Tables d’harmonie : Goebel, Zimmermann

Le CD est mort ? Vive le CD. En gros coffrets de préférence.

On est gâté en cette rentrée. Deux belles boîtes pour deux violonistes d’exception.

Le violon de la main gauche

Reinhard Goebel, rappelez-vous, le violoniste allemand, septuagénaire depuis juillet, est celui qui, à la fin des années 70, a surgi, avec son ensemble Musica antiqua Köln, comme un révolutionnaire dans un univers de la musique baroque déjà défriché par Leonhardt ou Harnoncourt. Ils cassent la baraque avec les concertos brandebourgeois, puis les Suites pour orchestre, de Bach, qui paraissent chez Archiv Produktion. La critique manque de s’étrangler…

Vous avez dit contraste ?

Depuis lors, Reinhard Goebel a construit une somme discographique principalement dédiée à la musique allemande. En 1990 lorsque sa main gauche se paralyse, il change de côté et maniera désormais l’archet du bras gauche, jusqu’à ce que, de nouveau, se manifeste la dystonie de la main gauche et le contraigne à abandonner son instrument en 2006 ainsi que la direction de l’ensemble qu’il avait fondé en 1973.

Cette somme est aujourd’hui rassemblée dans un magnifique coffret, où l’on retrouve des références jamais dépassées, notamment dans Bach et Telemann. Mais Biber (fabuleuses Sonates du rosaire), Hasse, Leclair, Heinichen, tout est admirable !

Frank Peter le Grand

Il est allemand lui aussi, n’a pas encore 60 ans, mais Warner lui offre un coffret absolument justifié. Frank Peter Zimmermann est né en février 1965 à Duisbourg. J’ai eu la chance de l’entendre et de l’inviter plusieurs fois à Liège et avec l’Orchestre philharmonique royal de Liège : la veille de mon passage devant le grand jury qui allait me choisir comme directeur général de l’orchestre, le 24 septembre 1999, il jouait le concerto de Beethoven sous la direction du très regretté Patrick Davin (Liège à l’unanimité). Quelque temps après, il serait le soliste d’une partie de tournée de l’OPRL en Europe centrale sous la baguette de Louis Langrée (superbe 3ème concerto de Mozart).

Quand nous décidons avec Louis Langrée de consacrer toute une semaine de festival à Mozart, en janvier 2006, pour les 250 ans de la mort du Salzbourgeois, le nom de Frank Peter Zimmermann s’impose naturellement pour la symphonie concertante pour violon et alto. FPZ nous donne le nom d’un altiste dont il a entendu beaucoup de bien mais avec qui il n’a encore jamais joué : Antoine Tamestit.

La rencontre fait des étincelles, Louis Langrée se fera de l’un et l’autre des complices artistiques à vie. Et FPZ formera dès 2007 avec Antoine Tamestit et Christian Poltera un trio à cordes qui nous laissera de pures merveilles :

Warner a donc réuni tout ce que ce magnifique musicien avait enregistré pour EMI.

Puisse cette somme donner envie au public et aux mélomanes français de mieux connaître un musicien trop peu célébré dans l’Hexagone. Je voudrais signaler en particulier le duo formidable que formait FPZ avec le pianiste Alexander Lonquich, lui aussi trop peu connu chez nous.

Mauvais traitements (II) : menuet brandebourgeois

Avec les concertos brandebourgeois de Bach, j’avais mal commencé. Je ne sais plus pourquoi (le prix? mon club du disque suisse – lire La découverte de la musique -?), la première version que j’ai eue en 33 tours est celle d’Otto Klemperer avec le Philharmonia (1961).

Pas convaincu je fus, pas convaincu je reste. Surtout à l’écoute du menuet du 1er concerto brandebourgeois :

A l’époque, je n’étais pas vraiment préoccupé par les questions d’interprétation « historiquement informée », mais quand je jouais ou j’entendais du Bach, j’avais l’intuition du tempo giusto. Et jamais, au grand jamais, ce que j’entendais là ne ressemblait à un menuet, à une danse, à une danse à trois temps (qui, comme la valse plus tard, prend appui sur le premier temps de la mesure.

Des années plus tard, lorsque je jetterai une oreille aux Brandebourgeois de Karajan – voir Karajan l’intégrale -(il s’y est repris à deux fois !), je finirai par trouver Klemperer presque guilleret !

Après cette version « Bonne nuit les petits » de 1964, il y a un très léger mieux vingt ans plus tard. Mais comment Karajan (et ses musiciens) pouvaient-ils à ce point se vautrer dans cette mélasse informe ? à rebours de tout ce qui se faisait autour d’eux !

En 1959, Karl Ristenpart et son orchestre de chambre de la Sarre, bien passés de mode depuis, donnaient ceci :

A la même époque, Jean-François Paillard qui n’a jamais prétendu, quand il ne l’a pas simplement refusée, à l’authenticité historique : à 13’30 »

Puis vinrent Nikolaus Harnoncourt et Reinhard Goebel, et soudain on entendit un menuet joué comme… un menuet !