Des morts vivants, Chéreau, Rorem etc.

Les Amandiers

Il y a un mois j’avais beaucoup aimé son film L’Innocent. Louis Garrel est de retour, et pas dans n’importe quel rôle, dans le film de Valeria Bruni-Tedeschi, Les Amandiers, il y incarne Patrice Chéreau, qui fut le directeur de ce théâtre, devenu mythique, de Nanterre.

J’ai beaucoup aimé, l’histoire, la réalisation, les acteurs et actrices. Comme le journaliste qui interroge ici Valeria Bruni-Tedeschi :

« Patrice Chéreau est le plus vivant de tous les morts« 

Ce film montre avec tant de justesse les élans, les espoirs, les douleurs de cette bande de jeunes apprentis acteurs, n’évite aucun des chocs de l’époque, la drogue, le SIDA. On a plus d’une fois été ému, sinon bouleversé. Les interprètes sont tous formidables, y compris les filles et fils de…Mention particulière pour celle qui est censée représenter VBT, Nadia Tereszkiewicz, et peut-être surtout Sofiane Bennacer, dans sa descente aux enfers. Je n’ai pas arrêté de penser à Patrick Dewaere… Evidemment Louis Garrel est plus Chéreau que nature jusque dans les attitudes, les tics, le langage ! Ne pas oublier celui qui fut son adjoint comme directeur de l’école de théâtre des Amandiers, Pierre Romans, ici incarné par Micha Lescot, emporté par le SIDA à 39 ans.

Allez voir ce film, vraiment !

Presque centenaire

Il y a fort à parier que, si Renaud Machart n’avait pas contribué à le faire connaître en France, notamment en traduisant l’un de ses Diaries, le nom de Ned Rorem (1923-2022) serait resté quasi inconnu.

« Un matin de mai 1949, un jeune Américain à la beauté ravageuse débarque au Havre. Comme beaucoup de jeunes gens de sa génération venus d’outre-Atlantique, le compositeur et écrivain Ned Rorem ne compte passer en France que quelques mois. Il y restera jusqu’en 1955. Ce sont ces années que retracent ce Journal parisien, un texte fameux aux Etats-Unis, qui, depuis sa parution, en 1966, n’avait jamais été encore traduit en français. Le Journal parisien fit scandale par la liberté de ton de son auteur, son insolence et sa cruauté, et par des indiscrétions qui ne furent pas appréciées de tous. Ned Rorem fait très vite la connaissance de Marie Laure de Noailles, qui deviendra sa plus sure alliée et sa plus chère amie à Paris. Elle le prendra sous son aile et le présentera au Tout-Paris artistique. Eberlué et crâne, séduit mais méfiant, le jeune compositeur fréquente Francis Poulenc, Salvador Dali, Georges Auric, Henri Sauguet, Jean Cocteau, Julien Green, Pablo Picasso, Julius Katchen, Paul Eluard, Pierre Boulez, Alice Toklas et la colonie américaine de Paris. Des années partagées entre le travail, la boisson, la rencontre de jeunes hommes ; la France, le Maroc (mais aussi l’Angleterre et l’Allemagne d’après guerre) ; l’amour, le désespoir. Le tout noté au fil d’une plume d’une redoutable précision de trait » (Présentation de l’éditeur)

Le compositeur américain est mort à New York ce samedi à l’âge respectable de 99 ans.

Quelques repères discographiques pour se faire au moins une petite idée de ce que Ned Rorem a représenté dans la musique du XXème siècle.

Les larmes de Leila K.

Il serait sans doute resté inconnu du grand public, si l’excellente Leila Kaddour – qui présente le journal télévisé de France 2 le samedi et le dimanche midi – n’avait pu retenir son émotion en annonçant sa mort.

Je ne connaissais pas personnellement, je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec lui, mais la brutale disparition de Pascal Josèphe, à 68 ans, a rappelé l’importance de celles et ceux qui, dans l’ombre, font vivre la télévision, et c’est tout aussi vrai pour la radio, les médias en général, les structures culturelles. Il y a ceux qui sont dans la lumière – Pascal Josèphe l’avait tenté, en se présentant à la présidence de France Télévisions en 2015 – et ceux, il en était, qui créent, donnent leur chance, promeuvent, innovent. C’est pour cela que sa mort bouleverse autant de monde…

Journal 15/09/19

Au fil des années – j’ai commencé mon premier blog en janvier 2007 ! – ce blog a perdu de son caractère de journal, pas nécessairement intime, et donc une certaine spontanéité dans la réaction aux événements et à l’actualité.

Sans doute parce qu’à quelques occasions on m’a fait observer que liberté de ton et spontanéité n’étaient pas compatibles avec mes fonctions professionnelles.

Compatible ?

Je me rappelle – il y a prescription – ainsi un papier il y a une bonne dizaine d’années intitulé « Lamentable » où je dénonçais l’attitude du tout puissant patron d’une entreprise publique de Liège à l’égard des salariés et des syndicats de ladite entreprise, patron par ailleurs étiqueté socialiste. Un journaliste avait repris certains termes de ce billet qui s’étaient retrouvés dans Le Vif/L’Express. Le jour de la parution de l’hebdomadaire j’avais eu plusieurs réunions à Bruxelles, sur la route du retour dans ma voiture s’affichaient plusieurs appels manqués et messages… Mes propos n’avaient pas plu et on me demandait, plus ou moins aimablement, de m’en expliquer. Sans rien en renier, j’en fus quitte pour mettre une sourdine à ce genre de réactions d’humeur.

Je vais donc reprendre, à mon rythme et en fonction de l’actualité, le fil d’un journal de bord. En toute liberté.

Balkany

Ecrit ceci sur Facebook :

Je n’ai et n’ai jamais eu aucune espèce de sympathie pour le sieur Balkany et sa dame. Ils représentent à peu près tout ce que j’exècre en matière de comportement personnel et politique.
Mais le déchaînement de joie mauvaise qui a surgi dans les tous médias et sur tous les reseaux sociaux à l’annonce de son incarcération immédiate me révulse. Condamnés pour les mêmes faits et quasiment aux mêmes peines de prison que Balkany, les hautes figures morales que sont l’ancien ministre socialiste Cahuzac et l’ex-humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala non seulement n’ont pas « bénéficié » d’un infamant mandat de dépôt à l’audience, mais ont échappé à la case prison.
Quelqu’un veut bien m’expliquer ?

La même justice pour tous ? Voire.

Recyclage

J’ai failli me décourager. Pas aidé par les responsables de la collection, qui avaient fini par me recommander de me tourner vers Amazon ! Chez chacun de mes libraires habituels, impossible de trouver les trois ouvrages parus avant l’été sous l’égide de Via Appia. Jeudi à la FNAC Rennes, j’ai finalement trouvé In Memoriam

915+NAFDMFLComme c’est l’auteur lui-même qui signe la « présentation de l’éditeur », je ne me risque pas à le paraphraser ;

« Pendant plus de dix ans, Sylvain Fort a assuré sur Forumopera.com une garde dont personne ne voulait : celle d’embaumeur. Quand un chanteur d’opéra venait à s’éteindre et qu’il avait été cher à son coeur, c’est dans l’énergie de l’émotion qu’il lui rendait hommage. Dans les rédactions, pourtant, la terrible logique des  » viandes froides  » veut qu’on ait pour chaque artiste prêt à rejoindre son créateur un bel obituaire tout encarté de pourpre. Ces hommages, composés alors que la victime bat encore le pavé, rappellent les albums de Noël opportunément enregistrés au mois de juillet. C’est au contraire dans l’immédiat silence de la disparition que Sylvain Fort composa le catafalque de ceux qu’il admira depuis sa plus tendre jeunesse. Ainsi, In Memoriam n’est pas un recueil d’hommages raisonnés, c’est le témoignage d’un mélomane épouvanté de voir glisser ses idoles dans un silence définitif.

Lecture agréable, une fois qu’on a intégré le style volontiers lyrique de celui qui fut la plume inspirée d’Emmanuel Macron pour certains des grands discours « mémoriels » du président de la République. On y reviendra. Défilent Bergonzi, Schwarzkopf, Fischer-Dieskau, Jurinac, et d’autres moins attendus.

Ode à la famille

Olivia de Lamberterie est le visage aimable et gourmand de la critique littéraire dans Télématin sur France 2 et la voix qui ne paraît jamais à court d’enthousiasmes du Masque et la Plume sur France Inter.

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Quand, il y a un an, elle a publié son premier livre, j’ai pensé qu’elle succombait à son tour à la tentation de la notoriété.

La présentation qu’elle en faisait me semblait habile, mais pas indispensable :

Les mots des autres m’ont nourrie, portée, infusé leur énergie et leurs émotions. Jusqu’à la mort de mon frère, le 14 octobre 2015 à Montréal, je ne voyais pas la nécessité d’écrire. Le suicide d’Alex m’a transpercée de chagrin, m’a mise aussi dans une colère folle. Parce qu’un suicide, c’est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux.
Moi, je ne voulais pas me taire.
Alex était un être flamboyant, il a eu une existence belle, pleine, passionnante, aimante et aimée. Il s’est battu contre la mélancolie, elle a gagné. Raconter son courage, dire le bonheur que j’ai eu de l’avoir comme frère, m’a semblé vital. Je ne voulais ni faire mon deuil ni céder à la désolation. Je désirais inventer une manière joyeuse d’être triste.

Et j’ai acheté ce livre, dans son édition de poche. Pressentais-je que j’allais aimer cette histoire, la sienne, parce qu’elle évoque la famille, la vie de famille, telle que j’ai cessé de la connaître à la mort de mon père (Dernière demeure). Sans toujours en avoir eu conscience, je me suis souvent attaché à des ouvrages, romans ou récits, qui convoquent la figure du père, aimé ou honni, présent ou absent.

Olivia de Lamberterie dépasse la tragédie de la mort de son frère pour dire, d’une plume pudique et légère, enjouée et tendre, jamais exhibitionniste ni racoleuse, les joies multiples de la famille. Ce livre m’a fait un bien fou, c’est déjà ça !

Bruckner à Vienne

Pendant que je lisais Sylvain Fort, j’écoutais un compositeur dont je crois savoir qu’il le déteste ! Sur Idagio, avec une qualité de son, une définition exceptionnelles, je retrouvais, regroupées dans un coffret Decca/Eloquence, des versions des symphonies de Bruckner que je connaissais, isolées, qui ont pour point commun l’Orchestre philharmonique de Vienne. 

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Il faudra que j’y consacre un billet spécifique.

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Claudio Abbado (1), Horst Stein (2,6), Karl Böhm (3,4), Lorin Maazel (5), Georg Solti (7,8) et Zubin Mehta (9) se partagent le travail. Réussites inégales, mais comparaison passionnante.

 

Brouillons de culture

Un titre accrocheur, une quatrième de couverture bien tournée. Et comme le sujet est quasiment absent de cette campagne présidentielle, j’achète et je commence à lire. Jusqu’à ce que je comprenne qu’il s’agit d’un bouquin à charge exclusive contre le quinquennat finissant, venant d’un représentant d’une droite la plus conservatrice et étriquée qui soit. Normal, diront ceux qui s’arrêtent aux clichés, qu’attendre d’autre d’un élu de Versailles ?

Et pourtant d’accord sur un point avec lui : « Sans véritable ambition culturelle, toute entreprise de réforme de la société française et de lutte contre la violence, y compris terroriste, est promise à l’échec »

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Se tourner vers le dernier opus de Christiane Taubira ? Au moins la langue ne me décevra pas…

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Céder à la facilité, en tout cas au plaisir d’une lecture rapide, avec ce faux roman à clés dont on a entendu grand bien ?

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Décembre 2016. Trente ans après s’être perdus de vue, deux anciens camarades d’études se retrouvent à l’occasion d’une émission de télévision. La fille en noir  est écrivain, Guillaume Fronsac un marquis de l’aristocratie d’État devenu banquier d’affaires.
De 17h à minuit, au cœur d’un Paris hanté par le terrorisme mais où la beauté de l’histoire française se révèle à chaque pas, ils vont se juger, se jauger, se confier, se séduire peut-être. À travers la confrontation de leurs existences, de leurs désirs, de leurs illusions perdues, se dessine le tableau d’un pays abimé par l’oubli de sa grandeur littéraire, enkysté dans la décomposition politique et le cynisme de son oligarchie. Comment échapper au déclinisme et aux ruines mentales de la République des Lettres ? En allant jusqu’au bout de la nuit (
Présentation de l’éditeur)

On se doute que toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé n’est nullement fortuite !

Et puis, cette fois sans risque d’être déçu, retrouver une plume coruscante, acerbe, virtuose, et chaque jour, à petite dose, feuilleter ce journal de Matthieu Galeyréédité intégralement.

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Pour la politique culturelle on repassera…

Guerre des étoiles

Le Monde daté de ce jour, donnait un titre un peu excessif – La guerre des étoiles à l’Opéra de Paris – à un sujet qui agitait le microcosme culturel et médiatique depuis le début de la semaine, et dont le dénouement n’a été connu qu’hier après-midi (après la publication de l’article de Rosita Boisseau) : http://www.lemonde.fr/culture/article/2016/02/05/aurelie-dupont-le-retour-du-classique_4859805_3246.html?xtmc=millepied&xtcr=2.

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Je n’ai aucun commentaire à faire sur ce qui, au regard de l’actualité du monde, peut apparaître comme une tempête dans un verre d’eau. Quand on a occupé des fonctions de responsabilité, a fortiori dans le monde de la culture, on ne peut pas se livrer à la surenchère de critiques ou de louanges qui pullulent sur les réseaux sociaux. Personne parmi ces « commentateurs » d’occasion ne connaît jamais les tenants et les aboutissants des décisions d’un « patron » d’entreprise culturelle ou médiatique. On est d’ailleurs toujours prompt, surtout en France, à voir partout la trace de complots, de luttes de clans, de l’influence de réseaux, pour expliquer telle ou telle nomination. C’est souvent, très souvent, beaucoup plus simple – ce qui ne veut pas nécessairement dire logique ou transparent ! -.

Une évidence s’impose toutefois : la direction, la gestion, d’abord humaine, d’un groupe d’artistes, d’une entreprise culturelle, requièrent des qualités, une expérience, une vraie solidité personnelle, qui ne sont pas toujours celles de grands artistes.

Cet épisode a, du coup, largement effacé un anniversaire, fêté dans une relative discrétion, mais dans la chaleur de l’amitié : les 20 ans de MezzoLa petite chaîne devenue indispensable dans le paysage musical et médiatique mondial.

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C’était mercredi matin au Petit Palais, toute la profession était là, et des musiciens aussi : le quatuor Modigliani (sur la photo), Gautier Capuçon, et d’autres…

J’avoue que je n’imaginais pas un aussi beau développement lorsqu’en 1995 Jacques Chancel, fraichement débarqué de la direction de France 3, toujours en avance d’une idée, était venu me voir dans mon bureau de France Musique pour me parler de la création d’une nouvelle chaîne de télévision qui serait vouée à la musique classique. Ce n’est pas directement lui qui avait lancé l’idée mais il voulait mettre sa notoriété (le succès de son Grand Echiquier !) au service de ce projet. Le plus extraordinaire dans l’aventure de Mezzo est que le projet initial n’ait jamais été dénaturé, même si les programmes se sont enrichis et ouverts par exemple au jazz, et n’ait jamais pâti des vicissitudes de l’organisation de l’audiovisuel français.

Bon anniversaire et longue vie à Mezzo !

Le roi et le président

Suis-je définitivement déconnecté de la réalité ?  Si je revenais aujourd’hui d’un séjour d’un mois sur une île déserte, je trouverais à la une des journaux télévisés ou papier deux événements essentiels. La conférence mondiale sur le climat ? la lutte contre le terrorisme ? Non évidemment.

Il n’est question que du bond spectaculaire de popularité du président de la République française et du séjour balnéothérapeutique du roi des Belges. Pour être complet, juste après, l’affaire Benzema/Valbuena, et la percée du Front National aux élections régionales de dimanche (un détail sans doute)

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Si j’ai bien lu, Philippe et Mathilde de Belgique sont accusés d’avoir séjourné en Bretagne, sous un nom d’emprunt (mais celui qui a volé la photo et l’a vendue, sans doute pour un bon prix, est resté anonyme !) alors que le gouvernement belge allait décider de hausser le niveau d’alerte au maximum, le lendemain de l’arrivée du couple royal…

Si j’ai bien lu aussi, le roi – qui n’a aucun pouvoir de gouvernement – est rentré à Bruxelles dès que sa sécurité a pu être assurée, et, scandale absolu, il s’est abstenu d’apparaître dans les médias, respectant en cela les prérogatives du gouvernement fédéral.

De toute façon le débat était piégé d’avance : s’il était intervenu, les mêmes commentateurs n’auraient pas manqué de dénoncer cette entorse aux règles institutionnelles du Royaume. Aurait-il dû annuler son séjour breton ? sur la base de quelles informations ? et dans quel but ?

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Quant à François Hollande, selon Le Monde, il « conquiert » désormais la moitié des Français : « Bond de popularité pour le président de la République. La cote de François Hollande a augmenté de 22 points en un mois pour atteindre 50 % d’opinions positives, son meilleur score depuis juillet 2012, selon le tableau de bord IFOP/Fiducial pour Paris Match et Sud Radio réalisé après les attentats du 13 novembre et publié mardi 1er décembre » . À la toute fin de l’article, en tout petit, on lit ceci : Enquête réalisée par téléphone du 27 au 28 novembre 2015, sur un échantillon de 983 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas.

J’ai tout de même entendu un journaliste dire qu’il n’était peut-être pas très « décent » de gloser sur les raisons de ce rebond.

Ah oui, il y a aussi ce curé de l’Ariège qui a piqué l’argent de ses paroissiens (on dirait un scénario pour Jean-Pierre Mocky) et un reportage sur place. Et puis l’attente impatiente des révélations que doit faire aujourd’hui le maître à penser du sport français, Karim Benzema…

Un mardi presque idéal en somme !

 

Des livres pour rentrer

D’habitude je me tiens à distance des critiques et conseils en matière de livres, même si j’aime le genre de la critique littéraire, à condition que la plume soit virtuose, acérée, brillante.

Comme celle de Jacques Drillon (dans L’Obs) : http://bibliobs.nouvelobs.com/romans/20150821.OBS4505/christine-angot-monumentale-platitude.html.

Il écrit mieux que je ne saurais le faire ce que je pense depuis longtemps. Je n’ai jamais compris l’engouement pour cette dame…

Mais on peut changer d’avis. La preuve, je vais sans doute lire le dernier-né d’Amélie Nothomb, Le Crime du comte Neville, pas pour les qualités littéraires, mais en raison du sujet : un faux roman policier mais une vraie étude de moeurs de la vieille aristocratie belge que j’ai parfois approchée – comme le propre père d’Amélie, l’ambassadeur Patrick Nothomb – durant mes années belges. Le roi Philippe ignorait certainement le sujet de ce livre lorsqu’il a fait – à l’occasion de la fête nationale du 21 juillet – d’Amélie Nothomb une nouvelle baronne !

En revanche, je n’ai pas attendu l’avalanche d’articles qui lui a été consacrée pour me jeter sur le dernier Binet. Je ne sais pas si c’est de la vraie littérature, si c’est un authentique écrivain, si on doit le classer dans telle ou telle catégorie, mais Laurent Binet me plaît et j’ai littéralement dévoré son dernier roman : La septième fonction du langage

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Présentation de l’éditeur : Le point de départ de ce roman est la mort de Roland Barthes, renversé par une camionnette de blanchisserie le 25 février 1980. L’hypothèse est qu’il s’agit d’un assassinat. Dans les milieux intellectuels et politiques de l’époque, tout le monde est suspect…

Extraits des commentaire de deux lecteurs :

« L’idée de supposer que l’accident de voiture dont Roland Barthes fut victime était un assassinat est loufoque mais amusante, et elle offre à l’auteur l’occasion de rappeler la vigueur de la vie intellectuelle parisienne en 1980. On rit souvent devant ce scenario qui arrive à relier plusieurs faits-divers de l’époque et qui met en scène un petit monde politique et germanopratin caricaturé à l’extrême… »

« Michel Foucault, Björn Borg, Valéry Giscard d’Estaing ont en commun de figurer dans La septième fonction du langage. Mais ce ne sont pas les seules vedettes de ce roman aussi rocambolesque qu’hilarant qui prend pour point de départ la mort « accidentelle » de Roland Barthes au sortir d’un déjeuner avec le candidat à la présidence de la République, François Mitterrand. Et si c’était un meurtre ? A partir de là, la machine romanesque de Laurent Binet se met en marche et tout s’emballe. L’auteur passe au tamis burlesque toute la fine fleur des intellectuels de l’époque, de Derrida à BHL en passant par Sollers, Kristeva et Althusser, sans oublier d’inviter Umberto Eco à la fête ainsi que les figures politiques de l’époque. C’est un bouquin d’aventures abracadabrantes dont la matière première est le langage dont Binet explique les théories absconses façon La sémiologie pour les nuls, avec une virtuosité imparable……Tout cela sans transition dans un exercice périlleux mais jubilatoire de grand foutoir narratif où des tueurs bulgares à parapluie et des membres des Brigades rouges viennent semer la pagaille…. »(Source : http://www.amazon.fr/La-septième-fonction-langage-roman/dp/2246776015/ref=cm_cr_pr_pdt_img_top?ie=UTF8)

C’est en tous points le sentiment que j’éprouve après cette lecture palpitante et épuisante : digressions permanentes, embardées historiques, satire délirante d’un milieu intellectuel à son apogée. Jouissif ! Et accessoirement la remise en perspective de mes années de jeunesse, ma première période parisienne, je fréquentais alors quelques amis de Roland Barthes. Nostalgie aussi d’un foisonnement intellectuel qui s’est éteint à petit feu avec la disparition ou le retrait de tous les personnages convoqués par Laurent Binet dans ce vrai-faux roman des années 80.

Rappel enfin de trois livres qui ont parcouru mon été et qui, pour le dernier, a pour cadre les lieux mêmes où Barthes officiait et a trouvé la mort, la rue des Ecoles, le Collège de France, la brasserie Balzar, la Sorbonne… Qualité d’écriture, finesse du récit, évocation tendre et aimante du mitan des années 60 et des figures de Robert Bresson, Jean-Luc Godard, du grand-père François Mauriac, Mai 68. Anne Wiazemsky sait écrire !

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Vox Facebooki

« Le sophiste moderne se présente comme celui qui est porteur d’une opinion sur toute chose…il refuse d’exposer son avis à la critique, comme le veut initialement Platon, mais excelle dans l’art de parler de tout et de n’importe quoi dans les médias de masse« 

« Il faudrait pouvoir débattre de ce qu’est une véritable opinion…J’appellerai cela la tâche d’un nouveau journalisme dont notre époque a cruellement besoin. J’entends par là un journalisme plus rigoureux, plus instruit, plus documenté, qui cesse de tomber dans la facilité consistant à parler pour ne rien dire. Aujourd’hui n’importe quel événement est immédiatement structuré par l’opinion dominante« 

Ces propos du philosophe Alain Badiou, extraits d’un long entretien publié par L’Obs du 16 juillet dernier, pourraient tout aussi bien s’appliquer à ce qui est en train de supplanter les « médias de masse » auxquels il fait référence : les réseaux sociaux, et Facebook en particulier.

Précisons d’abord qu’on est un usager, un adepte même de Facebook, et qu’on ne fera pas partie de ceux qui brûlent ce qu’ils ont adoré. Et que la liberté d’expression, même dans ses pires outrances, reste la mère des libertés.

On n’en est que plus à l’aise pour rappeler deux ou trois choses :

– Lors d’un remarquable débat des Rencontres de Pétrarque (dans le cadre du Festival de Radio France Montpellier Languedoc-Roussillon), la Garde des Sceaux Christiane Taubira et l’ancien juge antiterroriste Gilbert Thiel, interrogés sur les menaces sur nos libertés que comporterait la dernière loi dite « renseignement » votée par le Parlement – et depuis lors validée pour l’essentiel par le Conseil Constitutionnel – avaient répondu que nous donnons de nous-mêmes mille fois plus d’informations aux Big Brothers que sont Google, Facebook, Apple, Amazon etc. que tout ce que les services de renseignement pourraient collecter sur nous. On est effaré de voir ce que des proches, des « amis », livrent sans retenue ni discernement sur leurs pages ou profils Facebook…et qui, dans un même mouvement, entament le grand air des libertés bafouées par les lois gouvernementales ! –

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(Gilbert Thiel avait promis à sa femme une photo avec Christiane Taubira..)

Facebook, comme d’autres réseaux, a contribué à recréer du lien entre des gens que la géographie, les circonstances, ont éloignés, des familles éparpillées, a même suscité des rencontres, des « amitiés » qui, même virtuelles, peuvent être aussi puissantes que des réelles. C’est la première raison du succès mondial du réseau fondé par Mark Zuckerberg. Et c’est bien ainsi ! Mais comme la musique enregistrée n’a jamais remplacé le concert, Facebook n’est pas la vie réelle, et pourtant pour des millions d’adeptes, le virtuel est devenu la seule existence réelle. On n’a pas manqué de savantes dissertations sur le sujet,

– L’ « opinion dominante » dont parle Badiou est considérablement amplifiée sur Facebook.

Chacun peut émettre un avis, « commenter » un fait, une prise de position, une situation, et pense ainsi se retrouver au même niveau, à égalité des puissants, des faiseurs d’opinion. Le Président de la République, un ministre, un leader politique écrit quelque chose sur sa page Facebook, et tout un chacun peut déverser à loisir le plus souvent critiques et rancoeurs, voire insultes ou injures, en toute apparente impunité, exprimer, plus rarement, soutien et admiration. C’est l’essence même de la liberté.

On n’est pourtant jamais loin de la manipulation (cf. les Big Brothers dont on parlait plus haut). Les grands groupes de médias ont parfaitement compris le bénéfice qu’ils peuvent retirer d’une présence massive et très active sur les réseaux sociaux, Et pas nécessairement dans l’intérêt de l’internaute : même les titres les plus prestigieux ne dédaignent pas de se livrer à la course au titre le plus racoleur, à la diffusion de photos ou de vidéos qui font scandale. Certains sont depuis longtemps descendus sous le niveau du caniveau ou de l’égout.

Rendez-vous compte, Florence Foresti, oui l’humoriste, la rigolote, n’est vraiment pas sympa dans la vraie vie, la preuve sa prestation récente à Ramatuelle ! Et c’est forcément vrai puisque c’est écrit sur Facebook et que cela émane d’un titre de presse réputé sérieux. Mais le pire n’est pas « l’info » elle-même, c’est la cohorte innombrable de « commentaires » qu’elle suscite, le défoulement collectif, et cet effrayant sentiment de meute inculte, incapable d’un minimum de recul critique…. tout ce que dénonce Alain Badiou, on y revient. –

-La ‘liberté » qu’offre Facebook est donc très largement une illusion. Beaucoup ont abandonné le réseau ou ont été tentés de le faire. Cela n’a pas été mon cas, pour une raison bien précise – et c’est la vertu très positive d’un réseau social : c’est devenu un outil de travail professionnel. L’essentiel de mes « amis » Facebook est constitué d’abord d’amis réels, et surtout de musiciens et de professionnels de la musique et des médias.

J’éprouve un réel plaisir doublé d’un intérêt professionnel à suivre les activités, les concerts, les voyages, de mes amis musiciens, à participer parfois à leurs débats sur des répertoires, des oeuvres, des salles de concert, etc. Je pourrais citer le nombre de rendez-vous, de rencontres fixés au dernier moment, sans passer par les secrétariats, les agents, grâce à Facebook. Ou de concerts, de représentations que j’aurais oubliés ou manqués.

La limite entre attachement et addiction ? C’est de choisir librement quand, où et comment on se connecte et ce qu’on diffuse et à qui. Ce n’est pas demain que je renoncerai à mon indépendance et à ma liberté.