Atout cheffes

J’ai plutôt en horreur cette mode des « journées » (les grands-mères hier), et encore plus la confusion qui s’opère, en ce 8 mars présenté comme « la journée de la femme » ou « des femmes ». Alors qu’il s’agit bien selon l’appellation officielle de l’ONU, de la Journée internationale des Femmes / International Women’s Day, en France on ajoute, pour être plus explicite encore, Journée internationale des Droits des Femmes.

A propos d’un secteur où les inégalités hommes-femmes sont historiques et évidentes- la direction d’orchestre – j’avais déjà écrit cet article, après une réflexion malheureuse du regretté Mariss Jansons : Le chef qui n’aime pas les cheffes. Je n’ai rien à retirer à ce texte écrit il y a plus de trois ans, au contraire je ne peux que me réjouir de ce que les artistes que je citais aient vu leur carrière, leurs projets, leur notoriété croître et se développer. Voir ci-dessous l’intégralité de ce billet du 28 novembre 2017.

Depuis ce billet, me sont revenus d’autres noms de cheffes d’orchestre, et ont surgi des initiatives comme le premier concours de direction réservé aux femmes, La Maestra, organisé en septembre 2020 à la Philharmonie de Paris à l’initiative de Claire Gibault.

Dans mes souvenirs, des figures contrastées: en 2006 au festival de Savonlinna (Finlande), une fantastique représentation de Carmen dirigée par l’Estonienne Anu Tali, mais quelques années plus tôt, à San Francisco, un concert d’été très décevant qui ne m’a pas laissé une bonne impression (euphémisme !) de la New Yorkaise JoAnn Faletta (ses nombreux disques chez Naxos ne m’ont pas fait changer d’avis). Et j’avais rapporté d’un voyage au Mexique un disque très coloré dirigé par une jeune femme qui se ferait bientôt connaître en Europe, Alondra de la Parra

En revanche, j’ai redécouvert récemment dans ma discothèque deux superbes galettes, auxquelles j’avoue ne pas avoir prêté l’attention qu’elles méritaient pourtant.

La Cinquième de Beethoven a fière allure sous la baguette de la Française Claire Gibault enregistrant au milan des années 80 avec le Royal Philharmonic de Londres. Son Inachevée de Schubert est une vraie splendeur, enfin un Schubert jeune, allant, vivant, et non plombé d’accents wagnériens comme trop de chefs l’en ont affublée.

Mais j’ai vu et entendu plusieurs fois Claire Gibault diriger, à Aix-en-Provence, à Lyon, à Paris, à Liège.

Ce qui n’est pas du tout le cas d’une cheffe britannique, dont je connaissais à peine le nom, avant de le repérer dans un gros coffret récapitulatif d’une collection de disques très British : Sian Edwards.

Sian Edwards est, semble-t-il, très investie dans la musique contemporaine. Ces enregistrements d’orchestre de Tchaikovski n’en sont que plus intrigants. On aime beaucoup, vraiment beaucoup, ces visions alertes, nerveuses, romantiques en diable.

« Le chef qui n’aimait pas les cheffes

France Musique s’est fait l’écho de l’une de ces polémiques dont raffolent les réseaux sociaux : Les femmes chefs d’orchestre ? Pas la « tasse de thé » de Mariss Jansons

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Cher Mariss Jansons, même si vous vous êtes rattrapé depuis, vous devriez savoir qu’il ne faut jamais se laisser aller au politiquement incorrect. Vous aviez bien le droit de penser que les femmes chefs d’orchestre, ce n’est pas trop votre cup of tea, vous n’étiez pas obligé de le dire !

Certes, comme vous-même vous passez votre vie à répéter et à diriger, à l’instar de tous vos collègues chefs, vous n’avez pas le temps d’aller voir et écouter de plus jeunes collègues, hommes ou femmes, et de constater que le monde musical a bien changé.

Je n’ose vous croire nostalgique d’une époque où les grands phalanges comme Berlin ou Vienne étaient exclusivement masculines (souvenez-vous de l’affaire Sabine Meyer, cette jeune clarinettiste que Karajan voulait recruter contre l’avis des musiciens des Berliner Philharmoniker)

Mais, je vous le concède, la féminisation des orchestres n’a pas été suivie, dans les mêmes proportions, de la féminisation des podiums. Et pourtant, elles ont bien du talent, et plus que ça même, les quelques cheffes qui ont émergé ces dernières années, sur les traces de leurs aînées Simone Young ou Marin Alsop.

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En France, Claire Gibault et Laurence Equilbey ont longtemps été seules à fréquenter les podiums de chef.

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Aujourd’hui Nathalie Stutzmann dirige autant sinon plus qu’elle ne chante, certes plus à l’étranger qu’en France, même si Jean-Louis Grinda, après l’avoir invitée à l’Opéra de Monte-Carlo, lui a confié la direction du Mefistofele de Boito l’été prochain aux Chorégies d’Orange.

L’Opéra royal de Wallonie, à Liège, a depuis le début de cette saison, une nouvelle cheffe, Speranza Scappucci

La saison dernière, la cheffe assistante de l’Orchestre philharmonique de Radio France, Marzena Diakun, avait fait sensation en remplaçant au pied levé Mikko Franck dans Die tote Stadt de Korngold en version de concert à la Maison de la radio

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Billet du 28 novembre 2017.

L’audace du public

Deux concerts contrastés, pour le moins, ces derniers jours à Paris. Des programmes « exigeants » comme on dit quand on veut s’excuser de ne pas a priori complaire au « grand public » (lire Le grand public). Et des programmes qui ont conquis, enthousiasmé les publics réunis pour ces concerts.

D’abord jeudi soir, au Théâtre des Champs-Elysées, le pianiste Christian Zacharias

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Je connais Christian depuis presque trente ans, lorsqu’il avait accepté de remplacer un jeune pianiste souffrant comme soliste d’un concert dirigé par Armin Jordan à Genève ! C’était, je crois, en 1990. Même au faîte de sa carrière de pianiste, il n’avait encore jamais joué en Suisse ! Et ce fut, pour lui, le début d’une aventure musicale qui allait notamment le conduire à diriger l’Orchestre de chambre de Lausanne de 2000 à 2013 (à la suite du regretté Jesus Lopez Cobos), et pour moi le commencement d’une amitié qui ne cesserait plus.

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Ainsi, en 1997 – j’étais alors directeur de France Musique – j’avais été mis dans la confidence de la préparation d’un concert monté par les Amis de l’OSR (Orchestre de la Suisse Romande) pour fêter les 65 ans d’Armin Jordanen même temps que la fin de son mandat à la tête de la phalange genevoise. J’avais trouvé un studio à la maison de la radio à Paris pour que Christian Zacharias et Felicity Lott puissent répéter, dans le plus grand secret, une séquence dont ils feraient la surprise au chef suisse.

En 2010, j’invitai Christian Zacharias à jouer dans la nouvelle série Piano 5 étoiles à la Salle Philharmonique de Liège. Un an plus tard, il dirigeait les forces de l’Opéra royal de Wallonie pour de subtiles Noces de Figaro de Mozart mises en scène par Philippe Sireuil.

Ce jeudi soir, faisant le pari de la confiance du public, il avait choisi un programme très classique, et plutôt rare en récital : Bach et Haydn. Rien pour l’épate, rien pour la virtuosité transcendante ou le romantisme échevelé. Austère presque… Mais quel bonheur d’entendre un piano sonner clair et dense, qui jamais ne cherche à singer ou imiter le clavecin ou le pianoforte. C’est la première fois que j’entendais Zacharias chez ces deux compositeurs, mais je vis depuis longtemps avec ses Scarlatti…sans parler de l’autre grand classique dont il est un interprète de prédilection, Mozart !

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L’autre moment fort de rencontre entre un musicien hors norme et un public aventurier, ce fut vendredi soir, à l’auditorium de la Maison de la radio. L’Orchestre philharmonique de Radio France avait convié la jeune cheffe polonaise Marzena Diakun (qu’on reverra à Montpellier le 13 juillet prochain – Made in France) à diriger un programme extrêmement (trop ?) copieux. Rien moins que Taras Bulba de Janáček d’entrée de jeu, suivi d’un long (trop ?) concerto pour percussions du Finlandais Kalevi Aho, et en seconde partie la 9ème symphonie de Dvořák.

Le public n’aura peut-être retenu de cette soirée que la prestation exceptionnelle, étourdissante, ébouriffante, de Martin Grubingerla star de la percussion. Déjà en novembre 2014, quelques jours après l’inauguration de l’Auditorium de Radio France, il avait donné un aperçu de son fantastique talent en interprétant Speaking drums de Peter Eötvös sous la direction du compositeur.

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Je l’avais invité, avec son père et les soeurs Önder, en juillet 2016, à une soirée du Festival Radio France Occitanie Montpellier qui avait failli ne pas avoir lieu (lire Rattrapés par l’actualité). 

Vendredi il a fait une nouvelle démonstration d’un art incomparable, sa seule prestation sauvant de l’ennui une oeuvre vraiment longuette et répétitive qui n’est pas la plus inspirée de son auteur. En bis, Martin Grubinger a proposé un numéro plus sportif que musical, comme il l’a annoncé lui-même pour le plus grand bonheur d’un public aux anges. Court extrait :

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Et pourtant elles dirigent…

je pressens déjà qu’avec un tel titre, je vais me faire allumer… Je m’y risque sans crainte, je n’ai, quant à moi, jamais de ma vie proféré le genre de propos prêté il y a quelques mois à un célèbre chef d’orchestre (lire : Le chef qui n’aime pas les cheffes)

Je remets le couvert, si j’ose dire, avec cette une et ce dossier du mensuel Diapason de février :

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À la seule réserve près d’un titre inutilement racoleur (« Comment elles sont en train de gagner le combat »), je souscris à la quasi totalité de l’excellent dossier constitué par Christian Merlin et Vincent Agrech, qui restitue la (trop) lente évolution des mentalités du microcosme musical, et les difficultés rencontrées par les femmes chefs d’orchestre (je me suis fait agonir sur Facebook pour avoir usé du féminin « cheffes » d’orchestre… !) pour  se faire accepter d’abord par les musiciens d’orchestre !

La seule question que je me sois jamais posée, lorsqu’il s’agissait d’engager un chef, homme ou femme, c’était : a-t-il/elle du talent ? est-il/elle le/la meilleur(e) pour ce programme, ce projet ? Et quand je suis spectateur/auditeur peu m’importe le sexe de celui qui est sur le podium, pourvu que le résultat soit à la hauteur de mes attentes !

Quand il y a exactement deux ans, le 30 janvier 2016, Mikko Franck, malade, a dû céder sa baguette à Marzena Diakun pour diriger rien moins que La Ville morte de Korngold, j’ai admiré sans réserve l’art et l’audace de la jeune cheffe.

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Je peux déjà annoncer que Marzena Diakun sera l’une des invitées du prochain Festival Radio France (#FestivalRF18) à Montpellier. Dans un programme qui ne comportera pas que des musiques « féminines » (Christian Merlin rapporte cette sortie récente – 2014 ! – du grand chef et pédagogue finlandais, Jorma Panula, énonçant que « les femmes pouvaient à la rigueur diriger des musiques féminines comme Debussy, mais qu’elles n’étaient pas taillées pour Bruckner ou Stravinsky »). Sans commentaire…

 

 

La mort en majeur

Je trouverais sûrement, si je la cherchais, la réponse dans d’épais et savants ouvrages : pourquoi certaines oeuvres me touchent-elles à ce point, déclenchent-elles de tels torrents d’émotions et de sentiments mêlés ?

Depuis que j’ai découvert Die tote Stadt (La Ville morte), l’opéra de Korngold (https://fr.wikipedia.org/wiki/Erich_Wolfgang_Korngold), je ne sors jamais indemne d’une écoute ou d’une représentation. Le sujet, la musique, tout cela sans doute, mais bien d’autres opéras, d’autres symphonies me passionnent et m’émeuvent sans me mettre dans cet état.

Hier soir, un projet nourri de longue date, les forces musicales de Radio France – hormis l’Orchestre National en tournée aux Etats-Unis – étaient rassemblées, Orchestre Philharmonique, Choeur et Maîtrise, non comme prévu sous la houlette de Mikko Franck, malade, mais sous celle de la jeune cheffe Marzena Diakun qui a fait mieux que relever un impossible défi. Et, pour une fois, aucune défection dans une distribution idéale pour un ouvrage aussi exigeant pour les deux rôles principaux. Klaus Florian Vogt, Camilla Nylund, exceptionnels en Paul et Marietta, mais aussi le formidable baryton Markus Eiche, Catherine Wyn-Rogers  (Brigitta) Matthias Wohlbrecht le Comte Albert) Dania El Zein (Juliette) Yaël Raanan Vandor  (Lucienne) Jan Lund (Victorin-Gaston).

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Cette Ville morte est le chef-d’oeuvre d’un compositeur de 23 ans, un orchestre luxuriant qui certes évoque plus d’une fois Wagner, Mahler, Richard Strauss ou Puccini, mais qui s’inscrit surtout dans la tradition viennoise (comme Schreker). Est-ce cela qui finalement me perturbe et m’émeut tant ? Les quelques grands airs qui sont ceux de la déploration, du regret de l’être aimé ou du désir inatteignable, sont, comme chez Mozart ou chez Richard…ou Johann Strauss, en mode majeur.

https://www.youtube.com/watch?v=U81mqk_zSWo

J’ai vu plusieurs fois Die tote Stadt en scène, un premier souvenir à Anvers, avec un bouleversant William Cochran, à Paris, et à Genève sous la direction idéale d’Armin Jordan qui malheureusement dut faire une première avec un ténor…aphone !.

Au disque, bien sûr en tout premier, l’enregistrement qui m’a fait découvrir et aimer l’ouvrage, qui n’a rien perdu de ses charmes vénéneux.

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Autre magnifique témoignage du festival de Salzbourg :

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Et pour ceux qui veulent retrouver quasi le même casting qu’hier soir, cette fois avec Mikko Franck au pupitre, le DVD d’un spectacle qui avait fait sensation à Helsinki.

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