France Musique : 30 ans ont passé, les souvenirs restent

J’ai déjà raconté ici – L’aventure France Musique – les raisons et les circonstances de mon arrivée à France Musique le 23 août 1993, il y a donc exactement 30 ans !

J’invite ceux que cela intéresse à relire mon article d’il y a cinq ans…

J’ai découvert un peu par hasard que le 6e épisode du podcast La Maison de la Radio : 60 ans de musique et de partage évoque cette période et le rôle que j’ai pu jouer (à écouter ici ou en direct le 26 août à 9 h sur France Musique)

Je garde de précieux souvenirs des presque six années que j’ai passées à la tête de la station, mais je n’éprouve ni nostalgie ni regrets. Encore moins ce qui malheureusement alimente souvent les souvenirs de ceux qui ont été « en responsabilité », l’aigreur ou la rancoeur. Ce sont des sentiments qui me sont, qui m’ont toujours été étrangers.

Oui il m’arrive de penser que j’aurais pu faire plus, mieux, plus longtemps dans les fonctions qui m’ont été confiées, mais j’éprouve plus souvent la satisfaction de voir que les projets qu’on a lancés, les transformations qu’on a opérées – et il y en a eu beaucoup à France Musique – sans heurts, sans atteinte à la dignité des personnes, sont ancrés dans l’histoire de la chaîne et dans la mémoire de ceux qui ont participé à l’aventure, et qui pour beaucoup en font encore partie.

Deux grilles etc.

Anne-Charlotte Rémond évoque dans cet épisode la grille que j’étais chargé de préparer pour janvier 1994 (sous la supervision de Claude Samuel). Elle aurait pu ajouter ma pleine et entière responsabilité dans celle qui a été établie, cette fois avec Pascal Dumay, pour la rentrée 1997. Les principes sont restés les mêmes, mais – il y a prescription – je voudrais raconter une anecdote qui illustre l’état de tension, d’incertitude que génère inévitablement l’exercice de la refonte d’une grille de programme chez les producteurs. Dumay et moi nous étions isolés pendant un week-end à l’écart de Paris pour « finaliser » le dispositif et bien entendu nous étions convenus, au moins implicitement, que nos discussions resteraient secrètes, tant que la grille ne serait pas validée, sachant que tous guettaient le moindre signe. Dans la semaine qui suivit, mon cher assistant, Sylvain Lopez (tragiquement disparu dans un accident de voiture à l’été 1999), me rapporta des « bruits » de couloir alarmistes, forcément alarmistes, sur nos travaux du week-end! Je parvins à identifier la source de ces bruits, une jeune productrice dont on me dit qu’elle était très proche du directeur de la musique…Je me retrouvai dans la très délicate situation de devoir dire innocemment (!) à ce dernier mon incompréhension quant aux fuites qu’on me rapportait. Penaud, il me promit de mettre fin à cette situation ! Finalement, « notre » grille fut très bien accueillie tant par la « maison » que par la presse.

J’ai précieusement gardé l’article de Christian Leblé paru dans Libération en janvier 1996, quelques mois avant que Claude Samuel ne soit remplacé par Pascal Dumay à la direction de la musique de Radio France : France Musique mue et remonte. Les problématiques qui se posaient demeurent peu ou prou et la nécessité de faire une « radio à l’écoute de ses auditeurs » plus évidente que jamais.

Mémoire retrouvée

Ainsi à l’occasion du récent décès de Renata Scotto, France Musique a rediffusé quelques épisodes d’une série « Mémoire retrouvée » que j’avais lancée dès l’été 1994, sur un principe simple. En radio, la plupart des personnes interviewées le sont parce qu’elles sont dans l’actualité ou parce qu’elles ont une « promo » à faire. Mais quid de celles et ceux qui ont quitté les feux de la rampe, et qui ont des tas de souvenirs à livrer… et qu’on interroge rarement ? J’avais donc proposé à tous les producteurs de la chaîne une formule et un format inédits (j’avoue que j’ai eu un peu de mal à convaincre la structure de production, déstabilisée par la liberté que je tenais à laisser aux équipes) : j’ai demandé à chacun(e) une liste de personnalités qu’il/elle souhaiterait interroger. Une fois d’accord, les producteurs prenaient contact avec elles et nous ne fixions la durée de l’émission qu’après que la rencontre entre interviewés et producteurs avait eu lieu. Ainsi, par exemple, la même productrice fit face à deux cas de figure opposés : après avoir rendu visite à un célèbre ténor (Alain V.), elle me dit qu’avec le matériau récolté, elle tiendrait tout juste une heure. En revanche, avant même d’en avoir terminé avec la grande Renata T., elle m’annonça qu’elle en aurait bien pour cinq émissions, toute une semaine. Je ne voulais surtout pas enfermer les uns et les autres dans un format.

C’est ainsi qu’avec Renata Scotto, en 1997, Mildred Clary put réaliser trois émissions : Mémoire retrouvée de Renata Scotto, à réécouter ici

Je regrette que mon successeur Pierre Bouteiller ait interrompu une série qui constitue, encore aujourd’hui, une formidable source d’archives exclusives sur le monde musical de la fin du XXème siècle.

Directs de New York et de Lyon.

Parmi les réalisations dont je reste fier, deux semaines vraiment exceptionnelles à l’automne 1998 ont marqué l’histoire de la chaîne. Anne-Charlotte Rémond évoque dans son podcast l’incroyable semaine en direct de New York avec Renaud Machart et Claude Carrière : je l’ai racontée ici lorsque Claude Carrière est mort (lire La belle carrière de Claude). Avec un incident dont je n’ai pas lieu d’être fier…

Quelques mois après l’expédition new-yorkaise, France Musique installait ses micros à l’Opéra de Lyon, pour une semaine de directs de l’amphithéâtre de la scène complètement refaite par Jean Nouvel en 1993.

Pour la première fois, les auditeurs de la chaîne allaient découvrir en direct plusieurs stars d’aujourd’hui : Karine Deshayes, Stéphane Degout, Stéphanie d’Oustrac…et l’ouvrage de Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue, avec lequel le nouveau directeur général, Alain Durel, et son nouveau directeur musical, Louis Langrée, inauguraient leur mandat, Françoise Pollet incarnant glorieusement le rôle réputé inchantable d’Ariane.

Un dernier hommage à Michel Larigaudrie, disparu il y a bientôt un an, qui m’envoyait régulièrement des photos des émissions de France Musique qu’il réalisait. Je retrouve celle-ci au moment de conclure cet article : je ne reconnais pas tout le monde, sauf bien sûr à droite de la photo Rolf Liebermann (1910-1999), entre autres ancien directeur de l’Opéra de Paris, et tout à gauche Michel Larigaudrie et Olivier Morel-Maroger qui m’a lointainement succédé à la direction de la chaîne (de 2011 à 2014). Je me demande bien ce que j’étais en train de raconter à l’époque…

L’aventure France Musique (VII) : la séparation

Il y a vingt ans, en août 1999, j’étais rentré d’un long et magnifique voyage dans l’ouest des Etats-Unis, que je n’avais pas voulu annuler ou réduire, malgré l’incertitude dans laquelle je me trouvais quant à mon avenir professionnel.

Retour en arrière.

En novembre 1998, au terme de manoeuvres dont il a toujours été coutumier (il y en aurait tant à raconter à son propos !), Jean-Marie Cavada était désigné par le CSA pour succéder à Michel Boyon à la présidence-direction générale de Radio France. Il y avait été fortement aidé par Jean-Luc Hees, qui en serait remercié en étant nommé quelques semaines plus tard directeur de France Inter.

C’est, paraît-il, l’habitude dans l’audiovisuel public (on ne commet pas les mêmes erreurs dans le privé) et personne ne l’a jamais sérieusement contestée : un PDG qui arrive débarque l’équipe sortante et installe ses protégés. Exception à la dite règle : Michel Boyon, arrivant fin 1995 à Radio France, se garda bien de l’appliquer, même s’il procéda à des changements après avoir consulté, écouté, pris des avis.

M. Cavada, dès la première réunion de direction qu’il présida, entendit bien montrer qu’il était le patron. On lui avait signalé, quelque part en France, une rupture de faisceau qui avait laissé une antenne locale muette pendant quelques minutes : le patron de la « technique » présent autour de la table se le fit vertement reprocher. L’algarade n’épargna aucun des participants, puisque le nouveau PDG nous indiqua aimablement que la porte était ouverte pour qui voulait la prendre… On eût espéré meilleure entrée en matière !

Le 6 janvier 1999, on apprenait la mort de Michel Petrucciani.

Nous fûmes convoqués à une réunion extraordinaire chez le « président », qui s’impatienta de la lenteur – selon lui – de la réaction des chaînes de Radio France, exigea un plan d’émissions spéciales, etc. Je suggérai que, Radio France étant aussi une grande maison de musique, on organise un grand concert d’hommage à Petrucciani avec tout ce que la planète jazz compte d’admirateurs du musicien disparu. Le dimanche 24 janvier eut lieu un concert-événement, comme on en a peu connus avant et depuis : quatre heures d’antenne, un studio 104 archi comble et le monde entier accouru à Paris.

Toute la soirée on guetta le passage du PDG, qui avait si vigoureusement réclamé un tel hommage. On ne le vit point.

Le lendemain, malgré la fatigue de la soirée, je m’apprêtais à gagner mon bureau d’assez bonne heure, lorsque je reçus, vers 8h30, un appel… de la présidence. Au bout du fil, Jean-Marie Cavada. Pour me remercier de la soirée de la veille ? Que nenni ! Pour me dire très exactement ceci : « Je tiens une conférence de presse à 9 h, je voulais vous avertir que j’y donnerai le nom de votre successeur« . Interloqué – on le serait à moins – j’eus quand même la présence d’esprit de lui demander qui était ce « successeur« . – « Pierre Bouteiller » me dit-il, « mais je vous verrai dans la journée pour vous proposer un autre poste à la hauteur de vos mérites« .

Il y avait dans l’après-midi une cérémonie, à laquelle j’avais été convié, pour fêter les 10 ans de l’existence du CSA. Je ne fus pas d’humeur de m’y rendre, et préférai rassurer mes équipes et proches collaborateurs, auxquels j’avais appris la nouvelle avant qu’elle ne fût rendue publique. J’attendis, bien sûr, en vain l’invitation de M. Cavada au rendez-vous qu’il m’avait promis. Je finis par l’obtenir quelques jours plus tard, sans en attendre grand chose, instruit que j’avais été entre temps des manières de l’ex-animateur de La Marche du Siècle, promesses jamais tenues, débauchages jamais suivis d’effet…

Je finis par comprendre à demi-mots que je serais peut-être recasé à la direction des affaires internationales. Dès que le bruit s’en répandit dans la Maison ronde, le titulaire du poste, qui bénéficiait d’appuis politiques que je n’avais pas (et que je n’ai jamais eus ni revendiqués !), s’empressa de faire barrage à cette initiative.

C’est ainsi que j’échouai avec d’autres collègues « virés » (les directeurs de France Inter, France Culture entre autres !) au septième étage de la maison de la radio, où on transféra nos bureaux… dans l’attente de jours meilleurs. Nous eûmes vite fait de baptiser cette portion de couloir, « l’allée des cyprès » ! De quoi se plaignait-on ? Nous continuions d’être payés, avec les avantages attachés à nos fonctions. Là encore, une triste habitude du service public : le placard plus ou moins doré pour les cadres écartés !

Confusion

Sitôt annoncées, J.M.Cavada entendait que les nominations soient immédiatement effectives. Les nouveaux directeurs devraient prendre leurs fonctions toutes affaires cessantes, comme lors de la formation d’un nouveau gouvernement.

Le seul petit problème qui avait échappé au « grand professionnel » de l’audiovisuel qu’il se targuait d’être est qu’une grille de programmes ne se manipule pas au gré des humeurs d’un PDG. Ainsi, Pierre Bouteiller animait une quotidienne très écoutée sur France Inter, qu’il ne pouvait abandonner du jour au lendemain, surtout pour prendre la direction d’une chaîne – France Musique – dont tous les contrats et les programmes étaient arrêtés jusqu’à la fin de la saison. Pierre Bouteiller, qui lui était un vrai professionnel de la radio – il avait été directeur des programmes de France Inter de 1989 à 1996 – me demanda comme un service d’assurer la continuité de l’antenne, le temps qu’il puisse « céder » son émission et prendre ses marques. Ce que je fis d’autant plus volontiers que les méthodes du nouveau PDG avaient hérissé au plus haut point l’ensemble des collaborateurs de la Maison ronde.

Les semaines s’écoulaient. J’étais toujours salarié de Radio France, mais plus directeur de France Musique, et dans la plus totale incertitude. Je prenais des contacts à l’extérieur, sans pouvoir clairement poser de candidature à tel ou tel emploi. Situation des plus inconfortables. Rien ne bougeait du côté de la présidence. A la demande du bras droit de J.M.Cavada, j’avais élaboré un projet de refonte du programme Hectorun programme musical classique diffusé en continu par satellite, et la nuit sur France Musique. Je m’aperçus quelques mois plus tard qu’on avait généreusement emprunté à mon texte ! Pas de droit d’auteur sur les bonnes idées…

J’annonçai au secrétariat du PDG que je prendrais quelques semaines de vacances en juillet, je n’eus ni réponse ni avis contraire.

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Convocation

De retour de vacances début août, je trouvai une lettre recommandée venant de Radio France… me convoquant à un entretien le 18 juillet ! J’appelai la Direction du personnel (on ne disait pas encore DRH) qui, confuse, me confirma que l’ordre était venu de M.Cavada lui-même d’en « finir » au plus vite avec moi (et de préférence au milieu de l’été pour éviter d’éventuelles vagues !).

Nous convînmes d’un nouveau rendez-vous, je fus reçu par le directeur général de Radio France, et l’adjointe de la directrice du personnel. L’un et l’autre s’excusant de devoir se prêter à cette procédure. Il leur fallait trouver un motif pour me licencier, une baisse de l’audience de France Musique peut-être ? Çà tombait mal, la dernière vague Médiamétrie de juillet faisait état d’une audience établie à 1.7, en nette remontée par rapport à la vague et à l’année précédentes. Cette audience étant mesurée sur « ma » grille de programmes, puisqu’il n’y avait aucun changement depuis mon remplacement par P. Bouteiller en janvier ! Je finis par souffler à mes interlocuteurs désolés qu’on pouvait invoquer un « désaccord » entre le nouveau PDG et l’un de ses principaux collaborateurs. Ainsi fut écrite ma lettre de licenciement ! Mon départ de Radio France fut réglé avec une rare élégance par la directrice du personnel, avec qui je m’étais parfaitement entendu pour traiter de situations souvent délicates (lire Fortes têtes). 

C’était le grand saut dans l’inconnu, mais je préférais mille fois la clarté et la liberté à l’ambiguité dans laquelle j’étais placé depuis le début de cette année 1999. Quelques semaines plus tard, allait commencer une autre aventure, inattendue, inespérée. J’y reviendrai !

PS 1 Ce n’est pas parce que j’évoque la fin de mon aventure à France Musique, que je ne ne reviendrai pas à certains souvenirs, à certains portraits.

PS 2 Au moment où France Musique et les autres chaînes présentent leurs grilles de rentrée, je me rappelle avoir été, bien involontairement, à l’origine des « grilles d’été » de Radio France. Arrivant de la Radio Suisse romande, où les deux mois d’été étaient déjà sous le régime d’une grille « allégée », je proposai dès l’été 1995 un système de même type, une grille d’été très différente de la grille de saison (j’en reparlerai à l’occasion)  La règle à Radio France c’était juste le mois d’août en mode service minimum, beaucoup de rediffusions, et la quasi-totalité des producteurs, journalistes et animateurs en vacances. A l’été 1996, mes collègues de France Inter et France Culture m’emboitèrent le pas, tout le monde trouvant beaucoup d’avantages à la liberté, à la souplesse que permet une grille d’été (notamment pour tester de nouveaux concepts, de nouvelles voix).

Victoires jubilaires

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Alors que j’avais émis quelques réserves l’an dernier (lire Quelles victoires ?) je dois saluer la réussite des 25èmes Victoires de la musique classique qui ont eu lieu hier soir dans le cadre magique de la Grange au Lac d’Evian.

Sans doute parce que tant de souvenirs m’attachent à ce lieu, à l’inauguration duquel j’avais assisté. J’ai déjà évoqué ici l’âme et l’instigateur de cette Grange au Lac (lire Anniversaires 90 + 175 :

« Evian d’abord où le grand patron d’industrie Antoine Riboud s’était entiché de Slava, dont il avait fait, en 1987, le président et l’âme des Rencontres Musicales d’Evian (fondées en 1976 par Serge Zehnacker) et à qui il avait offert une salle de concert hors norme dans le parc de l’hôtel Royal, la Grange aux Lacs.

Beaucoup de souvenirs pas seulement musicaux de ces retrouvailles annuelles, auxquelles j’assistais en voisin. J’y reviendrai, tant il y en eut d’émouvants, d’agaçants ou de cocasses. L’un me revient à propos de Pierre Bouteiller : celui-ci n’était jamais le dernier à courir les cocktails d’après-concert, surtout lorsqu’ils avaient lieu au Royal. A l’heure où la plupart des convives rassasiés partaient se coucher, Pierre se mettait au piano près du bar et jouait des standards de jazz…

Autre souvenir lié à l’inauguration devant un parterre très people de la Grange aux Lacs. La soirée avait été particulièrement pluvieuse, les abords immédiats de la salle n’étaient pas achevés, et c’est sur des chemins de terre détrempés que les invités devaient rejoindre le dîner au Royal en contrebas. Sortant par hasard de la salle à côté de Raymond Barre, j’entendis l’ancien Premier ministre s’exclamer : « Ce n’est pas la Grange aux lacs ce soir, c’est la grange aux flaques » !

La soirée d’hier était aussi mieux rythmée, plus courte (relativement, puisque terminée à 23h30). Leila Kaddour-Boudadi a de loin surclassé ses consoeurs stars de la télé qui s’étaient naguère essayées avec nettement moins de bonheur à l’exercice délicat de la présentation de cette soirée et bien entendu Frédéric Lodéon nous a encore servi des anecdotes dont il a le secret, après avoir avoué que ce serait la « der des der » et qu’il était temps pour lui de transmettre le flambeau après 17 ans de présentation des Victoires de la musique classique.

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Sur le nombre de récompenses, la sélection des « nommés », les votes de la profession, les critiques n’ont jamais manqué et n’épargneront pas ces 25èmes Victoires. Je constate simplement que le tableau d’honneur de cette soirée était à nouveau très impressionnant, qu’aucun des nommés, a fortiori aucun des récipiendaires de cette année n’était indigne d’y figurer, bien au contraire. Le plus surprenant – qui atteste d’ailleurs de l’incroyable foisonnement de talents français dans cette discipline – est peut-être que les prix de la Révélation du soliste instrumental et du meilleur Soliste instrumental soient allés à deux violoncellistes, quasiment du même âge, les excellents Bruno Philippe et Victor Julien-Laferrière.

IMG_4503(Bruno Philippe en pleine discussion avec le pianiste Jérôme Ducros)

IMG_4512Que Sabine Devieilhe ait raflé deux Victoires n’aura étonné personne !

On est moins convaincu par l’utilité d’un vote pour le « meilleur compositeur » de l’année, comme si on pouvait juger de l’oeuvre et du travail d’un compositeur dans ce genre de compétition, mais on est heureux qu’après Thierry Escaich l’an passé, ce soit Karol Beffa qui ait été honoré hier soir.

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Et puis il faudrait remercier Paul Meyer, Nelson Goerner, Anna Vinnistakaia, Lucas Debargue, et tous les autres, des moments rares de musique qu’ils nous offerts, exercice particulièrement périlleux dans ce genre de soirée télévisée. On me pardonnera d’avoir à mon tour succombé – après plus de 2 millions de personnes qui l’ont vu sur les réseaux sociaux – à la voix, au talent, au charme du contre-ténor polonaos Jakub Józef Orlinski

Toute la soirée est à revoir/réentendre sur francemusique.fr25èmes Victoires de la musique classique (mais contrairement à ce qu’indique le site de France Musique, ce n’est pas l’Orchestre national mais celui de l’Opéra de Lyon qui officiait hier soir)

28276254_1477216289072764_142791242358761763_n(Nelson Goerner après un Clair de lune de Debussy gorgé de poésie)

IMG_4511(Paul Meyer jouant un extrait du concerto de Thierry Escaich).

Enfin nul n’oubliera la prestation survoltée de Barbara Hannigan, chef et soliste d’un arrangement de Girl crazy de Gershwin

Tous les détails du palmarès de ces 25èmes Victoires ici : Le palmarès des 25èmes Victoires de la musique classique

 

Anniversaires : 90 + 175

Certains artistes deviennent des emblèmes de leur vivant, des icônes après leur mort. Callas c’est LA cantatrice, Menuhin c’est LE violoniste, et Mstislav Rostropovitch c’est LE violoncelliste ! Tout est prétexte à les célébrer et les recélébrer, multiples rééditions en prime.

Hier France Musique consacrait toute sa journée au « violoncelliste du siècle », né le 27 mars 1927 et disparu le 27 avril 2007. Deutsche Grammophon et Warner proposent deux imposants coffrets (rien d’inédit) : cf. L’aristocrate et le moujik

51AMDe6GCDL81z1lKxGIIL._SL1400_Deux souvenirs personnels de Rostro.

Evian d’abord où le grand patron d’industrie Antoine Riboud s’était entiché de Slava, dont il avait fait, en 1987, le président et l’âme des Rencontres Musicales d’Evian (fondées en 1976 par Serge Zehnacker) et à qui il avait offert une salle de concert hors norme dans le parc de l’hôtel Royal, la Grange aux Lacs.

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Beaucoup de souvenirs pas seulement musicaux de ces retrouvailles annuelles, auxquelles j’assistais en voisin. J’y reviendrai, tant il y en eut d’émouvants, d’agaçants ou de cocasses. L’un me revient à propos de Pierre Bouteiller : celui-ci n’était jamais le dernier à courir les cocktails d’après-concert, surtout lorsqu’ils avaient lieu au RoyalA l’heure où la plupart des convives rassasiés partaient se coucher, Pierre se mettait au piano près du bar et jouait des standards de jazz…

Autre souvenir lié à l’inauguration devant un parterre très people de la Grange aux Lacs. La soirée avait été particulièrement pluvieuse, les abords immédiats de la salle n’étaient pas achevés, et c’est sur des chemins de terre détrempés que les invités devaient rejoindre le dîner au Royal en contrebas. Sortant par hasard de la salle à côté de Raymond Barre, j’entendis l’ancien Premier ministre s’exclamer : « Ce n’est pas la Grange aux lacs ce soir, c’est la grange aux flaques » !

Pour les 70 ans de Mstislav Rostropovitch, ce fut une fête comme Paris en a peu connues à la fin du siècle dernier, un concert hors norme au Théâtre des Champs-Elysées le jeudi 27 mars 1997. Le compte-rendu du New York Times est éloquent. France Musique diffusant la soirée en direct (non sans d’âpres négociations préalables !), j’avais obtenu une petite place au parterre du théâtre (je me rappelle avoir été assis à côté du chroniqueur des têtes couronnées qui n’était pas encore la star des médias qu’il est devenu Stéphane Bern ! il avait fort à faire ce soir-là avec le prince de Galles, la reine Sophie d’Espagne et quelques autres célébrités du Gotha). Tout était too much, à la mesure et à la démesure du héros de la soirée. On n’avait pas encore de smartphone/appareil photo… sinon j’aurais sûrement conservé des instantanés magiques comme cette conversation surprise dans un recoin du théâtre entre Maia Plissetskaia et Van Cliburn  Le pianiste américain nous gratifia d’un Widmung à pleurer…

Ce 28 mars est un autre anniversaire : le premier concert de l’Orchestre philharmonique de Vienne, il y a 175 ans, en 1842, sous la direction du compositeur Otto NicolaiFaut-il en rajouter sur l’admiration qu’on porte depuis toujours à une phalange qui a jalousement préservé son identité sonore ? Lire L’orchestre en gloire.

Deutsche Grammophon annonce un coffret anniversaire, qui risque de décevoir l’amateur de raretés mais qui comblera ceux qui veulent un aperçu fidèle d’une histoire prestigieuse.

91feMDszKcL._SL1500_91q9zdVz0ZL._SL1500_Détails à venir sur bestofclassic

L’ami Pierre

Pierre Bouteiller tire sa révérence, annonce France Inter ce matin. Je suis triste, mais pas surpris. Depuis quelques années, l’homme de radio, pétillant, toujours à l’affût d’une bonne blague, s’était comme absenté, atteint sans doute par cette maladie de l’âge qu’on n’ose pas nommer. La dernière fois que je l’ai vu, il était assis dans le nouvel Auditorium de la Maison de la radio, à l’automne 2014. Il ne reconnaissait plus personne, son regard perdu balayait l’assistance. Nous étions malheureux, et les nouvelles que nous avions eues depuis n’étaient guère encourageantes

Pierre Bouteiller, pour moi comme pour des millions d’auditeurs, c’est une voix, un ton inimitables et si souvent (mal) imités. C’est un magazine quotidien sur Inter – dont on ne se rappelle plus le(s) nom(s), c’est l’animateur du Masque et la Plume, de Table d’écoute sur France Musique, et tout un tas d’autres émissions de radio et de télévision.

Vidéo : Pierre Bouteiller interviewé en 2006

À partir de 1993, c’est devenu un collègue, et je le pense un ami : il était directeur des programmes de France Inter, lorsque je suis devenu celui de France Musique. Pas de familiarité avec Pierre. Dans un milieu où le tutoiement est la règle, nous nous sommes toujours vouvoyés, malgré la complicité et la connivence. Lorsque nous nous retrouvions le jeudi matin pour ce que nous appelions la grand messe, la réunion de tous les directeurs autour du PDG de Radio France, nous échangions toujours la dernière blague, ou mieux, la dernière contrepèterie entendue. Il n’était pas rare que le PDG de l’époque – Jean Maheu – demandant à fixer telle ou telle réunion, Pierre lui répondît : « Président, vous avez le choix sur la date ! ». Le même Pierre demandant sur France Inter à Amélie Mauresmo si elle était favorable au « tennis en pension » !

Et le 24 janvier 1999, à la demande de Jean-Marie Cavada, nouveau PDG de Radio France, qui voulait changer d’un coup tous les patrons de chaînes, Pierre est devenu… mon successeur à la tête de France Musique, devenue avec lui France Musiques. Et, contrairement à tant d’autres, il n’a jamais émis la moindre critique sur son prédécesseur pour mieux valoriser son action. A mon tour, quoique j’aie été souvent sollicité, je n’ai jamais commenté ses décisions, pas plus que celles de ses successeurs.

Bouteiller n’était pas un ange, loin de là. Il avait des rancunes tenaces, des inimitiés durables, un cynisme de façade qui ne l’a pas aidé – euphémisme – dans ses fonctions directoriales. J’avais été déçu par son livre de souvenirs, qui aurait pu être si riche, et qui s’attardait un peu trop à des règlements de comptes…

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De lui je ne veux garder que les fabuleux souvenirs de radio qu’il nous laisse et les quelques rencontres plus privées, où l’amateur de jazz qu’il était se mettait à improviser au piano…