Actualisation

Collectionneur impénitent je suis et je reste. Je ne parviens pas à me contenter d’une discothèque tout numérique. Tant qu’il y a encore des CD et des DVD, surtout lorsqu’ils sont rassemblés en coffrets (avant disparition ?), je suis preneur.

J’ai fait ces derniers temps quelques achats – neufs ou occasion – qui me semblent induire une actualisation de certains articles.

Etudes

Il y a plus de deux ans, j’avais écrit un article – Hautes études – en relation avec une discographie établie par la revue Gramophone des deux cahiers d’Etudes de Chopin. Entre temps de nouveaux disques sont parus et j’en ai découvert d’autres que j’ignorais, comme celui que le festival d’Auvers-sur-Oise faisait enregistrer à Jean-Frédéric Neuburger à tout juste 20 ans en 2006

Et chemin faisant, je trouve ceci de prodigieux sur YouTube, Daniil Trifonov, 20 ans lui aussi, à l’époque du concours Rubinstein de Tel Aviv

Et puis il y a eu ce disque de Yuncham Lim, dans sa vingtaine triomphante lui aussi)

Ce disque a obtenu toutes les récompenses possibles. Une première écoute rapide ne m’avait pas vraiment passionné : tout me paraissait un peu « trop », trop vite, trop uniforme, trop purement virtuose. Et à la réécoute je lui trouve finalement de très belles qualités.

Il y a aussi cette réédition – enfin – des Chopin du pianiste chinois naturalisé britannique Fou Ts’ong (1934-2020)

Saint-Saëns

À l’occasion du centenaire de sa mort, en 2021, j’avais consacré une série d’articles à Saint-Saëns, en particulier à ses concertos pour piano (lire Saint-Saëns #100)

J’y parlais déjà du premier volet des concertos enregistrés par le fils – Alexandre – et le père – Jean-Jacques Kantorow.

Ce n’est que récemment que j’ai pu acquérir les 2 CD. Indispensables évidemment !

Il y a surtout un disque que j’avais oublié dans ma recension, mais mentionné en bonne place en rendant hommage à Nelson Freire (1944-2021)

Des nouvelles de Carl

C’est un chef, violoniste à l’origine, dont j’ai quelquefois parlé ici avec admiration, Carl von Garaguly (1900-1984) pour les seuls enregistrements que j’avais trouvés de lui, Sibelius… et Johann Strauss !

Je viens de trouver sur IStore, en téléchargement uniquement donc, une formidable 2e symphonie de Nielsen enregistrée à Copenhague (avec un orchestre qui n’existe pas, sans doute l’orchestre de la radio danoise sous un pseudonyme !)

Puisque nous sommes encore dans l’année Strauss (Un bouquet de Strauss), rappelons cette merveille. Il faut écouter la liberté, la souplesse, dont use sans économie le chef qui n’a pas oublié ses racines hongroises.

Chansons tristes

Il y a tout juste un mois, j’évoquais les chansons tristes que j’aime écouter pour leur effet bienfaisant, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Je dois y ajouter une séquence qui m’émeut profondément quand je la revois, cette dernière rencontre entre deux amis, Serge Lama et Nana Mouskouri autour d’une chanson – Une île – que j’aurais dû ajouter à ma première liste

Et puis comme toujours mes humeurs, bonnes ou moins bonnes, dans mes brèves de blog

Nelson et Martha

Ces deux-là étaient frère et soeur en musique, plus encore qu’amis et complices. L’un est mort, l’autre toujours vive et active à 83 ans passés. Ils font une part de l’actualité discographique : Nelson Freire (1944-2021) et Martha Argerich.

Du côté de la pianiste argentine, rien de vraiment neuf. Warner a regroupé des coffrets déjà parus (comme les « live » de Lugano) en y ajoutant quelques albums récents, et les quelques disques parus sous étiquette Teldec.

Ce coffret révèle à la fois la curiosité de la pianiste en matière de musique de chambre, et une certaine permanence – on n’a pas dit étroitesse ! – du répertoire solo et concertant : pas mal de doublons, mais comment s’en plaindre, quand on sait qu’en concert Martha Argerich n’est jamais exactement la même d’un soir à l’autre (souvenirs d’une tournée au Japon et en Californie en 1987).

Quelques erreurs d’étiquetage parfois amusantes : dans le seul trio de Haydn, capté à Lugano, on indique Nicholas Angelich au côté des frères Capuçon, alors qu’il s’agit bien de Martha Argerich. En revanche dans un disque Brahms à 2 pianos, le partenaire de Martha est mentionné comme Nicholas Argerich (sic).

Inutile de recenser les merveilles de ce coffret, elles se révèlent tout au long des 46 CD.

Quelques-unes prises au hasard :

Comme on le sait Martha Argerich donne désormais rendez-vous à ses amis à Hambourg. C’est là, en 2020, qu’elle a consenti à redonner aux micros et caméras – mais sans public – une version inoubliable de la 3e sonate de Chopin

L’héritage Nelson

Lorsqu’il est mort, il y a déjà plus de trois ans, j’ai tenté une discographie de Nelson Freire. Tâche difficile, puisque le pianiste brésilien, avant la période Decca – la dernière – a enregistré pour plusieurs labels, au gré des propositions et des engagements, et relativement peu. Heureusement que, depuis une dizaine d’années, les captations de concert ou les enregistrements de radio, ressortent un peu au compte-gouttes, traduisant, mieux que la discographie « officielle », les choix de répertoire de Nelson Freire.

Le coffret de 3 CD qu’édite le Südwestrundfunk (SWR) – la radio publique de l’Allemagne du sud qui regroupe les stations jadis indépendantes de Baden-Baden et Stuttgart – est à chérir à plus d’un titre : il ne comporte pratiquement que des inédits dans la discographie de Nelson Freire.

On se demande si et quand Decca publiera enfin le coffret de l’intégrale des enregistrements réalisés pour le label par Nelson Freire ! Ce ne serait que justice.

Autre suggestion : rassembler tous les témoignages laissés par le duo Martha Argerich-Nelson Freire. Insurpassable !

Et ce bis murmuré ensemble…

Comment va la musique classique ?

La question n’a pas été et ne sera sans doute pas posée à la nouvelle ministre de la Culture : Comment va la musique classique en ce début 2024 ?

Le magazine Diapason lui-même (Dix années de musique classique en chiffres) rend hommage au travail exceptionnel du site Bachtrack qui fournit un état des lieux qui remet en cause bien des idées reçues sur le monde de la musique classique : Une transformation constante : les statistiques Bachtrack 2023 de la musique classique (à lire sur Bachtrack)

L’intérêt d’une telle étude est évidemment de sortir du cadre hexagonal et de permettre la comparaison avec les grands pays « producteurs » de musique classique, ceux qui sont couverts par les équipes de Bachtrack.

Ainsi ce tableau éloquent des répertoires joués, et cette évidence très réjouissante de la place croissante faite aux compositeurs vivants :

L’étude de Bachtrack donne des indications intéressantes sur la place des femmes – compositrices, cheffes d’orchestre – et confirme les évolutions que j’avais moi-même observées il y a trois ans (Atout cheffes). Relire ma critique du dernier concert de Nathalie Stutzmann à la tête de l’Orchestre de Paris (La jeunesse triomphante)

Rachmaninov la star de 2023

La liste des oeuvres et des compositeurs les plus joués en 2023 – dans les 31309 concerts recensés par Bachtrack – ne manquera pas de surprendre : il faut la consulter sur le site. Mais on n’est en revanche pas étonné que Rachmaninov (lire Les deux Serge) figure à trois reprises dans le Top 10 : le 150e anniversaire de sa naissance et le 80e anniversaire de sa mort en 2023 n’y sont pas étrangers. La surprise vient tout de même de la nouvelle popularité d’une oeuvre qui n’était jadis pas si fréquente au concert : les Danses symphoniques.

On aurait aimé être dans le public du Teatro Colon de Buenos Aires pour cette rencontre de géants :

L’occasion pour moi de rappeler la mémoire d’un autre Nelson, Nelson Freire qui en 2008 donnait avec son amie Martha Argerich, ces mêmes Danses symphoniques.

Emprunts et empreintes (suite)

J’avais écrit un article – Emprunts et empreintes ou la Marseillaise et Mozart – qui est toujours régulièrement consulté. Je vais lui donner une suite, en rapport avec l’actualité.

L’automne de Harrison Ford ou comment John Williams copie Glazounov

Le Festival de Cannes vient de rendre hommage à Harrison Ford, à l’occasion du cinquième épisode de Indiana Jones ou les aventuriers de l’arche perdue.

(Photo by Patricia DE MELO MOREIRA / AFP)

Le comédien octogénaire a dit ne plus supporter le tube planétaire qu’est devenue la musique composée par John Williams pour ce film.

Réécoutant, au fil des jours, le fabuleux coffret Ansermet (lire Ansermet enfin)

si longtemps attendu, je tombe sur cet extrait des Saisons de Glazounov :

Comme un furieux air de famille non ? entre John Williams et Glazounov ? Sans doute inconscient de la part du compositeur américain qui connaît très bien ses classiques. Et plutôt amusant dans un ballet censé illustrer l’automne…

Succès planétaire

Du même John Williams, un autre tube planétaire, la musique de Stars Wars, ici avec le compositeur lui-même dirigeant, excusez du peu, l’orchestre philharmonique de Vienne

Je n’ai jamais eu l’occasion de le lui demander, mais je ne peux m’empêcher de penser qu’il s’est inspiré cette fois consciemment d’une oeuvre qui a assuré la célébrité internationale de son auteur, Les Planètes (1918) de Gustav Holst

Le tango d’Aliciaet de Nelson

Le tango, cette danse populaire née dans le quartier de La Boca à Buenos Aires, a évidemment inspiré quantité de compositions « sérieuses », la plus connue étant sans doute celle d’Isaac Albeniz, ce tango qui fait partie de la suite pour piano España. L’occasion pour moi aujourd’hui d’un clin d’oeil à la grande pianiste espagnole Alicia de Larrocha, disparue en 2009, qui était née il y a cent ans exactement, le 24 mai 1923.

L’émotion m’étreint lorsque je découvre l’une des dernières prestations publiques de cet autre géant du piano, le si aimé et regretté Nelson Freire, qui joue ici la transcription faite par Leopold Godowsky de ce même tango d’Albeniz.

Je rappelle pour mémoire cet article sur l’indicatif du Festival de Cannes : Le générique interdit.

Deux opéras, deux orchestres

On peut difficilement imaginer soirées plus contrastées, et chez l’auteur de ce blog situations parfois schizophréniques. Celle où le critique musical est en activité, celle où l’auditeur jouit pleinement du moment sans l’angoisse du papier à écrire.

Un couple mal assorti

J’aime les soirs de première, non par snobisme (les mondanités, ça n’a jamais été mon truc !), mais parce que l’effervescence est partout perceptible, côté public comme côté interprètes et organisation. Lorsque je prends mes places vendredi soir au guichet du théâtre des Champs-Elysées, après en avoir salué l’actuel et le futur directeurs, J.Ph. me laisse deviner un spectacle qui décoiffe. Il faut dire que Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tiresias de Poulenc dans une même soirée, mis en scène par Olivier Py, ça promet.

Résultat mitigé ! A lire sur Bachtrack : Le Rossignol et Les Mamelles de Tiresias un couple mal assorti. Avis partagés par mes « collègues » de Forumopera, du Figaro ou du Monde

Un spectacle à voir… pour les Mamelles !

San Francisco à Paris

Samedi soir, programme généreux pour le troisième des concerts du San Francisco Symphony en résidence à la Philharmonie. Esa-Pekka Salonen sur le podium, Yuja Wang au piano !

(Yuja Wang, Esa-Pekka Salonen, le San Fransisco Symphony dans un extrait du finale du 3ème concerto de Rachmaninov)

La pièce d’ouverture est due à une jeune compositrice californienne, Gabriella Smith. Une musique vraiment descriptive, qu’elle situe à 40 kilomètres au nord de San Francisco sur le majestueux cap de Point Reyes. Adolescente, Gabriella Smith y a participé à un projet de recherche sur les chants d’oiseau. Et c’est là contemplant l’océan, bercée par les bruits environnants, que lui vient l’idée de Tumblebird Contrails. Tous les instruments de l’orchestre sont sollicités pour reproduire la houle, le ressac, le sable qui crisse sur la grève. C’est mieux qu’un exercice de style, l’affirmation d’une authentique maîtrise du grand orchestre.

Que dire, ensuite, qui n’ait déjà dit sur Yuja Wang, sa technique superlative, son approche aussi virtuose que poétique de l’immense 3ème concerto de Rachmaninov (cf. l’extrait ci-dessus) ! En bis, la sublime transcription par Liszt de « Marguerite au rouet » de Schubert presque murmurée, dans un souffle.

Puis devant l’insistance du public, un « encore » qui était si familier à Nelson Freire, les Ombres heureuses de l’Orphée et Eurydice de Gluck arrangées par Sgambati

En seconde partie, le Concerto pour orchestre de Bartok, où les Californiens et leur chef n’ont pas de mal à briller de tous leurs feux. Mais ce n’est décidément pas l’oeuvre qu’on préfère de Bartok.

Les beaux dimanches du National

Je me rappelle encore l’énergie qu’il avait fallu développer, après l’inauguration de l’auditorium de Radio France en novembre 2014, pour installer l’idée que la musique et les formations musicales de la Maison ronde devaient être proposées au public le week-end. J’avais lancé le principe de concerts symphoniques le dimanche après midi, me heurtant d’emblée à l’incrédulité voire à l’hostilité générale, à l’exception, je dois le dire, du PDG Mathieu Gallet qui souhaitait une Maison de la Radio en format VSD !

J’ai eu évidemment beaucoup de plaisir à constater ce dimanche après-midi qu’un public jeune et familial avait pris place dans l’Auditorium. Pour un concert en tous points admirable. Comme je l’ai écrit pour Bachtrack : Gianandrea Noseda, Joshua Bell et le National au meilleur de leur forme.`

Hommages (Père et fils, L’oncle Tom, Burt et Marlene)

Les Pregardien, père et fils

Le concert auquel on était convié ce jeudi soir était un – magnifique – prétexte pour l’Orchestre de chambre de Paris de dire au revoir à celui qui fut, durant dix ans, son directeur général, Nicolas Droin, qui rejoint Louis Langrée à la direction de l’Opéra Comique.

Mais ce fut, musicalement, émotionnellement, un nouvel hommage à Lars Vogt, qui avait conçu un programme d’un seul tenant – pas d’entr’acte, bravo ! – composé d’ouvertures de Beethoven et de Lieder de Schubert orchestrés, à deux exceptions près. Un programme qui honorait deux fabuleux artistes, père et fils, les ténors Christoph et Julian Pregardien.

Beethoven  Les Créatures de Prométhée, ouverture
Schubert-Reger  Prometheus D. 674
Schubert-Brahms  Greisengesang D. 778
Schubert  Der Vater mit dem Kind D. 906
Schubert-Reger  Erlkönig D. 328
Beethoven  Coriolan, ouverture
« Meine Seele ist erschüttert», air extrait de Christus am Öhlberge op. 85
Schubert  « Lied vom Wolkenmädchen », air extrait de Alfonso und Estrella D. 732
Schubert-Webern  « Der Wegweiser », extrait de Winterreise D. 911
Schubert  Totengräbers Heimweh D. 842 
« Der Doppelgänger », extrait de Der Schwanengesang D. 957, 
Nacht und Träume (orchestration de Clara Olivares)

Une totale, complète réussite, d’autant que le jeune chef britannique, 25 ans, Harry Ogg, que je ne connaissais pas, a été pour moi une révélation, menant un OCP en magnifique forme.

Accessoirement, j’ai eu le plaisir de faire la connaissance et d’échanger avec un chef que j’admire depuis longtemps – il était assis à côté de moi- Thomas Hengelbrock.

Plus d’une fois, le père ou le fils, ou les deux ensemble, m’ont tiré des larmes, notamment dans la version orchestrée par…. du Roi des aulnes / Erlkönig. Ici des extraits du bis :

L’oncle Tom

Pour ceux qui ont eu la chance de le connaître, un peu comme moi, il était comme un vieil oncle d’Amérique, en l’occurrence du Canada. Comme son ami l’a confirmé hier sur Facebook, Tom Deacon est mort dimanche dernier.: I am Tom’s partner, Stuart. As you all know Tom has been mostly absent from Facebook for many months due to his declining health. I am sorry to have to tell you that Tom died on Sunday morning February 5. He had been in hospital since mid December. His health had been declining over the past six months and declined rapidly in the last month.

Je sais peu de choses finalement sur un personnage d’abord connu dans le monde de la musique comme l’auteur de cette fabuleuse collection publiée par Philips : Great Pianists of the 20th Century.

Nous avions commencé à correspondre, via Facebook, il y a une douzaine d’années, Tom vivait au Canada, où il avait longtemps travaillé à la radio nationale (la CBC), mais il s’intéressait à la vie musicale partout. Il avait des avis souvent tranchés, toujours fondés, qui lui avaient valu pas mal d’inimitiés de la part de « professionnels de la profession » et des fâcheries d’abord avec les pianistes qu’il n’avait pas retenus dans sa collection (!!), ensuite avec des artistes vivants, des critiques – parmi eux plusieurs amis ! -.

Au cours de l’un de ses voyages en Europe, en 2016, j’avais réussi à trouver une date pour dîner ensemble à Paris. Je l’avais emmené au Boeuf sur le toit, pour le cadre, qu’il avait aimé, pas pour la cuisine que j’avais trouvée bien médiocre.

Extraits de notre « correspondance » :

T.D. :Could not agree more with your comments about the need for a « frisson » from music. Mostly it is what is missing. Starting a website soon dedicated to the  » great pianists of the 21st C ( yes, I have found some! ). I’ll let you know when it is up and running. (5/2/2010)

Après m’avoir félicité en mai 2014 pour ma nomination à la direction de la Musique de Radio France, Tom m’avait entrepris sur la situation de France Musique (il était remarquablement informé !) : Mon cher ami. Je suis navré à propos de tous ces virements chez FM. Quelle façon de changer de style! Je pense que cela aurait éte mieux que la nouvelle directrice de FM prenne un peu de temps avant de virer des tas de gens. Détruire avant de construire? Cela se fait dans la construction de maisons, mais dans une éntreprise comme Radio France, ce n’est pas vraiment conseillé. Je le dis après 20 ans d’expérience à la CBC au Canada. Ce genre de « human resources management », comme on dit, tourne joujours au mal, Jean-Pierre, quelque soit les soi-disant raisons données pour le faire. En tout cas, toi, tu auras de quoi faire en ce qui concerne le moral du personnel « non-viré ». Je te souhaite de la chance, mon ami. » (15/08/2014)

Lorsque j’avais évoqué Nelson Freire, en particulier ce disque (un « live » du 25 mars 1984 au Thomson Hall de Toronto) Tom m’avait envoyé ce précieux témoignage :

« Mon cher ami, je ne te raconte rien de nouveau sans doute en te disant que le récital de NF chez Alpha n’est autre que le récital que j’ai produit de ce grand pianiste à Toronto (Roy Thomson Hall) lorque je travaillais à la CBC. Le programme: Live from RTH. Nelson partageait la scène avec Gilels, Arrau, Leontyne Price et d’autres musiciens de ce genre. 2 saisons seulement, hélas. 72 concerts dont les bandes vivent toujours chez la CBC. J’ai fait le nécessaire pour que la bande de Nelson fût disponible à la maison de disques Alpha, et éventuellement à Philips pour l’édition des Grands Pianistes. Nelson a toujours dit que ce récital le captait à son mieux. Je ne dirais pas le contraire. On s’est connu à College Park, Maryland, en 1982. Nous étions tous les deux membres du jury du Concours William Kapell. Depuis nous sommes restés de grands amis, Jean-Pierre, autant pour sa gentillesse que pour son pianisme. Je te remercie infiniement pour ce petit mot sur Nelson, qu’il mérite énormément, bien sûr,« 

Comme on peut le voir sur sa photo, Tom Deacon était un bon vivant. Nous échangions souvent sur nos bonnes tables, lorsqu’il me voyait voyager, il ne manquait jamais de me recommander telle adresse et à l’inverse quand il venait en Europe, il prenait moult renseignements. En 2021, il avait manifesté le souhait de passer par Montpellier, s’enquérant du nouvel hôtel des frères Pourcel, de leur restaurant Le jardin des sens, et finalement, déjà très fatigué, y avait renoncé.

Beaucoup d’échanges à propos des disques et des concerts, et de ce penchant qu’a une certaine critique de toujours considérer le passé, l’ancien, comme plus intéressant que le présent.

« En tout cas tu as bien fait de signaler le problème de nos éternels Rückblicken. Moi, je fais de mon mieux de rester concentré sur les jeunes (musiciens et auditeurs). Moi, je suis vieux, mais l’avenir de la musique classique ne dépend pas de moi ni de mes contemporains. L’avenir appartient aux jeunes dans tous les cas. Pourquoi penser à Glenn Gould lorsqu’on peut écouter la jeune Rana. Pourquoi évoquer Schnabel lorsqu’on peut écouter le jeune Gorini* (, entre nous, J-P, tu devrais l’inviter à Montpellier) Et cetera. Les boîtes de tout ce qui a jamais été enregistré qui nous enchantent de nos jours sont séduisantes justement parce qu’elles nous présentent notre passé. On aime follement le familier. On déteste et soupçonne le nouveau. Naturellement il est bon que les jeunes apprennent ce qui fût, mais pas que ce même passé les étouffe, les empêche de suivre une nouvelle voie, de repenser tou. Je ne sais pas si je me suis bien exprimé, mais j’applaudis ton courage de dire ce qu’il faut dire et à haute voix en plus. Bravo! » (22/09/2017)

(* Suivant le conseil de Tom, j’avais bien invité Filippo Gorini au festival Radio France 2021. Mais le jeune pianiste italien nous a fait faux bond, prétextant une invitation plus « intéressante » pour sa carrière aux Etats-Unis !)

A propos d’un coffret qui constitue un pilier de ma discothèque

ce commentaire qui en dit long sur la personnalité du disparu : Cher Jean-Pierre! Je suis tellement satisfait de ton commentaire sur la boîte Beethoven Schmidt-Isserstedt. Je me souviens d’avoir créé cette compilationn CONTRE les conseils de mon collègue, qui ne voulait pas mélanger les concertos et les symphonies. Mais, comme il m’arrive souvennt dans la vie, je pousse en avant suivant mon propre chemin contre les conseils d’autrui. Un ancien collègue de Vancouver à la CBC sortait souvent les symphonies de S-I. Il les nommait “brown bread Beethoven”. Du Beethoven qui ressemble au pain complet, tu comprends. Je suis d’accord. Un Beethoven sans manières, sans chichi, etc. Enfin, merci de ton commentaire, J-P. Stay safe. Stay well. Tom » (26/05/2020)

Adieu Tom ! Je garde encore nombre de tes messages (après la mort de Nelson Freire par exemple), que je publierai un jour, et d’autres que je garderai pour moi, parce qu’ils relèvent de ce lien mystérieux qu’on appelle amitié.

Burt et Marlene

Burt Bacharach est mort à 94 ans. L’article de Bruno Lesprit dans Le Monde dit tout :

Avec ses mélodies scintillantes comme du cristal, Burt Bacharach, mort le 8 février à Los Angeles (Californie) à l’âge de 94 ans, fut un des compositeurs qui ont le plus divisé dans la musique populaire. Pour ses contempteurs, souvent des intégristes du rock’n’roll, son nom est associé au easy listening, qui renvoie à la musique d’ascenseur et de hall d’hôtels internationaux. Expression impropre, d’ailleurs, pour Bacharach, car sa production, certes « facile » et plaisante à l’oreille, est d’une rare complexité. Pour ses admirateurs, il restera comme un génie de la pop, notamment dans le pays où cet Américain fut prophète : le Royaume-Uni/…/Comme pour les plus grands compositeurs, sa marque est aussitôt repérable : des mélodies légères comme des bulles de champagne, avec toujours une larme de mélancolie, des progressions harmoniques subtiles en accords de septième diminuée et de neuvième, des changements de tonalité et de métrique renversants. Insensible à la fureur du rock’n’roll, Bacharach agit sous l’influence du jazz, de la bossa-nova et de ses percussions. Ses orchestrations comprennent généralement un piano conducteur, des cordes soyeuses ou emphatiques, des cuivres chaloupés, sans oublier sa signature, le gimmick de trompette, ou plus précisément de bugle. Parfois remplacé par un sifflement désinvolte, mains dans les poches. Un air de Bacharach doit se siffloter sous la douche.(Le Monde, 11 février 2023)

J’y reviendrai plus longuement. Pour saluer l’artiste, cette « apparition » de Marlene Dietrich, dont Bacharach avait paré les chansons de subtiles orchestrations.

Post scriptum : Stuart Henderson a publié, ce 16 février, sur la page Facebook de Tom Deacon cet obituaire que je reproduis ici intégralement :

TOM DEACON

« On September 6th, 1941 at 6:45 in the morning, Tom Deacon began this miraculous thing we call life. On Sunday, February 5th, 2023, that came to end. It is for us now to bear witness to that life and rejoice in the memories of a life well lived.

How do you describe someone like Tom Deacon? A force of nature. Larger than life. If you look at what he left behind – 25,000 LPs, 15,000 CDs, 3,500 bottles of wine, boxes of recipes and receipts from Michelin three star restaurants and friends, lots of friends and colleagues who looked to him as a mentor, a collaborator and a sparing

partner – you see a seeker. All his life he sought out the best. The best performance, the best recording, the best meal, the best Burgundy and the best in people. He loved the hunt.

Tom attended Lakefield Preparatory School and Upper Canada College. He went on to study French at Trinity College, Toronto, continuing his studies at the University of Illinois before writing his Ph.D comprehensives at University College, Toronto. In 1967 he left for Paris to study at the Sorbonne and research his never to be completed thesis. It was here he found and explored his first of many loves, France: the country, the food, the wine and its music.

In 1971 he returned to Canada to take up a teaching position at the University of Manitoba. He was well respected by his colleagues and liked by his students, although they found him a little intimidating because he had a witty but sharp sense of humour. He can be remembered saying at the end of one especially trying day, “If I have to teach the verb ‘to be’ one more time …” Teaching was perhaps not one of his great loves. But Tom loved to cook and it was in Winnipeg that he started his tradition of lavish dinner parties often with wine and cocktails leaving the guests with little memory of the previous evening. One year inexplicably a few of his classes were cancelled. Tom was practicing madly for a piano recital. Yes, his first love was music and he found his way into making that his life through the CBC. In 1975, while still at the university, he started working freelance, writing concert reviews from Winnipeg. It blossomed quickly.

In 1977 he put teaching behind him and left Manitoba. He took up residence in the idyllic family cottage on Hay Island, off Gananoque, Ontario and continued to work freelance for CBC, travelling to Leeds and Moscow to cover the international piano competitions until he was hired as a producer on the new morning program Stereo Morning. He always talked about how much he learned there, both in tradecraft and management. Tom often told the story of being handed an envelope by his mentor and executive producer with numerous tiny pieces of magnetic tape. These were the edits (editing was done with a razor blade in those days) of intrusive pauses he had made in an interview; a mistake he never made again.

It was also at this time that he met the person he called the love of his life, his partner Stuart. Their first vacation was, of course, to France. Fifteen Michelin starred restaurants in ten days, with copious notes of everything eaten and all the wines. He wanted to share the best of everything, the fruits of his hunt.

In 1982 he became the producer of his own programme, Live from Roy Thomson Hall. Two glorious seasons broadcasting across the country everything from Anna Russell to Leontyne Price to Emil Gilels to Claudio Arrau. He revelled in being able to share his musical idols, his musical bests, with the rest of Canada.

In 1984, with Roy Thomson Hall’s budget exhausted, the CBC moved Tom to Vancouver. There he hired Jurgen Gothe as host of his concert programme but something else happened. The synergy of passions and creativity gave birth to DiscDrive, the CBC’s afternoon drive programme that dominated the airwaves for more than two decades.

In 1989 as DiscDrive moved into maturity Tom looked south for a new challenge as Program Director at KUSC, a classical music station in Los Angeles. Ever restless for new challenges, in 1992 he moved to the Netherlands and began his career with Polygram.

At Polygram his life long hunt for the musical best paid off. Here he put his encyclopedic knowledge of classical music repertoire and recordings into creating legendary CD compilations of legendary artists. Since his great musical love was the piano, the realization of his life long hunt for the best was as the Executive Producer of Great Pianists of the Twentieth Century Edition, 250 hours of music on 200 discs – the largest CD edition ever released and he got to release it to the world. The New York Times said “It would be hard to imagine a more representative example of the piano in the 20th century.”

In 1998 Polygram was acquired by Universal Music and Tom became Vice-President Catalogue Development. In 2001 he returned to Canada but remained working for Universal Music, until he retired in 2005. He served on a number of international piano juries and continued to follow the development of the young generation of pianists very closely.

He will be greatly missed by his much loved and inseparable older brother John (Evie), his younger brother Bob (Janice) and Stuart Henderson, his partner, lost in a sea of CDs with Nelson and Martha, his two cats. In lieu of a memorial or flowers, have a nice meal and raise a glass to Tom ».

Pépites suisses

Alain Lompech postait il y a quelques jours sur Facebook une vidéo qu’il trouve à juste titre extra-ordinaire : Nelson Freire jouant le 2ème concerto de Saint-Saëns avec l’orchestre de la Suisse italienne.

Cela m’a rappelé que j’ai dans ma DVDthèque un coffret de 10 DVD (avec des suppléments audio sur chacun), sans doute acheté un jour en Allemagne pour un prix dérisoire, et que j’avais sans doute négligé de regarder plus avant.

Ce ne sont que des pépites, de véritables trésors, des captations faites par la télévision suisse italienne dans son grand studio de Lugano dans les années 70 et 80.

Je viens de vérifier sur les sites de la FNAC et d’Amazon, le dit coffret plat est disponible chez des revendeurs chevronnés à des prix dérisoires.

Le contenu est incroyablement alléchant. A chaque fois c’est l’Orchestra della Svizzera italiana (Orchestre de la Suisse italienne) qui joue. La plupart des solistes invités sont dans leurs jeunes années. Qu’on en juge :

DVD 1 Beethoven concerto n°5 (Homero Francesch, piano), Brahms symphonie n°3 / Dir. Serge Baudo

DVD 2 Chopin concerto n°1 (Tzimon Barto, piano), Beethoven symph.n°3 / Dir. Roderick Brydon

DVD 3 Fauré Masques et bergamasques, Franck Variations symphoniques (Nelson Freire), Bizet Jeux d’enfants, Saint-Saëns Concerto n°2 (Nelson Freire, piano) / Dir. David Shallon. David Shallon était un chef israélien, incroyablement doué, qui avait dirigé notamment l’orchestre de Jérusalem et le philharmonique du Luxembourg, mort à 50 ans, en l’an 2000, dans des conditions atroces d’une crise d’asthme foudroyante sous les yeux impuissants de son épouse d’alors, l’altiste Tabea Zimmermann.

DVD 4 Haydn Symphonie n°103, Mozart concerto n°20 (Maria Tipo, piano) / Dir. Peter Maag

DVD 5 Lebrun concerto hautbois n°1 (Omar Zoboli), Mozart Symphonie 35 / Dir. Frans Brüggen

DVD 6 Mozart La Clemenza di Tito ouv., Concerto n°21 (Mikhail Rudy, piano), Schubert Symph.n°3 / Dir. Christof Escher

DVD 7 R.Strauss Der Rosenkavalier suite valses, Burlesque (Bernd Glemser, piano), Brahms Symph n°2 / Dir. Nicolas Carthy

DVD 8 Récital Zoltan Kocsis (Mozart, Beethoven sonate 32, Schubert sonate D 960

DVD 9 Roland de Lassus Les larmes de Saint-Pierre, Ockeghem Missa pro defunctis / Hilliard Ensemble, Consort of Musicke

DVD 101 Récital Marilyn Horne (Gluck, Meyerbeer, Saint-Saëns, Rossini, Bizet) / Dir. Martin Katz

Les morts et les jours

Octobre n’est pas fini et on pleure déjà trop de morts.

Lari et France Musique

Le 28 septembre, sur Facebook, j’écrivais : J’apprends par ma chère Arièle Butaux le décès hier après-midi de notre ami Michel Larigaudrie.

De lui, nous qui avons eu la chance de le côtoyer à Radio France, à France Musique, nous pouvons dire : nous l’avons tant aimé.

Jusqu’au bout, dans sa retraite toulonnaise, il est resté un citoyen engagé, exigeant (à l’égard notamment de ses jeunes collègues du service public), révolté souvent par les injustices du monde, plein d’affection et d’attentions pour ses proches et ceux qu’il aimait.

Adieu Lari !

Ces dernières années, Michel Larigaudrie, Lari pour les intimes et comme il signait ses messages, ne manquait pas une occasion de me rappeler les jours heureux, les siens, les miens, de France Musique, m’envoyant les photos qu’il avait prises en maintes circonstances, documentant ainsi précieusement des émissions, des rencontres, qui n’auraient, sinon, pas laissé de traces autres que sonores.

Lire Fortes têtes, Les politiques au micro.

Michael Ponti l’intrépide

Michael Ponti (1937-2022), j’en ai entendu parler pour la première fois à Genève. C’était son partenaire de musique de chambre, Robert Zimansky, à l’époque violon solo de l’Orchestre de la Suisse romande, qui s’était étonné auprès de moi que ce pianiste à la virtuosité exceptionnelle ne soit jamais invité par l’OSR ! Je ne l’ai jamais entendu en concert, surtout depuis qu’à la fin des années 90 un accident vasculaire l’avait contraint à réduire considérablement son activité. Il est mort le 17 octobre dernier en Allemagne où il vivait.

Mais il laisse un nombre impressionnant d’enregistrements d’oeuvres concertantes, qu’il fut parfois le seul, souvent le premier, à graver. On conseille en particulier ce coffret qui regroupe notamment tous les disques enregistrés pour le label américain Vox :

Jean Teulé le dégingandé

Je ne le croiserai plus dans les rues du Marais, où il avait ses pénates. C’est bête de mourir d’une intoxication alimentaire. C’est ce qui est arrivé à Jean Theulé, 69 ans.

Je n’étais pas ce qu’on peut appeler un « fidèle lecteur », plutôt occasionnel. Je vais rattraper mon retard.

Philippe Aïche, le dernier violon

Je me demandais pourquoi, depuis un bon moment, je ne voyais plus Philippe Aïche à la première chaise – c’est ainsi qu’on nomme la place à laquelle est assis le premier violon, le Konzertmeister, d’un orchestre – de l’Orchestre de Paris. Christian Merlin en révèle la triste raison ce matin dans Le Figaro. Une tumeur au cerveau et la disparition annoncée hier, à 59 ans, d’un musicien, entré en 1985 à l’orchestre, qui récolte l’hommage unanime de toute la profession. Encore une mort injuste.

Philippe Aïche, David Gaillard, répètent la Symphonie concertante de Mozart avec l’orchestre de Paris dirigé par Gianandrea Noseda.

J’ai plein de souvenirs évidemment de Philippe Aïche, mais un tout particulier, lorsqu’il créa, en 1997 je crois, le 2ème concerto pour violon d’Eric Tanguy.

Condoléances à sa famille et ses collègues de l’Orchestre de Paris.

Pauvre hommage

Voici bientôt un an que Nelson Freire a quitté cette vie (voir L’admirable Nelson). Decca annonce des inédits à paraître ces jours-ci.

J’aurais aimé dire du bien d’un livre qui était attendu par tous les admirateurs et les amis du pianiste brésilien – et ils sont nombreux -. Je regrette presque de l’avoir acheté.
Voici comment l’éditeur le présente :

« Doté de fabuleux moyens, le Brésilien Nelson Freire est depuis son plus jeune âge l’un des plus grands pianistes au monde. Sa carrière a pourtant mis du temps à se hisser à la hauteur de son talent. Hypersensibilité maladive, caractère indocile et une sorte de malédiction l’ont maintenu à part, jusqu’à l’apothéose des dernières années.

Son jeu noble, puissant, sensuel et coloré a fini par lui valoir l’amour du public en plus de l’admiration des musiciens. Très proche de Martha Argerich, avec laquelle il a formé un duo de légende, il reste un interprète miraculeux de Chopin, Schumann, Brahms, Debussy ou Villa-Lobos.

En octobre 2021, sa mort soudaine a plongé le monde musical dans la sidération. Après une enquête minutieuse, Olivier Bellamy retrace son fascinant parcours et lève le voile sur l’un des secrets les mieux gardés du piano« 

Les raisons de ma colère ? Je n’ai rien appris que je ne connusse déjà (et qui était déjà écrit dans le bouquin que le même auteur a consacré à Martha Argerich). Mais quand on a eu la chance d’approcher des êtres comme Nelson Freire, de partager parfois leur amitié, on ne se répand pas en anecdotes douteuses, en détails intimes, qui n’apportent rien à la connaissance de l’artiste et s’apparentent à une violation de la vie privée d’un mort et de ses proches. Je dois être trop old school..

Ce qu’il nous reste d’eux

La camarde fauche large chez les pianistes ces derniers mois : Nelson Freire, Radu Lupu, Nicholas Angelich, avant-hier Lars Vogt. Les deux derniers au même âge, la cinquantaine juste passée, l’un et l’autre après avoir courageusement affronté la maladie, les poumons pour Nicholas Angelich, le foie pour Lars Vogt. Au-delà de leur talent et de leurs qualités pianistiques, c’est aussi, sûrement, cette tragique condition humaine, qui nous a profondément émus. Il n’est que de voir, comme l’a constaté France Musique, la pluie d’hommages qui, dans le monde entier, a salué la mémoire de Lars Vogt.

L’Orchestre de chambre de Paris, dont Lars était devenu le directeur musical, a diffusé hier l’extrait d’un concert donné au début de l’été dans la cour de l’Hôtel de Sully à Paris, le dernier sans doute de Lars Vogt. Je vois dans le choix de ce limpide et tendre second mouvement du 2ème concerto pour piano de Chostakovitch, comme une prémonition, comme un adieu au monde…

Alain Lanceron, le président de Warner Classics & Erato, rappelait hier que Lars Vogt avait beaucoup enregistré pour EMI, à la suite de son succès au concours de Leeds en 1990. Notamment ces disques avec Simon Rattle. On veut imaginer que Warner rassemblera ce legs dans un généreux coffret, on le souhaite !

Lars Vogt a beaucoup enregistré pour plusieurs labels. Difficile d’établir une discographie exhaustive. De Mozart à Janacek, de Beethoven à Brahms, en solo, en concerto, il y a abondance. Une sélection de coeur dans ses derniers disques pour Ondine :

J’ai une affection particulière pour ces disques enregistrés avec les amis de toujours du pianiste, le violoniste Christian Tetzlaff et la violoncelliste Tanja Tetzlaff. Le 9 janvier 2015, ils avaient joué à Radio France d’abord le Triple concerto de Beethoven puis le Kammerkonzert de Berg avec l’Orchestre philharmonique de Radio France dirigé par Daniel Harding (lire Le silence des larmes).

Nelson Freire inédit

Decca annonce la sortie d’un double CD d’inédits de Nelson Freire :

Gluck: Orfeo ed Euridice: Mélodie

Bach, J S: Jesu, bleibet meine Freude (from Cantata BWV147 ‘Herz und Mund und Tat und Leben’)

Beethoven: Andante Favori in F, WoO 57

Beethoven: Piano Concerto No. 4 in G major, Op. 58

  • Nelson Freire (piano)
  • Radio-Sinfonieorchester Stuttgart des SWR
  • Uri Segal

Beethoven: Bagatelle Op. 119: No. 11 in B flat major

Strauss, R: Burleske for Piano and orchestra in D minor, AV85

  • Nelson Freire (piano)
  • SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg
  • Zoltán Peskó

Debussy: La plus que lente

Villa-Lobos: Bachianas Brasileiras No. 4 for piano or orchestra: Preludio No. 1

Bartók: Piano Concerto No. 1, BB 91, Sz. 83

  • Nelson Freire (piano)
  • Frankfurt Radio Symphony Orchestra
  • Michael Gielen

Brahms: Piano Concerto No. 2 in B flat major, Op. 83

  • Nelson Freire (piano)
  • Frankfurt Radio Symphony Orchestra
  • Horst Stein

Brahms: Intermezzo in A major, Op. 118 No. 2

On ne va pas bouder son plaisir même si on peut penser qu’il y a beaucoup d’autres inédits qui dorment dans les archives des radios européennes. Rappelons cet autre coffret – des bandes radio – qui est un indispensable de toute discothèque :

Pour ce qui est de Radu Lupu, Decca avait déjà réédité tout ce qu’il avait enregistré en solo et en concerto. On espère que Nicholas Angelich bénéficiera, lui aussi, d’une belle réédition d’une discographie malheureusement incomplète.

Ici capté dans ce qui fut sans doute l’un de ses derniers récitals, chez l’ami René Martin à la Grange de Meslay en 2020.

La relève

Quinzaine plombante, les disparitions de deux géants Bernard Haitink et Nelson Freire n’ont pas fini de nous remuer.

Pour en sortir, j’ai repéré dans ma DVD-thèque deux visions extrêmement réjouissantes de la relève des générations montantes de musiciens. Des DVD regardés distraitement naguère, qui sont le meilleur remède à la mélancolie ambiante.

Les jeunes Vénézuéliens à Salzbourg

D’abord ce concert de 2013 au festival de Salzbourg, avec l’orchestre et les choeurs des jeunes Vénézuéliens du Sistema.

Je veux d’abord penser à ce pays magnifique, le Vénézuéla, qui nous a donné tant de musiciens de premier plan, plongé depuis des années dans un chaos politique et économique effrayant (lire Le malheur du Venezuela).

Je n’ai pas pu décrocher une seconde de ce fabuleux moment. Toutes les références qu’on peut avoir par exemple de la Première symphonie de Mahler tombent devant l’extraordinaire engagement de ces fiers musiciens.

Evidemment on les attendait dans leurs tubes, comme cet irrésistible Mambo de West side story de Bernstein

Boulez et l’Académie de Lucerne

Autre document retrouvé dans un coffret d’hommage à Pierre Boulez :

A vrai dire, je n’avais pas repéré dans ce coffret mêlant concerts et documentaires, un film passionnant réalisé durant l’été 2008 à Lucerne Inheriting the future of music

Or j’avais assisté à une partie de cette formidable aventure qui avait rassemblé jeunes musiciens et jeunes compositeurs autour de la figure tutélaire et si bienveillante de Pierre Boulez :

« En septembre 2008 je me rendis à Lucerne, où il animait cette phénoménale Académie d’été autant pour les jeunes musiciens que pour les compositeurs. Je lui avais demandé de m’accorder quelques instants, il m’accueillit durant tout un après-midi dans la modeste chambre qu’il occupait dans un hôtel un peu old fashioned sur les bords du Lac des Quatre-Cantons, très exactement en face de la villa de Tribschen où Wagner avait coulé quelques mois heureux (et composé notamment sa Siegfried-Idyll). Aucune fatigue chez cet homme de 83 ans qui dirigeait le soir même un programme colossal » (6 janvier 2016)

On verra dans ce documentaire un jeune homme de 83 ans, qui ne paraît jamais gagné par la fatigue ou la lassitude. On y verra aussi les figures de chefs aujourd’hui établis – Pablo Heras Casado – de compositeurs admirés, le doyen Peter Eötvös et le fringant quadragénaire Ondrej Adamek.

Intéressant aussi de comprendre l’évolution de la musique contemporaine : ainsi on voit le travail des jeunes chefs et de leurs mentors autour d’une oeuvre emblématique de la musique du XXème siècle, Gruppen de Stockhausen, pour trois orchestres symphoniques, créée en 1958 à Cologne sous la triple direction du compositeur, de Bruno Maderna et de… Pierre Boulez.

Quelques semaines après ma rencontre à Lucerne avec Pierre Boulez, l’Orchestre philharmonique royal de Liège et son chef d’alors, Pascal Rophé, avaient ouvert le festival Musica de Strasbourg, avec Gruppen (les trois chefs requis étaient Pascal Rophé bien sûr, Jean Deroyer – qu’on aperçoit dans le documentaire ! – et Lukas Vis). Je comprends que l’oeuvre fascine les chefs qui la travaillent et qui ensuite la dirigent. L’extraordinaire complexité de l’oeuvre n’en débouche pas moins, pour moi, sur une caricature de ce que la « musique contemporaine » pouvait représenter de plus intimidant, repoussant même, pour le public. Tout ça pour ça, ai-je envie de dire !

De ce concert strasbourgeois, j’ai beaucoup plus retenu – et le public aussi ! – la création de Vertigo, une oeuvre concertante pour deux pianos et orchestre, de celui qui aurait eu 40 ans cette année, le surdoué Christophe Bertrand, qui s’est donné la mort à 29 ans le 10 septembre 2010…