Il était loin d’avoir la notoriété internationale de son homonyme Colin Davis (1927-2013), mais comme lui il avait participé à plusieurs Nuits des Prom’s. On apprend sa mort ce matin, à 80 ans, des suites d’une leucémie foudroyante : Andrew Davis était l’archétype du chef britannique, qui a fait l’essentiel de sa carrière en terres anglo-saxonnes, et qu’on a peu vu diriger sur le continent.
Le critique Norman Lebrecht qui annonce cette disparition sur son site Slippedisc dit joliment de ce chef que je n’ai jamais rencontré personnellement : « Je l’ai vu pour la dernière fois diriger à Liverpool, où il était chef émérite. Après le concert, il était allé prendre un verre au Hope Street Hotel, plein d’une bonhomie bavarde, un type charmant et modeste si engagé dans la musique qu’il servait »
Andrew Davis a été successivement chef du BBC Scottish, du Toronto Symphony, du festival de Glyndebourne (1988-2000) et pendant la même période du BBC Symphony, avec lequel il rétablit la coutume qui voulait que le chef de l’orchestre de la radio londonienne dirige la fameuse Last Night of the Prom’s.
Andrew Davis est mort à Chicago, trois ans après sa femme, où il s’était établi lorsqu’il avait pris la direction du Lyric Opera (de 2000 à 2021).
L’art du chef disparu est très bien documenté notamment sur YouTube.
Sa discographie est de grande qualité, et ne se réduit pas au cliché qui veut que les chefs britanniques ne seraient capables que de diriger les compositeurs britanniques. Cela étant, on recommande vivement ce passionnant coffret qui contient l’une des plus belles intégrales des symphonies de Vaughan Williams, ainsi qu’une bonne partie de l’oeuvre symphonique d’Elgar.
Comme une intégrale des symphonies de Dvořák passée inaperçue et pourtant remarquable :
Tout mélomane devrait, au moins une fois dans sa vie, participer aux fameux concerts d’été londoniens, les BBC Prom’s. J’ai eu cette chance à quelques reprises, jamais cependant pour la fameuse Last Night of the Prom’s qui se tient à la mi-septembre. Mais l’ambiance dans l’immense Royal Albert Hall (5000 places !) est toujours mémorable.
Je ne sais plus quelle année, j’avais pu assister à un concert-fleuve dirigé par mon ami Paul Daniel, l’un des meilleurs chefs britanniques. Ce jour-là ce n’était pas cette pièce célèbre du fondateur des Prom’s
J’ai très vite eu dans ma discothèque un CD dont j’étais très fier
Finalement dans la collection Eloquence Decca a réédité en un double album des extraits de ces soirées de fête des Prom’s dirigées par Colin Davis. Précision : comme il s’agit d’un festival organisé par la BBC, les chefs qui dirigent la dernière nuit sont toujours les chefs attitrés du BBC Symphony. Ces années-là c’était Colin Davis (1927-2013)
!
Impossible d’imaginer une nuit des Prom’s sans cet « hymne » d’Hubert Parry (1848-1918)
And did those feet in ancient time Walk upon England’s mountain green? And was the holy Lamb of God On England’s pleasant pastures seen? And did the countenance divine Shine forth upon our clouded hills? And was Jerusalem builded here Among those dark satanic mills?
Bring me my bow of burning gold! Bring me my arrows of desire! Bring me my spear! O clouds, unfold! Bring me my chariot of fire! I will not cease from mental fight, Nor shall my sword sleep in my hand, Till we have built Jerusalem In England’s green an
Ni sans cet autre hymne de Thomas Arne, Rule Britannia
On frémit à l’idée que la voix immense de Jessye Norman a pu emplir le vaisseau du Royal Albert Hall avec cet extrait des Wesendonck Lieder de Wagner
Evidemment pas de Last Night qui ne termine par la version chantée de la première des marches Pomp and Circonstance d’Elgar : Land of Hope and Glory
L’hymne britannique figurait évidemment en première place des musiques jouées pour le couronnement de Charles III (lire Coronation Music), pour la plupart composées spécialement pour l’occasion
Une légende versaillaise
J’ai longtemps cru et propagé ce qui semble n’être qu’une légende : l’hymne britannique serait d’origine française, un motet composé par Lully pour saluer le « sauvetage » de Louis XIV opéré d’une fistule anale. La réalité semble un peu plus complexe, et peut-être moins scabreuse comme l’a démontré l’excellent Jean Lebrun dans un podcast (Le Vif de l’histoire), à lire et/ou écouter ici.
Avant sa mort en 1727, le roi George Ier signe l’acte de naturalisation d’un compositeur allemand né en 1685 à Halle, installé depuis 1712 en Grande-Bretagne, George Frideric Haendel. C’est donc à un compositeur anglais qu’on doit les quatre hymnes écrits pour le couronnement, le 11 octobre 1727, du roi George II et de la reine Caroline, les fameux Coronation Anthems, et en particulier le plus spectaculaire d’entre eux, Zadok the Priest :
« Zadok, the Priest, and Nathan, the Prophet, anointed Solomon King;and all the people rejoic’d, and said:God save the King, long live the King, may the King live for ever!Amen! Alleluja!«
La construction musicale de cette pièce reste toujours aussi impressionnante : ce lent crescendo sur un tapis de cordes en ‘arpèges qui semble venir de loin, comme une procession qui s’annonce, et qui débouche sur une explosion jubilatoire du choeur, j’en éprouve des frissons à chaque écoute, et bien sûr en situation comme à Westminster le 6 mai.
La version qui m’a fait découvrir ces quatre Anthems est celle de Neville Marriner et son Academy of St Martin in the Fields.
William le royal
On ne va pas ici de nouveau se lamenter sur l’ignorance dans laquelle on tient, sur le continent, la musique anglaise du XXème siècle (un festival – lire Festival d’inconnus – est loin d’avoir suffi à corriger cette désastreuse situation). Qui, chez nous, en dehors peut-être de deux ou trois oeuvres, connaît la personnalité originale, singulière de William Walton (1901-1983) ?
Walton a été sollicité à deux reprises, pour les couronnements de George VI en 1937 – Crown Imperial March -et d’Elizabeth en 1953 – Orb and Sceptre
Mais il faut bien sûr écouter, découvrir, une oeuvre protéiforme, souvent audacieuse, non conformiste, qui se distingue de ses contemporains Vaughan Williams ou Britten par exemple.
Dans l’excellente série British Composers de Warner (ex-EMI), on retient deux coffrets passionnants :
André Previn fut un ardent promoteur de la Première symphonie (1932)
Pomp and Circumstance
Tout le monde connaît la première des cinq marches intitulées Pomp and Circumstance d’Edward Elgar, qui, sur des paroles d’Arthur Christopher Benson devient Land of Hope and Glory pour le couronnement en 1902 d’Edouard VII qui, comme Charles, mais un peu moins longtemps que lui, aura attendu 60 ans pour succéder à sa mère la reine Victoria.
Lors du couronnement de Charles III, c’est la quatrième de ces marches qui fut jouée pour la sortie du cortège royal.
Parry dans l’ombre
I was gladle 6 mai c’était lui : Hubert Parry (1848-1918), Jerusalem, cet incontournable de chaque Last night of the Prom’s, c’est encore lui.
Hubert Parry est inhumé dans la crypte de la cathédrale St Paul de Londres.
Hubert Parry c’est un peu le chainon manquant entre Purcell, Haendel et le XXème siècle anglais. Pas le génie d’un Elgar ou d’un Vaughan Williams, mais une oeuvre chorale et symphonique qui mérite l’écoute et qu’a si bien illustrée Adrian Boult.
Un souvenir direct de l’homme et de l’oeuvre qui lui a assuré une renommée internationale : la première suisse, au Victoria Hall de Genève, en 1993, de son Requiem polonais.
Penderecki dirigeait lui-même les forces instrumentales et chorales d’une oeuvre monumentale née dans les premières révoltes de Solidarność
Les spécialistes diront mieux que moi l’importance de la figure de Penderecki dans la musique du XXème siècle. Le Polonais s’est toujours tenu à l’écart des écoles et des dogmes, même s’il a suivi un parcours finalement assez classique : anti-conformiste, voire extrême, dans sa jeunesse, devenu quasiment « officiel » une fois la reconnaissance internationale venue, pour finir comme un monument historique.
Le critique musical Renaud Machart en dresse un juste portrait ce matin sur Twitter :
Mort du compositeur polonais Krzysztof Penderecki, 86 ans, dont la musique a largement dépassé le cadre de la musique contemporaine savante. Son opéra Les Diables de Loudun (1968) et celui de Bernd Alois Zimmermann, Die Soldaten (1965), étaient les deux références hérissées et hérissantes de l’avant-garde des années soixante. Sa musique aura beaucoup été utilisée au cinéma, notamment par Friedkin (L’Exorciste) et Kubrick (Shining)…Le goût de #Penderecki pour le monumental frelaté me fâchait souvent, comme dans ce papier après un concert à New York, en 1998 :
« Durant les années 60 et 70, Penderecki était connu pour son écriture d’avant-garde extrêmement agressive, caractérisée par l’usage de masses sonores en forme de clusters. Agé de soixante-cinq ans, il a considérablement arrondi sa manière, reste, certes, un adepte du genre noble et glorieux, des machines à grand spectacle, mais pratique une écriture consensuellement atonalo-modalo-tonale.
Les Sept Portes de Jérusalem, oeuvre commandée par la ville de Jérusalem pour sa célébration « Jérusalem-3000 ans », furent créées en janvier 1997 par Lorin Maazel. Kurt Masur reprend l’ouvrage à la tête de l’Orchestre philharmonique de New York. Il dirige Les Sept Portes fermement et assez rudement. Les trois choeurs répartis en face de lui et sur les balcons des deux côtés de la salle, l’orchestre principal et les formations instrumentales satellisées répondent précisément à sa battue.
De toute évidence, il connaît la partition (d’une durée d’une heure environ). Elle s’offre d’ailleurs à la compréhension du premier venu tant ses ficelles sont grosses : pédales harmoniques, jeux de chromatisme, effets rythmiques (solos de basses d’archet, déflagrations spatialisées de percussions), emphases référentielles (un solo de trombone qui semble rappeler celui du plus célèbre des requiem, ponctuant un long et pompeux récit parlé en hébreu). Le larcin est copieux : souvenirs des Carmina Burana de Carl Orff mâtinés de lambeaux de Stravinsky volés dans la Symphonie de psaumes ou dans OEdipus Rex, un soupçon du Poulenc du Gloria, un peu d’Arvo Pärt planant et néo-médiéval, deux ou trois ensembles de solistes dans le genre du Requiem de Verdi ou de la Missa solemnis de Beethoven, etc.
On peut qualifier cela d’« oeuvre de synthèse », si l’on n’a rien contre la musique de seconde zone pour films dans le goût péplum. Pour notre part, l’air conditionné de l’Avery Fisher Hall n’a pas suffi à masquer la redoutable odeur de renfermé de ce que nous pouvons, au mieux, considérer comme un salmis musical oecuménique et fin de siècle. (Renaud MachartLe Monde, 23 juillet 1998)
Je voudrais conseiller à ceux qui ne sont pas familiers de l’oeuvre du compositeur disparu – ou qui n’ont suivi que de loin son évolution artistique (ce qui est mon cas), ce double CD qui donne un bon aperçu de ses premières étapes créatrices.
Clin d’oeil à l’ami Emmanuel Pahud qui a enregistré le concerto pour flûte (1992) de Penderecki dans ce disque tout récemment paru.
J’écoute rarement la radio en milieu d’après-midi, sauf lorsque j’ai un trajet à faire en voiture. Ce qui m’est arrivé récemment. J’ai pris en cours de route Affaires sensibles,l’émission de Fabrice Drouelle sur France Inter,consacrée ce jour-là à Georges Pâques, l’espion français du KGB. L’invité, Pierre Assouline, racontait sa fascination pour ce personnage, Georges Pâques(1914-1993) au coeur de l’une des plus retentissantes affaires d’espionnage du XXème siècle.
Je dus faire plusieurs librairies avant de trouver Une question d’orgueil.
« Qu’est-ce qui pousse un homme à trahir son pays ? Ou, plus précisément : qu’est-ce qui pousse, en pleine guerre froide, un haut fonctionnaire français, doté de responsabilités à la Défense et à l’OTAN, à transmettre des documents secrets au KGB pendant près de vingt ans ? Ni l’argent ni l’idéologie. Quoi alors ? Obsédé par ce cas unique dans les annales de l’espionnage, l’auteur décide de tout faire pour retrouver cet antihéros de l’Histoire et tenter de déchiffrer ses mobiles. Une longue traque va s’ensuivre, où il reviendra à deux femmes de lui livrer les clés de ce monde opaque. » (Présentation de l’éditeur)
Inutile de dire que Pierre Assouline nous tient en haleine et que ce livre a tous les ingrédients d’un roman… d’espionnage ! Passionnant.
Comme à mon habitude – de lire plusieurs bouquins en parallèle – je suis aussi plongé dans un ouvrage qui vient de paraître. L’auteur était jusqu’à l’an dernier le patron des espions français, Bernard Bajoleta été, en effet, le tout puissant directeur général de la Sécurité extérieure (DGSE) de 2013 à 2017, après une carrière diplomatique exceptionnelle qui l’a mené au coeur de tous les poudriers de la planète (Damas, Sarajevo, Bagdad, Kaboul, Alger…). Il a inspiré les scénaristes de la fameuse série Le Bureau des légendes.
Bernard Bajolet entraine le lecteur dans les points chauds du globe où son parcours de diplomate l’a conduit : Syrie, Jordanie, Bosnie, Irak, Algérie, Afghanistan… Il le fait assister à ses rencontres avec des personnages souvent fascinants, parfois sulfureux, lui fait entrevoir les coulisses des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens, l’introduit dans le bureau de quatre présidents français : Mitterrand, Chirac, Sarkozy et Hollande. Voyage dans l’espace, voyage dans le temps : Bernard Bajolet ne livre pas seulement des souvenirs sur sa période diplomatique -de 1975 à 2013-. Il les relie à l’Histoire plus ancienne –notamment lorsqu’elle donne des clés d’explication- et les rapproche des développements récents de l’actualité, qui trouvent en partie leur origine dans les évènements dont il a été le témoin. Il explique comment l’intervention des Etats-Unis en Irak en 2003 et leur gestion de l’après-guerre ont favorisé l’avènement de Daech. Par le biais de la petite histoire qu’il a vécue, -semée d’anecdotes souvent pittoresques, il fait entrer le lecteur dans la grande Histoire, et pose la question du rôle de la France et de l’Europe dans un monde dérégulé (Présentation de l’éditeur)
Autant le dire d’emblée, ceux qui s’attendent à un récit enjolivé et linéaire des exploits d’un diplomate chevronné ne seront certes pas déçus, mais ce livre est beaucoup plus que des mémoires ordinaires. J’en ai plus appris sur l’histoire du Moyen Orient depuis soixante ans… et depuis Jésus et Mahomet, sur l’essence, la nature et la dérive des religions, en quelques chapitres saisissants d’intelligence, de concision, de connaissance intime des peuples moyen-orientaux et de leur histoire, qu’en plusieurs gros pavés de « spécialistes » auto-proclamés. Les chapitres consacrés à la Syrie sont parmi les plus éclairants, les plus intelligibles, qu’il m’ait été donné de lire. Mais tout le reste est à l’avenant. Je ne connaissais pas Bernard Bajolet, sinon son titre et sa fonction. Son livre me donne le regret de ne pas l’avoir croisé plus tôt.
L’intérêt est nettement moindre, et la déception avérée, avec une nouveauté au titre fracassant :
La journaliste, comme l’écrit un lecteur de cet ouvrage, » semble faire de ce livre son journal intime et paraît par moments très satisfaite d’elle-même. La narration estparfois un peu pénible, Un peu d’humilité serait la bienvenue, de même qu’un récit plus axé sur son sujet. Certaines questions auraient eu le mérite d’être plus creusées. Pour résumer, la journaliste semble avoir pris du plaisir à découvrir ce monde, et à le montrer aux autres fièrement, mais passe à côté de nombreuses questions intéressantes et accessibles. (Source Amazon)