Un bouquet de Strauss (I) : dix valses

#JohannStrauss200

Nous y voilà : il y a deux cents ans, le 25 octobre 1825, naissait le plus célèbre compositeur du monde. Le plus célèbre, oui, puisque ce sont plusieurs milliards de téléspectateurs qui chaque 1er janvier entendent ses oeuvres, on veut parler de Johann Strauss, que je me refuse à appeler Strauss II – il n’est ni pape, ni roi… même de la valse – éventuellement Johann Strauss fils. Même si d’évidence il a acquis une légitime et universelle célébrité, qui surpasse celle de son père (Johann) et de ses frères (Josef et Eduard) pourtant très doués.

La célèbre statue dorée de Johann Strauss dans le parc de la ville de Vienne et un chef, pur Viennois, Christian Arming, qui dirigeait l’orchestre philharmonique royal de Liège dans sa ville natale en mai 2014 (Les soirées de Vienne) / Photo JPR

Pour célébrer ce bicentenaire à ma manière – puisque mon pays, la France, est bien timide – c’est un euphémisme – en dehors d’un beau concert de l’Orchestre national – je propose trois volets très personnels d’exploration de son oeuvre avec des versions que je recommande particulièrement.

D’abord 10 valses, celles qui me touchent le plus, et pour chacune non pas une discographie exhaustive – impossible – mais, tirées de ma discothèque personnelle, des versions qui me semblent être des références et/ou des raretés (mais je mentionne pour chaque valse toutes les versions de ma discothèque !)

1. An der schönen blauen Donau / Le beau Danube bleu

La plus célèbre valse de Johann Strauss est d’abord une valse chantée, sur un texte satirique de Josef Veyl, un ami d’enfance du compositeur, qui fera scandale lors de la création le 13 février 1867 au Dianabad par le Wiener Männergesang-Verein. C’est à Paris, lors de l’Exposition universelle, le 1er avril de la même année, qu’est donnée la version orchestrale sous la direction de Johann Strauss.

La seule version avec choeur qui figure dans ma discothèque est celle de Willi Boskovsky avec le choeur de l’opéra de Vienne et bien entendu les Wiener Philharmoniker

Naguère distingué à l’aveugle par l’émission Disques en lice, Claudio Abbado, capté le 1er janvier 1988, reste une/ma référence, loin devant tant d’autres !

D’autres versions à retrouver dans cet article : Le beau Danube coule depuis 158 ans

(Abbado x2, Barbirolli x2, Barenboim x2, Bernstein, Böhm, Boskovsky x5, Dorati, Dudamel, Fiedler, Fricsay x2, Gerhardt, Gut, Harnoncourt x2, Horenstein, Jansons x2, Karajan x8, Keilberth, Carlos Kleiber x2, Krips, Maazel x4, Mehta x4, Muti x5, Ormandy, Ozawa, Paulik, Prêtre x2, Pritchard, Reiner, Sawallisch, Schneider, Felix Slatkin, Stolz, Suitner, Szell, Welser-Moest, Wildner)

2. Kaiserwalzer ou la valse des empereurs

L’Orchestre national de France et Manfred Honeck rendaient hommage récemment à Johann Strauss (lire Chiche bicentenaire).

Parmi la quarantaine de versions de ma discothèque (avec des récidivistes comme Karajan avec 8 versions studio et « live » !), j’ai mes préférences :

Jascha Horenstein a enregistré à Vienne (avec l’orchestre de l’opéra, c’est-à-dire les Wiener Philharmoniker !) deux disques parus sous diverses étiquettes. Sa Kaiserwalzer (ici à 7’50 ») est idéale d’entrain, d’allure.

Autre version oubliée, viennoise elle aussi, mais avec les Wiener Symphoniker, Wolfgang Sawallisch

(Abbado x2, Barbirolli x2, Bernstein, Böhm, Boskovsky, Fiedler, Fricsay, Furtwängler, Gielen, Gut, Harnoncourt x2, Horenstein, Jansons, Karajan x8, Keilberth, Kempe, Klemperer, Krips, Henry Krips, Maazel x4, Muti, Paulik, Prêtre, Previn, Pritchard, Reiner, Sawallisch, Schneider, Felix Slatkin, Stolz, Walter x2, Wildner)

3. Wein, Weib und Gesang / Aimer, boire et chanter

J’avais déjà consacré un long article à cette valse de 1869 assez unique dans la production de Strauss. C’est presque un poème symphonique, avec une longue introduction, souvent écourtée, voire supprimée.

Mon premier choix est toujours Willi Boskovsky, qui dirige vraiment une valse qui ne traîne pas, ne s’alanguit pas.

Mais la version de Georges Prêtre en 2010 est émouvante, en ce qu’elle révèle dans l’introduction le grand chef de théâtre qu’il fut.

(Bauer-Theussl, Boskovsky x3, Dorati, Fiedler, Guth, Horenstein, Järvi, Karajan x3, Keilberth, Mehta, Muti, Ormandy, Paulik, Prêtre, Sawallisch, Schuricht, Stolz, Suitner, Szell, Welser-Moest, Wildner)

4. Rosen aus dem Süden / Roses du Sud

Depuis des lustres, « ma » version de la valse Roses du sud (créée le 7 novembre 1880 par Eduard, le benjamin des Strauss, au Musikverein de Vienne) est celle de Karl Böhm. Indépassable !

(Barbirolli, Barenboim, Bauer-Theussl, Bernstein, Böhm, Boskovsky x2, Fiedler, Fricsay, Guth, Horenstein, Karajan, Keilberth, Krips, Maazel, Mehta, Muti, Ormandy, Paulik, Reiner, Sawallisch, Schuricht, Stolz, Alfred Walter)

5. Nachtfalter / Papillon de nuit

J’intitulais un de mes (nombreux) articles consacrés à Vienne « Capitale de la nostalgie« . S’il est une valse qui exprime précisément ce sentiment diffus qui m’envahit à chaque fois que j’écoute cette musique, c’est bien Nachtfalter (1854).Zubin Mehta avec la complicité des Wiener Philharmoniker a tout compris du caractère double de cette confidence douce-amère.

(Oliver Dohnanyi, Mehta)

6. Tausend und eine Nacht/Mille et une nuits

Reprenant les thèmes de l’opérette Indigo et les quarante voleurs, cette valse est créée, comme Roses du sud, par Eduard Strauss au Musikverein de Vienne le 12 mars 1871.

Carlos Kleiber avait choisi cette valse, plutôt rare au concert, pour célébrer, le 1er janvier 1992, le sesquicentenaire des Wiener Philharmoniker. Le modèle absolu !

(Boskovsky, Dudamel, Fiedler, Horenstein, Kempe, Carlos Kleiber, Maazel, Ormandy, Stolz, Alfred Walter)

7. Geschichten aus dem Wiener Wald / Légendes de la forêt viennoise

Celle valse de 1868 commence par un solo de cithare, pour faire plus exotique sans doute. Dans plusieurs versions des années 60, comme celle de Boskovsky, on a fait appel à un musicien resté célèbre pour un film qui a donné à l’acteur Orson Welles l’un de ses plus grands rôles, Le Troisième homme. L’auteur du thème de Harry Lime est un artiste qui jouait dans une brasserie du Prater, Anton Karas (1906-1985)

Mes deux versions préférées de ces Légendes sont du même chef, Rudolf Kempe (1910-1976), resté justement célèbre pour son intégrale symphonique de l’autre Strauss (Richard), qui a gravé quelques anthologies de la famille Strauss, d’abord à Vienne en 1959, puis dix ans plus tard à Dresde.

Rudolf Kempe / Wiener Philharmoniker

Rudolf Kempe / Staatskapelle Dresde

J’ai dans ma discothèque une unique version chantée de cette valse : Rita Streich (1920-1987) y déploie tous ses sortilèges

(Barbirolli, Barenboim, Bernstein, Boskovsky x2, Dorati, Fiedler, Fricsay, Guth, Harnoncourt, Horenstein, Karajan x3, Kempe x2, Knappertsbusch, Krauss, Maazel x3, Mehta, Muti, Ormandy, Felix Slatkin, Stolz, Walter, Wildner)

8. Künsterleben / Vie d’artiste

Cette valse suit de peu le succès du Beau Danube bleu. L’introduction orchestrale de cette valse est un pur moment de poésie. Certains s’y attardent tellement qu’ils en oublient de valser. Ce n’est pas le cas d’un chef qui, comme Fiedler à Boston, connaissait par coeur ses classiques à Hollywood, Felix Slatkin (1915-1963),

(Bernstein, Boskovsky x2, Dorati, Fiedler, Guth, Horenstein, Jansons, Karajan x4, Keilberth, Carlos Kleiber, Maazel, Ozawa, Paulik, Reiner, Sawallisch, Felix Slatkin, Stolz)

9. Lagunen Walzer / Valse de la lagune

La valse créée en 1883 reprend – d’où son titre ! – une grande partie des thèmes de l’opérette Une nuit à Venise. J’en aime le début qui semble ouvrir sur tous les matins du monde et qui, contrairement à bien d’autres valses de Strauss, semble inexorablement optimiste.

Je n’avais pas beaucoup aimé le concert du 1er janvier 2025 censé ouvrir les célébrations du bicentenaire Strauss. Riccardo Muti qu’on a connu fringant et conquérant, dès son premier concert de l’An viennois en 1993, semblait ici engoncé, excessivement retenu. Finalement sa version est l’une des plus convaincantes.

Autre grand habitué des concerts de Nouvel an – Lorin Maazel – très irrégulier d’une année à l’autre :

(Boskovsky x2, Oliver Dohnanyi, Horenstein, Jansons, Maazel, Muti, Stolz)

10. Seid umschlungen Millionen / Embrassez-vous par millions

Un petit air d’ode à la joie ? Ce sont bien les mêmes mots qu’emploient Schiller et Beethoven dans le finale de la 9e symphonie, ce sont eux qui donnent son titre à cette valse créée en 1893. Mélancolique souvent, joyeuse parfois, ce n’est pas la plus aisée à diriger. On retrouve, comme par hasard, Abbado en 1988.

(Abbado, Barenboim, Boskovsky, Harnoncourt, Maazel, Stolz, Alfred Walter)

Ce choix de dix valses est éminemment subjectif, comme le choix des interprètes. J’ai surtout voulu attirer l’attention sur des versions dignes d’intérêt, moins connues ou repérées.

Il existe une intégrale symphonique de l’oeuvre de Johann Strauss parue chez Naxos. L’ensemble est assez médiocre du côté des orchestres et des chefs, mais au moins il y a toute l’oeuvre éditée de Strauss !

* Le titre de cette série est bien sûr un clin d’oeil, Strauss voulant dire « bouquet » en allemand… et en viennois !

Demain 2e volet de cette mini-série sur les opérettes et oeuvres vocales de Johann Strauss

Et toujours humeurs et bonheurs du jour à lire dans mes brèves de blog

Il y a dix ans (III) : Liège à Vienne

Je ne vais pas rappeler ici une évidence : autant que les voyages forment la jeunesse, les tournées forment les orchestres. Plus précisément, on n’a jamais trouvé mieux qu’une tournée de concerts pour conforter, développer, améliorer la cohésion, l’unité d’un orchestre. Il est essentiel pour toute formation de se confronter à d’autres publics, d’autres salles, d’autres conditions de travail. C’est pourquoi, malgré les difficultés financières, les budgets restreints, j’ai toujours tenu à organiser pour l’Orchestre philharmonique royal de Liège entre 2000 et 2014 des tournées de concerts qui répondraient à cet objectif. Nous avons eu beaucoup de chance – nous l’avons certes favorisée ! – de pouvoir encore entreprendre ces voyages, que j’ai évoqués au fil de ce blog. Difficile de choisir dans les souvenirs, même si l’Amérique du Sud en août 2008 (lire Un début en catastrophe) reste à tous égards indélébile.

Mais les trois concerts (2005, 2011, 2014) dans la grande salle dorée du Musikverein à Vienne demeurent, encore aujourd’hui, mes souvenirs les plus forts. Le dernier avait lieu, il y a précisément dix ans le 22 mai 2014. Lire Les soirées de Vienne

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Le Viennois Christian Arming chez lui, dans le parc municipal de Vienne, à côté de la statue d’hommage au roi de la Valse Johann Strauss.

J’ai cité les trois dates mais pas toujours raconté les coulisses de l’exploit. En 2005 : Je me rappelle, comme si c’était hier, l’émotion qui nous avait tous saisis, des plus chevronnés aux plus jeunes musiciens de l’Orchestre philharmonique – qui n’était pas encore Royal ! – de Liège, lorsqu’en octobre 2005 nous étions entrés dans les coulisses, puis sur la scène de la grande salle du Musikverein. Pour un concert dirigé par Louis Langrée – le concerto en sol de Ravel avec Claire-Marie Le Guay, et bien évidemment la Symphonie de Franck.

Lorsque l’orchestre était arrivé de Zagreb l’avant-veille du concert, il avait rejoint, dans la banlieue de Vienne, l’hôtel que l’organisateur de la tournée avait réservé. J’étais de mon côté en voiture avec le chef et la soliste, tout juste arrivé à un autre hôtel jouxtant le Musikverein lorsque je reçus un appel affolé du régisseur de l’orchestre : beaucoup de musiciens refusaient de séjourner dans un établissement qui sentait l’oeuf pourri (à cause de la présence d’une usine de traitement des eaux usées à proximité!). J’entrepris une rapide discussion avec les représentants de l’orchestre et pris l’engagement de reloger l’orchestre au centre de Vienne, sans savoir s’il y avait ou non des disponibilités. Mais je me disais qu’en mobilisant la petite équipe qui accompagnait l’orchestre, on y arriverait… quoi qu’il en coûte ! Nous pûmes finalement reloger presque tout le monde à l’Intercontinental. Et il fallut ensuite réussir à prévenir tous les musiciens, dont beaucoup s’étaient déjà égayés dans la nature. Il y eut quelques scènes cocasses mais tout finit bien !

En 2011, situation plus compliquée, mais cette fois pas du fait de l’organisation ou des musiciens. Deux concerts étaient prévus, le premier à Varsovie, le second à Vienne, avec le chef qui avait inauguré en septembre 2009 le plus bref des mandats de directeur musical de l’OPRL, François-Xavier Roth*, et qui nous avait lâché au printemps 2010. Il avait fallu le remplacer pour toutes les prestations prévues au cours de la saison 2010-2011 des 50 ans de l’Orchestre ! Pour Varsovie, Louis Langrée avait relevé le gant, Pour Vienne, nous avions eu la chance de compter sur un autre chef viennois, Christoph Campestrini, avec la participation de l’excellent Cédric Tiberghien.

* Difficile d’ignorer la tourmente dans laquelle se trouve plongé François-Xavier Roth depuis l’article que lui a consacré Le Canard enchaîné ce mercredi. Je n’entends pas participer à la curée. Je me suis déjà exprimé ici – Remugles – sur les « affaires » qui avaient déjà éclaboussé le monde musical. La prudence s’impose et seule la justice, pour autant qu’elle soit saisie, peut qualifier la réalité des faits allégués.

Le choix d’un chef

On a eu la semaine dernière la confirmation d’une nouvelle que je tenais depuis plusieurs mois du directeur général de l’époque de l’Orchestre philharmonique royal de Liège : la nomination de Lionel Bringuier comme directeur musical de l’orchestre à la rentrée 2025. J’ai craint un moment que ce que m’avait annoncé, en secret, Daniel Weissmann, ne soit finalement pas accompli. Parce qu’entre les projets même les mieux conçus de recrutement d’un directeur musical et la réalité des nominations, il y a souvent un écart.

Le bon choix pour Liège

Je vais raconter comment se passent les nominations de chefs d’orchestre, au moins celles que j’ai eu à connaître. Mais d’emblée je veux dire ici combien le choix de Lionel Bringuier pour Liège vient à point nommé, pour l’orchestre et pour lui. L’ère qui s’ouvre sera féconde et extrêmement bénéfique pour l’orchestre, dont j’ai quitté la direction générale il y a bientôt 10 ans ! Voir RTC

Pour l’OPRL c’est le retour à un étiage qu’il n’aurait jamais dû quitter. Je n’ai jamais compris l’enthousiasme – très relatif – qu’a pu susciter l’actuel directeur musical :Gergely Madaras sait, à coup sûr, manier la baguette, diriger des partitions complexes, et sans doute s’attirer les sympathies du public.

Mais la seule question qui vaille, s’agissant d’un directeur musical, et non pas juste d’un chef de passage, c’est : qu’a-t-il apporté à l’orchestre? quelle est sa valeur ajoutée ? quelle personnalité incarne-t-il face à une phalange qui s’est souvent hissée dans le passé au rang des meilleures ? Les seules fois où je l’ai vu diriger, j’ai trouvé sa direction bien peu singulière, souvent banale, et pas dans n’importe quel répertoire : un Sacre du printemps sans relief (il faut le faire !), une Quatrième symphonie de Mahler gentillette. On m’a reproché de ne pas avoir été tendre avec lui dans ses interprétations en concert ou au disque des oeuvres de César Franck (Hulda, Psyché), mais j’ai des oreilles pour entendre… et comparer.

Langrée, Rophé, Arming

Sur les trois chefs que j’ai eu à nommer durant mes fonctions à l’Orchestre philharmonique royal de Liège (1999-2014), je me suis souvent exprimé, mais sans toujours révéler le dessous des cartes. Les conditions de l’arrivée de Louis Langrée à Liège sont connues : (re)lire Portrait d’ami.

Lorsque Louis Langrée m’avait annoncé qu’il ne prolongerait pas son deuxième mandat (2004-2006) – il s’est alors longuement expliqué sur ses raisons – nous étions convenus qu’il poursuivrait des projets et des tournées auxquels lui comme moi tenions beaucoup, et ce fut le cas. Pour succéder à un musicien qui avait apporté un tel enthousiasme et conduit un tel renouveau à un orchestre en crise, mais qui avait dû affronter aussi un ensemble qui n’était pas habitué, ni même prêt, aux exigences interprétatives du chef français, je pensais qu’un excellent technicien, certes trop réduit à l’étiquette « musique contemporaine », mais dont l’orchestre avait pu apprécier la précision, la capacité d’aborder des partitions complexes, serait un bon relais.Au cours d’un dîner à Paris, je proposai le poste à Pascal Rophé, qui en fut le premier surpris ! Et il y eut de grands moments, de très belles réussites – grâce à Pascal Rophé, l’OPRL fut invité à plusieurs reprises au festival Musica de Strasbourg, enregistra de très grands disques (Mantovani, Dusapin), mais lorsqu’il me fallut envisager de prolonger ou non le premier mandat de Rophé (2006-2009), je partageai mes doutes, mes hésitations, avec des musiciens de et hors l’orchestre dont je connaissais la sûreté de jugement. A peu près tous rejoignaient mon point de vue, il manquait au chef une vision du coeur de répertoire d’un orchestre symphonique, ses prestations dans Mozart, Beethoven, Brahms et même Mahler n’ayant guère convaincu,.. Je laisse le lecteur imaginer la teneur du dîner au cours duquel je dus dire en tête à tête à P.R. la décision prise à son égard.

Des conversations que j’avais eues pour sa succession, un nom ressortait fréquemment. Un jeune chef qui avait fait des étincelles à Liège en 2007, un chef très présent sur les réseaux sociaux (Facebook en l’occurrence).Voyant qu’il était à Paris… et moi aussi, je lui proposai un déjeuner qu’il accepta immédiatement. Je lui dis le bien que les musiciens de l’orchestre et moi pensions de lui, et lui demandai, en toute confidentialité bien sûr, s’il accepterait la direction de Liège. Il ne mit pas 24 h à me donner son accord, et nous nous retrouvâmes quelques semaines plus tard, avec le délégué artistique de l’orchestre, à son domicile en région parisienne. François-Xavier Roth débordait d’idées, d’enthousiasme, de projets. Un contrat fut signé avec son agente parisienne. Quelques semaines avant sa prise de fonction, FX m’indiqua qu’il passait désormais chez un agent basé à Londres, qui lui ouvrait des perspectives internationales. C’est alors que tout se déglingua : ledit agent me somma de revoir le contrat de FXR. Je lui répondis que je ne négociais pas à distance, et qu’un contact direct entre nous me paraissait un préalable. Je rencontrai ce personnage le jour même du premier concert de FXR et de l’orchestre à Bruxelles, en septembre 2009. Ce fut une descente en règle non seulement des termes du contrat du chef mais aussi et surtout de la politique de l’orchestre, qu’il fallait revoir de fond en comble. Bien entendu, toutes les décisions devaient revenir au seul chef d’orchestre, le directeur général ne servant qu’à porter les valises et à faire les comptes. Je mis quelques semaines à comprendre que cette attaque frontale ne servait qu’à préparer la rupture qui aurait lieu au printemps suivant. Entre temps ledit agent s’était « vendu » à une grande agence de concerts à Londres, et mes interlocuteurs allaient changer, sans pour autant que le conflit se règle. Disons que les contacts devinrent plus urbains. Pendant ce temps, je refusais de prêter du crédit aux rumeurs, informations, qui me parvenaient sur une prochaine nomination de FXR dans un grand orchestre allemand. C’est pourtant ce qui fut annoncé, un mois à peine après le communiqué que nous publiâmes en mars 2010 indiquant la rupture anticipée du mandat de directeur musical du chef.

Le traumatisme ne fut pas mince, pour les musiciens de l’orchestre, sonnés par un tel abandon, dont évidemment quelques esprits bien intentionnés ne manquèrent pas de m’attribuer la responsabilité (pas de place pour deux crocodiles dans le même marigot !), pour mon équipe et pour moi aussi. Le président de l’agence londonienne eut le grand tort d’écrire une lettre au président de l’orchestre, dans laquelle il manifestait un tel mépris non seulement pour le directeur général mais aussi pour le conseil d’administration qui l’avait nommé – nous étions incapables de comprendre à quel musicien d’élite nous avions à faire en la personne d’un chef que le monde entier s’arrachait !! – qu’il provoqua de la part de tous les Liégeois, élus, musiciens, responsables, une réaction indignée et une manifestation de totale solidarité envers les dirigeants de l’orchestre. Le sentiment d’un gâchis, surtout à la veille de la saison anniversaire des 50 ans de l’orchestre (2010-2011) au cours de laquelle nous avions prévu un grand nombre de manifestations exceptionnelles, dont des concerts à Varsovie et Vienne ! Nous pûmes heureusement compter sur le concours de plusieurs chefs, dont Louis Langrée et Pascal Rophé, pour assurer le succès de cette saison, et en particulier le concert des 50 ans de l’OPRL, le 7 décembre 2010 qui réunit les trois anciens directeurs musicaux Pierre Bartholomée et ses deux successeurs.

Pour trouver le successeur de Roth, je décidai de changer complètement le processus de sélection et de recrutement, en impliquant directement l’orchestre. Je proposai aux musiciens de désigner en leur sein une commission de six à huit membres, qui travaillerait avec moi dans la plus totale confidentialité, et donc une totale liberté entre nous, pour d’abord dégager le profil du directeur musical qui conviendrait à un orchestre qui avait beaucoup évolué et progressé depuis dix ans, ensuite faire une « short list » de possibles prétendants. La règle était que rien ne devait sortir de nos discussions, que s’il y avait des fuites, cela ruinerait irrémédiablement le processus. J’eus dès le départ la certitude que le prochain directeur musical figurait parmi les chefs que nous avions déjà invités, et j’avais mes préférences. Cela reste une de mes fiertés que d’avoir pu conduire ce processus, dans un esprit d’ouverture, de dialogue, sans conflit, et dans la plus absolue discrétion. À un point tel que lorsque nous annonçâmes en mai 2011 la nomination du chef autrichien Christian Arming, ce fut une surprise totale pour tout le monde, et les musiciens l’approuvèrent d’autant plus chaleureusement qu’ils savaient qu’elle résultait des travaux du petit groupe qu’ils avaient désigné. Ce qui comptait le plus pour moi, c’est qu’aucune pression extérieure – et il y en eut évidemment, et de nombreuses, notamment de la part de chefs et/ou d’agents qui voulaient se placer – aucun argument autre qu’artistique, n’aient été pris en considération.

S’en suivit une période féconde pour l’orchestre, huit années de stabilité, puisque le premier contrat de Christian Arming (2011-2014) fut renouvelé le jour où j’annonçai mon départ de l’orchestre, et ma nomination à Radio France le 14 mai 2014. Je ne fus pas peu fier d’emmener « mon » orchestre pour la troisième fois en moins de dix ans, le 22 mai 2014, dans la grande salle dorée du Musikverein de Vienne !

(Christian Arming devant la statue de Johann Strauss à Vienne, mai 2014)
(Christian Arming dirigeant la Chevauchée des Walkyries / OPRL / JBR Productions)

PS. Je veux préciser ici que j’ai gardé avec chacun des chefs que j’avais choisis et nommés à Liège des relations cordiales, souvent amicales, quels qu’aient pu être nos différends. J’ai pour chacun d’eux une profonde admiration musicale et personnelle.

Régime de fête (VI) : aimer, boire et chanter

Un bouquet de voeux ? le titre français de la valse de StraussWein, Weib und Gesang (1869) me va mieux que l’original allemand, il n’impose ni le choix de l’être aimé, ni celui de la boisson !

Cette valse est un marqueur de l’interprétation de ce répertoire, d’abord parce qu’elle comporte une très longue introduction – près de la moitié de la durée de l’oeuvre ! – dont beaucoup de chefs ne savent pas quoi faire, et qu’ils raccourcissent ou suppriment carrément, le plus souvent, ensuite parce que la tendance de nombre de baguettes est à wagnériser, noyer le flot orchestral.

Le seul qui évite tous les pièges de la partition et qui en donne un modèle interprétatif est Willi Boskovsky. Ecoutez comme il avance, accélère même insensiblement, et fait tournoyer les valseurs, à partir de 5′

Le parfait contre-exemple est cet enregistrement de Karajan, tout le début tronqué, et des valses engluées, sans ressort ni rebond. La comparaison est cruelle…

Barenboim 2022

J’ai regardé hier le concert de Nouvel an de Vienne, j’étais plutôt réticent, après l’expérience plutôt désastreuse de l’an passé, et surtout le souvenir très mitigé des précédentes éditions dirigées par le même Daniel Barenboim

J’ai trouvé le chef, pas encore octogénaire, dans une forme physique fragile et – conséquence de cela ? – moins impérieux, moins dans le contrôle permanent. Autre élément surprenant pour les habitués du. chef : la présence des partitions au pupitre, alors qu’il les connaît et dirige toujours par coeur. Comme s’il faisait confiance à ses musiciens, leur lâchait la bride. Et ce fut finalement un concert de Nouvel an beaucoup plus intéressant, vivant, « viennois » que ce que à quoi Barenboim nous avait habitués.

Le contraste est saisissant avec le concert de 2014 – et cette ouverture de Waldmeister maniérée, empesée.

Le concert idéal

J’ai une marotte, je crois l’avoir maintes fois décrite ici (Capitale de la nostalgie), je collectionne les Concerts de Nouvel an, j’ai parfois du mérite ! Aucun, même Carlos Kleiber en 1989 et 1992, n’est parfait de bout en bout.

Je me suis donc amusé, en guise d’étrennes et de voeux de bonne année, à dresser une sorte de concert idéal de Nouvel an, en reprenant le programme d’hier

Journaux du matin (Morgenblätter)

Zubin Mehta en 1995 donne de l’allure et de l’allant à cette valse, où, en 2001 Harnoncourt et plus encore Georges Prêtre en 2010, minaudent, « rubatisent », à en être insupportables.

La Chauve-souris (Die Fledermaus) ouverture

L’ouverture de La Chauve-souris, aussi populaire soit-elle, n’est pas à la portée de toutes les baguettes, et les ratages, même de la part de très grands, sont plus nombreux que les réussites. J’ai été plutôt séduit par ce qu’en a fait Daniel Barenboim hier. Mais de tous les titulaires du podium du Nouvel an viennois, c’est définitivement Carlos Kleiber qui, en 1989, tient la référence.

Ziehrer : Les noctambules / Nachtschwärmer

Pour beaucoup, cette valse chantée… et sifflée de Carl-Michael Ziehrer aura été une découverte. J’ai éprouvé en voyant et en entendant les Wiener Philharmoniker, et surtout en regardant Barenboim comme lointain, hagard, parfois absent, un intense sentiment de nostalgie.

Peu de versions au disque, mais celle-ci qui me permet de signaler ce formidable coffret de l’un des plus grands maîtres de la musique viennoise, Robert Stolz (1880-1975).

Mille et une nuits

Une valse assez souvent programmée le 1er janvier. Evidemment Carlos Kleiber reste le maître, Gustavo Duhamel, en 2017, a encore un peu de chemin à faire pour épouser les sortilèges de cette valse. Mais dans ma discothèque, je reviens finalement assez souvent à un chef, Eugene Ormandy (1899-1985), né Blau-Ormándy Jenő à Budapest.

Musique des sphères

Benoît Duteurtre l’a redit hier, je l’ai souvent écrit ici, Johann Strauss considérait son cadet Josef né en 1827 et mort à 42 ans en 1870, comme « le plus doué » de la famille. La production de Josef Strauß est, par la force des choses, moins abondante que celle de son frère aîné, mais plus riche d’authentiques chefs-d’oeuvre notamment ses valses.

La Musique des sphères, entendue hier, en est un, et particulièrement difficile pour un chef qui voudrait tout contrôler (le meilleur contre-exemple est Christian Thielemann en 2019 !).

Ici, c’est un Karajan malade, au même âge que Barenboim hier (79 ans), qui, un peu à l’instar de son cadet, avait décidé, lors de l’unique concert de Nouvel an qu’il dirigea le 1er janvier 1987, de se laisser porter, d’aimer tout simplement des musiciens qu’il dirigeait depuis si longtemps, et cela donne, comme hier avec Barenboim, la quintessence de la valse viennoise.

Le Danube d’Abbado

Faire un choix dans les centaines de versions du Beau Danube bleu relève de l’impossible. On s’en tiendra donc à une version maintes fois célébrée hier, puisque sortie largement en tête d’un Disques en lice (la défunte tribune de critique de disques de la Radio suisse romande). Sans doute la plus attendue : Claudio Abbado lors du concert du Nouvel an 1988, l’un des deux qu’il dirigea dans les années 80. On ne s’en lasse pas !

Quant à la marche de Radetzky, qu’on finit par ne plus supporter… certains ont critiqué la lenteur du tempo de Barenboim. En l’occurrence, c’est lui qui a raison. Ce n’est pas « cavalerie légère », c’est une marche militaire qu’il faut imaginer à cheval (lire La marche de Radetzky). Harnoncourt en 2001 proposait une « version originale » et marquait les auditeurs justement par la modération de son tempo :

Les raretés du confinement (III)

« Depuis le reconfinement intervenu en France le 30 octobre dernier, j’ai entamé la diffusion d’une nouvelle série d’enregistrements, tirés de ma discothèque personnelle, qui présentent un caractère de rareté, une oeuvre inhabituelle dans le répertoire d’un interprète, un musicien qui emprunte des chemins de traverse, un chef qui se hasarde là où on ne l’attend pas… «

Après les épisodes Les raretés du confinement I et II, voici le troisième (et avant-dernier?) :

23 novembre : Carlo Maria Giulini et Schumann

C’est un Carlo-Maria Giulini dans la force de l’âge – il a 44 ans – qui enregistre pour EMI le 2 juin 1958 ce qui reste pour moi la version de référence de l’ouverture de Manfred – poème dramatique en trois parties de Schumann (1852). Tout y est: la fougue implacable des trois premiers accords, les émois romantiques du héros, tempête et tendresse mêlées, un orchestre qui chante éperdument. Vingt ans plus tard le chef ne retrouvera pas le même élan à Los Angeles pour Deutsche Grammophon.

24 novembre : Armin Jordan, Audrey Michael et Schubert

Schubert: Messe n°6 D 950

Audrey Michael/ Brigitte Balleys/ Aldo Baldin/ Christoph Homberger/ Michel BrodardChoeur de chambre Romand

Orchestre de la Suisse Romande, direction Armin Jordan – Cascavelle/Erato (1987)

Tout est rare dans ce disque : c’est le moins connu de la discographie du très regretté Armin Jordan (1932-2006). La dernière messe de Schubert, sa 6ème, est énigmatique, ce sublime « Et incarnatus est » écrit pour deux ténors et une soprano. Dans la version/vision d’Armin Jordan, la plus fervente, la moins « opératique », de toute la discographie de cette oeuvre, le miracle vient du parfait mélange des voix des ténors Christoph Homberger et Aldo Baldin, mais surtout de la sublime soprano suisse Audrey Michael.

Ce passage me bouleverse à chaque écoute. Je le dédie à mon père, disparu il y a 48 ans, le 6 décembre 1972.

25 novembre : Une formidable Miss Julie

Sur Forumopera, j’écrivais ceci à propos de l’opéra Miss Julie du compositeur anglais William Alwyn ;

J’y ai… entendu, aussi bien dans le traitement de l’orchestre que de la ligne vocale, des réminiscences de Korngold (Miss Julie a vocalement tant en commun avec la Marie de Die tote Stadt !), Schreker, Zemlinsky, tout ce début de XXe siècle viennois. Les rythmes et les langueurs de la valse parcourent tout l’ouvrage, et on soupçonne Alwyn d’avoir un peu abusé de l’accord de septième ! Si l’on ne craignait le cliché, on reconnaîtrait dans cette Miss Julie une écriture très… cinématographique. Alwyn n’a pas oublié son premier métier et manie à la perfection les effets dramatiques, la description des atmosphères

Lire l’article ici : Le confinement de Julie

26 novembre : Maradona et le tango

#Maradona Je lis cette anecdote : « Juillet 1984. Stade San Paolo, à Naples. Les notes d’ El Choclo s’égrènent sur la pelouse, dans les tribunes italiennes. Un homme en a presque les larmes aux yeux. Cette musique l’émeut depuis toujours. Il l’a en lui, ce son. Ce jour-là, El Choclo, un incontournable tango de 1903, est joué en son honneur. En guise de bienvenue. L’homme, c’est Diego Maradona. Le mythique n°10 argentin va faire rêver les supporters du Napoli des années durant… »Je retrouve dans ma discothèque un CD de Stanley Black (1913-2002), compositeur, chef, arrangeur britannique, avec ce célèbre tango, El Choclo. Angel Villoldo l’écrit en 1903, plusieurs versions s’ensuivent, dont une, en 1947, avec des paroles du poète Enrique Carlos Discepolo, que chante Libertad Lamarque dans Le Grand Casino de Luis Buñuel.

27 novembre : un Beethoven tchèque

En 1962, en pleine guerre froide, le pianiste tchèque Ivan Moravec (1930-2015) – voir Beethoven: le piano d’Ivan Moravec– est invité une première fois aux Etats-Unis, où il enregistrera plusieurs disques pour le label Connoisseur Society. En 1963, avec son beau-frère, le chef autrichien d’origine tchèque, Martin Turnovsky (1928-), il grave l’une des plus belles versions du Quatrième concerto de Beethoven avec un orchestre composé de musiciens de Vienna Philharmonic / Wiener Philharmoniker.

28 novembre : La liberté de la presse

Sibelius: Finlandia (version chantée) extrait de la Musique pour célébrer la presse (1899)

Tandis qu’en France on manifestait aujourd’hui pour la liberté de la presse, on peut rappeler que l’oeuvre la plus célèbre de Jean Sibelius – Finlandia – a fait partie initialement de la Musique pour la célébration de la presse (créée le 3 novembre 1899) pour soutenir la liberté de la presse finlandaise face à l’occupant russe. Au point que, dans ses diverses versions, Finlandia est devenue comme un second hymne national. Ici une version moins souvent donnée que la version purement orchestrale, arrangée par Sibelius lui-même en 1938 pour choeur d’hommes et orchestre, puis le 7 décembre 1940 pour choeur mixte.

29 novembre : Scarlatti et Martha Argerich

#MarthaArgerich #Scarlatti Scarlatti : Sonate K. 141

Sauf erreur de ma part, Martha Argerich n’a jamais enregistré de sonates de Scarlatti en studio. En revanche, il y a de multiples versions de concert – comme ici le 13 juin 2018 à Singapour – de « sa » sonate K 141. Un miracle toujours renouvelé !

30 novembre : mon concerto de Beethoven

#Beethoven250

Des cinq concertos de Beethoven, le Troisième est mon préféré, comme je le raconte ici (https://jeanpierrerousseaublog.com/…/beethoven-250-xvi…/). Dans ma discothèque, une rareté, un « live » capté à Moscou en 1976 sous les doigts brûlants d’Emile Guilels, Kurt Masur dirigeant l’orchestre symphonique d’URSS.

1er décembre : Du très beau piano

Dans deux beaux coffrets de piano (lire https://jeanpierrerousseaublog.com/2020/12/01/le-beau-piano/) une version pleine de fièvre romantique du concerto pour piano n°1 de Chopin, avec le jeune Eric Heidsieck, Pierre Dervaux et l’orchestre Colonne, enregistrée en 1961:

2 décembre : les sons magiques de Nicolai Gedda

Grâce à un admirateur de Nicolai Gedda (1925-2017) – j’en suis un aussi, lire Le Tsar Nicolai – je redécouvre cette pépite cachée dans le coffret Icon/Warner consacré au ténor suédois, ce sublime air tiré de l’opéra « La reine de Saba » de Károly Goldmark (1830-1915) : Magische Töne

A-t-on jamais mieux chanté ?

3 décembre : VGE, l’accordéon et Tchaikovski

#VGE

Les médias ont rappelé, à l’occasion du décès de l’ancien président de la République (lire Giscard et la princesse) le goût de Valéry Giscard d’Estaing pour le piano à bretelles, l’accordéon, instrument populaire par excellence.Mais on sait peu que le premier compositeur « classique » à faire entrer l’accordéon dans l’orchestre fut Tchaikovski, qui, écrivant sa Suite n°2 pour orchestre en 1853, fait appel à quatre accordéons (en l’occurrence des « Bayan », l’accordéon russe inventé en 1850 !). Ecoutez bien à 2′ du début du « scherzo » de cette suite l’intervention des accordéons.Hommage par la même occasion au grand chef Antal Dorati (1906-1988) qui a signé une version définitive des quatre Suites pour orchestre de Tchaikovski

4 décembre : Milstein et Saint-Saëns

J’ai eu beau en écouter, en programmer maintes versions : le Troisième concerto pour violon de Saint-Saëns, dédié à et créé par le grand Pablo de Sarasate en 1880, c’est pour moi l’indépassable Nathan Milstein (1903-1992) – lire Nathan Milstein, le violon de mon coeur) accompagné à la perfection par le trop oublié Anatol Fistoulari (1907-1995)

Camille Saint-SäensConcerto pour violon n°3 op.61Nathan Milstein, violonPhiharmonia Orchestra, dir. Anatol Fistoulari (enr. 1959) / EMI

Deux disparitions

J’apprends coup sur coup deux disparitions qui me touchent, celle du chef d’orchestre Gabriel Chmura, celle d’un personnage connu du seul milieu professionnel de la musique, un impresario – comme on ne dit plus aujourd’hui – aimé et reconnu, Pedro Kranz.

Gabriel Chmura (1946-2020)

Le chef d’orchestre d’origine polonaise Gabriel Chmura est mort hier à l’âge de 74 ans. Quand je le rencontre pour la première fois, je ne connais de lui qu’un disque que la critique avait vivement recommandé, d’ouvertures de Mendelssohn.

C’est lui qui a été choisi par l’agence Weinstadt de Bruxelles pour diriger la tournée de l’Orchestre philharmonique de Liège en Espagne en octobre 1999. Pierre Bartholomée avait claqué la porte de la direction de l’orchestre au printemps et je venais d’en être nommé directeur général.

J’ai retrouvé Gabriel en Espagne, je l’ai invité à dîner un soir dans l’une des meilleures tables ibériques et j’ai le souvenir d’un homme charmant, cultivé, qui pouvait éventuellement être un candidat à la direction musicale de l’orchestre, même s’il était bien trop tôt pour l’envisager. En revanche, dès que j’évoquai avec lui l’idée de donner la Deuxième symphonie « Résurrection » de Mahler pour la réouverture de la salle de concerts du Conservatoire de Liège*, en septembre 2000, après deux ans de travaux de rénovation – il me supplia de l’inviter à la diriger. Me disant ses affinités électives avec la personnalité et la musique de Mahler. Ainsi Gabriel Chmura dirigea-t-il cette « Résurrection », comme en témoigne une mauvaise copie vidéo de la captation réalisée par la RTBF

L’émotion est grande de retrouver, vingt ans après, tant de visages familiers, dont beaucoup sont aujourd’hui retraités ou malheureusement disparus.

Nous réinviterons Gabriel Chmura à plusieurs reprises : en janvier 2002 pour des concerts de Nouvel an avec Felicity Lott, les années suivantes pour des symphonies de Prokofiev et Weinberg, ou pour remplacer Louis Langrée, malade, dans un programme Richard Strauss. Toutes ces dernières années, Chmura s’était voué à ce qu’il considérait comme la mission de sa vie: faire redécouvrir le contemporain de Chostakovitch, le compositeur russe d’origine polonaise Mieczysław Weinberg (1919-1996).

Hommage à ce grand musicien et pensées pour sa famille.

Pedro Kranz

Je n’ai jamais su l’âge réel de celui qui fut, dès 1964, le co-directeur de l’agence Caecilia de Genève.

Je pleure aujourd’hui quelqu’un que j’ai toujours infiniment respecté et avec qui j’avais fini par nouer une relation d’amitié plus que d’affaires. Je n’ai jamais considéré Pedro Kranz comme un « agent » – malgré le succès de la série Dix pour cent, je continue de trouver ce mot horrible surtout dans le domaine de la musique. Je lui préfère mille fois celui d’impresario, parce que ces personnages de l’ombre ne sont pas – ne devraient pas être – seulement ceux qui « gèrent » la carrière d’un artiste (et empochent en effet dix, quinze ou vingt pour cent de leurs cachets !) mais d’abord des organisateurs, des conseillers, des visionnaires même. Ce que fut si bien Pedro Kranz.

Ainsi c’est grâce à lui, je peux le dire maintenant, que j’ai engagé de jeunes chefs comme Christian Arming ou Domingo Hindoyan. Mais Pedro Kranz ne m’imposait jamais rien, quand il me disait du bien d’un jeune artiste, je savais que je ne serais pas déçu. Il représentait les plus grands, et les plus grands étaient ses amis, mais jusqu’au bout il a toujours eu la curiosité du découvreur, du dénicheur de talents, et il accompagnait aussi longtemps que possible ceux qu’il avait décidé de soutenir.

Pedro Kranz ce fut aussi celui qui organisa, à ma demande, certaines des plus belles aventures de l’Orchestre philharmonique royal de Liège, les invitations en 2005, 2011 et 2014 au Musikverein de Vienne, les tournées en Suisse et en Europe centrale, et peut-être la plus mémorable d’entre elles, la tournée en Amérique du Sud à l’été 2008 (lire Un début en catastrophe)

Je pense ici en particulier à son fils Pierre-André Kranz qui y avait contribué, je pense évidemment aussi à sa radieuse épouse, disparue il y a près de trois ans, après un combat acharné contre la maladie. Il l’a désormais rejointe. Je conserve un souvenir lumineux de cet homme et de ce couple, qui avaient l’amour de la musique et des musiciens chevillé au coeur.

*La salle des concerts du Conservatoire a été rebaptisée Salle Philharmonique de Liège après sa réouverture en septembre 2000.

Italie 2020 (VIII): Les bains de mer, Sibelius, Andersen, l’énigme Elgar, Dalida et Sandor Vegh

Enfant je n’ai que très peu de souvenirs de plages, de bains de mer. Mes grands-parents paternels habitaient pourtant à moins d’une trentaine de kilomètres de La Rochelle et des belles plages de sable de Vendée. Je me rappelle en tout et pour tout … deux moments à la plage. Quelques minutes de trempette à Châtellaillon – j’étais seul avec mes grands-parents qui n’avaient jamais du se mettre en maillot de bain de leur vie ! Une autre fois une petite journée à Saint-Jean-de-Monts avec ma famille, c’est le seul souvenir qui me reste de mon père en slip de bain ! La mer, la plage, ce n’était pas leur truc.

Je me suis bien rattrapé depuis, mais en fuyant les plages bondées, les bords de mer qui ressemblent au métro aux heures de pointe. Je me suis toujours interrogé sur le plaisir que peuvent éprouver des gens qui toute l’année sont entassés dans les transports, dans leurs propres habitations – et ils n’y peuvent rien – et qui, l’été venu, reproduisent les mêmes situations. Lors d’un tour en bateau pour apercevoir les Cinque Terre, j’ai pu, une petite heure, goûter (!!) aux joies d’une plage bondée et payante… Jamais plus !

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IMG_2785Mais mes souvenirs de bords de mer n’ont aucun intérêt.

A dire vrai, je ne m’attendais pas, découvrant la Ligurie et sa côte, à y trouver trace de plusieurs musiciens et écrivains connus. Je ne parle pas de Gênes et de Paganini auxquels je consacrerai un voire deux prochains articles.

Sestri Levante

À une quarantaine de kilomètres à l’est de Gênes, Sestri Levante a un indéniable cachet… et offre plusieurs tables exceptionnelles (on recommande en particulier le Portobello !). 

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IMG_2860(au menu du Portobello !)

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Mais le nom du plus célèbre auteur de contes danois, Hans-Christian Andersen (1805-1875) est étonnamment présent dans cette jolie cité : une rue, un festival – déplacé cette année de juin à septembre – un prix. 

Je ne sais si l’idée de La petite sirène est venue à Andersen au cours d’un séjour à Sestri Levante, je sais en revanche que ce conte a donné lieu à l’une des plus belles oeuvres de Zemlinsky, Die Seejungfraudont l’interprétation par Emmanuel Krivine et l’Orchestre National de France, lors du Festival radio France 2019, reste comme l’un de mes plus grands souvenirs.

 

Rapallo ou le soleil de Sibelius

Le nom même de Rapallo ne me disait pas grand chose, sauf peut-être les deux traités qui y furent signés, en 1920 et 1922 – c’est fou comme les politiques qui font l’Histoire, signent la paix ou le partage du monde, aiment à se retrouver dans de luxueuses stations balnéaires (Yalta, Evian, Rapallo...). Il faut bien quelques aises aux héros fatigués.

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IMG_2872 La ville de Rapallo est sans charme particulier, les grands hôtels et palaces entourés de jardins multicolores sont situés sur les commune voisines de San Michele di Pagana et Santa Maria Lighure.

Ce n’est dans aucun de ces palaces que Sibelius a passé le printemps 1901, mais selon les informations fournies par Stéphane Dado, sur les hauteurs de la ville, dans la Villa Molfinooù il pouvait composer tranquillement, tandis que sa famille logeait sur le front de mer à la Pension suisse.

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Comme Andersen à Sestri Levante, Sibelius a donné son nom à une avenue de Rapallo et à un festival, dont la sixième édition est annoncée cet automne (http://sibeliusone.com).

C’est ici que le compositeur finlandais commence sa Deuxième symphonie, la plus jouée et la plus célèbre de ses sept symphonies. 

Santtu-Matias Rouvalidirigeant la 1ère symphonie de Sibelius au Festival Radio France 2019encore un souvenir impérissable !

Alassio et Nimrod/Elgar

J’ai été beaucoup moins surpris de retrouver la trace d’Edward Elgar (1857-1934) à l’ouest de Gênes cette fois, à Alassio ,ravissante station balnéaire, apparemment très à la mode au début du XXème siècle. Puisque l’une de ses « ouvertures », en réalité un poème symphonique, s’intitule In the South (Alassio)Riccardo Muti l’a souvent dirigée en concert.

https://www.youtube.com/watch?v=7Ud9nHBGCoo

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C’est au cours de l’hiver 1903/1904 qu’Elgar séjourne à Alassio. Dans l’une des nombreuses lettres qu’il adresse à son ami August Johannes Jaeger – qu’il surnomme affectueusement Nimroddu titre qu’il a donné à la fameuse neuvième variation des Enigma Variations– il écrit, à Noël 1903 : « …This place is jolly – real Italian and no nursemaids calling out ‘Now, Master Johnny!’  like that anglicised Bordighera!…Our cook is an angel…We have such meals! Such Wine! Gosh!… » Plus tard il écrira : “Then in a flash, it all came to me – the conflict of the armies on that very spot long ago, where I now stood – the contrast of the ruin and the shepherd – and then, all of a sudden, I came back to reality. In that time I had composed the overture – the rest was merely writing it down.”

IMG_3105C’est la vue qu’Elgar avait sur Alassio lorsqu’il résida à la Villa della Pergola.

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San Remo, Dalida et un suicide

San Remo pour moi c’était d’abord les centaines de fleurs qui ornent, chaque Premier janvier, la grande salle dorée du Musikverein de Vienne. En une petite matinée, on peut découvrir une accueillante ville de bord de mer, malheureusement polluée par un trafic automobile ininterrompu. La vieille ville a gardé son charme.

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IMG_3127Le cinéma Ariston où se tient depuis 1977 le Festival de San Remo

Mais San Remo, c’est, pour ses nombreux fans, un épisode tragique de la vie et de la carrière de Dalida, qui a pour cadre précisément le Festival de chanson de San Remo. En 1967, une jeune espoir du cinéma et de la chanson, Luigi Tenco et Dalidaprésentent, à tour de rôle, la chanson Ciao amore ciao.

https://www.youtube.com/watch?v=CpABSplgh20

La chanson n’est pas retenue par le jury du festival, ni Dalida, ni Luigi Tenco ne sont primés. Luigi Tenco se suicide le 27 janvier 1967. Un mois plus tard, au Prince de Galles à Paris, la chanteuse fera une tentative (lire Dalida et Luigi, ils se sont tant aimés)

Il y a même un livre – que je n’ai pas lu – qui revient sur cet épisode tragique – le suicide de Tenco – sur lequel plane encore une ombre de mystère.

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Cervo ou le refuge de Sandor Vegh

Entre Albenca et San Remo, le ravissant village perché de Cervo  domine la Méditerranée du haut de sa splendide basilique Saint-Jean-Baptiste

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Sous la place de l’église, on emprunte la rue… Sandor Veghet on découvre, à l’occasion, que le grand violoniste, quartettiste et chef d’orchestre, né en 1912 à Kolozsvar (Hongrie) aujourd’hui Cluj-Napoca en Roumanie, mort à Salzbourg en 1997, s’était pris d’affection pour ce village médiéval et avait décidé, en 1964, d’y fonder un festival de musique de chambre qui existe toujours et qui se déroule en plein air devant l’église Saint-Jean-Baptiste.

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https://www.youtube.com/watch?v=FA9R87i45f0

Musikverein 150 (II) : Les variations de Solti

 

Comme je l’écrivais dans un précédent billet (voir Musikverein 150), j’ai assez souvent fréquenté la célèbre salle de concert viennoise et j’y ai des souvenirs très vivaces de grands moments de musique.

Ainsi, en avril 1996 – j’étais alors directeur de France Musique – j’avais eu la chance de rejoindre à Vienne l’Orchestre philharmonique de Radio France qui faisait une tournée en Europe centrale sous la houlette de son directeur musical, Marek Janowski.

C’était la première fois que j’entrais au Musikverein, que je pouvais assister à un concert « en vrai » dans la grande salle dorée, que je connaissais si bien par la télévision et les concerts du Nouvel an.

J’avais été frappé par l’étroitesse de la scène – qui, même en configuration « grand orchestre » laisse peu d’espace aux musiciens – et l’usure de son plancher (des centaines de marques de piques de violoncelle). Mais j’avais surtout été saisi par la fabuleuse acoustique du lieu, la plénitude, l’ampleur du son de l’orchestre – quel changement par rapport à l’ancien studio 104 de la Maison de la radio et surtout à la sécheresse du théâtre des Champs-Elysées de l’époque ! –

Je dois avouer que je n’ai gardé aucun souvenir ni du programme ni de l’interprétation de Janowski et du « Philhar »…

En revanche, je n’ai pas pu oublier l’un des derniers concerts de Georg Solti qui dirigeait, le lendemain, l’Orchestre philharmonique de Vienne, dans un programme étonnant, bien loin des habitudes si conservatrices des concerts d’abonnement des Philharmoniker :  trois cycles de Variations, et pas vraiment les plus courues au concert ! De Kodaly, les Variations sur un chant populaire hongrois Le paon s’est envolé (1939), de Boris Blacher les Variations sur le 24ème Caprice de Paganini (1947), et d’Elgar les Variations Enigma (1899).

 

J’étais placé en haut à gauche sur la tribune et pour la première fois j’entendais « à domicile » mon orchestre préféré, ces Wiener Philharmoniker, dont la personnalité sonore est si immédiatement identifiable. Et je voyais pour la dernière fois le chef anglais qui allait disparaître un an plus tard.

Il n’existe pas, à ma connaissance, de captation vidéo de ce concert. Mais ce programme a été gravé au disque.

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On trouve relativement peu de vidéos de Solti avec les Viennois, avec qui pourtant la relation a été si féconde et durable.

Blacher et Kodaly étaient des premières au disque pour Solti.

Mais il avait bien sûr déjà enregistré les Variations Enigma d’Elgar à deux reprises (à Londres et à Chicago). Cette ultime version viennoise est teintée d’une nostalgie, d’une tendresse, qui n’ont pas toujours été la marque du chef.

Musikverein 150

S’il est un événement que le monde musical ne risque pas d’oublier en cette année 2020, c’est le deux-cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Beethoven le 15 décembre 1770 (Beethoven 250).

Un autre anniversaire me paraît être, lui, passé inaperçu (à moins qu’il n’ait été évoqué lors du Concert de nouvel an à Vienne le 1er janvier ?), c’est l’inauguration, il y a 150 ans,  le 6 janvier 1870, de la grande salle dorée du Musikverein, qui sert de cadre précisément au concert le plus regardé dans le monde.

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Au programme du concert inaugural, la 41ème symphonie Jupiter de Mozart – la critique loue unanimement l’acoustique de la salle, qui donne une dimension nouvelle à l’ultime symphonie de Wolfgang -, et, centenaire de Beethoven oblige, l’ouverture d’Egmont et la Cinquième symphonie de ce dernier. Et puis des airs de Bach, Haydn, Mozart. Il ne saurait y avoir d’inauguration à Vienne sans un grand bal : pour l’occasion Johann Strauss compose son opus 340, sa valse Freuet Euch des Lebens.

Andris Nelsons l’avait logiquement mise au programme du concert du 1er janvier 2020.

 

https://www.youtube.com/watch?v=Lk9UfdxBFHY

C’est Johann von Herbeck (1831-1877), un nom quasi oublié aujourd’hui, qui dirige ce concert à la tête de l’orchestre de la Gesellschaft der Musikfreunde (la Société philharmonique de Vienne). 

En 1857, l’empereur François-Joseph décide de faire démanteler le mur d’enceinte de la capitale autrichienne, pour agrandir la ville trop à l’étroit dans son coeur historique, et lui donner le visage qu’on lui connaît aujourd’hui. Les remparts sont remplacés par un boulevard circulaire, le Ring, le long duquel vont être construits tous les palais et bâtiments publics (Parlement, Opéra, Théâtre, Hôtel de Ville, etc.) qui font la fierté de Vienne (voir les photos : Chez Sissi). 

En 1863, le même François-Joseph donne un terrain en face de la basilique Saint-Charles-Borromée pour y édifier une grande salle de concert.

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C’est à l’architecte d’origine danoise Theophil Hansen qu’est confié le projet de la nouvelle Maison de l’Union musicale de Vienne / Haus des Wiener Musikvereins qu’on appellera vite par son abrégé, le MusikvereinC’est au même architecte qu’on doit le Parlement néo-classique.

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Que dire de la grande salle dorée du Musikverein qui n’ait été déjà dit et répété ? J’ai eu la chance d’y aller souvent et d’éprouver, à chaque fois, le même choc, la même émotion.

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Voici par exemple ce que j’écrivais, en 2014, dans Soirées de Vienne : Je me rappelle, comme si c’était hier, l’émotion qui nous avait tous saisis, des plus chevronnés aux plus jeunes musiciens de l’Orchestre philharmonique – qui n’était pas encore Royal ! – de Liège, lorsqu’en octobre 2005 nous étions entrés dans les coulisses, puis sur la scène de la grande salle du Musikverein. Pour un concert dirigé par Louis Langrée – le concerto en sol de Ravel avec Claire-Marie Le Guay, et bien évidemment la Symphonie de Franck. Je n’imaginais pas alors que l’OPRL reviendrait en 2011 puis en 2014, trois fois en moins de dix ans !.

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Comme pour Beethoven 250je compte égrener, au fil de l’année, les grands souvenirs que j’ai dans cette salle. Premier indice :

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L’aventure France Musique (VI) : un Premier janvier au Grand Hôtel

Devenu directeur de France Musiqueje me suis retrouvé de facto interdit d’antenne, selon une règle non écrite, mais strictement appliquée par les gardiens du temple : le responsable de la chaîne n’avait pas le droit de priver les producteurs d’un précieux temps d’antenne… Pourtant lorsque je voulus faire des journées spéciales pendant les fêtes de fin d’année, les volontaires ne se bousculaient pas au portillon, sauf à faire une antenne entièrement pré-enregistrée !

Heureusement il y avait quelques exceptions, des producteurs toujours prêts au direct, à la musique vivante ! Comme Arièle Butaux, à qui j’avais proposé d’animer avec moi toute une journée autour de la Valse (lire Capitale de la nostalgie). Arièle n’était pas vraiment emballée à l’idée de passer toute une journée en studio, même pour commenter le concert de Nouvel an en direct de Vienne.

C’est alors qu’elle vint me trouver avec une idée lumineuse, qui lui était venue de la lecture d’un article sur le Bal des débutantes : le Grand Hôtel, voisin de l’Opéra Garnier à Paris, dispose d’une splendide salle de bal conçue par Charles Garnier.

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Pourquoi ne pas y organiser une grande après-midi en direct, ce 1er janvier 1995, avec tous les artistes qui voudraient tenter l’aventure, et bien sûr en public ?

Rendez-vous fut pris avec les responsables du Grand Hôtel, très flattés que France Musique veuille créer un événement de ce genre. Il fallait ensuite convaincre les équipes techniques de Radio France de s’engager dans l’aventure un jour férié, en rupture avec toutes les habitudes de la maison. Il n’y aurait pas de répétition ni de « balance » préalables, alors même qu’on ignorait le programme de ces trois heures de direct ! Le principe avait été établi avec les artistes : vous venez seul ou accompagné, vous proposez ce que l’humeur du jour vous suggère. Du complet direct, sans filet !

Et pour être sans filet, ce le fut pendant trois heures. D’abord l’affluence du public ! Le Grand Hôtel dut appeler en urgence du personnel de sécurité. Les musiciens, même ceux qui ne s’étaient pas annoncés, se pressaient pour jouer. D’autres – je pense à Paul Meyer qui s’était coupé un doigt en voulant sabrer littéralement le champagne ! – s’étaient fait porter pâles. Eric Le Sage, pour remplacer le clarinettiste défaillant, me mit au défi de faire le récitant de l’Histoire de Babar de Poulenc, comme ça sans répétition et en direct ! Arièle accepta de partager le rôle. Et, en lecture à vue, sans même avoir le temps de sentir monter le trac, nous y allâmes de bon coeur. J’avais déjà connu des directs hasardeux, mais celui-ci fut sans doute le plus périlleux de ma vie de radio !

Je ne pouvais pas me douter, alors, qu’Eric Le Sage viendrait, huit ans plus tard, enregistrer à Liège, avec Stéphane Denève, Frank Braley et l’Orchestre philharmonique de Liège, la version qui fait toujours référence des concertos de Poulenc.

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Je n’ai pas retrouvé, dans les archives de l’INA, l’enregistrement de ce 1er janvier si spécial. Il doit pourtant exister…

Autre souvenir de ce jour de l’An 1995, une séquence de valses inconnues, pour sortir des  viennoiseries : je me rappelle la surprise et l’émotion qui avaient gagné Arièle Butaux et les techniciens en studio lorsqu’on diffusa cet extrait de la symphonie In Memoriam de Schnittke, dont j’avais eu le bonheur d’entendre la création française quelques années plus tôt à Evian

Ému je le suis maintenant de découvrir, sur Youtube, la version de la création, celle du grand chef disparu cette année, Guennadi Rojdestvenski (lire L’imprononçable géant).

Un mot du concert de Nouvel an 2019, dirigé hier par Christian ThielemannLe chef allemand a ses partisans, même dans ce répertoire. Beaucoup d’autres, dont je suis, l’ont trouvé lourd, raide, ennuyeux (ces ralentis, ces rubatos incessants, qui cassent la ligne, coupent les jambes aux danseurs), là où Carlos Kleiber faisait pétiller et valser… Mais il y a bien longtemps qu’on n’a plus atteint les sommets de 1989 et 1992…

On annonce, pour le 1er janvier 2020, la présence au pupitre des Wiener Philharmoniker, du jeune Andris Nelsons… Du renouveau en perspective ?