Les achèvements de Philippe Jordan

L’ancienneté de la relation quasi-familiale, la permanence de l’admiration, n’empêchent pas l’écoute critique. C’est pourquoi j’avais accepté de faire, pour Bachtrack, le compte-rendu des tout récents concerts de Philippe Jordan à la tête de l’Orchestre de Paris : Vers la lumière : Philippe Jordan avec l’Orchestre de Paris.

On peut heureusement réécouter le concert du 29 novembre sur francemusique.fr.

Comme on peut le lire sur Bachtrack, autant j’ai été emporté littéralement par une ‘Inachevée idéale, autant je ne me suis pas complètement retrouvé dans une Neuvième de Bruckner certes creusée, admirablement conduite, mais trop statique pour quelqu’un qui, comme moi, s’est nourri aux ardeurs d’un Jochum.

Mais Philippe Jordan fait partie de ces interprètes qui ne se livrent pas sur un coup d’éclat, à la séduction immédiate. Ni même à la première écoute. J’ai assisté à bien des concerts dirigés par lui, j’ai dans ma discothèque la quasi-totalité de ses enregistrements, et quand j’ai parfois eu des réserves au premier abord, j’ai remis l’ouvrage sur le métier, j’ai réécouté, et toujours découvert de nouvelles richesses.

La dernière fois que j’avais entendu Philippe à la tête d’un orchestre – avec l’Orchestre de Paris mercredi c’était une première – c’était avec l’Orchestre national de France (lire Le monde d’hier) il y a un an. J’avais manqué sa venue à Radio France le 14 octobre dernier. Rien à changer à ce que j’avais écrit, rien non plus aux éloges de Tristan Labouret sur Bachtrack : Philippe Jordan fait renaître l’Orchestre national.

En attendant, Philippe Jordan est toujours en activité – heureux Viennois ! – à l’opéra de Vienne.

Les peupliers du Ladakh

J’ai passé près de deux semaines dans une région du monde dont j’ignorais à peu près tout avant que j’y sois entraîné pour une aventure vraiment inoubliable. Récit en plusieurs épisodes de cette expédition aux confins de la pure beauté ! Quant à l’explication du titre, elle viendra dans le cours du récit, mais je n’imaginais pas retrouver le « populus » si familier des bords de nos rivières aussi répandu dans les très hautes vallées du Ladadk ! (cf.photo ci-dessous)

Présence militaire

La toute première chose qui frappe l’arrivant à l’aéroport de Leh – la capitale du Ladakh – c’est une présence militaire massive, et d’abord l’interdiction de prendre des photos de et dans l’aéroport qui est un espace militaire ! Et pourtant de tout le séjour, à part les passages fréquents dans le ciel de la capitale d’hélicoptères et de bombardiers, on n’aura jamais l’impression d’un pays en danger.

Le simple examen d’une carte géographique explique la position stratégique du Ladakh et de son voisin immédiat le Cachemire, donc de l’Inde, par rapport à ses turbulents voisins, le Pakistan, la Chine (le Tibet), l’Afghanistan tout proche…

Le vol Delhi-Leh offre une entrée en matière… himalayenne !

Vue de l’unique piste de l’aéroport de Leh… à 3500 m d’altitude :

Leh, carrefour historique de la route de la soie

La destination du Ladakh fait rêver parce qu’elle évoque la mythique route de la soie, qu’on devrait plutôt écrire au pluriel, car il y avait des routes de la soie, partant de l’empire chinois pour irriguer toute l’Asie centrale et l’Europe. Le Ladakh en était un carrefour obligé. Au centre de Leh – 30.000 habitants – on trouve un très joli petit musée (Central Asian Museum) qui raconte magnifiquement cette épopée.

Du musée on a vue directe sur l’ancien palais royal de Leh et un temple sikh.

J’ai bien sûr été intéressé par cet instrument, utilisé par les moines bouddhistes lors des prières ou dans les orchestres de fête, la surna, le hautbois indien.

La cité de Leh elle-même est concentrée autour d’une rue principale et son marché central. Avec ses boutiques de produits locaux, et des femmes venues de tous les villages et tribus alentour qui vendent fruits (les abricots ! on en reparlera) et légumes en fin d’après-midi.

Tribus aryennes

Parmi ces femmes qui vendent sur le marché, cette représentante d’une minorité, « la tribu des Drokpas, terme local dont l’orthographe connaît d’infinies variantes. Cette minorité de près de 4 000 membres a été préservée au cours des siècles par son isolement, son autarcie culturelle et ses mariages limités au clan. Les origines des Drokpas imbriquent imaginaire, hypothèses et réalité. Néanmoins, ces villageois ont acquis la renommée d’être de « purs » descendants des « Aryens ». « Leur apparence physique a appuyé la théorie aryenne, devenue populaire dans la région », souligne M. Tashi Morup, journaliste local. Leurs traits proches du type caucasien sont loin des visages mongoloïdes d’origine tibétaine des bouddhistes du Ladakh. Les Drokpas sont « différents ». Leur allure des grands jours, lors des festivals, est aux yeux des novices un spectacle unique. Avec leurs coiffes piquées de bouquets et cintrées de physalis, cette fleur orange qui semble taillée dans un papier délicat, ils incarnent un autre âge. Couverts de lourds colliers et d’ornements tribaux, ils se drapent dans une majestueuse cape blanche en peau de chèvre retournée. » (extrait d’un article du Point, Le mystère des derniers Aryens, 21/09/2014)

Le palais royal de Leh domine la cité depuis le XVIIe siècle : il est abandonné par la famille royale au XIXe siècle (au profit de Stok, à lire dans un prochain épisode !). Surplombant le palais, le temple Namgyal Tsemo domine toute la vallée et héberge une grande statue de Bouddha.

à moins qu’on ne choisisse le promontoire sur lequel les Japonais ont édifié un gompa dans les années 80

Revenu dans les ruelles du centre, on visite le grand temple bouddhiste, ou les échoppes favorites des vaches qui sillonnent la ville !

La politique n’est jamais loin

Pour le tout-puissant premier ministre indien Narendra Modi, le sommet du G 20 qui se tient en Inde les 9 et 10 septembre est une opportunité formidable de mettre en avant les progrès – visibles – du sous-continent en matière par exemple d’écologie. La plaie qui a longtemps affecté les grands pays asiatiques et africains, l’usage de sacs plastique sur les marchés, dans les magasins – qu’on retrouvait disséminés par milliers au bord des routes, dans les champs – a disparu. Le plastique a partout été remplacé par du papier ou du carton ! On est encore loin d’une parfaite propreté des espaces publics et de la nature, mais le progrès observé depuis notre dernier voyage en Inde (2016) est spectaculaire.

Quelle ne fut pas ma surprise, arrivant pour les deux dernières nuits de mon séjour dans un grand hôtel de Leh, d’y constater la présence d’une personnalité, au patronyme illustre, que les médias – et les citoyens indiens avec qui nous avons pu échanger – présentent comme le challenger le plus sérieux de l’actuel premier ministre pour les élections générales prévues en 2024, Rahul Gandhi, petit-fils (Indira) et fils (Rajiv) de premiers ministres qui ont fini assassinés !.

Il y avait bien une certaine agitation, des militaires, des policiers à l’entrée de l’hôtel, mais on ne faisait remarquer que Rahul Gandhi tient sa popularité du fait qu’il a décidé de conjurer le sort qui s’attache à sa famille et de rester simple et accessible. Comme en témoigne cette photo prise il y a une semaine à Leh, dans le restaurant de notre hôtel.

Stūpas et Gompas

Les images qu’on associe toujours à ces paysages himalayens et qui alimentent puissamment notre imaginaire sont celles de ces temples érigés sur des promontoires sur fond de sommets enneigés. Comme lorsqu’on arrive à Likir, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Leh.

Sur cette photo, on voit bien d’une part, au centre, le gompa (du tibétain « dgon-pa » : monastère) et à gauche un stūpa (mot sanscrit signifiant « reliquaire »).

Guidé par un bouddhiste très pratiquant, je devrais ne plus rien ignorer de Bouddha, du bouddhisme, de sa variante tibétaine incarnée par le dalaï-lama (qui séjournait à Leh durant cet été) et de tous les rites accomplis par les moines et les fidèles.

J’avoue, au fil des visites de ces lieux spectaculaires, n’avoir pas tout retenu. Peu importe après tout, chacun cherche et atteint comme il peut le nirvana, comme le représente cette fresque :

Privilège d’assister à une séance de prière…

Privilège également d’avoir accès aux bibliothèques richement garnies de milliers d’ouvrages relatant l’enseignement de Bouddha, et utilisés comme supports des prières des moines.

A l’intérieur des temples, toutes sortes d’offrandes sont disposées devant les statues de Bouddha, des billets de banque, mais aussi des quantités de nourriture, bouteilles de Coca, jus de fruits et autres…

On a visité les sites de Likir (ci-dessus), Alchi, Lamayuru, puis Thiksey et Hemis.

Alchi, à la différence des autres gompas, n’est pas situé en hauteur, mais c’est l’un des plus anciens – fondé au Xe siècle – l’un des plus émouvants aussi dans l’austérité du dépouillement de ses deux tout petits oratoires en bois scuplté- La photo ci-dessous n’est pas de moi, puisqu’on doit abandonner appareils et téléphones portables avant la visite.

Lamayuru vu d’en bas et d’en haut

L’arrivée au monastère de Thiksey est spectaculaire :

Les Ladakhi le surnomment le petit Potala, du nom du palais du dalaï-lama à Lhassa (Tibet)

Thiksey domine la vallée de l’Indus et témoigne d’une munificence qui le distingue des autres gompas

Le temple de Hemis est tout aussi important pour le bouddhisme tibétain, quoique plus récent (XVIIe siècle). Il comporte un passionnant musée sur l’histoire du Ladakh (photos interdites !)

La vue sur la vallée et les montagnes environnantes est toujours impressionnante !

Le palais de Stok

À une quinzaine de kilomètres de Leh, le palais de Stok a été la résidence de la dynastie royale Namgyal qui a régné sur le Ladakh de 1470 à 1834. C’est aujourd’hui un (petit) hôtel très spartiate dans ses équipements, mais avec une vue imprenable sur la vallée de l’Indus.

A quelques encablures de Stok, le temple de Matho inspire le recueillement.

La décoration intérieure de certains temples est parfois exubérante, comme cette série de représentations de Bouddha en céramique.

Dernier temple – et non le moindre – le monastère de Diskit, qu’on atteindra, dans la vallée de la Noubra, une fois franchi le plus haut col du monde (accessible en voiture) – à suivre dans un prochain épisode !

Toujours une vue spectaculaire sur la vallée et sur une statue géante de Bouddha…

Des moines confectionnant un mandala avec une précision redoutable …

La nature immense

Les paysages qu’on traverse au Ladakh- en voiture ou à pied – sont si impressionnants que ni photos ni videos ne peuvent en restituer la majesté. L’expression « à couper le souffle » est doublement pertinente, d’abord parce qu’une incroyable émotion vous saisit à chaque halte, à chaque détour, ensuite parce qu’en effet, à ces altitudes – le plus haut col du monde franchissable en voiture est à 5480 m ! – l’atmosphère est très sèche (moins de 20% d’humidité) et l’oxygène rare.

.

Les sommets de la chaîne des K – le Karakoram – où se trouve le deuxième plus haut du monde, le K2 (8611 m)

Ici autour de Nimmu, à 3200 m d’altitude, la nature est verdoyante et la végétation faite de peupliers, de saules, d’arbousiers, de genévriers. Plus surprenants encore les abricotiers, les pommiers, des fleurs, des champs d’orge ou de blé…

L’herbe est toujours verte pour les troupeaux de vaches, yaks, moutons et chèvres (ci-dessous les fameuses chèvres cachemire dont la laine sert à la confection des pashminas)

Sur les hauteurs

Je m’étais amusé à saisir sur mon téléphone les moments où notre voiture franchissait les 4807 m du Mont-Blanc. En deux jours, nous avons franchi trois des plus hauts cols du monde, à plus de 5000 m d’altitude…

Le Khardong La est présenté comme la route carrossable la plus haute du monde – 17982 pieds, 5480 m – vues imprenables sur les chaînes de l’Himalaya et du Karakoram.

Le Taglangla est à peine moins haut, plus sauvage et moins fréquenté : on aperçoit trois femmes, trois nomades remontant leurs récoltes d’herbes odorantes.

Autre col à plus de 5000 m franchi dans la même journée…le Wari La. Expédition plus sportive, la route ressemblant plus à un vaste chantier… à l’arrêt. Mais il faut reconnaître que le gouvernement régional met le paquet pour transformer le réseau routier, partout on voit des campements d’ouvriers, la plupart venus du Bihar, attelés à des chantiers gigantesques !

Des dunes, du sel, des lacs

On n’est jamais au bout de ses surprises quand on parcourt le Ladakh.

Comme quand on surplombe le confluent du Zanskar et de l’Indus

Des dunes de sable en plein Himalaya… on croit rêver, et pourtant c’est l’ébouriffant spectacle qui s’offre à la vue dans le désert de Hunder. Le touriste peut même contribuer à la préservation d’une espèce endémique de chameaux (les chameaux de Bactriane) qui formaient jadis les immenses caravanes des routes de la soie.

Mais il faut parfois s’armer de patience pour accéder à ces trésors de la nature. On a parfois l’impression de participer au tournage d’un épisode des Routes de l’impossible, par exemple quand un convoi militaire croise des camions de chantier, sur la seule route de la vallée…

Après le désert et ses dunes, on atteindra au sud-est du Ladakh de sublimes lacs immaculés (avec l’expérience de deux nuits à 4650 m sous tente !).

D’abord le Tso Kar, un lac salé !

Même notre guide est surpris de la densité saline du lac!

Plus élevé encore – 4705 m – ce petit lac vert le Kyagar Tso. Avant de parvenir au couchant sur les bords de l’immense Tso Moriri, à la frontière du Tibet.

Là haut dans la montagne

Le plus surprenant de tout ce séjour dans les hauteurs du Ladakh, c’est la pureté absolue de l’air, de l’eau, le calme total – qui n’est pas silence – jamais troublé par d’autres bruits que ceux de la nature. Et dans cette montagne immense ce festival permanent de couleurs.

Sur les chemins de randonnée, à 4000 m, on pense même au confort des marcheurs…

(Reproduction texte et photos/videos JPR interdite)

Une fête de la jeunesse

Retour sur un festival (voir Pépites portugaises) qui a véritablement célébré la jeunesse : Au Festival international de Marvão, le triomphe de la jeunesse.

C’était d’ailleurs assez amusant d’être au Portugal, et même dans les lieux les plus reculés de l’Alentejo, et d’y voir des centaines, des milliers de jeunes déjà présents sur place pour les Journées mondiales de la jeunesse. C’est ainsi que visitant la cathédrale de Portalegre dimanche dernier, on y a surpris un groupe de jeunes Français répétant pour la messe qui allait suivre…

La jeunesse, elle irriguait tout le festival de Marvão, comme on a pu le constater durant tout le week-end dernier.

J’aimerais m’arrêter sur trois des artistes qui m’ont particulièrement intéressé, et qui méritent vraiment d’être mieux connus, en particulier en France où ils semblent ignorés.

L’Orquestra XXI et Dinis Sousa

Créé en 2013, Orquestra XXI est un projet qui rassemble de jeunes musiciens portugais vivant à l’étranger – souvent membres de grandes phalanges – avec le double objectif de maintenir un lien fort entre ces jeunes et leur pays d’origine.

Ce que j’ai entendu samedi dernier je l’ai écrit ici : Un grand Mahler. Mon seul regret est de n’avoir pas connu plus tôt cet excellent orchestre et de n’avoir donc pu l’inviter au Festival Radio France, où pendant huit ans, j’avais instauré la tradition d’inviter à Montpellier chaque été un orchestre de jeunes .

J’ espère que les grandes salles européennes, en dehors du Portugal, inviteront ces musiciens dans leurs saisons Ils le valent bien !

L’archet de Leia

C’était la plus jeune soliste du concert de clôture du festival de Marvao. A 16 ans, la jeune Britannique Leia Zhu (prononcer « joue ») – ses parents, tous deux d’origine chinoise se sont rencontrés en Angleterre où ils se sont établis – a déjà tout d’une grande, reconnue comme telle au Royaume-Uni – débuts à 12 ans aux Prom’s -, et rien d’un phénomène de foire. Elle-même comme sa mère, avec qui j’ai pu converser à l’issue du concert, sont extrêmement sereines et réalistes quant aux perspectives de carrière, aux risques d’une célébrité trop vite acquise. Leia continue ses études en pension à Oxford. Mais elle comme sa mère sont surprises que la France ne lui ait encore rien proposé (sauf m’ont-elles dit une invitation à… Reims pendant les Jeux olympiques de 2024 !);

Simon Rattle n’avait pas hésité, lui, à l’inviter avec le London Symphony il y a deux ans !

Tout comme Paavo Järvi en avril dernier à la Tonhalle de Zurich :

Ceux qui me suivent savent que je me laisse difficilement séduire par les sirènes de la pub (ou de la com c’est pareil) lorsqu’il s’agit de « vendre » un nouveau talent. Mais je crois savoir reconnaître quelqu’un d’authentiquement musicien. Cette jeune violoniste ne se la joue pas, son attitude sur et hors scène, son sourire disent la tête bien faite, la belle personnalité.

Gabriel Pidoux le hautbois chantant

Même si ce ne fut pas dans les meilleures conditions acoustiques – le plein air peut parfois s’avérer impitoyable – j’ai été heureux d’entendre le hautboïste français Gabriel Pidoux (26 ans) jouer le concerto de Richard Strauss (lire Le triomphe de la jeunesse). Tiens encore un artiste qu’on avait invité au Festival Radio France il y a deux ans après qu’il eut été désigné « Révélation soliste instrumental » par les Victoires de la musique classique en 2020. Le jeune homme a de la branche : père Raphaël (le trio Wanderer) et grand-père Roland violoncellistes renommés.

Le compositeur qui n’est pas l’auteur de son tube

Il est né le 8 juin 1671 et mort le 17 janvier 1751 à Venise. Et son nom a acquis une célébrité universelle au XXème siècle grâce à une oeuvre qui n’est pas de lui ! Peut-être même serait-il aujourd’hui oublié s’il n’y avait eu ce célébrissime Adagio et cet inoubliable sketch du couple Bedos-Daumier

Tomaso Albinoni est honoré par un coffret sorti ce printemps chez Warner, qui n’est jamais désagréable d’écoute, mais qui aurait tendance à confirmer une opinion prêtée à Stravinsky selon laquelle Vivaldi aurait écrit 500 fois le même concerto.

Des versions option tout confort – Claudio Scimone et ses Solisti Veneti sont à leur affaire, avec des solistes de haut vol, dans les séries de concertos pour hautbois (les Français Jacques Chambon et Pierre Pierlot).

Un mot tout de même de cet Adagio d’Albinoni qui n’est pas d’Albinoni. C’est l’oeuvre de Remo Giazotto (1910-1998) qui a établi justement le catalogue des oeuvres d’Albinoni et s’est pris au jeu de faire accroire qu’il avait trouvé un fragment de concerto, qu’il éditera en 1958, avec la postérité que l’on sait (et on l’imagine pour l’auteur des revenus conséquents !).

Je ne suis pas sûr qu’on parviendrait à établir la discographie de cet Adagio et de tous ses avatars. La palme du plus exquis mauvais goût revient sans doute à Herbert von Karajan, avec son orchestre wagnérien.

En tout cas, le thème principal de cet adagio n’est pas l’apanage du seul Albinoni ou de son « arrangeur ». Il n’est que d’écouter le mouvement lent du concerto pour alto (1774) de Carl Stamitz. Ici dans une vidéo émouvante à plus d’un titre : j’y reconnais tant de visages familiers de l’Orchestre de la Suisse romande, tel que je l’ai connu dans les années 80, et la toute jeune altiste Tabea Zimmermann, lors des épreuves du Concours de Genève en 1982. Quel chemin parcouru depuis par cette fabuleuse musicienne !

Il faut écouter à 14’32 :

Pour en revenir à Albinoni, on sait qu’il al aissé environ 300 œuvres. Il a composé environ quatre-vingts opéras dont il ne reste pratiquement rien. En effet, près de soixante-dix de ces partitions furent détruites pendant le bombardement de Dresde en février 1945. On sait cependant que ses opéras étaient fréquemment représentés hors d’Italie dans les années 1720, notamment à Munich. Outre une trentaine de cantates, dont une seule a été publiée (Amsterdam vers 1701), c’est son œuvre instrumentale qui nous est parvenue, grâce à une publication imprimée :

  • Op. 1 : 12 Suonate a tre, publiées à Venise en 1694 ;
  • Op. 2 : 6 Sinfonie & 6 concerti a cinque, publiées à Venise en 1700 ;
  • Op. 3 : 12 Balletti a tre, publiés à Venise en 1701 ;
  • Op. 4 : Sonate da chiesa pour violon & basse continue, publiées chez Roger à Amsterdam vers 1709 ;
  • Op. 5 : 12 Concerti a cinque (& basse continue), publiés à Venise en 1707 ;
  • Op. 6 : 12 Trattenimenti armonici per camera pour violon, violone et clavecin, publiés à Amsterdam vers 1712 ;
  • Op. 7 : 12 Concerti a cinque pour un violon solo (no 1, 4, 7, 10), deux hautbois (no 2, 5, 8, 11) ou un hautbois solo (no 3, 6, 9, 12) & cordes, publiés à Amsterdam en 1715 ;
  • Op. 8 : 6 Balletti e 6 Sonate a tre, publiés à Amsterdam en 1722 ;
  • Op. 9 : 12 Concerti a cinque pour un violon solo (no 1, 4, 7, 10), un hautbois solo (no 2, 5, 8, 11) ou deux hautbois (no 3, 6, 9, 12) & cordes, publiés à Amsterdam en 1722 ;
  • Op. 10 : 12 Concerti a cinque pour trois violons, alto, violoncelle & basse continue, publiés à Amsterdam (1735-36) chez l’imprimeur Michel Charles Le Cène

La musique « contemporaine » (suite)

Je ne les avais pas réentendus depuis trois ans et une mémorable tournée en Chine et en Inde (lire Nouveaux publics). Les musiciens de l’Orchestre de la Suisse romande étaient hier soir à la Seine musicale – le nouveau vaisseau musical parisien, inauguré il y a deux ans, amarré sur l’île Seguin

IMG_3223

J’avais deux raisons supplémentaires d’assister à ce concert : la présence de l’ami Emmanuel Pahud

IMG_3228

et la première française du concerto pour flûte Memento vivere– créé la veille à Genève – d’Éric Montalbetti

Eric Montalbetti qu’on a bien connu comme directeur artistique de l’Orchestre philharmonique de Radio France, de 1996 à 2014, s’adonne depuis cinq ans à une passion restée secrète mais qui l’a toujours nourri, la composition (Journal intime)Et avec un succès manifeste.

81e0OjjJghL._SL1200_

On entendra d’ailleurs Tedi Papavrami jouer sa sonate pour violon seul le 16 juillet prochain dans le cadre du Festival Radio France Occitanie Montpellier.

Hier soir, on attendait de voir et d’entendre comment ce nouveau concerto allait sonner dans l’acoustique généreuse de la Seine musicale, sous la direction d’un expert, le chef Jonathan Nott, actuel directeur musical de l’OSR, et bien connu à Paris pour avoir dirigé l’Ensemble Intercontemporain de 1995 à 2000.

Comme je l’ai déjà raconté ici (La musique « contemporaine ») toute création est une aventure, pour les interprètes comme pour le public. Une évidence : Montalbetti sait orchestrer « à la française », jouer des transparences du grand orchestre comme Ravel ou Debussy. La flûte, qui se maintient dans les registres grave ou médian, est superbement soutenue, jamais écrasée, par un orchestre scintillant, qui ne cherche ni l’effet gratuit ni le conflit avec le soliste. Emmanuel Pahud y est évidemment à son affaire, on ne sait plus quel superlatif utiliser à son endroit ! Le public, malheureusement trop peu nombreux, a fait une ovation méritée à l’oeuvre, au compositeur et à ses interprètes.

IMG_3227

Me revient un souvenir, qui montre qu’une création n’est pas toujours réussie du premier coup et peut évoluer. Je suis à Genève, le 13 octobre 2005, lorsque le même Orchestre de la Suisse romande, crée, sous la baguette de Pascal Rophéune oeuvre concertante du compositeur suisse  Michael Jarrell avec pour solistes un trio de choc, Emmanuel Pahud déjà, le clarinettiste Paul Meyer et le hautboïste François Leleux. À l’issue du concert, les trois solistes me demandent ce que j’ai pensé de l’oeuvre et de leur prestation. Je leur réponds sans détour : Je ne vous ai pas entendus ! Lorsque je me trouve face à Michael Jarrell, je lui dis à peu près la même chose : Dommage d’avoir un tel trio et de ne pas l’avoir mieux mis en valeur. Il est toujours délicat de dire ces choses à un compositeur, mais ce n’est pas rendre service à un créateur que de ne pas dire ce qu’on pense !

Ces critiques n’ont sans doute pas été inutiles, puisque, lorsque l’oeuvre a été redonnée, cette fois, à Liège et à Bruxelles (dans le cadre d’Ars Musica), en avril 2008, avec les mêmes solistes, le même chef… et l’Orchestre philharmonique royal de Liège dont Pascal Rophé était entre temps devenu le directeur musical, l’impression fut tout autre. Jarrell avait retouché l’orchestration, les tessitures de ses solistes, bref avait redonné de l’air à son prestigieux trio, sans dénaturer évidemment le sens de ses Sillages…

On signale ce coffret « anniversaire » publié à l’occasion du centenaire de l’OSR (lire Suisse et centenaire, un peu chiche (5 CD), c’est un euphémisme, pour célébrer une aussi riche histoire, mais quelques « live » qui ne sont pas sans intérêt.

61HEHachugL._SL1200_