Julia Varady #80

Elle a fêté hier ses 80 ans, on lui doit tant de beaux souvenirs : tous nos voeux Julia Varady !

Il y a un an (Légendaires) je m’interrogeais : « qu’attend Orfeo pour regrouper la meilleure et la plus complète série d’enregistrements de la cantatrice roumaine ? ». Réponse, ce coffret à l’occasion de son anniversaire !

 

Quant à Deutsche Grammophon, pour qui Julia Varady a beaucoup, mais discrètement, enregistré, l’hommage tient en une compilation numérique…

La veuve de Dietrich Fischer-Dieskau, fabuleuse mozartienne sous la direction de Karl Böhm, la plus parfaite Rosalinde (La Chauve-souris de Johann Strauss) chez Carlos Kleiber, la soliste impériale de la version de référence de la Symphonie lyrique de Zemlinsky dirigée par Lorin Maazel, etc. ne mérite sans doute pas un coffret (?!) mais ce qui est disponible sur YouTube donne un aperçu éclairant de l’art de Julia Varady

Une rareté : La Juive d’Halévy

Souvenirs

J’ai déjà raconté ici (et sur de précédents blogs) les quelques souvenirs radieux que j’ai de Julia Varady en concert et sur scène.

Carnegie Hall : Je me rappelle à mon tour le concert que le même Armin Jordan, cette fois à la tête de l’Orchestre de la Suisse romande, avait donné en octobre 1989. Et ma propre émotion en découvrant, en répétition, puis en concert, l’acoustique unique, chaleureuse et précise, de la salle mythique. La soliste était Julia Varady, qui y faisait aussi ses débuts, avec les Vier letzte Lieder de Richard Strauss. Le lendemain, le critique du New York Times saluait la performance de la cantatrice, dont la voix lui semblait idéalement sertie dans l’écrin orchestral que Jordan lui avait dessiné. Julia n’avait pas du tout lu le papier dans ce sens. Catastrophée, elle se lamentait auprès du secrétaire général de l’orchestre, Ron Golan, et moi, attablés au petit déjeuner – « vous vous rendez compte, le public ne m’entendait pas, ma voix ne ressortait pas ! ». Nous lisions plutôt dans cet article un compliment. Une heure plus tard, je retrouve par hasard Julia Varady dans l’ascenseur de l’hôtel, tout sourire. Elle m’embrasse et me confie : « Je viens de parler à Dietrich (Fischer-Dieskau, son mari !), je lui ai lu l’article, il m’a dit exactement la même chose que vous et m’a félicitée ».

Nabucco : en 1995, pour l’inauguration du mandat d’Hugues Gall à la direction de l’Opéra de Paris, coup de maître et coup de génie : Julia Varady est une Abigaille de rêve, puissance et poésie réunies.

Monsaingeon

J’avais eu la chance, en 1998, d’assister à un récital privé de Julia Varady et Viktoria Postnikova, enregistré en vue du documentaire que Bruno Monsaingeon consacrait à la cantatrice.

Pleyel, 28 janvier 1998, Requiem de Verdi, Carlo-Maria Giulini

Et puis encore cette soirée mémorable à plus d’un titre : le dernier concert de Carlo-Maria Giulini à la tête de l’Orchestre de Paris, un Requiem de Verdi en état de grâce, et de nouveau, radieuse, Julia Varady.

Voici ce qu’en écrivait Alain Lompech dans Le Monde du 1er février 1998 : « Giulini ne bouge presque pas, ne souligne aucune phrase, ne singe pas l’émotion ; il est là, et cela suffit pour que les musiciens, les chanteurs, sublime Varady, inapprochable artiste, irréprochable chanteuse qui convertirait un mécréant, oublient leurs propres limites pour atteindre cette osmose, cette fluidité, cette évidence de l’expression qui se confondent avec l’oeuvre elle-même...Le Requiem s’achève comme il a commencé : dans le silence. Quand Giulini descend du podium, il est ailleurs, son visage de marbre met quelques secondes à s’animer. Il revient parmi nous pour être acclamé par une salle et un plateau à l’unisson. France-Musique a diffusé, en direct, le premier des trois concerts que le chef italien, né en 1914, aura dirigé Salle Pleyel » :

J’ai la chance d’avoir pu conserver une copie de cette captation :

Chère Julia, je vous envoie une immense brassée de pensées reconnaissantes et de voeux ardents. Votre voix « déchirée par des éclairs de lumière » n’est pas près de déserter nos mémoires.

L’imprononçable géant

Ecrivant ces lignes, je pense très fort aux présentateurs/trices de France Musique (ou de Musiq3 ou de la Radio suisse romande) qui, depuis quelques heures et dans les jours qui viennent, sont confrontés au redoutable exercice d’énonciation (Comment prononcer les noms de musiciens ?du prénom et du nom du grand chef russe qui vient de disparaître : Guennadi Rojdestvenski (ou en orthographe internationale Gennady Rozhdestvensky), né le 4 mai 1931, décédé ce samedi 16 juin 2018.

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Les premiers commentaires sur les réseaux sociaux soulignent, à juste titre, que c’est le dernier représentant d’une génération de géants de la direction d’orchestre russe qui s’efface. Après Mravinski, Svetlanov, Kondrachine, Rojdestvenski était le lien encore vivant avec tout le XXème siècle russe, Glazounov, Prokofiev, Chostakovitch, Schnittke, Denisov.

Je n’ai pas le temps maintenant de décrire la singularité de l’art et de la personnalité de Rojdestvenski, j’y reviendrai demain à la lumière de la discographie considérable qu’il laisse et qui traduit bien l’incroyable versatilité de ses appétits et de ses curiosités. Le passionnant documentaire de Bruno Monsaingeon donne un subtil éclairage sur le chef disparu

https://www.youtube.com/watch?v=fuEeZsEY75Y

Le dernier souvenir que j’ai de lui n’a rien de musical. C’était dans un grand magasin parisien – Rojdestvenski et sa femme, Viktoria Postnikova résidaient depuis plusieurs années à Paris -, Monsieur accompagnait Madame à une caisse évidemment embouteillée, personne ne les avait reconnus, et je dois dire qu’ils manifestaient plus de patience que moi…