Vents d’Est

J’étais de nouveau à Colmar ce week-end pour l’ouverture du Festival International de Colmar et de sa deuxième édition placée sous la direction artistique d’Alain Altinoglu (lire Retour à Colmar). Ce que j’ai pensé des trois concerts auxquels j’ai assisté sera à lire très bientôt sur Bachtrack.

Le petit extrait du bis donné hier soir dit assez l’ambiance festive qui régnait sous la vaste nef de l’église Saint-Mathieu.

Extrait de la 1e marche de Pomp and Circumstance d’Elgar / Orchestre symphonique de la Monnaie / Dir. Alain Altinoglu (6/07/2024)

Mais ces voyages en Alsace sont aussi pour moi l’occasion de m’arrêter en chemin dans des villes, dans les lieux, devant lesquels j’étais souvent passé trop vite.

Bar-le-Duc

Le chef-lieu du département de la Meuse n’évoquait vraiment rien de particulier pour moi, et c’est précisément cet inconnu qui m’a attiré pour une brève étape sur le trajet vers Colmar. La ville haute abrite tout un quartier Renaissance remarquablement préservé, où manque simplement, un vendredi matin, un peu de vie. Quasiment aucun commerce, aucun café…

La cathédrale Saint-Pierre

Le Palais de Justice

Hohlandsbourg

Quelques kilomètres avant d’arriver à Colmar, en passant par le col de la Schlucht, on se hisse sur les hauteurs de Hohlandsbourg, l’une de ces nombreuses forteresses qui dominent la plaine d’Alsace.

La vue sur Colmar est admirable.

Au bord du Rhin

Le samedi matin, entre deux averses orageuses, on pousse jusqu’aux deux communes jumelles de Neuf-Brisach (en France), et Vieux-Brisach ou Breisach-am-Rhein (en Allemagne). Neuf-Brisach est célèbre pour sa citadelle édifiée par Vauban, aujourd’hui classée au patrimoine mondial de l’Unesco.

On pourrait penser que la flamme olympique est passée par ici. En fait, sans doute dépitée de ne pas avoir été sélectionnée, la commune a fait édifier sa propre flamme, comme le relate L’Alsace.

L’hôtel de ville de Neuf Brisach et la statue d’hommage à Vauban

Les bateaux de croisière sur le Rhin accostent à Breisach-am-Rhein

La ville haute de Vieux-Brisach / Breisach am Rhein.

Le lion de Belfort

Sur la route du retour ce matin, une halte s’imposait: Belfort et sa belle cité enserrée au milieu d’une imposante citadelle, dominée par la fabuleuse sculpture de Bartholdi, le fameux Lion.

Le Corbusier à Ronchamp

Je ne connaissais La Chapelle Notre Dame du Haut de Ronchamp – comme elle s’appelle complètement – que par mes lectures… et les timbres que je collectionnais enfant.

J’avoue que la petite heure que j’ai passée sur les hauteurs de Ronchamp à voir enfin de près l’oeuvre du Corbusier m’a profondément ému. Arrêt sur images…

La sagesse de Diderot

Une brève halte à Langres – trop brève pour visiter cette superbe cité – m’a rappelé que c’est la ville natale de Diderot, et je voulais m’imaginer que la sagesse de l’encyclopédiste inspirerait les électeurs.

la sompteuse cathédrale Saint-Mammès de Langres

Un dimanche extraordinaire

Bien entendu, je suis revenu à temps pour voter au 2e tour de ces élections législatives sans précédent.

La soirée électorale qui se déroule au moment où je conclus ce billet me réjouit à un point que je ne pouvais imaginer dimanche dernier. J’ai envie d’imaginer des lendemains qui chantent…On en reparlera très vite !

Le chaos ou la beauté (suite)

Je ne m’engage à aucun pronostic pour le second tour des législatives, sauf à rappeler une évidence : au premier tour on choisit, au second on élimine… ou on s’abstient. Je ne suis malheureusement pas du tout certain que les appels, les manifestations, les condamnations visant à « faire barrage » à l’extrême-droite n’aient pas l’effet inverse.

Naufrage ou survie ?

J’aurais dû lire et faire lire plus tôt un excellent essai, au titre inutilement racoleur, dont l’une des conclusions a été complètement démentie dimanche dernier :

Je n’en rajoute pas par rapport à mon précédent billet : Ce que je pense, dis ou écris, ne changera rien au chaos des esprits ni au choix des électeurs (relire éventuellement Tristes constats).

Je veux encore citer in extenso ce texte publié par l’écrivain, éditeur et critique Jean-Yves Masson sur sa page Facebook :

« On peut chercher à la dissolution décidée par le président de la République, et dont il porte seul la responsabilité, toutes les explications politiques, stratégiques, psychologiques ou même psychiatriques que l’on veut, je n’en vois en fait qu’une seule qui résume tout : la bêtise.

Je rêve d’un livre sur la bêtise dans l’histoire. C’est un facteur auquel personne ne pense jamais. La bêtise explique pourtant un très grand nombre de décisions dont les conséquences nuisibles étaient parfaitement prévisibles à un observateur, non pas omniscient ni génial, mais tout simplement sensé.

A certains moments, la bêtise éclate, se déchaîne, emporte tout sur son passage. Il faut l’appeler par son nom. Le latin stultitia ne distinguait pas la bêtise et la folie, on devrait s’en souvenir. Notre époque qui se vautre dans la vulgarité avec délices adore le mot « connerie », mais elle a doté ce mot d’une forme de complaisance qui en masque le côté nuisible. La bêtise n’est pas attendrissante. Elle est sans yeux et sans oreilles. Elle n’observe rien et si par hasard elle remarque quelque chose, elle fait tout pour n’en tirer aucune leçon. La bêtise réagit vite et presque mécaniquement à tout ce qui lui déplaît. Elle est par essence étourdie, bornée. Et le plus important, c’est que la bêtise en tant que potentialité humaine n’exclut pas du tout l’intelligence. Des gens bardés de diplômes ronflants ont parfaitement accès à la bêtise, elle les menace même d’autant plus aisément qu’ils s’imaginent en être protégés par leurs études, leur curriculum brillant.

J’ai vu se déchaîner la bêtise autour de moi de façon continue depuis plus de quarante ans, depuis que j’ai une conscience politique. Plusieurs fois, des choses que l’on croyait impossibles se sont produites, à commencer par la destruction de l’université (et du système scolaire) que j’ai pu observer de près. La lecture de la correspondance de Flaubert (et de toute son œuvre) a affiné ma sensibilité à ces phénomènes. J’ai essayé de me garder de cette part de bêtise que nous portons tous en nous et qui demande de la vigilance. Je n’ai bien sûr pas toujours réussi, mais j’espère que mes moments de bêtise (car je n’en suis pas plus exempt que n’importe qui) m’ont surtout nui à moi-même, et pas trop à autrui. La bêtise du président nuit à des millions de Français et plus encore à la France, qui est plus grande que nous tous. J’ai appris en tout cas que la plus grave forme de la bêtise consiste à ne pas savoir reconnaître ses erreurs. La bêtise se croit infaillible et pour persuader les autres commence toujours par l’autopersuasion.

Je pense très sincèrement que le 9 juin 2024 mérite d’entrer dans les grandes dates d’une histoire de la bêtise en France.

Vive le Boléro libre !

Il y a quand même quelques nouvelles réjouissantes, comme cette récente décision du Tribunal judiciaire de Nanterre qui confirme que Maurice Ravel est bien l’unique auteur du Boléro : Dans une décision d’une quarantaine de pages, les juges ont débouté les ayants droits de Maurice Ravel et d’Alexandre Benois, décorateur russe que ses héritiers souhaitaient voir reconnaître comme coauteur de l’oeuvre par la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem).L’enjeu était de taille: que la Sacem, qui gère et collecte les droits d’auteur en France, reconnaisse M. Benois, décédé en 1960, comme coauteur et l’oeuvre aurait été protégée jusqu’au 1er mai 2039 (AFP).

Relevé ce matin dans Le Canard Enchaîné :

Binationalité

Puisque le thème s’est invité in extremis dans une campagne électorale d’une rare indigence, on s’est demandé ce qu’auraient été la Musique, la Culture en France, et même l’Histoire de France ces derniers siècles, si l’on y avait interdit la présence de doubles nationaux, ou d’étrangers qui avaient fait de la France leur patrie de coeur… Faut-il insister ?

Merci à François Morel pour sa réplique sans appel : Vive la France !

Je limiterai mon propos à quelques figures musicales bien connues.

Frédéric Chopin (1810-1849) ou l’archétype du binational ! Père d’ascendance française, le natif de Żelazowa Wola, a passé la moitié de sa vie en France. Ici son 2e concerto joué par un autre natif de Pologne, naturalisé Américain, et Parisien presque toute sa vie, Artur Rubinstein, accompagné par un chef américain, né à Berlin, André Previn.

Arthur Honegger (1892-1955), né dans la ville dont Edouard Philippe est l’actuel maire, mort à Paris, mais de nationalité suisse. Compositeur français ou helvète ? La question n’a pas de sens. Les références à la Suisse sont bien peu nombreuses dans son oeuvre, sauf pour sa 4e symphonie qui porte le titre de Deliciae Basilienses.

Les Italiens à Paris : Donizetti fait chevalier de la Légion d’honneur par Louis-Philippe, Rossini, inhumé au Père-Lachaise, Cherubini nommé directeur du Conservatoire, Spontini compositeur particulier de la Chambre de l’impératrice Joséphine (dont l’opéra La Vestale est à l’affiche de l’Opéra Bastille)

On n’aurait garde d’oublier le plus célèbre des Italiens de Paris, Jean-Baptiste Lully, l’irremplaçable surintendant de la Musique de Louis XIV, naturalisé Français en 1661, Lully dont Armide était aussi dans l’actualité lyrique de ce mois de juin, à l’Opéra Comique.

Que dire du plus célèbre compositeur français du IIIe Empire, le juif Jakob né à Cologne en 1819, naturalisé Français le 14 janvier 1860 comme Jacques Offenbach, le maître de l’opérette française ?

Histoire personnelle

Comme je l’ai déjà raconté ici (L’été 69) j’ai une double nationalité : française et suisse. Mais ce n’est le cas que depuis 1986 et une loi redoutablement efficace votée par la Confédération helvétique. La Suisse – qui a aussi connu des vagues populistes – a toujours eu un déficit de cadres notamment dans les zones frontalières, Genève, Bâle, pour les grosses entreprises et les institutions implantées dans ces régions. Pour éviter de devoir systématiquement recourir aux travailleurs frontaliers, la Suisse propose, en 1986, de conférer la nationalité suisse aux personnes âgées de moins de 32 ans à l’époque, nées à l’étranger d’une mère suisse (ce qui était mon cas), et pour que la mesure soit encore plus attractive, la nationalité suisse est étendue aux conjoints et enfants sans restriction, et les hommes ainsi naturalisés échappent aux obligations notamment militaires des natifs ! Le résultat ne s’est pas fait attendre : 5000 nouvelles naturalisations dans les deux ans qui ont suivi la promulgation de la loi ! Au moment où j’ai intégré la Radio suisse romande, c’est donc comme citoyen suisse que j’ai été recruté ! Quand, en 1999, la Belgique m’a embarqué dans une aventure qui allait durer quinze ans (Liège à l’unanimité), ils n’avaient sans doute pas mesuré le risque d’engager un double national franco-suisse…

Bonne musique ne saurait nuire

J’avais commencé un billet sur la situation politique, je le poursuivrai quand elle sera stabilisée, si tant est que ce soit le cas. Mes convictions n’ont pas changé (Le choc de juin) donc la suite du billet bientôt !

En attendant, on continue d’écouter de la musique, même d’aller au concert.

Lundi j’étais au théâtre des Bouffes du Nord, ce lieu toujours aussi improbable dans un quartier qui ne doit pas plaire beaucoup aux mânes de Marine et Jordan (oui c’est comme ça maintenant, on appelle les leaders politiques par leurs prénoms !).

Pour écouter des artistes que j’aime beaucoup : Adam Laloum et le quatuor Hanson.

J’ai écrit pour Bachtrack ce que j’en avais pensé : Schumann en clair-obscur

Les mêmes viennent de sortir un double CD, avec cet incroyable bouquet de chefs-d’oeuvre de musique de chambre, tous nés de la plume de Schumann la même année 1842.

J’ai fait le compte, je dois avoir une vingtaine de versions différentes du Quintette avec piano, notamment celle avec laquelle j’ai entendu l’oeuvre pour la première fois, celle d’Artur Rubinstein avec le quatuor Guarneri. Et ce mouvement lent qui m’émeut aux larmes à chaque écoute

Puis c’est avec Martha Argerich, et ses enregistrements successifs que j’ai poursuivi ma découverte de l’oeuvre. Je tombe à l’instant sur cette version captée il y a moins d’un an au Teatro Colon à Buenos Aires, c’est tout juste miraculeux !

Mais j’ai une affection toute spéciale pour l’un des derniers disques de mon cher Menahem Pressler avec le quatuor Emerson :

Les souvenirs reviennent, en même temps que j’évoque Menahem Pressler ou le quatuor Hanson. Je n’oublie pas que ce dernier avait ouvert le seul week-end qu’on avait pu maintenir de l’édition 2020 du Festival Radio France annulée pour cause de pandémie (lire 2890 jours : Cordes sensibles), et encore moins que Menahem Pressler nous avait redonné foi en l’humanité, deux jours après l’effroyable attentat de Nice le 14 juillet 2016 (La réponse de la musique).

Elections municipales : hier et aujourd’hui

Dans dix jours ont lieu les élections les plus importantes pour la vie quotidienne des Français : les municipales. Mais on n’en parle pas ou si peu.

À Paris, une lamentable histoire d’érection a failli occulter l’élection, en tout cas le débat électoral. Et si l’on comptabilise le nombre de sujets, d’articles consacrés à cet épisode, à ses acteurs, témoins ou complices, on dépasse de très loin le temps et le volume impartis aux programmes des candidat(e)s. Pour le reste de la France, silence radio ou presque dans les journaux et sur les antennes nationales.

Qu’on me permette d’évoquer quelques souvenirs personnels qui témoignent, pour le moins, d’une certaine permanence dans les comportements politiques.

1983 Thonon-les-Bains

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En 1983, j’habitais et je travaillais à Thonon-les-Bains comme assistant parlementaire (lire Réhabilitation d’un député élu en 1981, qui était adjoint au maire de Thonon. Celui-ci, Paul Neuraz (1932-2018) avait succédé en 1980 à Georges Pianta, qui régnait sur la sous-préfecture haut-savoyarde depuis 1945.

Il n’y avait pas grand risque pour la liste sortante, rassemblant beaucoup de « sans étiquette » et des élus du centre et de droite modérée, mais Paul Neuraz devait faire ses preuves et sortir de l’ombre de son prédécesseur. Il me demanda de l’aider dans sa campagne, ce que je fis volontiers. En réalité, tout était à faire et imaginer, Georges Pianta n’ayant jamais eu besoin de faire campagne.

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Face à une liste de gauche menée par un entrepreneur local, président du club de foot, élu conseiller général PS en 1979, Michel Frossard, la campagne du maire sortant se présentait comme une promenade de santé, jusqu’à ce que la rumeur enfle de la constitution d’une troisième liste, où figuraient quelques notabilités locales, le patron de l’hebdomadaire régional Le Messagerun promoteur immobilier qui n’avait pourtant pas eu à se plaindre des largesses de la municipalité sortante.

La panique gagna les co-listiers de Paul Neuraz, l’intox – les réseaux sociaux n’existaient pas encore, mais le bouche à oreille et les comptoirs de bistrots si ! – prospérait au point de faire douter les plus sérieux. Le moral des troupes était au plus bas…

Une nouvelle loi électorale

Il faut rappeler ici que Gaston Defferre, le premier ministre de l’Intérieur de François Mitterrand avait fait voter une loi, en 1982, qui constituait une révolution dans le paysage municipal français. Jusqu’alors, dans les villes de plus de 3500 habitants, les listes majoritaires emportaient la totalité des sièges des conseils municipaux. Ainsi, pendant des années, les partis comme le RPR (ancêtre des Républicains), le PS ou le PC purent gouverner, verrouiller des villes sans aucune opposition. La loi Defferre, à laquelle aucun gouvernement n’a touché depuis quarante ans, a bouleversé la donne : la liste majoritaire obtient 50% des sièges, les autres 50% étant répartis à la proportionnelle entre les listes ayant obtenu plus de 10 % des voix (dont bien sûr la liste majoritaire). Ainsi la iiste qui a obtenu la majorité des voix dispose d’une majorité confortable des sièges, mais les oppositions sont présentes au conseil municipal.

La même loi prévoit qu’entre les deux tours, des listes qui ont obtenu plus de 12,5 % des voix (à vérifier, je ne suis plus sûr de cette clause) peuvent fusionner et ainsi former une nouvelle liste avant le second tour.

Un quarteron de notables

C’était sans doute l’idée des initiateurs de cette « troisième liste » thononaise que de se placer pour contraindre le maire sortant à les intégrer sur sa liste à l’issue du premier tour.

Je faisais, quant à moi, l’analyse – et le pari – qu’on devait absolument éviter ce cas de figure et faire une campagne qui assure la victoire de la liste sortante dès le 1er tour. Le maire, Paul Neuraz, et son entourage, partageaient mon point de vue, mais redoutaient que le reste de la liste ne continue à faire, involontairement, la publicité de la troisième liste. Je soumis l’idée d’un tract qui prendrait la forme un peu solennelle d’un appel aux électeurs, qui userait à dessein de mots et d’expressions familières à certains membres de la « troisième liste » qui se revendiquaient comme purs gaullistes. Je convainquis le maire de réunir toute sa liste dans un café de Vongy, qui servait de permanence électorale, pour remobiliser ses colistiers et les persuader qu’une victoire au premier tour était non seulement possible mais indispensable ! Nous fîmes distribuer à chacune et chacun un paquet de tracts, ainsi que des cartes des quartiers à couvrir : à l’issue de la réunion, aidés de quelques militants, tous les colistiers devaient à leur tour parcourir la ville et distribuer la bonne parole ! Inutile de dire que 80% d’entre eux n’avaient jamais fait cela…

Les réactions ne se firent pas attendre de la part de la troisième liste. Courageusement, certains co-listiers du maire sortant s’étaient défaussés sur moi  – c’est toujours la faute à Rousseau ! – de l’idée et du ton du tract distribué nuitamment. Je me fis directement engueuler par la tête de la 3ème liste qui nous menaçait de sévères représailles. Ses amis et lui n’avaient pas beaucoup apprécié de se faire qualifier de « quarteron de notables plus préoccupés de leurs propres affaires que de l’avenir de la cité ».

Mais, comme je l’avais confié aux inspecteurs des Renseignements généraux – c’était devenu une habitude entre nous à chaque scrutin : je leur donnais mon pronostic, ils le notaient, et si je perdais je leur devais une tournée, et à l’inverse – ce qui s’est toujours produit ! si mes prévisions étaient exactes, c’est eux qui me la devaient ! – les résultats du premier tour de ces élections municipales de 1983 à Thonon-les-Bains, furent sans appel : 51,8 % des voix pour la liste du maire sortant, et à peine 12 % pour cette 3ème liste qui avait fait trembler l’establishment local…

DSK en Haute-Savoie

En 1986, je cesse mon activité d’assistant parlementaire. La donne politique a changé dans le département de la Haute-Savoie à la suite du changement de mode de scrutin – la proportionnelle – aux élections législatives.

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La direction du PS a imposé Dominique Strauss-Kahn comme chef de file dans un département où il n’a jamais eu aucune attache (connue), le maire d’Annemasse, Robert Borrel, socialiste de toujours, monte une liste dissidente.  L’UDF qui détenait les 3 circonscriptions – à partir de 1986 il y en a 5 – forme sa liste mais il faut faire une place – la première – au jeune maire d’Annecy élu en 1983, Bernard Bosson (lire Les années Bosson) Le député sortant de Thonon est en quatrième position, il a très peu de chances d’être réélu (il m’en voudra longtemps, pensant que j’ai agi contre son intérêt !).

En 1988, Mitterrand, réélu président de la République, dissout l’Assemblée nationale élue en 1986.  Pendant la première cohabitation – le gouvernement de Jacques Chirac a modifié la loi électorale pour revenir au scrutin classique par circonscription. Les accords nationaux UDF-RPR aboutissent, en Haute-Savoie, à ce qu’on « offre » à un cacique du RPR, maire de Saint-Julien en Genevois (dans la circonscription d’Annemasse !), Pierre Mazeaudl’investiture pour la députation dans le secteur Thonon-Evian ! Le maire de Thonon, Paul Neuraz, pourtant membre du parti radical (donc de l’UDF) ne bénéficie d’aucun soutien politique. C’est Pierre Mazeaud qui va l’emporter, de peu, et qui dès le soir de son élection comme député de Thonon, annonce qu’il « prendra la mairie » l’année suivante !

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J’ai encore un souvenir très précis. Ce jour-là – un dimanche – j’étais allé travailler à la Radio suisse romande à Genève, je rentrais chez moi à Thonon, en passant par la place de l’Hôtel de Ville. Je croise le maire, plusieurs élus, j’arrête ma voiture. Ils m’invitent à monter dans le bureau du maire – alors que je n’ai plus d’activité politique à Thonon depuis deux ans ! Les mines sont défaites, la garde rapprochée du maire est accablée, certains envisagent même de démissionner sans attendre l’échéance de 1989.

Une élection n’est jamais faite d’avance

Je prends la parole et je tiens à cette assemblée une analyse qu’aucun n’est prêt à entendre : une élection nationale n’est pas une élection locale. Pierre Mazeaud a certes gagné le siège de député, grâce au soutien des partis de droite et du centre, le maire n’a pas fait un résultat honteux, et en 1989, on votera pour un maire et non pour une personnalité politique. Et, comme en 1983, je redis qu’au lieu de se lamenter et de faire la promotion du concurrent annoncé, il faut d’abord croire en soi et s’organiser pour gagner un an plus tard. Mais – je me garde bien de leur dire – je suis passé à autre chose depuis deux ans et je ne me vois pas dans le futur film.

Quelques mois plus tard, j’ai pris rendez-vous avec le maire, pour évoquer le sort de l’Ecole de musique locale dont on m’a pressé de prendre la présidence. Paul Neuraz ne peut s’empêcher d’évoquer la prochaine échéance, et me dit qu’il aurait besoin de moi. Je lui rappelle que je suis très pris par mon activité à la radio et que je me vois mal refaire une campagne. Mais il me propose d’être sur sa liste – il faut du sang neuf ! -. Je m’entends encore lui répondre : D’accord, mais pas pour faire de la figuration. Comme adjoint à la culture pourquoi pas, et à condition de renouveler de fond en comble la liste et la campagne.

En fait, l’enjeu m’excite. Comme prévu, les partis de la majorité d’alors vont soutenir et investir la liste de Pierre Mazeaud, constituée de bric et de broc (l’ancien député non réélu en 1986, d’anciens de la troisième liste de 1983), je reçois des injonctions de Bernard Bosson, le leader centriste du département, qui me prédit une déroute cuisante si je persiste à soutenir Paul Neuraz, a fortiori à faire partie de sa liste.

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En réalité, nous allons renverser la table. En prenant le contrepied de tous les usages électoraux.

Le slogan et l’affiche d’abord. Tous les concurrents, à commencer par Pierre Mazeaud, mettent en avant la tête de liste et les soutiens politiques. Je teste l’idée auprès de quelques proches. Notre liste aura pour titre et slogan : Tous pour Thonon. Qui pourrait être contre, dans une ville sportive, où quasi tous les citoyens sont les supporters du Thonon FC ? Cela évoque aussi une pub très fameuse à l’époque pour un produit laitier (« On se lève tous pour Danette« ). Et on fera une photo de groupe !

Dans l’ordonnancement de la liste, on met en avant les nouveaux noms – une bonne moitié de la liste sortante a été renouvelée. Les anciens regimbent, mais comprennent l’objectif.

Dans le journal électoral, même idée : surtout pas une liste de promesses, ni d’autocélébration de la tête de liste, mais, à la manière de Paris Match (les moyens en moins !), une série de photos et d’articles sur les membres de la liste, qui ils sont, ce qu’ils représentent dans leur quartier, leur vie professionnelle, leurs propositions concrètes pour améliorer la vie dans la cité. Le journal a un succès sans précédent lors d’une consultation électorale, tout le monde a lu les anecdotes, vu les photos… C’est bien une équipe qu’on va élire, avec des visages familiers, pas des notables, des apparatchiks.

Le reste je l’ai raconté ici : UDF et RPR sont furieux, Bernard Bosson me menace de toutes sortes de représailles et de conséquences funestes si nous persistons à faire équipe avec le Maire sortant, et donc contre le candidat investi par les partis de la majorité, le député Mazeaud. Ce dernier, avec qui j’aurai toujours un contact franc et direct, me dira, au beau milieu de la campagne municipale, et devant témoins : « De toute façon, vous allez gagner, vous faites une excellente campagne, moi je suis plombé par la bande de branquignols (sic) qu’on m’a imposés« . Au soir du 1er tour, la liste du maire sortant (renouvelée à 50 %) obtient 41% des voix, celle de P.Mazeaud soutenue par les états-majors parisiens et départementaux, fait péniblement 19%. Grand prince – ou dépité – Mazeaud refuse toute idée de fusion de sa liste avec celle du maire. J’aurai la maigre satisfaction de recevoir un message de félicitations de Bernard Bosson pour notre « brillante réussite ».

De nouveau, la preuve est faite que les élections ne sont jamais jouées d’avance, et qu’un scrutin national (législatives) n’a pas toujours d’effet sur un scrutin local (municipales).

A l’issue de ce scrutin, je serai bien élu Adjoint au Maire, chargé de la culture, de la jeunesse et de la vie associative, une fonction qui m’aura profondément passionné de 1989 à 1995.

1473-capture-d-ecran-2019-11-14-a-17.18.54(J’eus à présider la Maison des Arts et Loisirs, l’une des premières maisons de la Culture Malraux, devenue Théâtre Maurice Novarinadu nom du célèbre architecte thononais qui l’avait conçue, père de l’écrivain, homme de théâtre, Valère Novarina).

1995, une autre vie

Nouveau scrutin municipal en 1995, un mois après l’élection présidentielle remportée par Jacques Chirac. La donne a changé, pour l’équipe sortante comme pour moi.

J’ai longuement raconté le nouveau tour qu’a pris ma vie professionnelle en 1993 (L’aventure France Musique). Me revient un souvenir émouvant : lorsque j’ai confirmation que je vais bien partir pour France Musique, je rencontre aussitôt le maire de Thonon pour l’informer de ce changement important de situation, et voir avec lui comment il envisage que je poursuive ou non ma mission à Thonon.

Paul Neuraz était un homme athlétique, grand, massif, qui en imposait mais cachait bien ses humeurs et ses sentiments derrière une moustache qui frisait pour un bon mot. Un grand pudique. Lorsque je lui eus annoncé la nouvelle de ma promotion professionnelle, il m’en félicita d’abord chaleureusement, puis je le vis ses yeux s’embuer  et l’entendis me dire à mi-voix : Bravo pour toi, mais dommage pour la suite. C’est toi qui devais reprendre le flambeau, la mairie, mais aussi la députation. Tu es jeune (j’avais 37 ans à l’époque) tu es le meilleur élément de l’équipe, moi j’ai fait mon temps… » Jamais depuis que nous formions l’équipe de la municipalité nous n’avions eu pareille discussion, je savais que le maire me faisait confiance dans les dossiers épineux que j’avais eu à traiter dès mon entrée en fonction. J’avoue que j’étais interloqué..

Il me fit promettre d’accomplir mon mandat jusqu’au bout, quitte à aménager les réunions de municipalité pour qu’elles soient compatibles avec mon agenda parisien.

Quand arriva le temps de la campagne de 1995, le contexte politique avait changé, les appétits s’étaient aiguisés, l’image du maire sortant après 15 ans de mandat était écornée. Pourtant j’acceptai de figurer en numéro 3 sur sa liste, à sa demande, et soutenu par les plus jeunes de mes collègues conseillers municipaux sortants. Je pris congé pour faire campagne, mais le coeur n’y était plus comme en 1989. Les résultats du premier tour plaçaient certes en tête la liste sortante, mais venaient ensuite, dans un mouchoir, une liste conduite par un apparatchik giscardien, un avocat centriste qui voyait plus grand que la commune voisine d’Allinges dont il était le maire, une liste socialiste. Les quatre listes pouvaient se maintenir au second tour.

Le maire sortant, se sentant désavoué, fit savoir qu’il était prêt à laisser la tête de liste à son second, un assureur bien implanté, adjoint sortant aux Finances, si cela pouvait permettre une fusion avec une ou l’autre listes. Je fus sollicité par les socialistes et les centristes, qui mettaient comme conditions que je prenne moi la tête d’une éventuelle liste fusionnée et que l’assureur en question s’en retire… Avec le recul, je pense que si j’avais dit oui et que je m’étais prêté à ces négociations et combinaisons, j’aurais eu une chance de l’emporter.

Mais j’avais fait un choix de vie, un choix professionnel, qui n’étaient pas compatibles avec une « carrière » politique locale.

Au second tour, avec quelques voix d’avance, la liste de celui qui allait être le maire de Thonon pendant… 25 ans, l’emporta à la surprise générale. Je me retrouvai élu conseiller municipal dans l’opposition…. et très souvent conseiller de mon successeur, un ami, au poste d’adjoint à la culture! Le nouveau maire eut la délicatesse de ne jamais m’attaquer sur mon bilan et, à plusieurs occasions, de reconnaître qu’il n’avait pas mieux à proposer que ce qui avait été fait sur le plan culturel…  En janvier 1999, j’abandonnai mon siège de conseiller municipal, par manque de temps et de disponibilité, et pour qu’un de mes colistiers prenne la suite. Malheureusement, cet ami cher, ce compagnon de tant d’aventures amicales et municipales – c’était l’une des nouvelles figures qui m’avaient suivi sur la liste de 1989 – devait mourir d’une crise cardiaque un mois plus tard après que nous eûmes passé une fabuleuse journée à dévaler les pistes d’Avoriaz…

2020, quelles perspectives ?

Depuis 1995, j’ai plusieurs fois eu la tentation de reprendre une activité élective. Parce que j’ai depuis toujours la passion de la politique, conçue comme le service de la cité, le service des citoyens. Je m’en étais ouvert une fois au Bourgmestre (maire) de Liège, mais ce ne fut qu’une hypothèse vite refermée, ma fonction d’alors de directeur d’une entreprise culturelle étant évidemment incompatible avec un mandat électif. À Thonon, les amis que j’y ai gardés m’en ont aussi reparlé. Mais les temps ont changé, et on ne construit pas l’avenir dans les pas du passé.

En fin de compte, je n’ai jamais cessé de faire de la politique, dans les postes que j’ai eu la chance d’occuper et que j’occupe encore. Diriger un festival qui non seulement prône l’accès de tous à la culture, mais met en oeuvre cet idéal à l’échelle de toute une région, affirmer et faire en sorte que la musique aille partout où elle peut aller, où elle est attendue, c’est bien une autre manière de faire de la politique.

Que donneront les élections du 15 et du 22 mars prochains ? Je suis évidemment de très près les campagnes dans quelques villes où j’ai des attaches, Thonon-les-Bains bien sûr, Paris évidemment, Montpellier, et quelques autres encore.

IMG_7370(Les couleurs de l’automne dernier à Montpellier).

Bien malin qui pourrait faire un pronostic dans les trois villes que j’ai citées… et dans bien d’autres. L’éclatement de l’offre politique, le nombre de listes en concurrence, la perte des repères traditionnels – cause et conséquence des élections présidentielle et législative de 2017 – rendent les résultats plus qu’incertains. Les sondages ? cela fait des années qu’ils sont régulièrement démentis ou corrigés par les élections. Le suspense est entier…

PS Un jour sans doute je raconterai les moments forts de mon mandat à Thonon-les-Bains, l’une des plus belles expériences humaines et civiques qu’il m’ait été donné de vivre.