La Mer et les chefs

J’aurais préféré écrire une meilleure critique sur le concert auquel j’ai assisté jeudi dernier (le jour où on annonçait le nom du successeur de Louis Langrée à CincinnatiUne semaine pas très ordinaire). A lire sur Bachtrack : La Mer trop calme du National avec Cristian Măcelaru à Radio France.

La formule est schématique, mais elle traduit bien l’impression de statisme qu’on a éprouvée à l’écoute d’une interprétation qui ne manquait pas de qualités. Le National et son chef avaient déjà donné le triptyque debussyste en 2022 comme en témoigne cette captation :

J’ai pensé que c’était l’occasion de faire le point non pas sur la discographie de l’oeuvre – des centaines de versions ! – mais d’une part en comparant l’Orchestre national de France à lui-même sous les différentes baguettes qui l’ont dirigé, d’autre part en tirant de ma discothèque des versions qui m’accompagnent depuis longtemps

La Mer et le National

La fausse symphonie de Debussy est bien évidemment l’un des piliers du répertoire de l’orchestre radiophonique qui célèbre ses 90 ans d’existence cette année. Ce qui est doublement fascinant, c’est d’une part la constance dans les couleurs si françaises de « notre » Orchestre national, et d’autre part la marque qu’y impriment les différents directeurs musicaux, leurs tempéraments, et quelques invités prestigieux :

2018 : Emmanuel Krivine (2017-2020)

2012 Daniele Gatti (2008-2014)

Evgueni Svetlanov (1998) au festival Radio France Montpellier

1984 : Seiji Ozawa

1974 : Jean Martinon (1968-1973)

1956 : Charles Munch (1962-1967)

Je n’ai pas trouvé d’enregistrement disponible de La Mer sous la direction de Lorin Maazel et Charles Dutoit qui se sont succédé à la tête de l’Orchestre National entre 1977 et 2001.

Les chefs de La Mer

Souvent les versions citées comme des « références » perdent de leur superbe au fil des années et de l’accroissement de la discographie d’une oeuvre. En l’occurrence, pour La Mer de Debussy, ces fameuses références demeurent inchangées, voire insurpassées.

Ernest Ansermet (1883-1969)

On ne sait pas toujours que le chef suisse, fondateur de l’Orchestre de la Suisse romande, a non seulement connu Debussy, mais le jeune homme qu’il était alors s’était même permis de suggérer au compositeur quelques corrections dans sa partition ! Le lien entre Ansermet et Debussy était tel que le programme inaugural de l’orchestre genevois était tout entier dédié à Debussy

J’ai beau la connaître par coeur, la version d’Ansermet de La Mer me paraît indépassable. Quand je dis à propos du dernier concert du National que les tempi sont trop lents, ce n’est pas seulement affaire de métronome, mais aussi et surtout de mouvement. Et Ansermet savait de qui et de quoi il parlait !

Pierre Boulez (1925-2016)

Avec d’autres moyens, et un luxe orchestral supérieur, qu’Ansermet, Pierre Boulez réalise avec Cleveland, deux fois pour Sony et DG, une version passionnante.

Herbert von Karajan (1908-1989)

Les deux seules fois où j’ai eu le privilège d’entendre Karajan en concert, en 1974 à Lucerne et en 1985 à Genève, La Mer était au programme. C’est dire si le chef autrichien aimait l’oeuvre. Il en a laissé pas moins de trois versions officielles au disque.

Ma liste n’est évidemment pas exhaustive, mais il y a ici pour l’amateur quelques heures passionnantes d’écoute en perspective !

France Musique : 30 ans ont passé, les souvenirs restent

J’ai déjà raconté ici – L’aventure France Musique – les raisons et les circonstances de mon arrivée à France Musique le 23 août 1993, il y a donc exactement 30 ans !

J’invite ceux que cela intéresse à relire mon article d’il y a cinq ans…

J’ai découvert un peu par hasard que le 6e épisode du podcast La Maison de la Radio : 60 ans de musique et de partage évoque cette période et le rôle que j’ai pu jouer (à écouter ici ou en direct le 26 août à 9 h sur France Musique)

Je garde de précieux souvenirs des presque six années que j’ai passées à la tête de la station, mais je n’éprouve ni nostalgie ni regrets. Encore moins ce qui malheureusement alimente souvent les souvenirs de ceux qui ont été « en responsabilité », l’aigreur ou la rancoeur. Ce sont des sentiments qui me sont, qui m’ont toujours été étrangers.

Oui il m’arrive de penser que j’aurais pu faire plus, mieux, plus longtemps dans les fonctions qui m’ont été confiées, mais j’éprouve plus souvent la satisfaction de voir que les projets qu’on a lancés, les transformations qu’on a opérées – et il y en a eu beaucoup à France Musique – sans heurts, sans atteinte à la dignité des personnes, sont ancrés dans l’histoire de la chaîne et dans la mémoire de ceux qui ont participé à l’aventure, et qui pour beaucoup en font encore partie.

Deux grilles etc.

Anne-Charlotte Rémond évoque dans cet épisode la grille que j’étais chargé de préparer pour janvier 1994 (sous la supervision de Claude Samuel). Elle aurait pu ajouter ma pleine et entière responsabilité dans celle qui a été établie, cette fois avec Pascal Dumay, pour la rentrée 1997. Les principes sont restés les mêmes, mais – il y a prescription – je voudrais raconter une anecdote qui illustre l’état de tension, d’incertitude que génère inévitablement l’exercice de la refonte d’une grille de programme chez les producteurs. Dumay et moi nous étions isolés pendant un week-end à l’écart de Paris pour « finaliser » le dispositif et bien entendu nous étions convenus, au moins implicitement, que nos discussions resteraient secrètes, tant que la grille ne serait pas validée, sachant que tous guettaient le moindre signe. Dans la semaine qui suivit, mon cher assistant, Sylvain Lopez (tragiquement disparu dans un accident de voiture à l’été 1999), me rapporta des « bruits » de couloir alarmistes, forcément alarmistes, sur nos travaux du week-end! Je parvins à identifier la source de ces bruits, une jeune productrice dont on me dit qu’elle était très proche du directeur de la musique…Je me retrouvai dans la très délicate situation de devoir dire innocemment (!) à ce dernier mon incompréhension quant aux fuites qu’on me rapportait. Penaud, il me promit de mettre fin à cette situation ! Finalement, « notre » grille fut très bien accueillie tant par la « maison » que par la presse.

J’ai précieusement gardé l’article de Christian Leblé paru dans Libération en janvier 1996, quelques mois avant que Claude Samuel ne soit remplacé par Pascal Dumay à la direction de la musique de Radio France : France Musique mue et remonte. Les problématiques qui se posaient demeurent peu ou prou et la nécessité de faire une « radio à l’écoute de ses auditeurs » plus évidente que jamais.

Mémoire retrouvée

Ainsi à l’occasion du récent décès de Renata Scotto, France Musique a rediffusé quelques épisodes d’une série « Mémoire retrouvée » que j’avais lancée dès l’été 1994, sur un principe simple. En radio, la plupart des personnes interviewées le sont parce qu’elles sont dans l’actualité ou parce qu’elles ont une « promo » à faire. Mais quid de celles et ceux qui ont quitté les feux de la rampe, et qui ont des tas de souvenirs à livrer… et qu’on interroge rarement ? J’avais donc proposé à tous les producteurs de la chaîne une formule et un format inédits (j’avoue que j’ai eu un peu de mal à convaincre la structure de production, déstabilisée par la liberté que je tenais à laisser aux équipes) : j’ai demandé à chacun(e) une liste de personnalités qu’il/elle souhaiterait interroger. Une fois d’accord, les producteurs prenaient contact avec elles et nous ne fixions la durée de l’émission qu’après que la rencontre entre interviewés et producteurs avait eu lieu. Ainsi, par exemple, la même productrice fit face à deux cas de figure opposés : après avoir rendu visite à un célèbre ténor (Alain V.), elle me dit qu’avec le matériau récolté, elle tiendrait tout juste une heure. En revanche, avant même d’en avoir terminé avec la grande Renata T., elle m’annonça qu’elle en aurait bien pour cinq émissions, toute une semaine. Je ne voulais surtout pas enfermer les uns et les autres dans un format.

C’est ainsi qu’avec Renata Scotto, en 1997, Mildred Clary put réaliser trois émissions : Mémoire retrouvée de Renata Scotto, à réécouter ici

Je regrette que mon successeur Pierre Bouteiller ait interrompu une série qui constitue, encore aujourd’hui, une formidable source d’archives exclusives sur le monde musical de la fin du XXème siècle.

Directs de New York et de Lyon.

Parmi les réalisations dont je reste fier, deux semaines vraiment exceptionnelles à l’automne 1998 ont marqué l’histoire de la chaîne. Anne-Charlotte Rémond évoque dans son podcast l’incroyable semaine en direct de New York avec Renaud Machart et Claude Carrière : je l’ai racontée ici lorsque Claude Carrière est mort (lire La belle carrière de Claude). Avec un incident dont je n’ai pas lieu d’être fier…

Quelques mois après l’expédition new-yorkaise, France Musique installait ses micros à l’Opéra de Lyon, pour une semaine de directs de l’amphithéâtre de la scène complètement refaite par Jean Nouvel en 1993.

Pour la première fois, les auditeurs de la chaîne allaient découvrir en direct plusieurs stars d’aujourd’hui : Karine Deshayes, Stéphane Degout, Stéphanie d’Oustrac…et l’ouvrage de Paul Dukas, Ariane et Barbe-Bleue, avec lequel le nouveau directeur général, Alain Durel, et son nouveau directeur musical, Louis Langrée, inauguraient leur mandat, Françoise Pollet incarnant glorieusement le rôle réputé inchantable d’Ariane.

Un dernier hommage à Michel Larigaudrie, disparu il y a bientôt un an, qui m’envoyait régulièrement des photos des émissions de France Musique qu’il réalisait. Je retrouve celle-ci au moment de conclure cet article : je ne reconnais pas tout le monde, sauf bien sûr à droite de la photo Rolf Liebermann (1910-1999), entre autres ancien directeur de l’Opéra de Paris, et tout à gauche Michel Larigaudrie et Olivier Morel-Maroger qui m’a lointainement succédé à la direction de la chaîne (de 2011 à 2014). Je me demande bien ce que j’étais en train de raconter à l’époque…

L’aventure France Musique (VII) : la séparation

Il y a vingt ans, en août 1999, j’étais rentré d’un long et magnifique voyage dans l’ouest des Etats-Unis, que je n’avais pas voulu annuler ou réduire, malgré l’incertitude dans laquelle je me trouvais quant à mon avenir professionnel.

Retour en arrière.

En novembre 1998, au terme de manoeuvres dont il a toujours été coutumier (il y en aurait tant à raconter à son propos !), Jean-Marie Cavada était désigné par le CSA pour succéder à Michel Boyon à la présidence-direction générale de Radio France. Il y avait été fortement aidé par Jean-Luc Hees, qui en serait remercié en étant nommé quelques semaines plus tard directeur de France Inter.

C’est, paraît-il, l’habitude dans l’audiovisuel public (on ne commet pas les mêmes erreurs dans le privé) et personne ne l’a jamais sérieusement contestée : un PDG qui arrive débarque l’équipe sortante et installe ses protégés. Exception à la dite règle : Michel Boyon, arrivant fin 1995 à Radio France, se garda bien de l’appliquer, même s’il procéda à des changements après avoir consulté, écouté, pris des avis.

M. Cavada, dès la première réunion de direction qu’il présida, entendit bien montrer qu’il était le patron. On lui avait signalé, quelque part en France, une rupture de faisceau qui avait laissé une antenne locale muette pendant quelques minutes : le patron de la « technique » présent autour de la table se le fit vertement reprocher. L’algarade n’épargna aucun des participants, puisque le nouveau PDG nous indiqua aimablement que la porte était ouverte pour qui voulait la prendre… On eût espéré meilleure entrée en matière !

Le 6 janvier 1999, on apprenait la mort de Michel Petrucciani.

Nous fûmes convoqués à une réunion extraordinaire chez le « président », qui s’impatienta de la lenteur – selon lui – de la réaction des chaînes de Radio France, exigea un plan d’émissions spéciales, etc. Je suggérai que, Radio France étant aussi une grande maison de musique, on organise un grand concert d’hommage à Petrucciani avec tout ce que la planète jazz compte d’admirateurs du musicien disparu. Le dimanche 24 janvier eut lieu un concert-événement, comme on en a peu connus avant et depuis : quatre heures d’antenne, un studio 104 archi comble et le monde entier accouru à Paris.

Toute la soirée on guetta le passage du PDG, qui avait si vigoureusement réclamé un tel hommage. On ne le vit point.

Le lendemain, malgré la fatigue de la soirée, je m’apprêtais à gagner mon bureau d’assez bonne heure, lorsque je reçus, vers 8h30, un appel… de la présidence. Au bout du fil, Jean-Marie Cavada. Pour me remercier de la soirée de la veille ? Que nenni ! Pour me dire très exactement ceci : « Je tiens une conférence de presse à 9 h, je voulais vous avertir que j’y donnerai le nom de votre successeur« . Interloqué – on le serait à moins – j’eus quand même la présence d’esprit de lui demander qui était ce « successeur« . – « Pierre Bouteiller » me dit-il, « mais je vous verrai dans la journée pour vous proposer un autre poste à la hauteur de vos mérites« .

Il y avait dans l’après-midi une cérémonie, à laquelle j’avais été convié, pour fêter les 10 ans de l’existence du CSA. Je ne fus pas d’humeur de m’y rendre, et préférai rassurer mes équipes et proches collaborateurs, auxquels j’avais appris la nouvelle avant qu’elle ne fût rendue publique. J’attendis, bien sûr, en vain l’invitation de M. Cavada au rendez-vous qu’il m’avait promis. Je finis par l’obtenir quelques jours plus tard, sans en attendre grand chose, instruit que j’avais été entre temps des manières de l’ex-animateur de La Marche du Siècle, promesses jamais tenues, débauchages jamais suivis d’effet…

Je finis par comprendre à demi-mots que je serais peut-être recasé à la direction des affaires internationales. Dès que le bruit s’en répandit dans la Maison ronde, le titulaire du poste, qui bénéficiait d’appuis politiques que je n’avais pas (et que je n’ai jamais eus ni revendiqués !), s’empressa de faire barrage à cette initiative.

C’est ainsi que j’échouai avec d’autres collègues « virés » (les directeurs de France Inter, France Culture entre autres !) au septième étage de la maison de la radio, où on transféra nos bureaux… dans l’attente de jours meilleurs. Nous eûmes vite fait de baptiser cette portion de couloir, « l’allée des cyprès » ! De quoi se plaignait-on ? Nous continuions d’être payés, avec les avantages attachés à nos fonctions. Là encore, une triste habitude du service public : le placard plus ou moins doré pour les cadres écartés !

Confusion

Sitôt annoncées, J.M.Cavada entendait que les nominations soient immédiatement effectives. Les nouveaux directeurs devraient prendre leurs fonctions toutes affaires cessantes, comme lors de la formation d’un nouveau gouvernement.

Le seul petit problème qui avait échappé au « grand professionnel » de l’audiovisuel qu’il se targuait d’être est qu’une grille de programmes ne se manipule pas au gré des humeurs d’un PDG. Ainsi, Pierre Bouteiller animait une quotidienne très écoutée sur France Inter, qu’il ne pouvait abandonner du jour au lendemain, surtout pour prendre la direction d’une chaîne – France Musique – dont tous les contrats et les programmes étaient arrêtés jusqu’à la fin de la saison. Pierre Bouteiller, qui lui était un vrai professionnel de la radio – il avait été directeur des programmes de France Inter de 1989 à 1996 – me demanda comme un service d’assurer la continuité de l’antenne, le temps qu’il puisse « céder » son émission et prendre ses marques. Ce que je fis d’autant plus volontiers que les méthodes du nouveau PDG avaient hérissé au plus haut point l’ensemble des collaborateurs de la Maison ronde.

Les semaines s’écoulaient. J’étais toujours salarié de Radio France, mais plus directeur de France Musique, et dans la plus totale incertitude. Je prenais des contacts à l’extérieur, sans pouvoir clairement poser de candidature à tel ou tel emploi. Situation des plus inconfortables. Rien ne bougeait du côté de la présidence. A la demande du bras droit de J.M.Cavada, j’avais élaboré un projet de refonte du programme Hectorun programme musical classique diffusé en continu par satellite, et la nuit sur France Musique. Je m’aperçus quelques mois plus tard qu’on avait généreusement emprunté à mon texte ! Pas de droit d’auteur sur les bonnes idées…

J’annonçai au secrétariat du PDG que je prendrais quelques semaines de vacances en juillet, je n’eus ni réponse ni avis contraire.

The-Mittens.jpg.optimal

Convocation

De retour de vacances début août, je trouvai une lettre recommandée venant de Radio France… me convoquant à un entretien le 18 juillet ! J’appelai la Direction du personnel (on ne disait pas encore DRH) qui, confuse, me confirma que l’ordre était venu de M.Cavada lui-même d’en « finir » au plus vite avec moi (et de préférence au milieu de l’été pour éviter d’éventuelles vagues !).

Nous convînmes d’un nouveau rendez-vous, je fus reçu par le directeur général de Radio France, et l’adjointe de la directrice du personnel. L’un et l’autre s’excusant de devoir se prêter à cette procédure. Il leur fallait trouver un motif pour me licencier, une baisse de l’audience de France Musique peut-être ? Çà tombait mal, la dernière vague Médiamétrie de juillet faisait état d’une audience établie à 1.7, en nette remontée par rapport à la vague et à l’année précédentes. Cette audience étant mesurée sur « ma » grille de programmes, puisqu’il n’y avait aucun changement depuis mon remplacement par P. Bouteiller en janvier ! Je finis par souffler à mes interlocuteurs désolés qu’on pouvait invoquer un « désaccord » entre le nouveau PDG et l’un de ses principaux collaborateurs. Ainsi fut écrite ma lettre de licenciement ! Mon départ de Radio France fut réglé avec une rare élégance par la directrice du personnel, avec qui je m’étais parfaitement entendu pour traiter de situations souvent délicates (lire Fortes têtes). 

C’était le grand saut dans l’inconnu, mais je préférais mille fois la clarté et la liberté à l’ambiguité dans laquelle j’étais placé depuis le début de cette année 1999. Quelques semaines plus tard, allait commencer une autre aventure, inattendue, inespérée. J’y reviendrai !

PS 1 Ce n’est pas parce que j’évoque la fin de mon aventure à France Musique, que je ne ne reviendrai pas à certains souvenirs, à certains portraits.

PS 2 Au moment où France Musique et les autres chaînes présentent leurs grilles de rentrée, je me rappelle avoir été, bien involontairement, à l’origine des « grilles d’été » de Radio France. Arrivant de la Radio Suisse romande, où les deux mois d’été étaient déjà sous le régime d’une grille « allégée », je proposai dès l’été 1995 un système de même type, une grille d’été très différente de la grille de saison (j’en reparlerai à l’occasion)  La règle à Radio France c’était juste le mois d’août en mode service minimum, beaucoup de rediffusions, et la quasi-totalité des producteurs, journalistes et animateurs en vacances. A l’été 1996, mes collègues de France Inter et France Culture m’emboitèrent le pas, tout le monde trouvant beaucoup d’avantages à la liberté, à la souplesse que permet une grille d’été (notamment pour tester de nouveaux concepts, de nouvelles voix).

L’hommage à Svetlanov

Tandis que se déroulent les épreuves du 4ème Concours international de Chefs d’orchestre Evgueni Svetlanov, Radio France s’apprête à célébrer les 90 ans du chef russe, né le 6 septembre 1928, disparu en 2002.

SVETLANOV_WEB_1920X1080

Un programme, comme on les aime, parce qu’il reflète idéalement la personnalité d’un musicien hors norme, pianiste, chambriste, compositeur et chef immense.

rtfghfsdgh

Nikolaï Medtner
Sonate pour piano « Réminiscence »

Sergueï Rachmaninov
Trio élégiaque n°2

Evgeny Svetlanov
Poème pour violon et orchestre

Piotr Ilyitch Tchaïkovski
Roméo et Juliette

et la crème des interprètes russes : Vadim Repin, Dmitri Makhtin, Alexandre KniazevBoris Berezovsky, Andrei Korobeinikov, qu’on a souvent vus au Festival Radio France tout comme le jeune chef Andris Pogalauréat du 1er concours Svetlanov à Montpellier en 2010.

J’ai déjà raconté mon admiration pour Evgueni Svetlanov, et mon unique rencontre avec lui, à Montpellier. Lire : Le génie de Genia

Son legs discographique (de la période soviétique) a été magnifiquement réédité, ou plus précisément, la considérable anthologie de la musique russe entreprise au mitan des années 60.

61ho-7sacrl-_sl1500_

Un premier coffret centré sur la musique symphonique, par ordre chronologique de Glinka à Kalinnikov, avec une pépite : Svetlanov jouant au piano des pièces de Medtner (d’où la présence d’une sonate de Medtner ce soir au concert) : détails du coffret à voir ici  Le monument Svetlanov (I)

51siztyitl

Un deuxième coffret achevait la partie symphonique de cette anthologie (mais omettait, malheureusement, les gravures de l’après-URSS, comme une intégrale des symphonies de Miaskovski, heureusement rééditée par ailleurs). Voir les détails ici : Le monument Sveltanov (II).

Et voici que paraît le troisième et dernier coffret de cette anthologie, 11 CD seulement, consacré aux oeuvres chorales, avec plusieurs raretés, des compositeurs et des oeuvres inconnus en dehors de Russie, et bien sûr des Rachmaninov (Les Cloches) ou Prokofiev (Alexandre Nevski) de référence.

71MSLDNeEXL._SL1200_

711M+CqiiKL._SL1200_

(Comme les précédents, ce coffret n’est pas vraiment bon marché, le meilleur prix est sur amazon.it)

Svetlanov au piano dans le Trio élégiaque de Rachmaninov, joué ce soir au concert-hommage à Radio France.

L’aventure France Musique (II) : L’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes

Comme promis suite du premier volet : Il y a vingt-cinq ans : l’aventure France Musique (I).

10352778_10152163356507602_7043291476830860419_n

Du changement du côté de la direction

Auprès de Claude Samuel, un changement important s’est opéré en cette rentrée 1993: son adjoint à la Direction de la musique, Stéphane Martin – croisé brièvement à Aix-en-Provence en juillet – quitte Radio France pour être bientôt le directeur de la musique du Ministère de la Culture (un poste occupé jadis par Maurice Fleuret, le véritable créateur de la Fête de la Musique auprès de Jack Lang). Stéphane Martin deviendra, en 1998, l’inamovible patron du Musée du quai Branly à la demande de Jacques Chirac. Il est remplacé, auprès de Claude Samuel, par Olivier Morel-Marogerqui devient vite un complice et un ami et qui sera mon lointain successeur à la direction de France Musique (de 2011 à 2014).

Les producteurs et les équipes de France Musique commencent à rentrer, la plupart sont curieux de découvrir cet inconnu nommé « Délégué aux programmes » (un titre tellement incompréhensible que le successeur de Jean Maheu à la présidence de Radio France, Michel Boyon, me renommera « directeur délégué de France Musique… et des programmes musicaux de Radio France » !).

Hypothèses et rumeurs

Certains de ceux que j’ai connus lors de la journée commune F.M./Espace 2 (cf.  L’aventure France Musiquese réjouissent de mon arrivée, à laquelle, me confient certains, ils ne seraient pas étrangers. M’ayant fait comprendre ce que je leur dois, ils comptent sur moi pour changer les choses… pour les autres, préserver voire augmenter leur pré-carré, égratignant l’équipe sortante et surtout Claude Samuel… dont je dois me méfier !!

En réalité, ils ne comprennent pas pourquoi j’ai été nommé, pourquoi moi… et comme il faut bien inventer une explication quand les faits sont trop simples, j’apprendrai quelques semaines plus tard que j’ai été poussé là par le ministre RPR de la Culture d’alors, Jacques Toubon – d’ailleurs tout le monde sait que je suis RPR !! (lire sur mon passé « politique » Les années Bosson) – pour contrebalancer l’influence de Claude Samuel réputé de gauche. Evidemment je n’ai jamais rencontré Toubon auparavant, encore moins bénéficié de l’appui de quiconque au gouvernement ou dans un parti. Le seul ami que j’ai, dans le gouvernement d’Edouard Balladur, est le maire centriste d’Annecy, Bernard Bossonministre de l’Equipement, des Transports et du Tourisme, avec qui je suis en froid depuis quelques mois, et à qui j’apprendrai ma nomination, une fois installé à Paris…

Je suis trop attaché à ma liberté, à mon indépendance, pour ne jamais avoir dépendu, dans ma vie professionnelle comme dans mon activité publique, de quelque « piston », réseau, obligation que ce soit. J’ai parfois payé le prix de cette indépendance – le chômage, l’incertitude, la défaite électorale – mais je ne l’ai jamais regretté.

Première visite des studios

L’une des premières choses que je demande à faire, dès mon arrivée dans la Maison ronde, est de visiter les studios de la chaîne. Il y a 25 ans, ceux-ci ne sont pas, comme aujourd’hui, installés au coeur des chaînes, mais dans ce qu’on appelle encore « la petite couronne », autrement dit dans l’espace situé entre la maison ronde telle que tout le monde la connaît de l’extérieur, et la tour centrale. Double explication : l’isolation phonique – puisque pas de contact avec l’environnement urbain – et les impératifs de Défense nationale !

Je « descends » donc – comme je le ferai quasi quotidiennement, week-ends compris, pendant près de six ans – voir les studios où se déroule l’essentiel des émissions de France Musique. Je salue les présents – je mettrai un peu de temps à comprendre les fonctions réelles de ceux que je croise, « chef de cabine », « chargé de réalisation », speaker ou speakerine, chargé(e) du relevé des droits d’auteur, technicien(ne)s, assistant(e)s de production. Bref, rien que de très normal pour un patron de chaîne ! J’apprendrai avec surprise – la rumeur court vite dans les couloirs circulaires de la Maison ronde ! – que j’ai fait très fort avec cette simple visite : mes prédécesseurs ne descendaient jamais en studio !

L’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes

Début septembre, j’ai suggéré à Claude Samuel – qui n’est pas très chaud – une rencontre entre lui, les producteurs de France Musique et du programme musical de France Culture (je reviendrai plus tard sur cet étrange « état dans l’Etat ») et moi, histoire de faire les présentations, d’expliquer un peu comment nous allons travailler et avec quels objectifs. Là encore, je découvrirai que ce genre de rencontre collective est une première (sauf par temps de grève !)

L’assemblée est nombreuse, intimidante.. et intimidée. Il faut un peu de temps pour que les questions sortent, on n’est jamais trop prudent surtout face à une nouvelle direction qui pourrait prendre ombrage de certaines impertinences. Mais en filigrane, on comprend bien que les producteurs veulent savoir ce qui va changer, puisque le directeur de la musique – qui a la tutelle des chaînes – n’a pas changé. Je m’entends répondre – ce que je pense vraiment – que :

  • si Claude Samuel a fait appel à moi, c’est peut-être parce que je peux apporter une expérience, des idées, une perspective
  • mais qu’il ne saurait y avoir, entre lui et moi, plus que « l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarettes ».

On me reprochera souvent cette remarque. Comme si, dans une équipe, on avait une chance quelconque de faire évoluer les situations, de faire bouger les choses, dans un conflit ouvert, public, entre numéro 1 et numéro 2.  Toute mon expérience – même si je n’ai que 37 ans lorsque je prends mes fonctions – tant professionnelle, à la Radio suisse romande, que politique, comme Maire-Adjoint de Thonon-les-Bains, me dit qu’il n’y a pas d’autre voie que la force de persuasion, le pouvoir de conviction qu’on exprime dans une équipe et qui emporte – ou non – l’adhésion à une idée, un projet, un changement.

En tout cas, en cette rentrée 1993, je n’ai pas le sentiment de commencer une course d’obstacles, même si je percevrai vite l’incroyable lourdeur de l’organisation d’une Maison qui tient plus d’une administration de type soviétique que d’une entreprise de médias. Et je ne tarderai pas à croiser de fortes têtes. Portraits pour bientôt…

 

 

 

 

Sujet porteur

Comme le beaujolais nouveau, chaque année est attendue l’édition du Petit Larousseavec son lot de nouveautés, les mots à la mode, les noms surgis dans l’actualité (Emmanuel Macron) ou repêchés de l’oubli (Véronique Sanson).

Le-Petit-Larousse-illustre.jpg

Puisqu’on évoque la langue française, je conseille à ceux qui ne les suivraient pas encore de s’abonner aux comptes twitter de Bernard Pivot 

41Q2PNnI70L._SX307_BO1,204,203,200_

et, plus rare sur le réseau social mais tout aussi pertinent dans la défense et illustration de la langue française, l’ancien président du CSA, Michel Boyon.

À mon tour de jouer les empêcheurs de « novlanguer » en rond ! Notre nouveau président, et, par imitation, ses plus proches, ministres ou porte-parole, ont beaucoup usé, et, si je puis me permettre, abusé d’une expression qui, sans être incorrecte, pourrait finir par lasser : on ne propose plus un programme, on porte un projet ! Les candidats aux élections législatives sont devenus à leur tour des porteurs de projet.

De la même manière – mais dans ce cas toute la classe politique, l’ancienne comme la nouvelle, est contaminée ! – on a banni du vocabulaire des dirigeants les mots problème ou question, au profit de : sujet. 

Les dirigeants réunis à l’OTAN ou pour le G7, MM. Poutine et Macron hier, ont abordé tous les.. sujets ! Aujourd’hui, pour les automobilistes de la région parisienne, le… sujet c’est la rupture d’approvisionnement des stations-service.

Etrange, je ne vois pas dans le Larousse que sujet soit assimilé à un synonyme de problème ou de question…! Un vrai… sujet pour l’édition 2018 !

Le gamin de Paris

On ne pourra jamais lui faire le reproche – et on ne le lui a d’ailleurs jamais fait ! – de ne pas savoir bien parler le français. D’être parfois trop long oui, un bavard impénitent oui. Mais quand on aime, on accepte (presque) tout..

Je viens de terminer Une minute pour conclure de l’ami Ivan Levaï.

51zjzbnodml

Pas vraiment des mémoires, quoique l’échéance – redoutée ? -de ses proches 80 printemps ait sans doute incité celui qui restera pour moi et quelques millions d’auditeurs « la » voix de la revue de presse quotidienne de France Interà livrer bien des souvenirs intimes, sa naissance à Budapest, une enfance de migrant, le gamin de Paris, de la rue des Pyrénées à la rue François Ier et aux studios d’Europe 1.

https://www.youtube.com/watch?v=C684BtPLR9U

Orphelin d’une femme libre et d’un père inconnu, Ivan Levaï commence sa vie en France, sous Pétain. Il a 7 ans quand le général de Gaulle s’écrie, du balcon de l’Hôtel de Ville :  » Nous sommes ici chez nous dans Paris levé, debout pour se libérer, et qui a su le faire de ses mains.  » C’est là, près de la Seine, que l’enfant caché venu du Danube décidera d’être français et plus tard journaliste, afin de raconter ce qu’il entend et voit. 
Pendant plus d’un demi-siècle, le chroniqueur, plus européen qu’austro-hongrois, interrogera tous les acteurs de la vie publique, politiques, artistes, créateurs, grands patrons, magistrats et personnalités étrangères… 
Mais c’est aujourd’hui qu’il dit tout des bons et des méchants qu’il a pris le temps d’observer durant sa carrière. En effet, pour Ivan Levaï, c’est à l’heure de conclure une longue et belle vie qu’il convient d’être gai et de chanter. Même si la musique diffusée garde son parfum de nostalgie, prix à payer d’une authentique sincérité.  (Présentation de l’éditeur).

Moi qui croyais connaître un peu Ivan Levai, ses amitiés éclectiques, sa fidélité à Mitterrand, Montand, Signoret, j’ai découvert dans ce bouquin des aspects de sa personnalité qui finalement ne me surprennent pas : une très grande culture, nourrie d’une insatiable curiosité, une vraie connaissance de la musique et des musiciens. Bref tout le contraire d’un conteur d’anecdotes superficiel.

Et en ces temps de grand remue-ménage électoral, certains candidats à la magistrature suprême seraient bien inspirés de lire ce témoignage de première main d’un observateur affûté qui fut aussi un acteur discret de l’histoire de notre République française du demi-siècle écoulé.

Pour Ivan, ces échos des bords du Danube :

https://www.youtube.com/watch?v=uryxnRmuABI

https://www.youtube.com/watch?v=UNxFm7_XTyA