! Une version qui fait partie des trésors rassemblés dans un coffret exceptionnel – célébrant les 80 ans de l’Orchestre – que j’avais eu le bonheur de publier il y a exactement dix ans… et qui est toujours disponible !

Les sonates de Bavouzet

J’avais entendu le merveilleux Jean-Efflam Bavouzet en décembre 2021 au Théâtre des Champs-Élysées jouer un concerto pour clavier de Haydn, j’avais alors rappelé l’un de ses tout premiers disques consacrés au compositeur viennois, tandis qu’il continuait d’enregistrer l’intégrale de ses sonates.

En 2022, le pianiste français était l’avocat le plus convaincant du piano de Haydn

Revenir aux quatuors de Haydn est toujours une hygiène de l’esprit, quelque chose comme une source vive, à laquelle il y a nécessité de s’abreuver régulièrement. Dans ce répertoire, le quatuor Amadeus est le maître.

Et pour finir, la cerise sur le gâteau : Martha Argerich inégalable dans le concerto en ré Majeur et dans son finale all’ungarese, en deux versions, l’une où elle dirige du clavier le London sinfonietta, l’autre où le vénérable Jörg Faerber la laisse cavaler en liberté.

Obituaries

Je ne sais pourquoi, j’ai toujours préféré l’anglais Obituary au français Nécrologie  (qui m’évoque trop la nécrose ?) 

C’est l’une des rubriques que je consulte avec intérêt lorsque je reçois le mensuel britannique Gramophone

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Dans le numéro de juin reçu hier, ce n’est pourtant pas cette rubrique qui a attiré mon attention mais des photos récentes et la métamorphose d’un chef d’orchestre qui n’annonçaient rien de bon.

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Pressentiment confirmé aujourd’hui par le même magazine : Jiří Bělohlávek* est mort ce matin des suites d’un cancer qui l’avait conduit à renoncer à ses engagements ces derniers mois.

Jean-Charles Hoffelé s’enthousiasmait pour le tout dernier enregistrement du chef tchèque disparu à 71 ans, sa troisième version du Stabat Mater de Dvořák.

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Je dois à l’honnêteté de dire que je n’ai jamais été très emballé par les (rares) concerts auxquels j’ai assisté ni par les enregistrements les plus récents de ce chef. Tout est bien fait, bien dirigé, mais – encore une fois c’est un sentiment personnel – je trouve que Bělohlávek est en-deça de ses illustres aînés dans leur répertoire natal (Ancerl, Talich, Neumann mais aussi Šejna ou Košler), moins intéressant que la génération montante (Jakub Hrůša, Tomáš Netopil).

Ce coffret Dvořák n’est pas indispensable.

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et si l’on veut se rappeler l’indéniable talent de ce chef, on trouvera de bien meilleures versions (par exemple le Stabat Mater) dans ces belles anthologies Supraphon

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Autre disparition cette semaine, celle de la claveciniste Elisabeth Chojnacka*

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La musicienne avait un peu disparu des scènes et des écrans depuis une vingtaine d’années, mais elle les avait occupés avec un panache, une ardeur irrésistibles dès son installation en France (lire Une longue série de créations). Je me rappelle sa visite à mon bureau de France Musique il y a au moins vingt ans : rien dans son allure, sa tenue, sa coiffure ne pouvait laisser indifférent. Je l’avais sentie un peu triste de ne plus être la star de la musique contemporaine qu’elle avait été à juste titre. Je l’avais découverte, et du coup aimé sa manière de toucher un instrument qui ne m’a jamais beaucoup séduit, le clavecin, lors de concerts des Jeunesses Musicales de France dans ma bonne ville de Poitiers.

 

*Comment prononcer ces noms imprononçables ? Jiří Bělohlávek = Yirji Bé-lokh (comme Loch en allemand)-la-vièk  et Elisabeth Chojnacka = H (aspiré)-oï-na-ts-ka

 

Poutine ou Putin ?

Débat dérisoire au regard des tragédies de l’actualité que celui qui s’est développé depuis quelques jours sur certains « murs » Facebook et lors d’une discussion avec un éminent rédacteur de programmes musicaux.

Un auditeur mal luné de Vincent Josse qui anime l’émission quotidienne La Récréation sur France Inter faisait le reproche au journaliste de prononcer Bach à la française (= Bak), et dressait une longue liste de compositeurs dont on se ferait un plaisir d’écorcher les noms. Polémique ridicule. Il y a des règles et des usages, que j’avais rappelés dans un article de ce blog : Comment prononcer les noms de musiciens étrangers ?.

Notre discussion avait trait un peu au même sujet : la prononciation et la graphie des noms russes. Depuis un siècle les usages ont beaucoup évolué, sous l’influence du nivellement international, en réalité anglo-saxon. Jusqu’à la fin du XXème siècle, chaque idiome transcrivait un nom russe selon ses normes : Shostakovich (Шостакович) donnait Chostakovitch en français, Schostakowitsch en allemand. Prokofiev et Rachmaninov étaient transcrits Prokofieff et Rachmaninoff pour faire entendre la prononciation correcte du final. Sur nombre de disques parus de son vivant, on écrivait Emile Guilels et non Gilelstranscription littérale de Гилельс.

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Il est admis depuis toujours, dans les livres d’histoire comme dans la presse, que les noms russes se terminant par le suffixe -in sont écrits –ine : Staline, Lénine, Pouchkine, Kossyguine, Eugène Onéguine… Mais marché mondial du disque oblige, on écrit Vadim Repin, Sergei Larin, Boris Belkin ou Evgeny Kissin…

81op5i9bvxl-_sl1500_(Lire à propos de cet excellent coffret le papier que lui consacre J.C.Hoffelé : Pour l’amour d’Evgeny);

Mais contrairement à cette mode, le patronyme du tout-puissant patron de toutes les Russies, et accessoirement complice et allié des bourreaux d’Alepne « bénéficie » pas, dans les médias français, de la graphie internationale de son nom Пу́тин Putin mais est toujours écrit à la française : Poutine… Craindrait-on un défaut de prononciation et un rapprochement hasardeux ? À la différence de l’héroïne de la pièce de Sartrece P. là n’est ni respectueux ni respectable.

Je ne peux m’empêcher de redonner ici la chronique que Nicole Ferroni a livrée ce matin sur France Inter :