Premier épisode d’une série d’été qui se déroulera selon mes humeurs, souvenirs, coups de coeur.
Quand Cleveland s’amuse
Pour les mélomanes, Cleveland est associé à l’austère figure de George Szell (1897-1970) qui fut le chef incontesté et incontestable de l’un des Big Five – comme on qualifiait le gratin des orchestres américains – de 1946 à sa mort. Mais on a oublié, ou tout simplement ignoré, que comme Boston avec ses Boston Pops et son légendaire Arthur Fiedler, Los Angeles avec le Hollywood Bowl Orchestra ou Cincinnati avec les Cincinnati Pops et Erich Kunzel, l’orchestre de Cleveland avait aussi sa formation « légère », parfois appelée Cleveland Pops, qui fut confiée au chef américain Louis Lane (1923-2016). Louis Lane fut d’abord dès 1947, à 24 ans, l’assistant de Szell, puis de 1955 à 1970 chef associé.
Sony publie un coffret, à petit prix il faut le noter, de 14 CD dont la plupart m’étaient inconnus, parce que n’ayant jamais bénéficié d’une diffusion hors USA. Pur régal, à consommer sans aucune modération. D’abord parce que c’est Cleveland, l’un des plus beaux orchestres du monde, et que, dans la partie plus classique du coffret, la patte Szell est immédiatement reconnaissable. Et même dans les pièces plus « light » tout ça reste digne et tenu (cf.la Jamaican rumba ci-après)… on ne se laisse pas aller dans l’Ohio !
Wayenberg et Schumann
Dépêchez-vous d’acheter le numéro de juillet-août de CLASSICA, si vous voulez entendre un inédit magnifique, les sonates pour piano 1 et 2 de Schumann, enregistrées en 1962 pour Thomson-Ducretet par l’immense Daniel Wayenberg, disparu en 2019 dans l’indifférence générale (lire Journal 22/09/19). Aurons-nous un jour la chance de disposer des trésors entreposés dans le fonds EMI/Warner ?
Merci en tout cas à l’ami Thomas Deschamps qui, chaque mois pour Classica déniche des incunables, nous offre ce CD
Schumann: sonate n°2 4e mvt (Daniel Wayenberg)
Dialogue au sommet : Geza Anda – Karl Böhm
Autre merveille commandée et écoutée en boucle sitôt reçue, ce généreux CD écho de deux soirées exceptionnelles, l’une à Lucerne en 1963, l’autre à Salzbourg en 1974, où deux géants se retrouvaient pour faire simplement et magnifiquement de la musique : Geza Anda (1921-1976) et Karl Böhm.
Ces derniers jours, la mort est ma compagne, non pas que je m’en approche ou que je la redoute pour moi – je suis bien placé pour savoir qu’elle peut survenir à l’improviste ou qu’on peut la frôler (Une expérience singulière ). Mais tous les jours la mort s’impose dans l’actualité, brutale, massive, lors des guerres en cours au Moyen-Orient ou en Ukraine. Dans les cercles de famille ou d’amitié.
Ist dies etwa der Tod ?
La plus belle, la plus douce, la plus sereine des odes à la mort est la dernière mélodie des « Vier letzte Lieder » de Richard Strauss sur un poème de Joseph von Eichendorff : Im Abendrot / Au couchant
Wir sind durch Not und Freude gegangen Hand in Hand; vom Wandern ruhen wir nun überm stillen Land.
Rings sich die Täler neigen, es dunkelt schon die Luft, zwei Lerchen nur noch steigen nachträumend in den Duft.
Tritt her und laß sie schwirren, bald ist es Schlafenszeit, daß wir uns nicht verirren in dieser Einsamkeit.
O weiter, stiller Friede! So tief im Abendrot. Wie sind wir wandermüde– Ist dies etwa der Tod?
Dans la peine et la joie
Nous avons marché main dans la main ;
De cette errance nous nous reposons
Maintenant dans la campagne silencieuse.
Autour de nous les vallées descendent en pente,
Le ciel déjà s’assombrit
Seules deux alouettes s’élèvent,
Rêvant dans la brise parfumée.
Approche, laisse-les battre des ailes,
Il va être l’heure de dormir ;
Viens, que nous ne nous égarions pas
Dans cette solitude.
Ô paix immense et sereine,
Si profonde à l’heure du soleil couchant!
Comme nous sommes las d’errer !
Serait-ce déjà la mort ?
La traduction est bien faible pour traduire le sublime du poème allemand.
Se rejoindre dans la mort
J’ai immédiatement pensé à ce poème en apprenant la mort, le 8 juin dernier, du danseur Eric Vu-An, trois semaines après celle de son compagnon Hugues Gall, surtout après la très longue épreuve d’une cruelle maladie.
Wir sind durch Not und Freude gegangen Hand in Hand; vom Wandern ruhen wir nun überm stillen Land.
J’imagine que, si l’on croit au Ciel, le parfait germanophone qu’était Hugues Gall a pu accueillir Eric avec ces mots si forts, si justes.
Je n’ai pas l’habitude d’assister à des obsèques, sauf de très proches bien sûr. Pourtant j’ai assisté ce lundi à celles d’Hugues Gall en l’église Saint-Roch. Sans doute le besoin de revivre un peu d’un passé heureux. De partager silencieusement des souvenirs que les témoignages de ses proches ont ravivés, en particulier les deux Christian, Christian de Pange, qui fut secrétaire général de l’Opéra de Paris (et brièvement mon adjoint à la direction de la Musique de Radio France), et Christian Schirm, fidèle entre les fidèles de Genève à Paris.
Il y avait des ministres, des personnalités du monde musical, et beaucoup de gens que je n’ai pas reconnus. De belles plages de musique aussi et surtout, sommet d’émotion, Ständchen, la sérénade de Schubert transcrite par Liszt sous les doigts de Lucas Debargue. La réverbération de la nef de l’église Saint-Roch ajoutait à l’intensité de ce moment.
Ici dans l’interprétation d’un autre magnifique artiste, Alexandre Kantorow
La maison de ses chansons
Lundi matin, dans Télématin, l’interview de Loïc Résibois, atteint de la maladie de Charcot, qui regrettait que la loi sur la fin de vie en discussion à l’Assemblée nationale n’ait pas pu aboutir en raison de la dissolution prononcée dimanche soir par Emmanuel Macron, m’avait fait penser à Françoise Hardy. Son fils Thomas qui donnait régulièrement de ses nouvelles ne disait plus rien depuis quelque temps, je redoutais que ce silence soit de mauvais augure.
Ce matin au réveil on a su que Françoise Hardy était enfin délivrée de ses souffrances. Que n’a-t-elle pu choisir de partir avant de subir l’intolérable ? pourquoi lui refuser une mort douce ?
J’ai aimé cette belle personne, et ses chansons qui nous étreignent, qui ont le parfum de la mélancolie, de ces larmes qui font du bien… Les artistes ne meurent pas, ils demeurent en nous.
Quelques-unes des chansons de Françoise Hardy qui me touchent plus particulièrement :
Sur le confinement de la culture, cette phrase alambiquée de la ministre de la Culture française, Roselyne Bachelot : « L’hypothèse d’un été sans festival est exclue » (France 5, C à vous, 10 février).
Voici des mois que la culture est confinée, qu’une part essentielle de nous-mêmes est privée d’une liberté, d’une nourriture, indispensables. Pourtant nous avons besoin de musique, d’art, de beauté, nous avons besoin de retrouver la réalité vivante du concert, du spectacle. C’est tout le sens de l’édition 2021 du Festival qui aura lieu du 10 au 30 juillet, à Montpellier et dans toute l’Occitanie.
Chaque concert sera une fête !Une fête pour ces milliers d’artistes, de travailleurs du spectacle, privés depuis trop longtemps de la liberté d’exercer leur métier, une fête pour tous les publics, une fête de la musique et de la culture partagées.
Les nouvelles stars
Ils s’appellent Jakub Józef Orliński, Benjamin Grosvenor, Alexandre Kantorow, Yoav Levanon, Filippo Gorini, Thibaut Garcia ou Adriana Gonzalez, ce sont les nouvelles étoiles de la musique, pour beaucoup des découvertes du Festival. Ils sont nombreux au Festival 2021 !
La famille du Festival
Eux aussi ont furieusement envie de faire la fête cet été : les chefs Hervé Niquet, Santtu-Matias Rouvali, Cristian Măcelaru, François Xavier Roth, Michael Schønwandt, Domingo Garcia Hindoyan, mais aussi Sonya Yoncheva, Renaud Capuçon, Michel Dalberto, Bertrand Chamayou, ou encore Félicien Brut, Thom Enhco, Magic Malik, le quatuor Ellipsos. Liste non exhaustive !
La grande famille du Festival s’est donnée rendez-vous en juillet à Montpellier.
De la Terre aux étoiles
Le Festival 2021 c’est aussi la promesse d’aventures exceptionnelles, de journées entières de musiques de fête venues du monde entier. Comme le cycle des Leçons de Ténèbres dans sept des plus hauts lieux de patrimoine de l’Occitanie. Comme les spectaculaires Pléiades de Xenakis, confiées aux percussionnistes de l’Orchestre national de France, une musique de plein air qui tutoie les étoiles. Comme ces temps forts au Mémorial du Camp de Rivesaltes, au nouveau musée #NarboVia de la Narbonne antique, à l’Abbaye de Valmagne (Festival de Thau) au festival des Lumières de Sorèze, au nouveau Conservatoire de Montpellier… Nous sommes prêts à faire la fête avec vous l’été prochain, plus résolus que jamais à retrouver la musique et les musiciens en liberté. (Jean-Pierre Rousseau Directeur)
6 février : Mazeppa
La vie et le destin d’Іван Степанович Мазепа/ Ivan Mazepa (1639-1706) devenu héros de la nation ukrainienne a inspiré les poètes romantiques, Lord Byron, Victor Hugo (dans Les Orientales), Pouchkine (Poltava), les peintres, Delacroix, Géricault, Vernet, et bien sûr les compositeurs, Tchaikovski avec son opéra Mazeppa, et Liszt d’abord avec la 4ème de ses Etudes d’exécution transcendante, puis avec son poème symphonique éponyme, datant de 1851, créé à Weimar sous la direction du compositeur le 16 avril 1854. Liszt a retenu trois éléments de la légende de Mazeppa :la course folle sur le dos du cheval, la chute qui semble annoncer la mort, le réveil et le triomphe. Mazeppa est l’un des poèmes symphoniques les plus flamboyants de Liszt. Peu de chefs ont, à mon goût, restitué la dimension épique, le caractère tourmenté, de cette musique puissamment romantique. Herbert von Karajan en a gravé, en 1959, à Berlin, une version qui reste une référence insurpassée.
7 février : Shura Cherkassky encore
Retour à ce grand musicien très singulier, Shura Cherkassky (1909-1995), à qui j’avais consacré mon « post » dans cette rubrique le 4 février, et qui a suscité nombre de commentaires et de souvenirs. Un répertoire absolument incroyable, je crois sans équivalent parmi ses contemporains et des interprètes de cette envergure.
La preuve, ces Trois pièces chinoises du quasi-contemporain de Cherkassky, élève comme lui de Josef Hofmann, le pianiste virtuose et compositeur américain Abram Chasins (1903-1987). Ici la troisième de ces pièces « Rush Hour in Hong Kong » que Shura Cherkassky adorait jouer dans la série de « bis » (jusqu’à six) qu’il offrait inévitablement à la fin de chaque récital.
On ne saurait trop conseiller le double CD publié par First Hand contenant « the complete HMV stereo recordings » de Cherkassky.
8 février : la disparition de Stefano Mazzonis, Mozart
J’ai appris hier tard dans la soirée la disparition soudaine de Stefano Mazzonis di Pralafera, qui dirigeait l’Opéra royal de Wallonie, à Liège, depuis 2007. On le savait malade, mais sa mort brutale a surpris ses amis, dont j’étais.
Nous savions, lui et moi, quelle était notre responsabilité de conduire les deux magnifiques vaisseaux amiraux de la flotte culturelle de Liège, lui l’Opéra, son choeur, son orchestre, moi l’Orchestre philharmonique royal de Liège, chacun dans deux magnifiques écrins – un luxe inouï pour une ville comme Liège – le « Théâtre royal » pour lui, la Salle Philharmonique pour moi. Il nous est arrivé d’être concurrents, parce que nous visions l’excellence, la conquête de nouveaux publics, il m’est arrivé de ne pas partager certaines des options artistiques de Stefano, mais l’amitié n’a jamais faibli ni failli. Je me rappelle encore cette grande entreprise menée de concert, cette soirée au Théâtre des Champs-Elysées le 31 octobre 2012, où ensemble nous étions allés promouvoir les couleurs de Liège (lire Giscard et la princesse). Je me rappelle aussi ma dernière venue à Liège, il y a plus d’un an, avant la crise sanitaire. Une belle soirée d’opéra, dans la loge royale, avec Stefano et Alexise. Un moment de bonheur. Pensées affectueuses pour celles et ceux qu’il laisse dans la tristesse.
Ce 8 février je publiais cet article : Mauvais traitements, la Quarantième rugissante. Parmi les multiples versions de la 40ème symphonie de Mozart que j’y comparais, j’avais oublié celle, miraculeuse d’élan et d’équilibre, de George Szell
9 février : Raymond, Bernstein et l’Orchestre National
Le 21 novembre 1981, Leonard Bernstein dirigeait l’Orchestre National de France au théâtre des Champs-Elysées. Un programme tout français, avec la 3ème symphonie de Roussel et la Symphonie de Franck (lire Un été Bernstein). Et l’ouverture de « Raymond » d’Ambroise Thomas ! Je me rappelle avoir vu ce concert à la télévision et un Leonard Bernstein déchaîné qui sautait sur son podium.
Cette version a été éditée en CD dans le cadre du coffret anniversaire des 80 ans de l’ONF et figure sur un copieux DVD/Blu-Ray.
Ici c’est l’enregistrement réalisé à New York en 1966.
10 février : Muti et l’ONF
Dans le prolongement de mon billet d’hier (Leonard Bernstein et l’Orchestre National de France) une autre pépite du très beau coffret d’inédits publié en 2015 à l’occasion des 80 ans de l’ONF (voir les détails L’Orchestre national de France : 80 ans)
Une double rareté dans le répertoire de ces deux géants : le concerto pour piano de Dvorak sous les doigts de Sviatoslav Richter et la direction ô combien passionnée de Carlos Kleiber (1930-2004) – voir la discographie du grand chef : Carlos Kleiber
Quand le jazzman jouait Mozart avec Friedrich Gulda et Nikolaus Harnoncourt, un enregistrement rare et jubilatoire du concerto pour 2 pianos de Mozart (1989)
14 février : Hans Richter-Haaser
Le pianiste Hans Richter-Haaser (1912-1980) est un magnifique artiste, un interprète d’élection de Beethoven et Brahms, il a eu une carrière tardive et plutôt brève, mais sa discographie est exceptionnelle : L’autre Richter.
En 1957, il participe au seul enregistrement que Karl Böhm ait fait de la Fantaisie chorale de Beethoven, avec d’illustres partenaires – Teresa Stich-Randall, Hilde Rössel-Majdan, Erich Majkut, Paul Schöffler – et l’Orchestre symphonique de Vienne :
15 février : le Suisse oublié
Aujourd’hui une absolue rareté :un grand compositeur suisse – Othmar Schoeck (1886-1957) – complètement méconnu en dehors de son pays natal, son concerto pour violoncelle d’un lyrisme sans âge, des interprètes magnifiques : le violoncelliste Antoine Lederlin, jadis musicien de l’ Orchestre Philharmonique de Radio France, aujourd’hui membre du Belcea Quartet, l’ Orchestre national d’Auvergne dirigé par Armin Jordan (1932-2006)
16 février : deux décès
Hier soir on apprenait le décès, à 93 ans, des suites du Covid, de la cantatrice Andréa Guiot, dont j’avais raconté quelques souvenirs le 9 décembre dernier (voir Les raretés du confinement V)
Et aujourd’hui celui du chef d’orchestre britannique qui n’a jamais eu une grande notoriété sur le continent Steuart Bedford (1939-2021). Steuart Bedford a voué une grande part de sa vie et de sa carrière de chef à servir un compositeur qui l’avait pris sous son aile Benjamin Britten (1913-1976)
C’est Steuart Bedford qui dirige en 1973 la création du dernier opéra de Britten Death in Venice / Mort à Venise. C’est lui qui reprend en 1974 – jusqu’en 1998 ! – la direction du Festival d’Aldeburgh (sur l’impossible prononciation de cette charmante bourgade du Suffolk relire mon article : Comment prononcer les noms étrangers ?) fondé par Britten en 1948.
J’ai un souvenir à la fois émouvant et cocasse de Steuart Bedford. Je l’avais invité au début des années 90 à diriger un concert de l’Orchestre de la Suisse romande, qui devait se dérouler dans le cadre de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny (dans le Valais). Pour aller de Genève à Martigny, et y conduire le chef, j’avais pris une voiture de la Radio suisse romande et choisi d’emprunter l’itinéraire sud du lac Léman (une route que je connaissais par coeur puisque je l’empruntais chaque jour pour faire le trajet Thonon-Genève). Moi qui passais la frontière franco-suisse sans jamais être arrêté par la douane, lorsque j’étais dans ma voiture personnelle, je fus stoppé au moment d’entrer en Haute-Savoie par des douaniers qui firent semblant de ne pas me reconnaître, qui m’interrogèrent sur le but de mon voyage, demandèrent les papiers de mon hôte… et – cerise sur le gâteau – l’autorisation de circuler en France pour un véhicule de la Radio suisse romande !! A l’époque, pas de téléphone portable, pas de possibilité de prouver qu’une répétition générale et un concert nous attendaient. Je jouai le tout pour le tout, en exigeant l’accès à un téléphone, pour prévenir qu’empêchés par la douane française, le chef et l’orchestre devaient annuler le concert… Le chef de poste finit par comprendre la totale absurdité de la situation… et nous laissa filer.
Ce long intermède et la route que nous fîmes ce jour-là me permirent de faire parler Steuart Bedford de Benjamin Britten, de son travail de chef, de ses passions musicales. Humour, calme, flegme, immense culture, il incarnait le parfait musicien britannique.
mais au moins trois intégrales des concertos pour piano. Deux en studio, et une autre « live ».
Dans les années 50, Gilels grave les cinq concertos successivement avec André Cluytens(3), André Vandernoot (1,2) à Paris avec la Société des Concerts du Conservatoire, puis à Londres avec Leopold Ludwig (4,5) et le Philharmonia.
Dix ans plus tard, il trouve en George Szell et son orchestre de Cleveland un partenaire aussi exigeant que lui, et livre une vision étonnamment corsetée, longtemps desservie par une prise de son sans aération (le remastering qui a précédé l’édition du coffret Icon a heureusement corrigé la perspective).
Pour rappel, Melodia a édité un somptueux (et coûteux) coffret à l’occasion du centenaire du pianiste, où Beethoven a une place de choix. (Voir les détails du coffret ici : Gilels Centenaire / Bestofclassic)
Mais c’est l’éditeur hollandais Brilliant Classicsqui a publié, il y a quelques années, sous deux couvertures différentes, un coffret prodigieux, une intégrale des concertos donnée en public en 1976, captée par la radio soviétique, où toute l’électricité, la technique phénoménale de Gilels s’expriment comme jamais il ne l’a fait en studio, avec un partenaire, Kurt Masur, à l’unisson de cette vision enthousiasmante.
Après Charles Munch, Fritz Reiner, Pierre Monteux, qui avaient fait l’objet de copieuses rééditions, sans parler de Leonard Bernstein, c’est – enfin ! – au tour d’un autre grand chef qui a fait les heures de gloire de CBS devenu Sony, George Szell(1897-1970) de bénéficier d’une réédition à sa mesure.
Il y a quelques années, La Boite à musique à Bruxelles avait proposé un coffret remarquable, édité en Corée, comportant tous les enregistrements symphoniques de Szell, y compris des concerts « live » au Japon.
Le coffret proposé par Sony, reprend tous les enregistrements réalisés pour Columbia, les premiers en mono, et les concertos où Szell accompagne Isaac Stern, Zino Francescatti, Robert Casadesus, Rudolf Serkin, Leon Fleisher ou Gary Graffman. Dans les pochettes originales, ce qui nous vaut souvent des minutages très chiches. Beau livre, belle iconographie.
Et – comment dire ? – à l’arrivée comme une sorte de déception. Le remastering est très inégalement apprécié, parfois il assèche une acoustique déjà très rêche, parfois il redonne, au contraire, un peu d’air à des prises qu’on trouvait étriquées, mais sans éliminer un bruit de fond gênant, comme dans les concertos de Mozart avec Casadesus. Mais surtout, la légendaire rigueur de George Szell confine souvent à la raideur, dans Haydn ou Mozart – L’oreille, la mienne, s’est habituée, au fil des ans, à tellement plus de souplesse, d’inventivité, de rebond – merci Nikolaus Harnoncourt ! – que, pour ne prendre qu’un exemple, la Posthorn Serenadede Mozart m’est devenue inécoutable sous la baguette si sévère du patron de Cleveland.
Je ne vais cependant pas me priver de réécouter les Beethoven, Brahms, Schumann, tout un répertoire romantique où précisément la baguette de Szell contrastait avec ses voisins Munch, Bernstein et même Reiner.
C’est un peu l’exact contraire du chef d’origine hongroise qui a disparu le 6 septembre dernier, l’Italien Claudio Scimone, la fantaisie faite musique !
Sous la pression de toute une jeune génération de violonistes et chefs italiens, les Biondi, Alessandrini et autres, on a un peu oublié le rôle pionnier de Scimone dans l’interprétation de Vivaldi, et, dans le domaine lyrique, de Rossini. Avec ses Solisti Veneti, il avait poursuivi le travail de redécouverte vivaldienne d’Ephrikian ou des Musici, mais surtout ouvert de nouvelles perpectives à l’interprétation du Prete Rosso. Je me rappelle, il y a dix ou quinze ans, sur Musiq3, avoir entendu Scimone pester contre des interprètes de Vivaldi qui voulaient, à toute force, se rendre originaux, en adoptant des tempi infernaux, en hachant le discours au point de le défigurer, Scimone rappelant une évidence : tout ce que Vivaldi écrivait pour un ensemble instrumental devait pouvoir être chanté par la voix humaine.
C’est vrai qu’en réécoutant la somme assez prodigieuse qu’Erato avait captée, on est parfois surpris par le legato, une articulation qui fait passer la ligne de chant avant les contrastes rythmiques, et on continue d’admirer, même si d’autres visions, d’autres éclairages plus récents ont enrichi notre connaissance de ces répertoires.
On reviendra plus longuement sur la carrière et la discographie de Claudio Scimone. Hommage !