Producteurs

Je suis allé voir hier un spectacle très réjouissant : Les Producteurs au Théâtre de Paris (l’un des plus beaux théâtres privés de Paris).

L’accueil dans la salle laisse déjà augurer de la belle qualité des deux heures qui vont suivre.

Je me suis dit que c’était l’occasion ou jamais d’expliquer, expliciter cette notion de « Producteur » dans le champ de la culture et de la communication.

Radio-actifs

Commençons par la radio et les chaînes publiques (France Musique, France Culture par exemple), où le producteur/la productrice occupe une position éminente, mais dont le titre, la dénomination n’ont rien à voir avec la définition communément admise du producteur (dont on verra les variantes ci-après.

En l’occurrence le producteur de radio n’investit aucun argent personnel, n’encourt aucun risque… et ne perçoit a fortiori aucun retour sur investissement. Tout au plus anime-t-il une toute petite équipe qui prépare les émissions dont il est chargé. Et il est soumis à une hiérarchie, la direction du service, de la chaîne ou de l’entreprise qui l’emploie. Disant cela, je me remémore, avec un petit sourire, les réactions de certains producteurs de France Musique, lorsque j’arrivai à la direction des programmes de la chaîne en 1993 (Lire L’aventure France Musique). Nombre d’entre eux se considéraient comme propriétaires de leur case, et seuls maîtres du contenu de leurs émissions, et n’entendaient pas qu’un autre, fût-il le patron de la chaîne, s’en mêle. Ce n’est plus le cas depuis longtemps, en tout cas sur France Musique. Mais le titre est resté, plus noble sans doute qu' »animateur » ou « présentateur »…

Boîtes de prod

En télévision, en dehors des journaux télévisés, toutes les émissions, dans le public et a fortiori plus encore dans le privé, dépendent de producteurs, de « boîtes de prod » privées. Toutes les figures du petit écran ont leurs boîtes de prod, qui emploient parfois des dizaines de collaborateurs. Ces boîtes vendent donc des prestations all inclusive, animateurs compris, aux télévisions. Il suffit de regarder le générique des émissions pour voir apparaître la mention de ces « producteurs ». On peut trouver cela étrange s’agissant par exemple des chaînes publiques, mais le calcul est vite fait : entre toutes les obligations d’un employeur pour chaque catégorie de personnel, et un « package » tout compris même plus cher, on sait vers où penche la préférence.

On.a oublié les affaires du passé qui ont, pour certaines, coûté leur poste à des dirigeants de l’audiovisuel public : Jean-Pierre Elkabbach blanchi

« il n’y a  PAS lieu à poursuivre » : ainsi a conclu le ministère public de la cour de discipline budgétaire et financière de la Cour des comptes, à propos de l’affaire des animateurs-producteurs de France 2 dans laquelle Jean-Pierre Elkabbach, alors président de France Télévision, avait été mis en cause. Président des chaînes publiques entre 1993 et 1996, Jean-Pierre Elkabbach avait été contraint de démissionner à la suite de la campagne menée contre les contrats passés en 1994 et 1995 entre France 2 et les animateurs-producteurs (Arthur, Jean-Luc Delarue, Nagui, Mireille Dumas ou Jacques Martin). Révélés par un rapport du député (UDF) Alain Griotteray, qui avait estimé que « la redevance payée par les usagers de la télévision a assuré à quelques vedettes des rémunérations individuelles parmi les plus élevées de France », ces contrats avaient aussi été critiqués par la Cour des comptes.

Dans son rapport de 1997, celle-ci avait estimé qu’il y avait des irrégularités dans ces contrats, notamment en matière d’avances de trésorerie. Alors que celle de France 2 était déficitaire, la trésorerie de la société de Jacques Martin s’élevait en 1995 à 62,3 millions de francs, celle de Jean-Luc Delarue à 51,5 millions, celle de Michel Drucker à 50,1 millions et celle d’Arthur à 21,8 millions de francs. Les magistrats avaient transmis l’affaire à la cour de discipline budgétaire et financière, qui décide s’il y a lieu de sanctionner les fautes personnelles des dirigeants. Jean-Pierre Elkabbach avait toujours affirmé que ces contrats « n’étaient pas des cadeaux et n’avaient rien d’illégal ». (Le Monde, 12 juillet 2001).

Producteur de musique

Evidemment le sujet que je connais le mieux est celui des producteurs de musique classique. C’est une espèce rare, de plus en plus rare. On les trouve dans des organisations, des festivals, qui ont dépassé les quarante ans d’âge : Janine Roze, André Furno, Pascal Escande, pour ne citer que quelques exemples de passionnés qui ont révélé au public des générations de musiciens. On doit ajouter à la liste l’incontournable René Martin qui, pour être dans les affres de procédures accusatoires, ne doit pas être oublié comme le fondateur et/ou l’âme de la Folle journée de Nantes, du festival de La Roque d’Anthéron ou de Fontevraud. Les uns et les autres ont bénéficié de subventions directes ou indirectes, mais sans leur ardeur, leur envie initiales, leurs entreprises eussent été vaines ou très brèves.

Comme responsable durant quinze ans d’un orchestre et d’une salle de concert, j’ai aussi été un « producteur » de centaines d’événements, de concerts (lire Merci Liège). Certes je bénéficiais de subventions publiques mais, comme je ne cessai de l’expliquer aux ministres et politiques que je rencontrais, les subsides perçus par l’Orchestre philharmonique royal de Liège couvraient tout juste les salaires de l’orchestre, mais jamais l’activité, les concerts, les festivals qu’il fallait financer par des recettes propres, essentiellement la billetterie. De ce point de vue, on était sur le même plan qu’un producteur privé. Un mauvais choix de programme et/ou d’artistes et c’était une billetterie médiocre, un programme et des interprètes qui attiraient l’attention, et c’était une recette appréciable. Je suis bien placé pour savoir que c’était la condition nécessaire mais jamais suffisante du soutien des pouvoirs publics.

Mais j’ajoute surtout la fierté, le bonheur qui furent les miens de pouvoir révéler des répertoires et des interprètes aux publics de Liège, Paris, Montpellier.

je suis toujours bouleversé de revoir, réentendre Nicholas Angelich, que j’ai si souvent entendu, et invité à Liège, ici à la grange de Meslay (lire L’ombre de Richter) un an avant que la maladie de lui interdise la scène avant de l’emporter…

Au cinéma comme au théâtre ou dans la comédie musicale, les producteurs, à l’instar de ceux que décrit Mel Brooks revu et corrigé par Alexis Michalik, sont bien sûr les financiers qui prennent les risques, misent sur tel ou tel talent, se plantent parfois, gagnent le gros lot – rarement – mais sont surtout des détecteurs et des promoteurs de talents.

Et toujours mes brèves de blog où je parlerai bientôt des 30 ans d’un festival, du courage d’un directeur, et de quelques autres sujets d’actualité

Une Bohème de rêve

Il y a à peine deux mois, on avait peu apprécié, pour ne pas dire plus – mais le critique doit parfois retenir son propos : On a marché sur la lune à l’Opéra Bastille (Bachtrack) – la reprise de La Bohème version Claus Guth à l’Opéra Bastille.

Quel contraste avec celle qu’on a vue hier soir au théâtre des Champs-Elysées ! Je ne partage aucune des réserves émises ici et là sur la mise en scène d’Eric Ruf* (trop « traditionnelle » aux yeux de certains ?). Parce que, musicalement, c’est le bonheur complet.

Dans la fosse d’abord, on doit à un jeune chef – 32 ans – Lorenzo Passerini, que je ne connaissais pas jusqu’à hier soir, l’une des plus belles directions d’orchestre que j’aie jamais entendues de cet ouvrage, en dehors du disque. J’ai déjà écrit l’admiration que j’éprouve pour le génie de l’orchestre de Puccini, d’une modernité, d’une sensualité que le chef italien exalte comme rarement à la tête d’un Orchestre national de France pourtant peu familier de la fosse d’opéra, qui brille ce soir de tous ses feux. J’entendais à l’entracte des musiciens de l’ONF dire leur bonheur de travailler avec ce chef… bonheur très largement partagé par le public.

Ensuite les chanteurs : non seulement il n’y a aucune faiblesse dans la distribution, mais Michel Franck, le directeur du Théâtre des Champs-Elysées, a choisi les meilleurs du moment, surtout chez les hommes. Marc Labonette excelle dans le double emploi de Benoît et Alcindoro tout comme Francesco Salvadori en Schaunard et Guilhem Worms en Colline. Alexandre Duhamel donne une épaisseur, une chaleur formidables au personnage de Marcello. Quant à Pene Pati, il confirme sur scène, en Rodolfo, tout le bien qu’on avait pensé et écrit de lui à la sortie de son premier disque (voir sur Forumopera : Pene Pati ou le soleil du Pacifique). Comme l’écrit Emmanuel Dupuy sur Diapasonmag « timbre tout en gourmandise, émission sans effort, cantabile inépuisable, sentiment toujours juste, générosité du chanteur autant que du comédien » !

On n’a pas honte d’avouer que ses airs et ses duos tant avec Mimi qu’avec Marcello nous ont ému aux larmes.

J’ai lu sur Selene Zanetti qui incarne Mimi des commentaires pas toujours bienveillants. Elle compose vocalement et dramatiquement une Mimi d’abord bien chantante, surtout crédible, émouvante – Eric Ruf ayant toujours cette magnifique aptitude à creuser les caractères et les personnages. La Musette d’Amina Edris est toute de sensualité et de sensibilité.

Heureusement cette Bohème a été captée par les micros de Radio France et les caméras de France Télévisions.

*Eric Ruf était l’invité de l’émission de Nagui « La bande originale » aujourd’hui sur France Inter. Evidemment on ne perd jamais son temps à écouter l’administrateur général de la Comédie-Française, même quand il doit répondre aux questions-clichés de l’animateur sur « l’élitisme » de l’opéra – heureusement que Mehdi Mahdavi, rédacteur en chef d’Opéra Magazine, a remis les pendules à l’heure ! – un animateur qui manifestement ne lit pas ses fiches, puisqu’on l’a entendu annoncer Lorenzo Viotti dans la fosse… alors que son remplacement par un autre Lorenzo…Passerini a été annoncé il y a plusieurs semaines !

La grande porte de Kiev (VI) : Unis pour l’Ukraine

J’ai participé hier à la grande soirée organisée par France 2 et Radio France à la Maison de la Radio et de la Musique en solidarité avec le peuple ukrainien, Unis pour l’Ukraine

Radio France aux couleurs de l’Ukraine

Comme souvent, dans ce type de soirée organisée en dernière minute, il y a eu du bon, du très bon, et du moins bon, voire contestable. On eût aimé, autant le dire d’emblée, que Nagui n’accaparât pas la parole toute la soirée, Leila Kaddour en étant réduite à essayer d’exister, et surtout ne confonde pas cet hommage aux victimes de la guerre en Ukraine avec un Téléthon. Son appel systématique aux dons à la Croix Rouge, son verbiage dégoulinant de bons sentiments qui omettait soigneusement de prononcer le mot « guerre » pour s’apitoyer sur le sort des « réfugiés où qu’il soient dans le monde », ses questions ridicules aux artistes, bref une prestation de bateleur à contre-temps et à contresens qui n’a, heureusement, pas réussi à gâcher une soirée trop longue.

Les invités à cette soirée avaient été priés de choisir de prendre place au studio 104 ou à l’Auditorium, la chanson d’un côté, le classique de l’autre.

On peut revoir cette soirée : Unis pour l’Ukraine

Je ne veux que retenir que quelques moments très forts, très justes (le programme complet de la soirée ici)

Sublime Göttingen chanté par Carla Bruni accompagnée par Katia Buniatishvili

La force d’une chanson, même si la voix déraille…

Mais, installé à l’Auditorium, j’ai vécu plus de moments forts avec les formations de Radio France, la merveilleuse Maîtrise dirigée par Sofi Jeannin, le Choeur de Radio France dans un bouleversant Va pensiero, et bien sûr l’Orchestre National de France, dirigé par Cristian Macelaru, dont le nom n’a été cité qu’une seule fois de toute la soirée…

Andrei Bondarenko et Benjamin Bernheim

Benjamin Bernheim bouleverse l’auditoire avec l’Ingemisco du requiem de Verdi, et plus encore, en duo avec le baryton ukrainien Andrei Bondarenko, dans Dio, Che Nell’alma Infondere Amor de Don Carlo.

Mais l’émotion est à son comble, lorsque, bien après minuit, le Choeur de Radio France, l’Orchestre National de France, Cristian Macelaru entonnent l’hymne national ukrainien chanté par Andrei Bondarenko :

On est reparti de la Maison de la Radio le coeur lourd, en totale communion de pensée avec les victimes de cette guerre atroce.