Deux opéras, deux orchestres

On peut difficilement imaginer soirées plus contrastées, et chez l’auteur de ce blog situations parfois schizophréniques. Celle où le critique musical est en activité, celle où l’auditeur jouit pleinement du moment sans l’angoisse du papier à écrire.

Un couple mal assorti

J’aime les soirs de première, non par snobisme (les mondanités, ça n’a jamais été mon truc !), mais parce que l’effervescence est partout perceptible, côté public comme côté interprètes et organisation. Lorsque je prends mes places vendredi soir au guichet du théâtre des Champs-Elysées, après en avoir salué l’actuel et le futur directeurs, J.Ph. me laisse deviner un spectacle qui décoiffe. Il faut dire que Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tiresias de Poulenc dans une même soirée, mis en scène par Olivier Py, ça promet.

Résultat mitigé ! A lire sur Bachtrack : Le Rossignol et Les Mamelles de Tiresias un couple mal assorti. Avis partagés par mes « collègues » de Forumopera, du Figaro ou du Monde

Un spectacle à voir… pour les Mamelles !

San Francisco à Paris

Samedi soir, programme généreux pour le troisième des concerts du San Francisco Symphony en résidence à la Philharmonie. Esa-Pekka Salonen sur le podium, Yuja Wang au piano !

(Yuja Wang, Esa-Pekka Salonen, le San Fransisco Symphony dans un extrait du finale du 3ème concerto de Rachmaninov)

La pièce d’ouverture est due à une jeune compositrice californienne, Gabriella Smith. Une musique vraiment descriptive, qu’elle situe à 40 kilomètres au nord de San Francisco sur le majestueux cap de Point Reyes. Adolescente, Gabriella Smith y a participé à un projet de recherche sur les chants d’oiseau. Et c’est là contemplant l’océan, bercée par les bruits environnants, que lui vient l’idée de Tumblebird Contrails. Tous les instruments de l’orchestre sont sollicités pour reproduire la houle, le ressac, le sable qui crisse sur la grève. C’est mieux qu’un exercice de style, l’affirmation d’une authentique maîtrise du grand orchestre.

Que dire, ensuite, qui n’ait déjà dit sur Yuja Wang, sa technique superlative, son approche aussi virtuose que poétique de l’immense 3ème concerto de Rachmaninov (cf. l’extrait ci-dessus) ! En bis, la sublime transcription par Liszt de « Marguerite au rouet » de Schubert presque murmurée, dans un souffle.

Puis devant l’insistance du public, un « encore » qui était si familier à Nelson Freire, les Ombres heureuses de l’Orphée et Eurydice de Gluck arrangées par Sgambati

En seconde partie, le Concerto pour orchestre de Bartok, où les Californiens et leur chef n’ont pas de mal à briller de tous leurs feux. Mais ce n’est décidément pas l’oeuvre qu’on préfère de Bartok.

Les beaux dimanches du National

Je me rappelle encore l’énergie qu’il avait fallu développer, après l’inauguration de l’auditorium de Radio France en novembre 2014, pour installer l’idée que la musique et les formations musicales de la Maison ronde devaient être proposées au public le week-end. J’avais lancé le principe de concerts symphoniques le dimanche après midi, me heurtant d’emblée à l’incrédulité voire à l’hostilité générale, à l’exception, je dois le dire, du PDG Mathieu Gallet qui souhaitait une Maison de la Radio en format VSD !

J’ai eu évidemment beaucoup de plaisir à constater ce dimanche après-midi qu’un public jeune et familial avait pris place dans l’Auditorium. Pour un concert en tous points admirable. Comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Gianandrea Noseda, Joshua Bell et le National au meilleur de leur forme.`

Des chefs étoilés

Je me dis, à l’occasion de la parution du Guide Michelin 2023, qu’il y a bien longtemps que je n’ai pas évoqué ici les bonnes tables que j’aime fréquenter. Promis c’est pour bientôt, surtout que les deux étoilés du Val d’Oise, où j’ai mes pénates, ont conservé leur macaron (pour ne pas les citer, le Chiquito à Méry-sur-Oise et L’Or Q’idée à Pontoise).

Je veux ici parler de deux très grands chefs… d’orchestre, qui sont depuis longtemps au firmament de nos amours musicales, à qui leurs éditeurs viennent de rendre un bel hommage discographique.

Abbado et la marque jaune

Comme naguère Deutsche Grammophon/Universal l’avait fait pour Karajan et Bernstein, le célèbre éditeur a réuni dans une grosse boîte très bien agencée la totalité du legs discographique pour Decca et DG de Claudio Abbado (1933-2014). Même s’il s’agit d’une édition limitée, le coffret n’est pas donné : plus de 700 € sauf sur Amazon.fr où il est accessible à 629 €.

L’éditeur a bien fait les choses: 257 CD et 8 DVD. Présentation par ordre alphabétique de compositeurs. Un beau livre richement illustré. Aucun inédit : tout ce qu’Abbado a enregistré depuis les premiers disques pour Decca au milan des années 60 jusqu’aux derniers avec son orchestre « Mozart » de Bologne ou le festival de Lucerne. Deux intégrales des symphonies de Beethoven (avec Vienne et Berlin, mais avec les Berliner seulement les captations faites en Italie, et non celles faites en studio à Berlin qu’Abbado avait finalement interdites), idem pour Brahms, pour Mahler quasiment trois intégrales partagées entre Berlin, Vienne et Chicago). La partie, pour moi, la plus intéressante, la plus émouvante aussi, est cette ultime série d’enregistrements réalisés à Bologne avec la formation fondée par le chef italien en 2004. Beaucoup m’avaient échappé, notamment ces Mozart si allègres, vif-argent. On ne peut s’empêcher d’être étreint par l’émotion lorsqu’on revoit les derniers concerts d’un homme dont le visage avait revêtu le masque de la mort qui allait finalement l’emporter au début de 2014.

Haitink et le Concertgebouw

Le lien entre l’orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam et le chef néerlandais Bernard Haitink (1929-2021) ne se réduit pas à la période, déjà considérable, pendant laquelle le second fut le directeur musical du premier, de 1964 à 1988. Les premiers enregistrements datent de 1959, les derniers des années 2010.

C’est ce que Decca a rassemblé dans un coffret luxueux – beaucoup moins cher qu’Abbado ! – Tous les détails ici : Bernard Haitink l’intégrale Concertgebouw

Comme je l’indique sur bestofclassic, le coffret regroupe tout ce que Bernard Haitink a enregistré avec la prestigieuse phalange amstellodamoise, et lorsqu’une intégrale comme les symphonies de Chostakovitch a été partagée entre Amsterdam et le London Philharmonic, l’éditeur a eu le bon goût de tout conserver !

Ce qui intéresse ici, c’est un grand nombre d’inédits en CD ou sur le marché international, comme des Dvorak, des Mendelssohn, c’est aussi, dans le cas de Bruckner et Mahler, l’ensemble des versions captées par le chef et l’orchestre, pas seulement celles retenues dans le cadre d’une intégrale. Et le cadeau des DVD – que j’avais déjà depuis longtemps achetés aux Pays-Bas- des concerts de Noël consacrés à Mahler.

Evoquant Bernard Haitink, je ne peux oublier les concerts qu’il a dirigés ces dix dernières années à la tête de l’Orchestre national de France. Je me rappelle en particulier celui du 23 février 2015, quelques semaines après l’inauguration de l’Auditorium de la Maison de la radio. J’étais bien sûr allé saluer le chef dans sa loge, qui était restée fermée un long moment, parce que, avec l’aide de son épouse, le vieil homme tenait à se changer et à se présenter « dans une tenue décente » (selon les mots de Madame !) à ceux qui venaient le féliciter. La modestie et la gentillesse de Bernard Haitink n’étaient pas feintes. C’est lui qui nous remerciait de l’avoir invité et écouté !

L’art de la critique (suite)

Voilà quelques semaines que j’ai endossé un nouveau rôle, celui de critique musical. Nouveau ? pas tant que cela m’ont répondu d’aucuns, puisque, selon eux, je le faisais déjà sur mon blog. Pas tout à fait faux, même si mes remarques ici ne peuvent être assimilées à une critique construite, étayée. Exercice auquel je dois me plier, essayer en tout cas, lorsque j’écris pour Bachtrack (voir mon dernier papier sur l’intégrale Schumann de l’ONF et Daniele Gatti)

Bon public

Je n’ai plus de responsabilité dans le monde musical, je ne suis plus directeur d’un festival, d’une entreprise culturelle, d’une chaîne de radio, mais je suis resté le même, à l’égard des musiciens, des artistes, des professionnels que j’ai côtoyés et qui sont souvent devenus des amis. Est-ce à dire que je dois m’interdire de les critiquer ? Non bien sûr, mais connaissant leur démarche, leur travail, je me mets à la place du public, je suis dans le public, et j’essaie de raconter ce que j’ai vu et entendu, et qui parfois m’a surpris ou déçu (ainsi du dernier récital de Fazil Say à Paris).

J’avoue que je suis parfois soulagé de ne pas avoir à faire la critique d’un concert auquel j’assiste. Dernier en date, mardi dernier, l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam à la Philharmonie, dirigé par Paavo Järvi, avec en soliste Lisa Batiashvili.

Je n’aurais pas pu écrire un dithyrambe comme celui de mon estimé collègue sur Bachtrack, qui ne tarit pas d’éloges sur le jeu de la violoniste dans le Concerto de Beethoven. Au sortir de cette longue, très longue première partie de concert, je faisais part à des amis – devrais-je dire maintenant des « collègues » ? – du Figaro, de Diapason, de ma perplexité : pourquoi ces tempi si lents qui rendent le premier mouvement interminable ? pourquoi une quasi-absence de l’orchestre et du chef ? J’avais le souvenir de ce disque si formidable :

Apercevant à quelques sièges le jeune violoniste Daniel Lozakovich, je me rappelais la toute autre impression qu’il m’avait laissée, le 11 juillet 2019, en ouvrant le Festival Radio France à Montpellier, au côté d’un autre Järvi ! :

« Le concerto de Beethoven passe comme un rêve, le petit prodige suédois nous donne à entendre l’essence, le coeur d’une oeuvre qui fuit l’épate et la virtuosité gratuite, Lozakovich et Järvi s’écoutent, se répondent, atteignent plus d’une fois au sublime, à cet état suspendu de pure beauté. Le silence est absolu dans la vaste salle de l’opéra Berlioz du Corum de Montpellier. Nous avons tous le sentiment de vivre l’un de ces moments que la mémoire rendra indélébile… » (Opening Nights).

Pour en revenir au concert de mardi dernier, l’unanimité s’est faite sur la deuxième partie, la Cinquième symphonie de Prokofiev. Pierre Liscia (Bachtrack) souligne l’extraordinaire démonstration de discipline orchestrale donnée par l’Orchestre du Concertgebouw, véritable star de la soirée .

On continue de ne pas aimer le très soviétique premier mouvement, comme un exercice obligé de la part du compositeur pour célébrer la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie (l’oeuvre est créée le 13 janvier 1945 dans la grande salle du Conservatoire de Moscou). Les trois mouvements suivants sont, eux, du pur Prokofiev, agreste, lyrique, virtuose. Paavo Järvi manifeste un contrôle de tous les instants sur la formidable machine orchestrale. On aimerait parfois qu’il se lâche un peu.

Le respect des artistes

Je me réjouissais d’entendre Lukas Geniušas le 8 février dans le bel écrin de la Salle Cortot. Le pianiste lituanien ayant déclaré forfait, il était remplacé par un artiste que j’avais souvent invité à Liège, libre, fantasque, étrange, Severin von Eckardstein. Programme étrange (sa transcription pour piano de Mort et transfiguration de Richard Strauss, Liszt, la 32ème sonate de Beethoven). Heureusement que je n’avais pas de critique à écrire…Je suis sorti décontenancé, malheureux, déçu. Il faut aussi accepter ces rendez-vous ratés, au nom même de l’admiration et du respect qu’on porte à ces artistes.

En attendant, il faut écouter les disques du pianiste allemand. Ils ne nous ont jamais déçu !

Des femmes à la première chaise

L’actualité me donne l’occasion d’évoquer un sujet que je n’ai jamais abordé jusqu’à présent. Non pas le rôle ni la place des femmes dans un orchestre, quoique… mais le fait que l’Orchestre philharmonique de Berlin se félicite de nommer, pour la première fois de son histoire, une femme, une violoniste, à ce qu’on appelle dans le jargon des musiciens, la « première chaise ». C’est-à-dire à la place du premier violon, du Concertmaster (en anglais), du Konzertmeister (en allemand), celui qui est assis juste au bord de la scène à gauche et à proximité immédiate du chef d’orchestre.

En l’occurrence, c’est une musicienne que j’ai bien connue du temps de mes années belges, Vineta Sareika-Völkner, 36 ans, d’origine lituanienne.

Elle avait participé à l’aventure que j’avais initiée avec la Chapelle musicale Reine Elisabeth consistant à faire enregistrer les sept concertos pour violon de Vieuxtemps par sept violonistes passés par la Chapelle et/ou le Concours Reine Elisabeth, avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège sous la direction du très regretté Patrick Davin. Entreprise dont le succès ne s’est jamais démenti depuis la publication de ce coffret en 2010.

Vineta y joue le 1er concerto :

Au moment où Berlin annonçait la confirmation de Vineta Sareika à ce poste, l’orchestre publiait des photos du départ en retraite de deux de ses membres, et notamment de celle qui fut la première femme à être engagée dans les rangs des Berliner, la violoniste suisse Madeleine Carruzzo. C’était en… 1982 !

Si la féminisation des orchestres n’est heureusement plus une rareté – certaines phalanges ont plus de musiciennes que de musiciens et je me souviens que c’était le cas lorsque j’ai quitté la direction de l’Orchestre philharmonique de Liège en 2014 ! – la présence d’une violoniste à la » première chaise » reste encore un événement.

J’ai le souvenir qu’à Liège, après le retrait des deux « concertmeister » historiques, il nous fallut « essayer » plusieurs personnes pour un poste extrêmement exposé, où doit s’imposer un musicien qui conjugue des qualités multiples – technique, virtuosité, musicalité évidemment, mais surtout leadership, diplomatie, autorité !- Je m’étais mis en quête de l’oiseau rare, conseillé par quelques amis avisés, membres eux-mêmes de grands orchestres.

Et j’éprouvai alors ce que beaucoup d’orchestres vivent encore, malgré toutes les dispositions anti-discrimination, les législations assurant l’égalité hommes-femmes, qu’il était plus difficile pour une musicienne que pour un musicien de s’imposer à un poste clé de l’orchestre, cela valait aussi pour les autres postes.

Ainsi lorsque coup sur coup les deux flûtes solo que j’avais recrutés fin 1999 quittèrent l’OPRL pour des raisons très différentes (je salue Herman van Kogelenberg aujourd’hui flûte solo des Münchner Philharmoniker) les résultats du concours de recrutement qui suivit furent sans appel. Deux jeunes femmes. Mêmes résultats lorsqu’il fallut recruter second soliste et piccolo. Aujourd’hui le pupitre de flûtes liégeois est exclusivement féminin! Mais je me rappelle encore certaines réflexions des jurys où siégeait une majorité d’hommes… je ne citerai personne, il y a prescription.

Revenons à la place de Premier violon. Fidèle à une position que j’ai toujours défendue comme directeur général, la question du sexe ne s’est jamais posée. J’ai d’ailleurs fait appel, pendant une période « probatoire » de deux ans, à autant de femmes que d’hommes. Mais je voyais bien que, même dans les pupitres de premiers et seconds violons majoritairement féminins, les hommes étaient mieux acceptés que les femmes, sans que ce soit formulé explicitement. Une exception notable : Tatiana Samouil, alors en poste à La Monnaie, m’avait fait l’amitié et l’honneur d’accepter quelques sessions avec l’OPRL. J’entends encore les commentaires… des musiciens comme du public d’ailleurs : quand elle est à la première chaise, c’est elle la « patronne », unanimement et immédiatement respectée. Tatiana qui avait le projet de lâcher sa fonction très prenante à Bruxelles m’avait prévenu qu’elle n’accepterait pas de prendre Liège. Toutes les ambassades de ses collègues n’y firent rien.

À Paris, l’Orchestre de chambre de Paris et l’Orchestre national de France ont la chance d’avoir deux formidables musiciennes, deux soeurs, Deborah et Sarah Nemtanu. On peut espérer que l’Orchestre de Paris qui doit pourvoir à deux postes de premier violon solo suivra la même voie.

Deux Milanais à Paris

Décade très italienne à Paris ces jours-ci, et parfois collisions programmatiques !

J’ai manqué Antonio Pappano, Sir Antonio pour les Britanniques dont il fait partie en dépit de son patronyme, et son orchestre, lui bien italien, de Santa Cecilia de Rome, hier à la Philharmonie de Paris. Le programme s’ouvrait par… la 1ère symphonie de Prokofiev !

La même symphonie « classique » figurait au programme, dimanche, de la Filarmonica della Scala, l’orchestre de l’opéra milanais en formation symphonique, sous la baguette de son directeur musical, le Milanais Riccardo Chailly.

J’en ai fait le compte-rendu à lire dans Bachtrack : Chailly et la Scala illuminent la Pathétique.

Un autre natif de Milan, Daniele Gatti, le benjamin des trois, retrouvait, quant à lui, le 26 janvier et le 1er février, l’Orchestre national de France dont il fut le directeur musical de 2008 à 2016. On est bien placé pour savoir que les relations entre la phalange de Radio France et le chef n’épousèrent pas toujours le cours d’un long fleuve tranquille.

Mais la Seine a coulé sous le Pont Mirabeau et l’intégrale des symphonies de Schumann qu’ont donnée l’ONF et Gatti s’inscrit désormais au premier rang de mes souvenirs de concert. Voir mon. compte-rendu pour Bachtrack : Une intégrale Schumann à marquer d’une pierre blanche

Et surtout (ré) écouter les deux soirées sur France Musique : Schumann, symphonies 2 et 4 (1/02) et Schumann, symphonies 1 et 3 (26/01).

La musique de la nature

Comme promis dans un précédent billet (Gare aux gorilles), de retour d’une trop courte décade sur le continent africain, avec le souvenir d’une multitude de sons, d’impressions sonores, de ces bruits de la nature.

Aucune pollution lumineuse, sonore, juste la nature qui s’éveille avec le lever du jour, dans l’ouest de l’Ouganda.


Les bruits de la nature encore quand la nuit vient de tomber :


Entendant cela durant de très longues minutes, me revenaient immédiatement à l’esprit deux oeuvres qui, chacune, tentent de restituer ces symphonies magiques.

Mahler et son Naturlaut

Gustav Mahler intitule le premier mouvement de sa Première symphonie : Wie ein Naturlaut, Comme le son de la nature

Ici une interprétation mémorable, lorsque le géant Neeme Järvi dirigeait l’Orchestre national de France il y a trois ans :

https://www.youtube.com/watch?v=jT6qWac6rRw



De cette première symphonie de Mahler, je garde très précieusement dans ma discothèque un disque rare, pour moi proche de l’idéal, Paul Kletzki dirigeant le philharmonique de Vienne.

Ravel et le lever du jour de Daphnis.

Plus encore peut-être que Mahler, Ravel réussit à traduire cette miraculeuse impression sonore au début de la troisième partie de son ballet Daphnis et Chloé, précisément intitulé Lever du jour.

L’enregistrement de Pierre Boulez avec les Berliner Philharmoniker est lui aussi miraculeux. Manière de rendre hommage au compositeur et chef disparu il y a sept ans…

Je ne vais pas me livrer à une recension exhaustive des oeuvres et compositeurs qui ont tenté, et souvent réussi, à reproduire ou imiter les bruits de la nature. Ils sont légion.
Je me suis brièvement demandé, l’autre jour, contemplant cette nature africaine au petit matin, si avec les systèmes d’intelligence artificielle, un compositeur pourrait aujourd’hui reproduire exactement pour un orchestre symphonique ces bruits de la nature… Mais dans ma réflexion il y a un mot de trop : artificiel. Restons-en donc à la nature princeps.

César Franck #200

C’est aujourd’hui le bicentenaire de la naissance, le 10 décembre 1822 à Liège, de César Auguste Franck.

En dehors de sa ville natale, et de quelques concerts parisiens, on ne peut pas dire que cet anniversaire ait bénéficié de grandes célébrations. Pas très vendeur sans doute le père Franck.

Après le point fait sur la discographie – lire Ave César -, mes choix purement subjectifs, et quelques pépites bien cachées ou oubliées.

Symphonie

L’unique symphonie, en ré mineur, de César Franck, achevée en 1888 et créée le 17 février 1889, bénéficie d’une discographie pléthorique. J’ai déjà ici souvent exprimé mes préférences, corroborées par la critique.

Je ne peux évidemment pas revoir, sans une profonde émotion, ces deux vidéos pourtant si différentes : l’Orchestre national de France exalté par le geste conquérant de Leonard Bernstein, l’Orchestre de la Suisse romande et Armin Jordan si authentiques.

J’ai fait le compte, j’en ai 43 versions dans ma discothèque (en CD) sans compter les téléchargées. Dont les trois enregistrées par Carlo-Maria Giulini, à Londres, à Berlin et à Vienne. On admire immensément ce chef, mais sa lecture hiératique, chargée d’intentions, statufie un peu plus le père Franck !

La sonate pour violon

Définitivement le duo Christian Ferras – Pierre Barbizet dans leurs deux versions EMI (1958) et DG (1965)

Psyché avec ou sans choeur

Déjà écrit (Ave Cesar), pour ceux qui voudraient sortir de la Symphonie, la trop justement méconnue symphonie qui ne dit pas son nom, le « poème symphonique avec choeur » Psyché.

Malheureusement pas grand chose à tirer ni à entendre de la toute récente et bien banale version des Liégeois dirigés par leur actuel chef, mais tout à redécouvrir grâce à la réédition d’un enregistrement de 1976 avec le même orchestre de Liège et son chef de l’époque, l’Américain Paul Strauss, pour la version complète avec choeur :

Et pour la version sans choeur, un enregistrement que j’écoutais hier dans un taxi – c’est rare un taxi branché sur France Musique ! – et qui m’enthousiasmait sans que je parvienne à le reconnaître. Lorsque j’entendis, à la fin de l’extrait, « désannoncer » Armin Jordan et l’orchestre symphonique de Bâle. (et pas, comme je l’entendis jadis sur cette même chaîne, l’orchestre Basler !!), je n’en fus pas surpris. Comme dans la symphonie, Armin Jordan est un chef qui a tout saisi du caractère de la musique de Franck, né au carrefour des cultures germanique et latine.

Le chasseur maudit

Sans doute l’oeuvre la plus « romantique » de César Franck, un poème symphonique d’une quinzaine de minutes où rodent les ombres de Berlioz, de Weber et du premier Wagner.

Michel Plasson et « son » Capitole de Toulouse en donnent une vision frémissante :

Piano et orchestre

Franck a écrit plusieurs pièces pour piano et orchestre, un concerto notamment (on les retrouve dans le coffret anniversaire OPRL/Fuga Libera. Seules restent jouées les Variations symphoniques – en réalité un concerto bref en trois parties – et Les Djinns.

J’ai longtemps été rebuté par le début empesé, lourd, de beaucoup de versions des Variations symphoniques, malgré l’excellence des pianistes et des chefs. Et à chaque fois je reviens à mon tout premier disque, inégalé, inégalable : Artur Rubinstein en 1957 et un chef Alfred Wallenstein qui ne se croit pas obligé d’embrumer Franck.

Pour le reste, je renvoie à l’esquisse de discographie déjà dressée dans Ave Cesar.

Petit cadeau pour cet anniversaire, une version vraiment inattendue de l’une des mélodies (genre qu’il a peu cultivé) de Franck, son Nocturne :

Les inattendus (XII) : Maazel et Dvořák

L’écoute aléatoire, un trajet un peu long, et me voici littéralement captivé par le mouvement lent – archiconnu- de l’archiconnue symphonie « du Nouveau monde » de Dvořák, une version transférée sur mon smartphone à partir d’un coffret paru en 2018 pour célébrer l’orchestre de la Tonhalle de Zurich. : Lorin Maazel dirigeait l’orchestre suisse en 2002.

A vrai dire, je n’avais guère prêté attention à cette version quand j’ai reçu ce coffret. Comme je n’avais prêté attention aux rares enregistrements de Dvořák par Lorin Maazel. A tort !

Je comprends maintenant pourquoi ceux qui ont choisi les « live » qui forment ce beau coffret ont retenu la « Nouveau monde » de Lorin Maazel. Souvent on avait l’impression, s’agissant du grand chef américain, disparu le 13 juillet 2004, que sa technique infaillible masquait un manque d’inspiration ou une routine bien huilée, surtout dans les dernières années. Et puis au concert, il pouvait soudain donner toute la mesure d’un talent qui avait particulièrement brillé au début de sa carrière.

(extrait audio : Dvořák Symphonie n°9, largo – Tonhalle Orchester Zürich, dir. Lorin Maazel (live 2002)

La manière dont Maazel conduit ce célèbre Largo, variant sans cesse les accents, les attaques, modifiant imperceptiblement le tempo, obtenant de l’orchestre et de chaque soliste – le cor anglais – des sonorités plus bohémiennes que nature, c’est tout simplement prodigieux, et la marque du très grand chef qu’il pouvait être quand il le voulait.

Du coup, j’ai ressorti de ma discothèque les trois dernières symphonies de Dvořák, que Maazel a gravées à Vienne au tout début des années 80 – ce sont ses seuls enregistrements des 7ème et 8ème symphonies.

On n’a pas ici la spontanéité, l’élan du « live » de 2002, mais quelle maîtrise supérieure des rythmes, des couleurs de l’orchestre (et quel orchestre !), quel respect scrupuleux aussi de la partition, quelle jubilation jamais clinquante ! A réécouter vraiment.

Trouvé sur YouTube un « live » de la Nouveau monde contemporain de l’enregistrement studio, le 29 juillet 1981 au Grosses Festspielhaus de Salzbourg :

Le finale de la 7ème symphonie n’est pas le plus facile à réussir, de l’aveu même d’illustres baguettes.

Les chants du voyageur

#RVW 150 (IV) : Songs of Travel

Le sesquicentenaire de Ralph Vaughan Williams – le 12 octobre dernier – étant passé inaperçu en France, comme c’était prévisible, attardons-nous sur des aspects de son oeuvre encore moins connus que les méconnus ! Comme son cycle déjà signalé (Happy 150 Sir Ralph), Songs of Travel.

Ces Chants de voyage sont d’abord des poèmes du grand écrivain écossais Robert Louis Stevenson (1850-1894), l’auteur des célèbres L’ïle au trésor et surtout L’étrange cas du Docteur Jekyll et Mr Hyde.

C’est en 1904 que Ralph Vaughan Williams met en musique les neuf poèmes de ce cycle.

  1. The Vagabond
  2. Let Beauty Awake
  3. The Roadside Fire
  4. Youth and Love
  5. In Dreams
  6. The Infinite Shining Heavens
  7. Whither Must I Wander
  8. Bright is the Ring of Words
  9. I Have Trod the Upward and the Downward Slope

On avoue une préférence pour la version orchestrale de ces Songs (où RVW s’est fait aider par Roy Douglas) Deux disques à signaler qui figurent en bonne place dans ma discothèque :

Le grand baryton Thomas Allen (1944) est accompagné par le jeune Simon Rattle.

Sur Forumopera on avait dit tout le bien qu’on pense de cette version parue il y a deux ans : Les chants d’un voyageur déconfiné.

Le grand voyage

Le testament musical de Lars Vogt, disparu le 5 septembre dernier à 51 ans, c’est le Schwanengesang de Schubert qu’il a enregistré à l’automne 2021 avec Ian Bostridge, et qui nous bouleverse (lire Un chant du cygne)

On a l’habitude, en musique, des adieux déchirants (cf. Abschied du Chant de la Terre de Mahler) et dans la production de Lieder de Schubert il n’en manque pas non plus. Et pourtant dans le cycle Le Chant du cygne / Schwanengesang, l’adieu est étrangement joyeux.

Ade, Du muntre, Du fröhliche Stadt, Ade!

Schon scharret mein Rösslein mit lustigem Fuss; 

Jetzt nimm noch den letzten, den scheidenden Gruss.

Du hast mich wohl niemals noch traurig gesehn, 

So kann es auch jetzt nicht beim Abschied geschehn. 

Ade …

Un disque qui ne plaira pas à tout le monde, mais qui exerce une fascination durable sur ses auditeurs

Le voyage de Shéhérazade

Je me réjouis toujours d’entendre Shéhérazade, le cycle de trois mélodies composé par Ravel sur des poèmes de Tristan Klingsor. C’était le cas la semaine dernière. Impressions mitigées (voir Pâle Shéhérazade).

Les très bonnes versions ne manquent pas au disque. Elles sont souvent le fait de chanteuses non francophones !

Magnifique Marylin Horne au théâtre des Champs-Elysées en 1976 avec Leonard Bernstein et l’Orchestre national de France (et la flûte enchanteresse d’Alain Marion !)

Pour la direction de Pierre Boulez – la plus fidèle à la partition, d’une sensualité si française – mais aussi pour l’incarnation d’Anne Sofie von Otter :

Mais une tendresse infinie pour un couple si souvent entendu en concert : Felicity Lott et Armin Jordan

Le monde d’hier

Semaine intéressante, même si inachevée contre mon gré – rien de grave, juste quelques douleurs persistantes qui restreignent ma « mobilité » – qui faisait se confronter et se succéder le récital de Joyce DiDonato au théâtre des Champs-Elysées mercredi et le concert de l’Orchestre national de France, dirigé pour la première fois par Philippe Jordan jeudi à l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique.

Les bons sentiments

Puisque j’avais accepté de chroniquer le récital de Joyce DiDonato pour Forumopera, je renvoie à l’article paru sur le site : Les bons sentiments. Je n’ai pas beaucoup aimé ce show plein de tellement bons sentiments.

Mais en prime, cette courte vidéo, qui n’est pas dans l’article, si touchante :

Philippe le chevalier à la rose

Il me l’avait annoncé, lorsque la ci-devant ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, lui avait remis les insignes de chevalier de la Légion d’Honneur à la veille du premier tour de l’élection présidentielle (lire Ministère), Philippe Jordan était bien jeudi soir à la tête de l’Orchestre national de France. C’était une première, puisqu’il est dans les usages, parfois dans les contrats, que le directeur musical d’une institution parisienne – en l’occurrence ce fut l’Opéra de Paris de 2009 à 2021 – ne dirige pas un autre orchestre.

L’auditorium de la Maison de la radio était comble et l’excitation palpable dans les rangs du public. La première partie était constituée du concerto pour violon de Brahms, avec un magnifique soliste qu’on avait loué ici même il y a peu (Tables d’harmonie) et qu’on n’avait plus entendu en concert depuis belle lurette, Frank Peter Zimmermann. À 57 ans, il garde cette allure juvénile et surtout ce jeu d’une justesse, d’une élégance, d’une profondeur, sans les excès, les démonstrations que s’autorise parfois – souvent – son illustre compatriote plus célèbre, jadis couvée par Karajan.

Et ce que Philippe Jordan fait de l’orchestre, la soie des cordes, la beauté des vents – on entend pour la première fois le nouveau hautbois solo Thomas Hutchinson, magnifiquement chantant dans le début du deuxième mouvement (ce fameux mouvement qui avait déclenché l’ire du dédicataire et créateur du concerto, Joseph Joachim, parce qu’il fait la part trop belle au hautbois !).

La seconde partie est toute entière dédiée à Richard Strauss et à la nouvelle suite d’orchestre que Philippe Jordan et Thomas Ille ont réalisée à partir de l’opéra Der Rosenkavalier / Le Chevalier à la rose. Par rapport aux suites qu’on connaît déjà, pas d’extravagance, seulement des ajouts notamment aux épisodes de valse, la sollicitation de toutes les qualités individuelles et collectives de l’orchestre. Le chef obtient un triomphe, et l’on voit tant dans les yeux des musiciens que du public ou des personnalités présentes autour de Sibyle Veil, la PDG de Radio France, le souhait manifeste que cette « première » ne soit pas une dernière.

On peut, on doit réécouter ce concert sur francemusique.fr.

PS 1. Où l’on constate que les bonnes idées finissent toujours par aboutir, même à Radio France (!) : que ce soit comme directeur de France Musique – il y a longtemps -, comme directeur de la musique – brièvement entre 2014 et 2015, ou comme directeur du Festival Radio France, je m’étais toujours étonné que le public des concerts transmis en direct sur France Musique ne puisse pas entendre (ni voir) celles et ceux qui présentent ces concerts à l’antenne. On me répondait toujours que ce n’était pas possible etc. J’avais finalement obtenu à Montpellier la présence sur scène des producteurs/présentateurs de France Musique, pour le plus grand plaisir des auditeurs/spectateurs de l’Opéra Berlioz. Jeudi soir, je ne sais qui je dois en féliciter, Benjamin François a pu introduire le concert sur scène, au lieu d’être caché dans le studio attenant. Tout le monde en a profité, le public de l’auditorium comme les auditeurs de France Musique ! Bravo !

PS 2. S’agissant de Philippe Jordan ce n’était pas une première à Radio France mais avec l’Orchestre national. Au début des années 2000, tandis que je l’invitais à Liège, l’Orchestre philharmonique de Radio France l’avait engagé, lui faisant même enregistrer l’intégrale des concertos de Beethoven avec François-Frederic Guy.