Strauss au diapason

#JohannStrauss200

Le lecteur pensera sans doute que ma Straussmania tourne à l’obsession. Non content des trois articles consacrés au roi de la valse il y a un mois, pour célébrer le bicentenaire de sa naissance (lire Un bouquet de Strauss I, II et III), sans compter ceux qui les ont précédés sur ce blog, je reviens à Johann Strauss parce que Diapason lui consacre sa une et un dossier très complet dans son numéro de décembre.

On sait mes réserves sur la plupart des ouvrages jusqu’alors consacrés en français à celui que Diapason nomme justement « L’empereur de la valse« . Aucune réserve à faire, et bien au contraire de vives félicitations à décerner à l’auteure du dossier, Christine Mondon, qui est aussi celle d’un ouvrage qui m’avait complètement échappé, lors de sa parution en 2011, sur Johann Strauss ; la musique et l’esprit viennois,

Des félicitations aussi – mais il n’en a que faire venant d’un ami de longue date ! – à Ivan Alexandre, dont je connais la culture encyclopédique, mais dont j’ignorais les affinités électives avec la musique viennoise et singulièrement avec la discographie de la dynastie Strauss. Son « menu en quinze services » sur « les enregistrements qui ont fait de Johann Straus un roi du disque »‘ est une manière de perfection. J’y découvre même des choses, en CD ou en DVD, que je ne connaissais pas, je ne suis pas toujours d’accord avec certains jugements, qui laissent accroire ce qu’une partie de la critique française a toujours pensé de Willi Boskovsky (« Il ne fait aucun effort. On ne sait même s’il entraîne ou s’il suit. Confiance, nonchalance, c’était donc cela l’orchestre, une fratrie gaillarde qui parle si distinctement sa langue qu’il n’y prend plus garde« ). Sur la totalité des enregistrements laissés par l’ex-Konzertmeister devenu le chef du Nouvel an des Wiener Philharmoniker (lire Wiener Blut) il y a forcément du bon et du moins bon. Mais pour l’avoir beaucoup écouté et beaucoup comparé à beaucoup d’autres, je tiens que Boskovsky reste une référence, et parfois un modèle, dans l’exécution des oeuvres de Johann Strauss (lire Aimer, boire et chanter)

On pourra être surpris de trouver parmi les quinze « services » sélectionnés par Ivan Alexandre un paragraphe intitulé Plébiscite et consacré à… André Rieu ! Longtemps voisin (à Liège) du violoniste originaire de Maastricht – où il offre chaque année une grande soirée sur la grande place du Vrijthof – je n’ai jamais éprouvé pour lui le « mépris de la profession et de la critique » (I.A.A.). Il joue pour un public qui ne vient pas et ne viendra jamais au concert classique. C’est un médiocre violoniste mais un formidable businessman, comme l’étaient Johann Strauss père et fils, à la considérable différence près que les Viennois étaient de grands musiciens et d’excellents compositeurs.

Pour le plaisir

Pour compléter autant le dossier de Diapason que mes précédents articles, et juste pour le plaisir, quelques transcriptions parfois inattendues de valses et polkas de Strauss, tirées de ma disocthèque

Edith Farnadi dans une transcription de la Schatz Walzer due au pianiste et compositeur Ernö Dohnanyi, grand père du chef récemment disparu Christoph von Dohnányi.

L’incontournable Shura Cherkassky est comme chez lui dans les arabesques de Godowsky sur Wein, Weib und Gesang

Georges Cziffra n’était pas en reste avec ses propres broderies

On sait que Chostakovitch, dans sa jeunesse, s’est beaucoup amusé à transcrire et arranger (son Tahiti Trot est presque devenu plus célèbre que la mélodie originale – Tea for Two – de Vincent Youmans). A ma connaissance le Russe n’a fait qu’une seule incursion dans l’oeuvre du roi de la Valse.

Et bien sûr, il y a ces chefs-d’oeuvre que sont les transcriptions de Schoenberg, Webern et Berg des grandes valses de leurs aînés.

On se réjouit de retrouver très bientôt la totalité des enregistrements des Boston Chamber Players.

Et toujours mes brèves de blog !

Anti-déprime

L’automne, c’est chaque année ce spectacle dans mon jardin et alentour.

J’y suis rarement sujet, mais je peux concevoir que cette période soit synonyme de déprime saisonnière pour beaucoup. Le soleil manque, la nuit tombe tôt, surtout depuis le passage à l’heure d’hiver.

Je me suis donc abstenu de revoir le film de Visconti, Mort à Venise (1971), dont on a reparlé ces derniers jours à l’occasion de la disparition de Björn Andrésen, l’inoubliable Tadzio qui fascinait le vieux Gustav von Aschenbach incarné par Dirk Bogarde. Je n’avais pas compris grand chose lorsque j’avais vu le film à sa sortie dans un cinéma de Poitiers, mais la révélation pour l’adolescent que j’étais comme pour beaucoup d’autres, avait été la musique de Mahler et ce disque opportunément publié par Deutsche Grammophon.

Je découvrais aussi par la même occasion le chef d’orchestre Rafael Kubelik, que j’aurais la chance de voir en concert quelques années plus tard diriger la Neuvième symphonie de Mahler à la tête de l’Orchestre de Paris dans l’horrible salle du Palais des Congrès porte Maillot.

Diva anti-diva

On sait l’affection, l’admiration que j’ai pour Véronique Gens, qui fut la formidable Maréchale d’un Chevalier à la rose que j’avais particulièrement aimé au théâtre des Champs-Elysées et chroniqué pour Bachtrack. Son nouveau disque ne pouvait manquer de titiller ma curiosité.

Comme on peut s’en douter avec une publication initiée par le Palazzetto Bru Zane, il y a plus de raretés, voire d’inédits, que de « tubes », et c’est ce qui fait tout l’intérêt de ce disque.

Un pianiste trop discret

Le moins qu’on puisse dire est que le pianiste d’origine russe, aujourd’hui installé à Londres, Evgueni Sudbin, n’encombre pas les salles de concert. On n’a pas même le souvenir de l’avoir déjà entendu en France. J’en suis donc réduit à collectionner ses disques. J’ai récemment profité d’un déstockage sur jpc.de pour acheter ces deux-là :

J’avais déjà dans ma discothèque ses Haydn et Scarlatti, liste non exhaustive !

Hommage à Jodie

En ce jour des morts, souvenons-nous des vivants trop tôt arrachés à la vie, comme notre si belle Jodie Devos (lire Jodie dans les étoiles). Alpha a la bonne idée d’un coffret hommage qui est une belle récapitulation des enthousiasmes et des audaces de la chanteuse disparue le 16 juin 2024.

Elle aussi avait gravé quelques raretés d’Offenbach, et avec quel panache !

Le juif Strauss*

Sur le bicentenaire de la naissance de Johann Strauss (1825-1899) je renvoie au bouquet d’articles que je lui ai consacrés le 25 octobre. J’ai souvent déploré le peu d’ouvrages sérieux en français sur la famille Strauss, m’en tenant à un ouvrage en anglais trouvé il y a quelques lustres chez Foyles à Londres – The Strauss Family – de Peter Kemp.

Et puis, en passant à la FNAC l’autre jour, je suis tombé sur le livre d’Hélène de Lauzun, que j’ai commencé à feuilleter avec un intérêt croissant. L’auteure, qui a déjà commis un ouvrage sur l’histoire de l’Autriche, évite les clichés, ne se hasarde à aucune analyse musicale, mais dresse un portrait passionnant d’un personnage infiniment plus complexe que l’apparence futile et légère que son nom évoque le plus souvent. : la vie de Johann Strauss est loin d’être un fleuve tranquille.

Quant au tropisme hongrois qui marque l »oeuvre de Johann et ses frères Josef et Eduard (cf. Le baron tzigane), il trouve peut-être ses racines dans les origines paternelles. L’arrière-grand-père des trois frères Strauss (donc le grand-père de Johann Strauss père) est un Juif hongrois, qui se convertit au catholicisme en s’installant à Vienne.

Et puis il y a ce film allemand dont j’ignorais l’existence – Johann Strauss, le roi sans couronne – qui n’est peut-être pas un chef-d’oeuvre mais qui peut se regarder, avec des acteurs inattendus, Mathieu Carrière dans le rôle d’Eduard Strauss, Philippe Nicaud en Offenbach, Mike Marshall en Eduard Hanslick jusqu’à Zsa-Zsa Gabor en baronne Amélie ! C’est aussi kitsch que la série des Sissi avec Romy Schneider, avec, dans le rôle de Johann Strauss, un bellâtre bien sûr irrésistible qui aurait tout de même dû être mieux coaché pour incarner un violoniste chef d’orchestre, Oliver Tobias.

*Pour ceux que ce titre choquerait, je fais, à dessein, référence au roman de Lion Feuchtwanger Le Juif Süss.

Et toujours humeurs et réactions dans mes brèves de blog

Un bouquet de Strauss (III) : entrez dans la danse !

#JohannStrauss200

Troisième et dernier volet de cette série consacrée à Johann Strauss, né le 25 octobre 1825 (lire Dix valses, Sang viennois) : il n’y a pas que des valses et des opérettes dans le corpus de près de 500 oeuvres qu’il a laissées.

Strauss l’influenceur

Aujourd’hui Johann Strauss pourrait être qualifié d’influenceur, au XIXe siècle il imitait un Franz Liszt qui, à son clavier, propageait, diffusait les oeuvres de ses contemporains (Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Wagner, Bellini, etc.). Avec son orchestre il arrangeait les thèmes à la mode, surtout des opéras : à son actif plus de 80 quadrilles. Je renvoie à l’article Le filon Strauss que j’avais consacré à cette part étonnante de l’oeuvre de Strauss.

Claudio Abbado, en 1988 à Vienne, avait déjà révélé ce quadrille sur des thèmes du Bal masqué de Verdi.

En marches

Le fils n’arrivera jamais à concurrencer le père Johann Strauss et sa célébrissime Marche de Radetzky. En revanche, certaines de ses marches sont plus exotiques que martiales

Sa Marche égyptienne est créée à Pavlovsk mais fait référence au creusement du canal de Suez en 1869 et sollicite doublement les musiciens de l’orchestre.

Créée elle aussi à Pavlovsk, la Marche persane exploite un exotisme de pacotille qui plaisait au public européen.

Auf’s Korn est la dernière composition de Johann Strauss pour le choeur d’hommes de Vienne (cf. Dix valses) à l’occasion d’un concours de tir fédéral (1898)

On ne l’entendra qu’une seule fois, en 2006, lors d’un concert de Nouvel an, sous la direction de Mariss Jansons… mais sans choeur !

Le mauvais Napoleon

En 1854, Johann Strauss écrit sa Napoleon Marsch. Mais rien à voir avec Napoleon Ier. L’oeuvre est dédiée à Napoleon III, dans le contexte de la guerre de Crimée imminente. Une seule prestation au concert de Nouvel an, en 2008, où Georges Prêtre court la poste. On en reste à l’unique version gravée par Karajan en 1981 ou à Boskovsky. YouTube devrait vraiment réviser ses illustrations de cette marche, qui montrent systématiquement des portraits de Napoleon Ier !

En 1853, avec sa Kaiser-Franz-Joseph-I.-Rettungs-Jubel-Marsch Strauss rend hommage à l’empereur François-Joseph qui a réchappé de peu à un coup de couteau asséné par un activiste hongrois le 18 février.

Nikolas Harnoncourt s’en donne à pleins tambours, le 1er janvier 2003

Polkas, csardas et galops

Champion toutes catégories pour les polkas de Johann Strauss (et celles de ses frères Josef et Eduard), Carlos Kleiber écrase le match en 1989 et 1992. En particulier dans ces polkas rapides, ce n’est pas le tempo qui compte, c’est le sentiment de vitesse et d’étourdissement que doit produire cette musique, et donc c’est au chef et à lui seul de le susciter.

Je n’ai pas beaucoup aimé l’unique concert de Nouvel an dirigé par Christian Thielemann en 2019, mais c’est le seul qui dans cette polka dont le titre est explicite – Im Sturmschritt / À toute allure – donne ce sentiment d’urgence

Une nouvelle fois, Claudio Abbado est l’homme de la situation dans cette furieuse Furioso Polka

Les galops étaient plutôt la spécialité de Johann Strauss père. Le fils en a laissé quelques-uns, le plus souvent tirés de ses opérettes :

Ballets et autres arrangements

Un seul ballet est à mettre à l’actif de Johann Strauss, et encore a-t-il été achevé et en grande partie orchestré par Josef Bayer : Aschenbrödel / Cendrillon. Honnêtement ce n’est pas un chef-d’oeuvre inoubliable, mais on pouvait se douter que le grand spécialiste du ballet, Richard Bonynge, en donnerait une version hautement recommandable.

On écoute aussi le ballet tiré de l’unique opéra de Johann Strauss, Le Chevalier Pázmán / Ritter Pázmán, qui n’est pas vraiment resté à la postérité.

Et puis il y a les arrangements de quelques chefs d’orchestre (comme la très célèbre Gaîté Parisienne composée par Manuel Rosenthal à partir d’airs plus ou moins connus d’Offenbach).

Ainsi Antal Doráti réalise-t-il pour un ballet de David Lichine et Alexandre Benois – Graduation Ball – un arrangement très réussi de thèmes piochés chez Johann Strauss. Il n’y a pas quantité de versions : Dorati bien sûr, Boskovsky, Fistoulari et…l’Australien Charles Mackerras tout à son affaire pour un ballet créé à Sydney en 1940.

Une dernière mention pour un ballet dont j’ai déjà parlé ici (Le Beau Danube parisien). C’est un autre Strauss, sans aucun rapport avec la dynastie viennoise, Paul Strauss, directeur musical de l’Orchestre philharmonique de Liège de 1967 à 1977 qui a laissé un disque de référence de ces « arrangements »

Pour les réactions et humeurs du jour : mes brèves de blog

Un bouquet de Strauss (II) : sang viennois

#JohannStrauss200

Le compositeur le plus écouté au monde, grâce au concert du Nouvel an diffusé chaque année en direct de Vienne, Johann Strauss, est né le 25 octobre 1825. Après une revue de valses, qu’en est-il de ses ouvrages lyriques, de ses opérettes, qu’il n’a composées que sur le tard, après avoir vu l’incroyable succès d’Offenbach à Vienne ?

Die Fledermaus / La Chauve-Souris

Je n’ai quasiment rien à changer à l’article que j’écrivais ici il y a une dizaine d’années : Revue de chauves-souris. Personne n’a jamais égalé la version si viennoise de Karajan en 1959

(Ackermann 1959, Böhm 1969, Boskovsky 1971, Danon 1963, Fricsay 1949, Haider, Harnoncourt, Karajan Vienne 1959, Karajan Philharmonia 1955, Carlos Kleiber, Krauss 1950)

Quatre versions en DVD, à commencer par celle de Carlos Kleiber qui dispose du meilleur Orlofsky qui soit, Brigitte Fassbaender, alors que la version CD est plombée par la présence ridicule d’Ivan Rebroff !

Quant à Rosalinde travestie en fausse comtesse hongroise, on craque toujours pour Gundula Janowitz (et la version Böhm en CD et DVD)

Der Zigeunerbaron / Le Baron tzigane

Du Baron tzigane, c’est étrangement une version quasiment inconnue, jamais distribuée en France, qui tient le haut du pavé. Distribution parfaite, direction idéale d’un chef admirable et bien oublié, Heinrich Hollreiser (1913-2006).

Une belle alternative à cette version introuvable est celle de Willi Boskovsky, avec un cast exceptionnel :

(Ackermann 1953, Allers 1969, Boskovsky 1977, Harnoncourt, Hollreiser 1959, Jordan 2004)

J’ai évidemment une tendresse pour cette dernière version. J’étais dans la salle du Corum à Montpellier le 11 juillet 2004 dans le cadre du festival Radio France. Armin Jordan dirigeait l’Orchestre national de France, avec une équipe de chanteurs assez inégale, mais le chef transcendait musiciens et chanteurs.

3. Eine Nacht in Venedig / Une nuit à Venise

Je renvoie à l’article – Une nuit à Venise -que j’avais consacré à cette opérette créée en 1883, l’année de la mort de Wagner… à Venise, après avoir vu un merveilleux spectacle à l’Opéra de Lyon en 2016, dirigé par un jeune chef qui débutait alors dans la maison et qui a depuis fait la carrière que l’on sait, Daniele Rustioni.

Je renvoie aussi à mon précédent article (Un bouquet de Strauss : dix valses) où j’évoque la valse de la lagune qui reprend les principaux thèmes de l’opérette, et en particulier ce merveilleux air de ténor :

Et encore cet extrait qui donnera raison à ceux qui ne supportent pas l’extrême sophistication que met Elisabeth Schwarzkopf dans un rôle de…poissonnière !

(Ackermann 1953, Allers 1969, Märzendorfer 1964)

4. Wiener Blut / Sang viennois

Pour une fois, c’est une valse qui donne naissance à une opérette : Wiener Blut (que j’aurais pu placer parmi mes dix valses favorites) est une pièce composée en 1873, et ce sera une opérette reconstituée par Adolf Müller à partir de partitions de Johann Strauss, créée à Vienne quatre mois après la disparition du compositeur, le 26 octobre 1899.

Ici aucune contestation possible quant à « la » version de référence.

J’ai déjà raconté ici (France Musique, fortes têtes), lorsque j’ai appris le décès de Jean-Michel Damian, ce moment inoubliable de radio que fut la journée du 23 décembre 1995 pour les 80 ans d’Elisabeth Schwarzkopf : la cantatrice avait avoué devant une salle comble (le studio 104 ancienne manière de Radio France) que son enregistrement préféré était justement ce Wiener Blut, et ce duo avec Nicolai Gedda (fait en une seule prise miraculeuse). Frissons garantis à 1’17 »

On retrouve le même fabuleux Nicolai Gedda une vingtaine d’années plus tard dans l’équipe rassemblée par Willi Boskovsky

(Ackermann 1953, Bibl, Boskovsky 1975)

On conseille vivement un coffret de belle qualité :

Voix du printemps

Comme on le précisait dans le premier volet de cette série (Dix valses), beaucoup des valses de Johann Strauss étaient destinées à être chantées soit par un choeur, soit par une chanteuse en vue. Nulle n’a mieux incarné l’esprit viennois qu’ Hilde Gueden (1917-1988)

Même si ce n’est pas de Johann, mais de Josef Strauss, on ne résiste pas à ces Hirondelles d’Autriche

On ne peut en dire autant du seul concert de Nouvel an que dirigea Karajan, le 1er janvier 1987.

Humeurs et bonheurs du jour à lire sur brèves de blog

Un bouquet de Strauss (I) : dix valses

#JohannStrauss200

Nous y voilà : il y a deux cents ans, le 25 octobre 1825, naissait le plus célèbre compositeur du monde. Le plus célèbre, oui, puisque ce sont plusieurs milliards de téléspectateurs qui chaque 1er janvier entendent ses oeuvres, on veut parler de Johann Strauss, que je me refuse à appeler Strauss II – il n’est ni pape, ni roi… même de la valse – éventuellement Johann Strauss fils. Même si d’évidence il a acquis une légitime et universelle célébrité, qui surpasse celle de son père (Johann) et de ses frères (Josef et Eduard) pourtant très doués.

La célèbre statue dorée de Johann Strauss dans le parc de la ville de Vienne et un chef, pur Viennois, Christian Arming, qui dirigeait l’orchestre philharmonique royal de Liège dans sa ville natale en mai 2014 (Les soirées de Vienne) / Photo JPR

Pour célébrer ce bicentenaire à ma manière – puisque mon pays, la France, est bien timide – c’est un euphémisme – en dehors d’un beau concert de l’Orchestre national – je propose trois volets très personnels d’exploration de son oeuvre avec des versions que je recommande particulièrement.

D’abord 10 valses, celles qui me touchent le plus, et pour chacune non pas une discographie exhaustive – impossible – mais, tirées de ma discothèque personnelle, des versions qui me semblent être des références et/ou des raretés (mais je mentionne pour chaque valse toutes les versions de ma discothèque !)

1. An der schönen blauen Donau / Le beau Danube bleu

La plus célèbre valse de Johann Strauss est d’abord une valse chantée, sur un texte satirique de Josef Veyl, un ami d’enfance du compositeur, qui fera scandale lors de la création le 13 février 1867 au Dianabad par le Wiener Männergesang-Verein. C’est à Paris, lors de l’Exposition universelle, le 1er avril de la même année, qu’est donnée la version orchestrale sous la direction de Johann Strauss.

La seule version avec choeur qui figure dans ma discothèque est celle de Willi Boskovsky avec le choeur de l’opéra de Vienne et bien entendu les Wiener Philharmoniker

Naguère distingué à l’aveugle par l’émission Disques en lice, Claudio Abbado, capté le 1er janvier 1988, reste une/ma référence, loin devant tant d’autres !

D’autres versions à retrouver dans cet article : Le beau Danube coule depuis 158 ans

(Abbado x2, Barbirolli x2, Barenboim x2, Bernstein, Böhm, Boskovsky x5, Dorati, Dudamel, Fiedler, Fricsay x2, Gerhardt, Gut, Harnoncourt x2, Horenstein, Jansons x2, Karajan x8, Keilberth, Carlos Kleiber x2, Krips, Maazel x4, Mehta x4, Muti x5, Ormandy, Ozawa, Paulik, Prêtre x2, Pritchard, Reiner, Sawallisch, Schneider, Felix Slatkin, Stolz, Suitner, Szell, Welser-Moest, Wildner)

2. Kaiserwalzer ou la valse des empereurs

L’Orchestre national de France et Manfred Honeck rendaient hommage récemment à Johann Strauss (lire Chiche bicentenaire).

Parmi la quarantaine de versions de ma discothèque (avec des récidivistes comme Karajan avec 8 versions studio et « live » !), j’ai mes préférences :

Jascha Horenstein a enregistré à Vienne (avec l’orchestre de l’opéra, c’est-à-dire les Wiener Philharmoniker !) deux disques parus sous diverses étiquettes. Sa Kaiserwalzer (ici à 7’50 ») est idéale d’entrain, d’allure.

Autre version oubliée, viennoise elle aussi, mais avec les Wiener Symphoniker, Wolfgang Sawallisch

(Abbado x2, Barbirolli x2, Bernstein, Böhm, Boskovsky, Fiedler, Fricsay, Furtwängler, Gielen, Gut, Harnoncourt x2, Horenstein, Jansons, Karajan x8, Keilberth, Kempe, Klemperer, Krips, Henry Krips, Maazel x4, Muti, Paulik, Prêtre, Previn, Pritchard, Reiner, Sawallisch, Schneider, Felix Slatkin, Stolz, Walter x2, Wildner)

3. Wein, Weib und Gesang / Aimer, boire et chanter

J’avais déjà consacré un long article à cette valse de 1869 assez unique dans la production de Strauss. C’est presque un poème symphonique, avec une longue introduction, souvent écourtée, voire supprimée.

Mon premier choix est toujours Willi Boskovsky, qui dirige vraiment une valse qui ne traîne pas, ne s’alanguit pas.

Mais la version de Georges Prêtre en 2010 est émouvante, en ce qu’elle révèle dans l’introduction le grand chef de théâtre qu’il fut.

(Bauer-Theussl, Boskovsky x3, Dorati, Fiedler, Guth, Horenstein, Järvi, Karajan x3, Keilberth, Mehta, Muti, Ormandy, Paulik, Prêtre, Sawallisch, Schuricht, Stolz, Suitner, Szell, Welser-Moest, Wildner)

4. Rosen aus dem Süden / Roses du Sud

Depuis des lustres, « ma » version de la valse Roses du sud (créée le 7 novembre 1880 par Eduard, le benjamin des Strauss, au Musikverein de Vienne) est celle de Karl Böhm. Indépassable !

(Barbirolli, Barenboim, Bauer-Theussl, Bernstein, Böhm, Boskovsky x2, Fiedler, Fricsay, Guth, Horenstein, Karajan, Keilberth, Krips, Maazel, Mehta, Muti, Ormandy, Paulik, Reiner, Sawallisch, Schuricht, Stolz, Alfred Walter)

5. Nachtfalter / Papillon de nuit

J’intitulais un de mes (nombreux) articles consacrés à Vienne « Capitale de la nostalgie« . S’il est une valse qui exprime précisément ce sentiment diffus qui m’envahit à chaque fois que j’écoute cette musique, c’est bien Nachtfalter (1854).Zubin Mehta avec la complicité des Wiener Philharmoniker a tout compris du caractère double de cette confidence douce-amère.

(Oliver Dohnanyi, Mehta)

6. Tausend und eine Nacht/Mille et une nuits

Reprenant les thèmes de l’opérette Indigo et les quarante voleurs, cette valse est créée, comme Roses du sud, par Eduard Strauss au Musikverein de Vienne le 12 mars 1871.

Carlos Kleiber avait choisi cette valse, plutôt rare au concert, pour célébrer, le 1er janvier 1992, le sesquicentenaire des Wiener Philharmoniker. Le modèle absolu !

(Boskovsky, Dudamel, Fiedler, Horenstein, Kempe, Carlos Kleiber, Maazel, Ormandy, Stolz, Alfred Walter)

7. Geschichten aus dem Wiener Wald / Légendes de la forêt viennoise

Celle valse de 1868 commence par un solo de cithare, pour faire plus exotique sans doute. Dans plusieurs versions des années 60, comme celle de Boskovsky, on a fait appel à un musicien resté célèbre pour un film qui a donné à l’acteur Orson Welles l’un de ses plus grands rôles, Le Troisième homme. L’auteur du thème de Harry Lime est un artiste qui jouait dans une brasserie du Prater, Anton Karas (1906-1985)

Mes deux versions préférées de ces Légendes sont du même chef, Rudolf Kempe (1910-1976), resté justement célèbre pour son intégrale symphonique de l’autre Strauss (Richard), qui a gravé quelques anthologies de la famille Strauss, d’abord à Vienne en 1959, puis dix ans plus tard à Dresde.

Rudolf Kempe / Wiener Philharmoniker

Rudolf Kempe / Staatskapelle Dresde

J’ai dans ma discothèque une unique version chantée de cette valse : Rita Streich (1920-1987) y déploie tous ses sortilèges

(Barbirolli, Barenboim, Bernstein, Boskovsky x2, Dorati, Fiedler, Fricsay, Guth, Harnoncourt, Horenstein, Karajan x3, Kempe x2, Knappertsbusch, Krauss, Maazel x3, Mehta, Muti, Ormandy, Felix Slatkin, Stolz, Walter, Wildner)

8. Künsterleben / Vie d’artiste

Cette valse suit de peu le succès du Beau Danube bleu. L’introduction orchestrale de cette valse est un pur moment de poésie. Certains s’y attardent tellement qu’ils en oublient de valser. Ce n’est pas le cas d’un chef qui, comme Fiedler à Boston, connaissait par coeur ses classiques à Hollywood, Felix Slatkin (1915-1963),

(Bernstein, Boskovsky x2, Dorati, Fiedler, Guth, Horenstein, Jansons, Karajan x4, Keilberth, Carlos Kleiber, Maazel, Ozawa, Paulik, Reiner, Sawallisch, Felix Slatkin, Stolz)

9. Lagunen Walzer / Valse de la lagune

La valse créée en 1883 reprend – d’où son titre ! – une grande partie des thèmes de l’opérette Une nuit à Venise. J’en aime le début qui semble ouvrir sur tous les matins du monde et qui, contrairement à bien d’autres valses de Strauss, semble inexorablement optimiste.

Je n’avais pas beaucoup aimé le concert du 1er janvier 2025 censé ouvrir les célébrations du bicentenaire Strauss. Riccardo Muti qu’on a connu fringant et conquérant, dès son premier concert de l’An viennois en 1993, semblait ici engoncé, excessivement retenu. Finalement sa version est l’une des plus convaincantes.

Autre grand habitué des concerts de Nouvel an – Lorin Maazel – très irrégulier d’une année à l’autre :

(Boskovsky x2, Oliver Dohnanyi, Horenstein, Jansons, Maazel, Muti, Stolz)

10. Seid umschlungen Millionen / Embrassez-vous par millions

Un petit air d’ode à la joie ? Ce sont bien les mêmes mots qu’emploient Schiller et Beethoven dans le finale de la 9e symphonie, ce sont eux qui donnent son titre à cette valse créée en 1893. Mélancolique souvent, joyeuse parfois, ce n’est pas la plus aisée à diriger. On retrouve, comme par hasard, Abbado en 1988.

(Abbado, Barenboim, Boskovsky, Harnoncourt, Maazel, Stolz, Alfred Walter)

Ce choix de dix valses est éminemment subjectif, comme le choix des interprètes. J’ai surtout voulu attirer l’attention sur des versions dignes d’intérêt, moins connues ou repérées.

Il existe une intégrale symphonique de l’oeuvre de Johann Strauss parue chez Naxos. L’ensemble est assez médiocre du côté des orchestres et des chefs, mais au moins il y a toute l’oeuvre éditée de Strauss !

* Le titre de cette série est bien sûr un clin d’oeil, Strauss voulant dire « bouquet » en allemand… et en viennois !

Demain 2e volet de cette mini-série sur les opérettes et oeuvres vocales de Johann Strauss

Et toujours humeurs et bonheurs du jour à lire dans mes brèves de blog

Bi…ou tricentenaire

L’autre Scarlatti

Je me rappellerai longtemps la folle aventure des 555 sonates de Scarlatti données au cours de l’été 2018 dans toute l’Occitanie dans le cadre du Festival Radio France.

Ce très précieux legs est disponible sur le site de France Musique en 185 épisodes !

Mais celui qu’on célèbre aujourd’hui n’est pas le fils, Domenico, mais le père Alessandro Scarlatti, mort il y a 300 ans, le 24 octobre 1725 à Naples. De nouveau on invite à se tourner vers France Musique pour découvrir et décrypter « l’énigmatique Alessandro Scarlatti » avec Clément Rochefort et Xavier Carrère.

Je veux saluer ici un coffret qu’on n’attendait pas vraiment, mais qui constitue une très belle introduction à l’oeuvre si profuse du père Scarlatti

Difficile de détailler ces 9 CD, mais on est en très bonne compagnie avec Gérard Lesne, Véronique Gens, il Seminario Musicale, Fabio Biondi, Nancy Argenta et bien d’autres du même acabit, nombre de cantates, de motets, les oratorios Il Sedecia re di Gerusalemme, La santissima Trinita, les concerts grossi, etc.

C’est sans doute l’enregistrement le plus ancien du coffret, mais je l’ai eu longtemps sur un CD en collection très économique, avec la merveilleuse Helen Donath et notre Maurice André national :

Chiche bicentenaire

On en reparlera abondamment le moment venu : le bicentenaire de la naissance de Johann Strauss, c’est dans quelques jours.

Vendredi et samedi dernier, l’Orchestre national de France annonçait un « Gala Johann Strauss ». Franchement chiche comme programme : une ouverture (du Baron Tzigane), une seule valse et quatre polkas, dont une de Josef le frère ! On peut réécouter ce concert sur France Musique et vérifier les éloges que j’ai faits du chef, Manfred Honeck et des musiciens du National, sur Bachtrack : L’hommage du National et Honeck à Strauss fils.

Je ne pense pas que Manfred Honeck le Viennois – il a été violoniste au Philharmonique de Vienne jusqu’en 1991 – ait beaucoup de concurrents pour diriger cette musique. Mais on préfère sans doute inviter le 1er janvier des chefs plus « people » pour le traditionnel concert du Nouvel an (Nézet-Séguin le 1er janvier 2026 fera-t-il mieux que le petit tour de Dudamel en 2017 ?) !

Comme je l’écris pour Bachtrack, Honeck fait plus d’une fois penser, dans sa gestique, à un grand aîné qu’il a eu tout loisir d’observer lorsqu’il jouait dans l’orchestre, Carlos Kleiber…

On recherchera les quelques disques de la famille Strauss qu’il a enregistrés avec Bamberg ou les Wiener Symphoniker

Dans mes prochaines brèves de blog je reviendrai sûrement sur l’épisode peu glorieux du « casse » du Louvre…

Les raretés de l’été (XII) : Arthur Fiedler les racines européennes

Suite de ma mini-série sur Arthur Fiedler.(voir Arthur Fiedler le chef américain)

Arthur Fiedler naît à Boston le 17 décembre 1894. Ainsi il est l’un des rares grands chefs américains du XXe siècle, l’autre étant Leonard Bernstein – à être né sur le sol américain. Certes son père Emanuel Fiedler est d’origine autrichienne et travaille comme violoniste dans le Boston Symphony. Il va d’ailleurs suivre son père qui retourne vivre en Autriche à sa retraite et étudier notamment le violon à Berlin auprès de Willy Hess. Il quitte l’Europe de ses études lors du déclenchement de la Première Guerre mondiale, revient à Boston, est engagé à son tour en 1915 comme violoniste au Boston Symphony. Dès 1924, il forme avec quelques collègues le Boston Sinfonietta, en attendant de prendre la direction en 1930 des Boston Pops, fondés 35 ans plus tôt pour employer les musiciens du Boston Symphony durant la saison estivale.

On reviendra sur ce qui a fait la gloire du couple Boston Pops / Fiedler, cette capacité de propager, dans des conditions artistiques optimales – avec l’un des meilleurs orchestres au monde – les mélodies, les musiques de films, les thèmes populaires – cf. le premier chapitre de cette série : Fiedler l’Américain.

Mais dans l’héritage discographique du chef, il y a beaucoup d »enregistrements qui, encore une fois, ne sont jamais cités, ni critiqués, et qui sont pourtant à mettre au sommet, comme les musiques d’Europe centrale, et singulièrement les viennoises. Là où Bernstein n’a jamais trouvé la clé – la valse viennoise -, où Ormandy enjolivait parfois outrageusement, où Fritz Reiner était parfois d’une austérité excessive, Arthur Fiedler révèle le grand chef qui a tout compris de ces répertoires, parce qu’il les a appris à la source.

Vienne à Boston

Le lien d’Arthur Fiedler avec la famille Strauss est double. Il semblerait qu’il ait joué, lorsqu’il a suivi son père à Vienne, dans l’orchestre du fils d’Eduard Strauss, le dernier des frères (1835-1919). Mais c’est surtout la présence de Johann Strauss – celui dont on célèbre cette année le bicentenaire de la naissance – à Boston en 1872 pour le World’s Peace Jubilee and International Music Festival qui est restée gravée dans la mémoire des Bostoniens.

La version d’Arthur Fiedler de la fameuse Valse des Empereurs / Kaiserwalzer (*) n’est pas loin d’être ma préférée.

(*) D’abord intitulée Hand in Hand, cette valse composée lors de la visite de Guillaume II de Prusse à Vienne change de titre, lors de la visite retour de François Joseph à Berlin le 21 octobre 1889, et devient Kaiserwalzer – qu’il faudrait donc traduire par Valse des… empereurs.

La suite tirée d’airs d’opérettes de Lehar est toute nostalgie Mitteleuropa – en dépit du titre plutôt ridicule du disque qui la contient

Et que dire de cette ouverture de SuppéCavalerie légère – dont le titre est souvent contredit par l’interprétation !

Merci à Fiedler d’avoir aussi enregistré cette ouverture de l’opérette Fatinitza du même Suppé, le seul autre enregistrement que j’en ai est celui de Charles Dutoit à Montréal

Mitteleuropa

On s’éloigne du Danube pour rejoindre le cours tumultueux de la Vltava – la Moldau est nettement plus prononçable !

Il y a surtout une somptueuse version de la Symphonie n°9 dite du Nouveau Monde de Dvořák, qu’Arthur Fiedler enregistre en 1970 avec le Boston Symphony.

Une version que j’ai découverte récemment, incluse dans un coffret censé regrouper les enregistrements de William Steinberg et du Boston Symphony pour RCA !

Exemplaire aussi cette vision de la célèbre rhapsodie roumaine n°1 d’Enesco : écoutez cette vivacité, cette liberté rhapsodique dans l’énoncé des thèmes populaires – dont l’Alouette – qui ont inspiré le compositeur roumain.

Vive la France !

Ce n’est évidemment pas à Arthur Fiedler qu’on demandait d’enregistrer le grand répertoire – rien qu’à Boston, entre Koussevitzky, Munch, Leinsdorf, Steinberg, et même Ozawa, pour ne citer que les titulaires du Boston Symphony, qui étaient aux commandes durant le mandat de Fiedler aux Pops, il y avait le choix. Mais on a laissé au roi Arthur quelques « créneaux » comme cette Gaîté Parisienne (Munch l’enregistrera aussi… mais à Londres)

Et puis il y a cet enregistrement surprenant – c’était une première aux Etats-Unis – de la suite que le compositeur russe Rodion Chtchédrine (qui s’écrit en russe avec deux fois moins de lettres : Щедрин) a réalisée pour cordes et percussions sur des thèmes de Carmen de Bizet :

Les racines irlandaises

Quand on évoque les racines européennes d’Arthur Fiedler, il est impossible – et ce serait bien dommage ! – d’oublier qu’encore aujourd’hui plus de 20% de la population de Boston se déclare d’origine irlandaise. C’est dire si les concerts monumentaux – les Irish Nights – qu’a dirigés à plusieurs reprises Fiedler sont des incontournables de sa discographie

L’éditeur a laissé tous les bruits de la fête, et on se prend à entonner tel ou tel hymne à l’écoute d’un tel événement.

Prochain épisode : Fiedler star de l’époque.

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Le beau Danube coule depuis 158 ans

La plus célèbre valse du monde a 158 ans aujourd’hui. Son auteur est né il y a 200 ans : Johann Strauss (1825-1899).

An der schönen blauen Donau (Le beau Danube bleu) est né d’une commande de Johann von Herbeck, directeur de la plus célèbre chorale – exclusivement masculine – de Vienne, le Wiener Männergesang-Verein, qui souhaite une nouvelle « valse chorale vivante et joyeuse » pour leur festival d’été Sommer-Liedertafel. Les paroles  de Josef Weyl,  un ami d’enfance du compositeur, paroles sur le thème satirique qui traitent par la satire et la dérision la défaite militaire historique de la maison d’Autriche à la guerre austro-prussienne de 1866 vont susciter de vives critiques et l’indignation du public, malgré succès de la première de cette valse le 15 février 1867 à l’établissement thermal Dianabad du canal du Danube de Vienne.

Je ne connais qu’un seul enregistrement de la version originale avec choeur par Willy Boskovsky (lire Wiener Blut) avec le choeur de l’Opéra de Vienne et l’orchestre philharmonique de Vienne.

Lorsque Johann Strauss dirige, quelques mois plus tard, son Beau Danube à Paris pour l’exposition universelle de 1867, c’est la grande version symphonique qui nous est restée depuis lors, et qui est restée l’incontournable de tous les concerts de Nouvel an à Vienne

Ici quelques versions moins connues (ou moins souvent citées), à commencer par celle de Claudio Abbado en 1988 (arrivée première d’une écoute critique anonyme d’un Disques en lice)

L’année précédente, le vieux Karajan, épuisé par la maladie, jetait sa dernière énergie dans l’unique concert de Nouvel an qu’il ait jamais dirigé. Et c’est toujours bouleversant.

Carlos Kleiber, en 1989 et 1992, atteint de tels sommets qu’il épuise pour longtemps la question

Mais je me demande si la version qu’on pourrait dire « de référence » n’est pas celle de Karl Böhm, enregistrée en 1972. Partition en main, et oreilles grandes ouvertes, on ne sait qu’admirer le plus : la pulsation inépuisable (qui prend toujours appui sur le premier temps), les transitions fabuleuses entre les différents épisodes – là où tant de chefs ralentissent, s’alanguissent sans raison – et puis cet élan irrésistible, ajoutés à la beauté de la prise de son réalisée au Sofiensaal.

Ici au Japon en tournée en 1975 !

Cela vaut le coup de jeter une oreille à ce très beau disque qu’on doit à l’un des plus grands chefs américains du XXe siècle, Arthur Fiedler (1894-1979), qui n’a pas été que le légendaire chef des Boston Pops. Je lui consacrerai bientôt un billet, notamment sur son héritage classique

Tout aussi inattendue, la version de Felix Slatkin (1915-1963) avec le Hollywood Bowl Orchestra (l’autre nom du Los Angeles Philharmonic en été !): une vraie valse qui tourne, s’envole et ne s’alanguit pas

La valse de Strauss a subi arrangements et transformations – notamment pour le piano – mais aussi dans son format orchestral. Ainsi le chef Roger Désormière avait réalisé une sorte de poème symphonique Le beau Danube qui reprend les principaux thèmes de la valse de Strauss

Elle n’a pas non plus échappé au strass hollywoodien

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Les anniversaires 2025 (II) : L’ami Fritz

Lors des concerts de Nouvel an de l’Orchestre national de France et de l’ensemble Janoska (lire Bachtrack : Le Nouvel an viennois du National) – qui se poursuivent ces prochains jours dans toute la France, de Châteauroux à Vichy – on a bien sûr célébré le bicentenaire de Johann Strauss fils, mais – cela a été moins remarqué – le sesquicentenaire* de la naissance d’un autre Viennois très célèbre, sans doute le violoniste le plus admiré de la première moitié du XXe siècle, Fritz Kreisler, né à Vienne le 2 février 1875, mort à New York le 29 janvier 1962.

La postérité n’a retenu de Kreisler que ces délicieuses pièces de genre que tous les violonistes se sont appropriées, que Rachmaninov a pour partie transcrites. Et qui ont inspiré à l’ensemble Janoska cette très libre transposition, curieusement intitulée Musette

A propos de Kreisler, j’ai gardé en mémoire cette incroyable anecdote que je tiens de Manuel Rosenthal (1904-2003) lui-même (lire Anniversaires : privé/public) : « Je revois encore assis face à face, mon fils de 20 ans et le vieil homme de 96 ans qui lui racontait ses souvenirs de Ravel, de Gershwin… et ses débuts impécunieux de violoniste de salon. J’entends encore Rosenthal raconter que, repéré pour ses talents violonistiques, je ne sais plus qui le recommanda au Ritz où il était de coutume d’accompagner les dîners de riches clients par une sérénade. Arrivé dans le palace de la place Vendôme, on montre au jeune Rosenthal une petite pièce où il doit attendre qu’on lui fasse signe de se présenter dans le salon où il va jouer. Il est surpris d’entendre déjà jouer du violon, et du très beau violon : il entr’ouvre un épais rideau et il aperçoit… Fritz Kreisler en personne ! »

Les deux plus célèbres mélodies faussement viennoises – Liebesleid et Liebesfreud – ont été transcrites par Rachmaninov.

Mais Fritz Kreisler est aussi le dédicataire du concerto pour violon d’Elgar qu’il crée le 10 novembre 1910 à Londres sous la direction du compositeur. Il n’y a pas à ma connaissance de gravure de l’oeuvre par son créateur. Cette version toute récente a toutes les raisons de me réjouir : James Ehnes est un formidable musicien que j’ai souvent invité à Liège, Liège dont la cheffe Speranza Scappucci a naguère dirigé l’opéra.

RCA puis NAXOS ont réédité toute une collection d »enregistrements de Fritz Kreisler réalisés dans les années 30, et qui préservent l’essence d’un art qui à bien des égards ressemble à celui d’un Rachmaninovc au piano. Jamais de sirop, de gras, de fioritures inutiles, mais une élégance, un charme, une classe folle

*Sesquicentenaire = 150e anniversaire

Les anniversaires 2025 (I) : Johann Strauss

Franchement on se demande bien ce qui a poussé l’Orchestre philharmonique de Vienne à choisir Riccardo Muti pour diriger le concert du Nouvel an 2025 et célébrer le bicentenaire de la naissance du plus célèbre Strauss de la famille, Johann, né le 25 octobre 1825 et mort le 3 juin 1899 à Vienne. Je n’ai pas le souvenir d’avoir vu et entendu depuis longtemps un concert aussi soporifique, ennuyeux, et pour tout dire complètement hors sujet.

Déjà il y a quatre ans j’écrivais : « En regardant le concert de Nouvel an hier, en direct de la salle dorée du Musikverein de Vienne, vide de tout public, j’avais la confirmation d’un phénomène si souvent observé : le fringant Riccardo Muti qui dirigeait son premier concert de l’An en 1993 a laissé la place à un bientôt octogénaire (le 28 juillet prochain) qui empèse, alentit, la moindre polka, wagnérise les ouvertures de Suppé, et surcharge d’intentions, de rubato, les grandes valses dJohann Strauss. » (2 janvier 2021)

Même dans le célébrissime Beau Danube, on a envie de lui dire : « Laisse aller c’est une valse » !

Je suis sévère ? alors, juste pour mémoire, l’ouverture du Baron Tzigane qui était au programme ce 1er janvier, et le 1er janvier 1992 sous la baguette de Carlos Kleiber !

Pourquoi n’avoir pas invité dès cette année Yannick Nezet-Seguin annoncé le 1er janvier 2026 ? Il aurait au moins donné un coup de jeune à cette institution.

On aura au moins eu le plaisir d’entendre l’excellent François-Xavier Szymczak commenter pour France Musique et pour France 2 ce concert de Nouvel an, avec une pensée pour Benoît Duteurtre qui officiait à cette place. On a même aperçu FX dans l’espèce de documentaire/reportage que Stéphane Bern nous sert chaque année sur un mode plus décontracté, moins pompeux qu’à l’ordinaire : on aurait bien prolongé la halte que les deux ont faite dans la maison de Johann Strauss et le musée consacré à la famille (Documentaire à revoir sur France.TV)

On peut, on doit même, aussi lire le numéro double de Classica.

J’ai si souvent lu des platitudes, des approximations, y compris dans des ouvrages prétendument sérieux, sur la famille Strauss, que je dois saluer la qualité des dossiers consacrés à Johann (noter en passant la qualité de sa fiche Wikipedia). Je ne suis pas d’accord avec toutes les préconisations discographiques. J’ai déjà eu ici (Les perles du 1er janvier) et j »aurai encore bien des occasions cette année de célébrer Johann Strauss le fils.

Juste pour se rappeler un chef – Georges Prêtre – qui, à 86 ans, dirigeait sans partition et avec une gaîté contagieuse, en l’occurrence une polka rapide de Johann Strauss le père : le Carnaval à Paris

Paris n’a jamais su ou voulu célébrer ses musiciens : à l’exception de l’avenue Mozart dans le 16e arrondissement, on cherchera en vain les places, les avenues Vivaldi, Beethoven ou même Lully, Rameau ou Ravel… Il y a quelques années, je suis passé par hasard sur la place Johann Strauss… Pas sûr que beaucoup de Parisiens sachent où elle se trouve !

Et puis on pourra surtout réécouter sur France Musique le concert plus viennois que nature qu’ont donné lundi et mardi l’Orchestre national de France et l’ensemble Janoska, et lire la critique que j’en ai faite pour Bachtrack : Le Nouvel An viennois de l’Orchestre national.