La musique pour rire (VII) : Peter Ustinov

#Confinement Jour 47

Dans la galerie de portraits qu’on a déjà dessinés de ceux qu’on pourrait désigner comme « humoristes » de la musique – Victor BorgeDudley Moore, Gérard Hoffnungil manque encore quelques personnages hauts en couleur, comme le génial touche-à-tout Peter Ustinov.

Né en 1921 à Londres, de double ascendance russe par sa mère et son père, mort en Suisse en 2004, la vie et la carrière de Sir Peter sont aussi romanesques que les multiples personnages qu’il a incarnés sur scène comme à l’écran. Il reste, dans la mémoire collective, comme le savoureux Hercule Poirot dans des films tirés des romans d’Agatha Christie, qui, à défaut d’être des chefs-d’oeuvre de cinéma, rassemblaient de brillants castings.

Très cultivé, polyglotte, Peter Ustinov ne détestait pas se produire dans des émissions populaires de télévision où sa verve gentiment caustique rendait hommage à la musique classique

Qui a pu oublier cette prodigieuse imitation de la légendaire Tribune des critiques de disques qui réunissait jadis sur France Musique Antoine Goléa et Jacques Bourgeois autour d’Armand Panigel ?

La comparaison avec l’original ne manque pas de piquant !

Le talent comique de Peter Ustinov, ses capacités d’imitation des styles et des instruments, se sont exprimés en diverses langues et circonstances…

Mais Peter Ustinov était aussi capable d’une authentique pédagogie dans le domaine de la musique classique, plusieurs séries en témoignent, malheureusement jamais en France !

Rien d’étonnant à ce que Peter Ustinov ait été un récitant de choix, dans de nombreux idiomes, du Pierre et le Loup de Prokofiev

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La musique pour rire (VI) : plaisantes plaisanteries

#Confinement jour 33

A l’approche d’un nouveau week-end confiné, quelques plaisants exemples de… plaisanteries musicales de la part des compositeurs eux-mêmes (pour les interprètes je renvoie à mes chroniques précédentes : La musique pour rire IIIIIIIVV).

Mozart

La plus connue n’est pas – et de loin – la plus simple à comprendre : Ein musikalischer Spaß (Une plaisanterie musicale) est un divertimento que Mozart achève le 14 juin 1787, qui est aussitôt créé à Vienne.

Mozart concentre dans cette partition, d’une écoute a priori agréable (sauf les accords conclusifs !), à peu près tous les défauts qu’un compositeur doit éviter, et parodie certainement nombre de ses contemporains. C’est ainsi en tout cas que fut reçue cette « plaisanterie » par le public et la critique viennois.

Pas sûr qu’aujourd’hui l’auditeur non musicien soit capable de repérer les éléments parodiques et comiques de la composition.

  • L’utilisation de dominantes passagères à la place des accords de sous-dominante.
  • Des dissonances entre les deux parties de cors.
  • Une montée de gamme par tons dans la cadence de violon.
  • Une orchestration maladroite, par exemple une ligne mélodique ténue absorbée dans un accompagnement lourd et monotone (quatrième mouvement).
  • Des modulations erronées pour la forme sonate (par exemple, dans le premier mouvement, les modulations progressives échouent toujours à atteindre la dominante, jusqu’à ce que la composition y saute sans préparation).
  • Le démarrage du mouvement lent se fait dans la mauvaise tonalité (sol majeur au lieu de do majeur)
  • Un minable passage en fugato dans le dernier mouvement qui enfreint toutes les règles de la composition fugale.

Ce morceau est également l’un des premiers à faire usage de polytonalité dans une composition classique. En effet, à la fin du morceau, chaque instrument joue l’accord final dans une tonalité différente, peut-être pour se moquer des instruments à cordes désaccordés (puisque seuls les cors demeurent dans la tonalité du morceau, Fa majeur). Les basses concluent le morceau en si bémol majeur, les altos en mi bémol majeur et les deux parties de violons en la majeur et sol majeur !!

Il est un autre morceau de Mozart, le plus célèbre peut-être, la sérénade Köchel 525, plus connue comme la Petite musique de nuit que le chef Armin Jordan, grand mozartien s’il en fut, trouvait indigne du génie de Mozart. Il trouvait les thèmes d’une banalité insigne, il refusait d’ailleurs de la diriger et ne comprenait pas la célébrité qu’elle avait acquise.

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Haydn

Chez l’aîné de Mozart, Joseph Haydn (1732-1809) l’humour, la surprise, sont des éléments inhérents à son mode de composition. Les pianistes savent ce que je veux dire, dans quasiment toutes les sonates. Dans les symphonies, c’est patent.

Le finale de la symphonie n°45 (1772) est peut-être la première expression du syndicalisme en musique ! Pour faire comprendre au prince Nicolas Esterhazy qui l’emploie et qui semble prolonger plus que de mesure son séjour estival dans son palais de Fertödque les musiciens de la Cour (et Haydn lui-même) aimeraient bien regagner leurs foyers à Eisenstadtle compositeur, dans le dernier mouvement de sa symphonie, met en scène le départ des musiciens l’un après l’autre, jusqu’à ce que restent plus que deux violons… Daniel Barenboim s’était bien amusé, lors du concert de Nouvel an du 1er janvier 2009, à reproduire la scène…

https://www.youtube.com/watch?v=vfdZFduvh4w

Deux autres symphonies célèbres de Haydn comportent des éléments de surprise… qui ont atteint leur but si l’on en croit les critiques de l’époque.

J’ai déjà évoqué la symphonie n°94 – intitulée « la Surprise » – et son mouvement lent dans mon billet consacré à Hoffnung. Haydn introduit, quelques minutes après l’énoncé du thème calme et tranquille de ce mouvement, un coup de timbales qui ne peut que réveiller l’auditoire.

Version Hoffnung

version « normale » avec le regretté Mariss Jansons dirigeant l’orchestre philharmonique de Berlin le 1er mai 2001 à Istanbul.

La symphonie n°103 s’ouvre de manière totalement inédite.. par un roulement de timbales.

Harnoncourt va jusqu’à laisser libre cours au timbalier de l’orchestre phiharmonique de Vienne pour improviser un long solo en ouverture.

Dans la moins connue symphonie n°60 (1775), qui reprend la musique de scène que Haydn avait écrite pour la pièce Le Distrait de Jean-François Regnard, le dernier mouvement prestissimo est brusquement interrompu par le grincement de violons désaccordés.

https://www.youtube.com/watch?v=g6zMc6OnFP0

J’ai consacré tout un billet à Beethoven (La musique pour rire : Beethoven).

Leroy Anderson

J’ai déjà évoqué ce compositeur américain, Leroy Anderson (1908-1975), le maître d’une spécialité qui compte de nombreux et talentueux adeptes outre-Atlantique (lire Carmen à Hollywoodla musique orchestrale dite « légère ». En particulier à l’occasion du décès de l’acteur Jerry Lewis il y a bientôt trois ans : Leroy & Jerry

Cette scène est sans doute la seule qui est restée dans les mémoires d’un film de 1963 (Who’s minding the store / Un chef de rayon explosif) dont le scénario n’est pas inoubliable !

Avec un savoir-faire exceptionnel, Leroy Anderson met en valeur la virtuosité de ses interprètes, pastiche aimablement ses aînés. Il fera longtemps le bonheur des Boston Pops… et le nôtre !

https://www.youtube.com/watch?v=kSAbB8lrc1o

La meilleure compilation Leroy Anderson / Boston Pops / Arthur Fiedler :

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La musique pour rire (II) : Beethoven

#Confinement jour 14.

Comme promis (La musique pour rire (I) : Hoffnung), deuxième épisode d’une série dédiée à l’humour en musique. En héros le célébré de l’année, Beethoven.

Précisément, pour les premiers concerts Hoffnungle compositeur britannique Malcolm Arnold avait écrit une ouverture Leonore 4, qui fait évidemment allusion aux versions successives de l’unique opéra de Beethoven, Fidelio. Un ouvrage qui a donné du fil à retordre au compositeur !

Beethoven s’inspire d’une pièce du Révolutionnaire français Jean-Nicolas Bouilly Leonore ou l’amour conjugal qui part d’un épisode de la Terreur : une femme travestie en homme s’était fait engager comme geôlier pour libérer son mari emprisonné à la prison de Tours. La première version de Leonore est créée le 20 novembre 1805 au Theater an der Wien, après un piètre accueil Beethoven remanie son opéra, une deuxième version en est donnée le 23 mars 1806, mais après la deuxième représentation, le compositeur se brouille avec le directeur du théâtre et retire   son ouvrage de l’affiche ! Ce n’est qu’en 1814 que l’opéra revient dans sa version définitive sous son nouveau titre Fidelio, avec un livret remanié par Friedrich Treitschke.

Pour ces trois versions de son opéra, Beethoven aura écrit… quatre ouvertures. Le premier essai, Leonore I, ne sera publié qu’en 1807, le deuxième, Leonore II, est joué lors de la création en 1805, le troisième, Leonore III, lors de la reprise de 1806, et enfin en 1814 l’ouverture de Fidelio.

L’ouverture Leonore 4 de Malcolm Arnold caricature très habilement le grand Beethoven !

J’aimais beaucoup l’acteur et humoriste Bernard Haller (1933-2009). Il est resté dans beaucoup de mémoires par cet inénarrable sketch du pianiste qui joue le premier mouvement de la célèbre sonate n°14 dite « au clair de lune » de Beethoven.

Mais c’est de nouveau du côté des Anglo-Saxons qu’on trouve les parodistes les plus inspirés, comme le formidable Dudley Moore (1935-2002). On reviendra sur ce personnage surdoué..

Autre personnalité qui fit l’essentiel de sa carrière aux Etats-Unis, Børge Rosenbaum né à Copenhague en 1909, devenu Victor Borge après son émigration du Danemark en 1940. Comme Dudley Moore, il mérite un billet à lui seul.

Autre phénoménal touche-à-tout, le natif de New York Danny Kaye (1911-1987), qui est souvent apparu notamment dans les Young People Concerts de Leonard Bernstein, dirige ici, très sérieusement, le New York Philharmonic dans la 8ème symphonie de Beethoven.

Comment oublier cette délicieuse Pince à Linge – texte de Pierre Dac et Francis Blanche – musique de Beethoven (!) – chantée par les Quatre Barbus un quatuor vocal aujourd’hui oublié, mais qui a connu ses heures de gloire dans les années 50/60.

L’humour sur le dos de Beethoven n’est pas l’apanage des artistes du passé. On ne compte pas les arrangements auxquels se sont livrés tant de musiciens, d’ensembles d’aujourd’hui….

Conclusion (provisoire) sur Beethoven et l’humour, cette pièce de Beethoven lui-même, ce Rondo capriccio titré Colère pour un sou perduoù le compositeur semble s’auto-caricaturer.

La musique pour rire (I) : Hoffnung

#Confinement jour 10.

J’ai longtemps rêvé – et je rêve encore – de monter un concert comme les Britanniques adorent les organiser, y compris dans le cadre prestigieux des Prom’s : humour, dérision, grands classiques « revisités ».. comme ceci par exemple :

Une seule fois, il y a bien longtemps en Suisse, à Fribourg ou Lausanne, je me rappelle avoir assisté à un concert un peu fou, à l’initiative de l’organiste Guy Bovet.

Mais c’est grâce à un personnage singulier, un surdoué mort à 34 ans, dont le patronyme est tout un programme à l’heure du confinement, Gérard Hoffnung (Hoffnung = espoir) ,que j’ai découvert comment rire en musique.

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Un surdoué 

C’est à Berlin que Gerard Hoffnung naît le 25 septembre 1925,  il fuit l’Allemagne avec ses parents en 1939 pour Londres. Il y suit les cours de la Highgate School pendant que son père part s’occuper d’affaires bancaires en Palestine (cette séparation temporaire deviendra finalement définitive du fait de la Seconde Guerre mondiale). Non mobilisable en raison de ses origines germaniques, il est employé dans une laiterie avant de devenir professeur de dessin à la Stamford School en 1945. Il commence à publier des caricatures dans différents journaux et écrit des chroniques radiophoniques pour l’émission dominicale, One Minute Please. En 1952, il épouse Annetta Bennett, qui veillera à la promotion de l’œuvre de son époux après sa mort prématurée.

Hoffnung meurt en effet d’une hémorragie cérébrale en 1959 à 34 ans, après avoir occupé ses jeunes années à une quantité considérable d’activités, caricaturiste, tubiste, impresario, producteur de radio et conférencier, notamment pour les Oxford et Cambridge Union Societies.

 

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Il est l’auteur d’une série de recueils de dessins humoristiques se moquant gentiment des chefs d’orchestres et des instrumentistes. Certains d’entre eux ont été adaptés en 1965 par les studios Halas et Batchelor sous la forme d’un court métrage d’animation intitulé The Hoffnung Symphony Orchestra1.

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Les concerts Hoffnung

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Il organise au Royal Festival Hall  de Londres, en 1956 et 1958, des concerts vraiment décalés auxquels participent des musiciens éminemment « sérieux ».

Parmi les œuvres composées spécialement pour l’occasion, on trouve la Grande, Grande ouverture, op. 57, de Malcolm Arnold pour 3 aspirateurs, 1 machine à cirer, 4 fusils et orchestre, dédiée au président américain Herbert Hoover (Hoover étant aussi une célèbre marque d’aspirateurs !), le Concerto popolare (voir ci-dessus) du compositeur Franz Reizenstein (comme Hoffnung né en Allemagne en 1911, mort à Londres en 1968) « un concerto pour piano pour en finir avec tous les concertos pour piano » 

Il apprend à jouer du tuba, suffisamment bien pour jouer en concert le Concerto pour tuba de Vaughan Williams mais aussi pour devenir membre (et bouffon) de l’orchestre du Morley College, un ensemble amateur londonien fort respecté.

Depuis un demi-siècle, son concept de concert a été perpétué par sa veuve Annetta et ses collaborateurs.

J’avoue ne plus pouvoir écouter tranquillement le deuxième mouvement de la Symphonie n°94 de Haydn depuis que j’ai entendu le (mauvais) traitement qu’Hoffnung lui a réservé !

Conseil d’écoute : ce double CD

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