Le piano qu’on aime

Crise du disque ? crise du classique ? pas pour le piano semble-t-il.

Quelques pépites repérées dans les dernières sorties, des pianistes, des amis que j’admire depuis longtemps.

Benjamin et Chopin

Faut-il que je redise ici tout le bien que j’entends, pense et écris de Benjamin Grosvenor ? Le pianiste anglais, qui fête ses 30 ans le 8 juillet, revient à Montpellier les 28 et 29 juillet, dans le cadre du #FestivalRF22, jouer les 3ème et 4ème concertos de Beethoven (il est recommandé de réserver au plus vite : lefestival.eu) avec ses complices du Scottish Chamber Orchestra.

J’ai profité du week-end dernier pour écouter un disque remarqué évidemment dès sa sortie il y a un an, dont je remettais l’écoute à des moments plus favorables. Et, comme toujours, avec ce diable d’artiste, le choc. Ces deux concertos de Chopin qu’on croit connaître par coeur, sous les doigts de Rubinstein, Clara Haskil (pour le second), Martha Argerich, et tant d’autres illustres, je les ai redécouverts avec Benjamin Grosvenor.

Foin d’un romantisme de jeune fille phtisique, du piano puissant, charnel, éloquent, virtuose mais une liberté souveraine dans le choix des tempi, des phrasés, un nuancier sans limite, une jeunesse enivrante.

Et puis la découverte, pour moi, d’une jeune cheffe d’orchestre chinoise, Elim Chan, qui ne se contente pas du service minimum, loin de là, pour accompagner son génial soliste.

Cédric et Ravel

Gramophone en a fait son « disque du mois » de juin. Alain Lompech ne tarit pas d’éloges sur les réseaux sociaux. C’est le dernier disque de Cédric Tiberghien et de François-Xavier Roth (je n’oublie pas la présence de Stéphane Degout, j’y reviendrai plus loin) :

« Ecouté, réécouté avec une attention soutenue, chaque fois plus soutenue devrais-je dire, ce disque est une merveille à laquelle je ne fais qu’un reproche : le choix d’un grand patron Pleyel de 1892 en lieu et place du Erard qui s’imposait ici : c’était l’instrument de Ravel, celui dont son imaginaire sonore s’est nourri, et le grand Erard cordes parallèles 90 notes en cadre serrurerie ou le rarissime cordes parallèles avec cadre en fonte s’imposaient ici d’un point de vue historique et musical.
Ceci dit, le Pleyel joué par Cédric Tiberghien est une merveille et joué par lui une splendeur dont bénéficient les mélodies qu’il accompagne de façon magistrale, et je pèse mes mots, à Stéphane Degout qui chante d’une façon directe, sans apprêt, d’une façon qui vise juste en chaque mot, chaque accent…
Les deux concertos se hissent tout en haut de mon panthéon en raison de la façon si précise, si fulgurante parfois dont Thibergien les joue, en raison aussi de la sensibilité sans la moindre sollicitation dont il fait preuve: le deuxième mouvement du concerto en sol est à couper le souffle tant il sait le tenir en apesanteur, comme sa joie conquérante dans le finale et son allant si swinguant dans le premier mouvement. Le même pianiste réussit le Concerto de la main gauche au-delà de toute espérance, car il n’est pas si fréquent que le même pianiste réussisse les deux de façon également convaincante. Tiberghien joue dents serrées, taille dans le vif du clavier et chante sa cadence finale admirablement sur un piano qui tient le choc et rend les textures plus transparentes… François Xavier Roth et les Siècles sont vraiment exemplaires : la saveur des couleurs des instruments d’hier et le caractère précis, analytique et inspiré de la direction apportent vraiment beaucoup à ces deux oeuvres…
(Alain Lompech sur Facebook, 27 juin 2022).

L’une des merveilles de ce disque est la présence de plusieurs mélodies de Ravel, où l’on retrouve Stéphane Degout et Cédric Tiberghien.

J’en profite pour rappeler que Stéphane Degout est l’un des invités de choix du prochain Festival Radio France (lefestival.eu), d’abord parce qu’il donne le 25 juillet le cycle La Belle Maguelone de Brahms, quasiment sur les lieux mêmes de la légende (lire La légende de la belle Maguelone) mais aussi parce qu’il anime une Masterclass les 26,27 et 28 juillet.

Eric et Mozart

L’ami et compagnon de tant d’aventures Eric Le Sage se lance au disque dans Mozart.

Une surprise ? Pas pour ceux qui suivent le pianiste français depuis longtemps (souvenir personnel d’un concerto de Mozart avec Armin Jordan à Liège !) Celui qui a été unanimement reconnu, et souvent récompensé, pour ses Schumann, Poulenc en solo, ses Fauré et Brahms en musique de chambre, trouve pour ces deux concertos un partenaire de choix en la personne de François Leleux et de son orchestre suédois.

Je n’ai pas encore pu entendre tout le disque – le mouvement lent du 24ème sur Idagio – et ce matin une partie du 17ème concerto sur France Musique (à réécouter ici). J’aime l’allégresse, le mouvement allant, voire très allant, qu’adoptent Eric Le Sage et François Leleux. Et la grande et belle allure de ce Mozart franco-suédois.

Agatha, Yuja, Klaus et Maurice

On n’oublie pas l’Ukraine loin de là (Unis pour l’Ukraine), on a parfois honte de certains débats ou de certaines prises de position (lire à ce sujet l’excellent billet du jeune musicologue Tristan Labouret sur Facebook)

Mais on vient de passer deux soirées bienfaisantes, l’une au théâtre, l’autre à la Philharmonie de Paris. Récit.

L’inconnu d’Agatha C.

Cela fait un moment que j’avais repéré ce spectacle qui se donne depuis le 24 janvier dans un théâtre – une salle moderne du 11ème arrondissement – où je n’avais jamais mis les pieds, l’Artistic Athévains


Je suis depuis mon adolescence un lecteur et un fan d’Agatha Christie, on connaît ses « recettes » pour nouer des intrigues policières et dérouter ses lecteurs jusqu’à la fin. Ses pièces de théâtre sont moins fréquentes. Raison de plus pour assister à ce Visiteur inattendu.

Le « pitch » est simple, trop simple pour être honnête évidemment ! Un soir de brouillard, un homme survient dans une maison isolée, sa voiture ayant versé dans le fossé, il arrive sur une scène de crime, un homme tué par balles dans une chaise roulante et lui faisant face une femme tenant un revolver et expliquant qu’elle vient de tuer son mari. On se doute que, comme dans tous les romans et les pièces d’Agatha Christie, tous les personnages qui vont intervenir ont tous une raison d’être impliqués dans ce crime, on ne dira évidemment pas qui est le coupable !

Ce qui est admirable dans ce spectacle, c’est d’abord une mise en scène astucieuse, judicieuse de Frédérique Lazarini, c’est la densité de chacun des personnages, chacun des rôles, et l’excellence de tous les interprètes : Sarah BIASINI Pablo CHERREY-ITURRALDECédric COLAS Antoine COURTRAY Stéphane FIEVETEmmanuelle GALABRU Françoise PAVY Robert PLAGNOL.

Cela se joue encore jusqu’à fin avril !

Yuja Wang, Klaus Mäkelä et Maurice Duruflé

Je n’avais pas encore eu l’occasion de voir et d’entendre le nouveau directeur musical de l’Orchestre de Paris, le jeune Finlandais Klaus Mäkelä qui vient de fêter ses 26 ans ! Le programme de cette semaine était, de surcroît, d’une originalité rare dans les concerts parisiens : l’Ebony concerto de Stravinsky, le Premier concerto pour piano de Rachmaninov et le Requiem de Maurice Duruflé.

Philippe Berrod ouvre le bal à la clarinette et s’amuse bien avec ses excellents collègues dans ce faux concerto faussement jazz mais vraiment Stravinsky sous la houlette élancée et élégante du jeune chef.

Puis vient le moins joué des quatre concertos de Rachmaninov qui servit – les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître – d’indicatif à la mythique émission de Bernard Pivot Apostrophes (dans la version de Byron Janis).

Quel bonheur de voir entrer, moulée dans une robe jaune (l’Ukraine?), la pianiste chinoise Yuja Wang, une artiste qu’on tient pour véritablement exceptionnelle depuis qu’on l’a entendue notamment en 2014 à Zurich dans le 2ème concerto de Prokofiev, et un an plus tard avec Michael Tilson Thomas dans le 4ème concerto de Beethoven, c’était à la Philharmonie ! (Les surdouées).

Yuja Wang a cette sorte de charisme, de personnalité hors norme, qui emporte l’adhésion et la sympathie immédiates du public, elle manifeste une telle joie de jouer, se défiant de tous les obstacles techniques – son deuxième bis hier soir, les redoutables variations sur Carmen de Vladimir Horowitz, elle s’en amusait, elle s’en régalait, comme si aucune difficulté ne pouvait lui résister -, son contrôle du clavier est proprement sidérant.

Requiem pour la paix

En dehors du disque (Michel Plasson) je n’avais jamais entendu en concert le Requiem de Maurice Duruflé (1902-1986), le chef-d’oeuvre choral de celui qui fut jusqu’à la fin de sa vie l’organiste de Saint-Etienne-du-Mont à Paris. La filiation avec Fauré est évidente (comme le couplage des deux oeuvres au disque). Le requiem de Duruflé a été créé à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1947

Hier, au-delà de la confirmation que Klaus Mäkelä est un chef très inspiré, en osmose avec son orchestre, on a vécu l’un de ces moments forts dans la vie d’un mélomane, dans une vie d’homme tout simplement. La puissance, la beauté, la cohésion des forces musicales – magnifique choeur de l’orchestre de Paris -, la présence de deux solistes ukrainiens, Valentina Plujnikova et Yuri Samoilov, le très long silence recueilli à la fin du requiem, avant que n’éclate un tonnerre d’applaudissements dans le public de la Philharmonie, particulièrement adressés aux deux interprètes ukrainiens, et au-delà d’eux, à tout un peuple martyr.

Marché de printemps

J’ai quelques amis fous… de musique et surtout de disques, vinyles et CD. J’en ai d’autres qui ont numérisé toute leur discothèque. J’ai adopté, pour ma part, une position… centriste ! Tout est affaire de place et d’utilité.

J’ai donné l’essentiel de mes 33 tours, n’en conservant que ceux qui avaient une valeur affective ou un caractère de rareté et qui n’ont pas été reportés en CD. Quant aux CD, j’adopte la même attitude. Comme la mode est, depuis quelques années, chez les majors à la réédition en coffrets exhaustifs, en général bien documentés, je n’hésite pas à libérer les rayons de ma discothèque.

Passage culturel

Durant le « pont » de l’Ascension, je suis passé par Cholet, aimable chef-lieu d’arrondissement dont je ne connaissais que les… mouchoirs, où j’ai découvert, en plein centre ville, au rez-de-chaussée de l’ancien théâtre, une belle et grande surface culturelle, le Passage culturel

Et un rayon disques classiques qui en remontrerait à plus d’une FNAC…où j’ai trouvé, à prix cassé, quelques galettes qui m’avaient échappé.

Le disque d’Olivier Latry a un intérêt désormais historique, puisque c’est le dernier à avoir été enregistré sur les grandes orgues de Notre-Dame de Paris, avant l’incendie de la cathédrale le 15 avril 2019 !

Melomania

Les Parisiens, privés de leurs grandes « surfaces culturelles » pour cause de confinement, devraient être plus nombreux à fréquenter le seul disquaire spécialisé dans le classique dans la capitale, l’incontournable Melomania, situé au 38 boulevard Saint Germain, Paris 5ème.

On a toujours des chances d’y trouver le CD introuvable, des centaines de belles occasions, des imports japonais, des DVD jamais vus ailleurs.

Où l’on s’aperçoit que les chefs français ne sont pas les plus manchots pour diriger le répertoire classique viennois (mais Jean-Jacques Kantorow et Emmanuel Krivine ont en commun d’avoir été (EK) et d’être encore (JJK) des violonistes de premier rang… et d’avoir souvent enregistré ensemble !)

Martinon et Mackerrras

Les mêmes amis que je citais au début de ce billet lancent volontiers des discussions, parfois interminables, sur les mérites comparés de tel chef, telle version d’un chef-d’oeuvre, tel incunable. Je rentre rarement dans la mêlée, et je m’amuse le plus souvent de ces échanges parfois vifs, tranchés, définitifs, surtout lorsqu’ils proviennent de gens beaucoup trop jeunes pour avoir jamais entendu « en vrai » les chefs qu’ils révèrent ou détestent. Mais c’est la grande vertu du disque, et aujourd’hui de tous les documents disponibles en numérique, que d’abolir le temps et de nous rendre familiers, voire intimes, des interprètes que nous n’avons jamais connus.

Et c’est la grande vertu de ces débats – en général sur Facebook – que d’attirer l’attention – la mienne en tout cas – sur des versions qu’on a sinon oubliées, du moins un peu négligées.

Tom Deacon nous lançait récemment sur les grandes versions des symphonies d’Elgar, et chacun de citer les évidents Boult et Barbirolli. Jusqu’à ce que T.D. nous signale les introuvables versions de Charles Mackerras gravées pour Argo.

Des disques que je me rappelle très bien avoir eus dans ma discothèque… et qui en ont disparu, conséquence probable d’un déménagement.

Autre débat récent, à propos d’un Boléro de Ravel dirigé par Riccardo Chailly, diffusé ce dimanche sur Arte. Soporifique, sans élan, j’en passe et de meilleures ! Et plusieurs de citer comme une référence, l’exact contraire de Chailly, la version que Jean Martinon a gravée à Chicago en 1966, republiée dans un coffret RCA/Sony où tout est passionnant (détails à voir ici)

Parmi les pépites que contient ce coffret, j’ai envie de distinguer une flamboyante 2ème suite de Bacchus et Ariane de Roussel et une véritablement « inextinguible » 4ème symphonie de Nielsen. Orchestre phénoménal, et prises de son exceptionnelles.

Les raretés du confinement (I)

Lors du premier confinement au printemps dernier j’avais entrepris de publier chaque jour sur Facebook une symphonie de Haydn (il y en a… 107!) dans des versions aussi contrastées et originales que possible.

Depuis le reconfinement intervenu en France le 30 octobre dernier, j’ai entamé une nouvelle série d’enregistrements, tirés de ma discothèque personnelle, qui présentent un caractère de rareté, une oeuvre inhabituelle dans le répertoire d’un interprète, un musicien qui emprunte des chemins de traverse, un chef qui se hasarde là où on ne l’attend pas… Récapitulation d’une première décade de publications:

2 novembre

Aujourd’hui Claudio Abbado dirigeant le Concert de l’an 1991 des Wiener Philharmoniker: l’ouverture de l’opérette Waldmeister (1895) de Johann Strauss

3 novembre

#ElectionDay En ce jour d’élection présidentielle américaine, cet extrait d’une soirée donnée au Carnegie Hall de New York en 1988 pour le centenaire d’Irving Berlin. Marilyn Horne chante « God bless America« .

4 novembre

En attendant les résultats de l’élection américaine, ce témoignage inattendu d’hommage au drapeau américain de la part d’Antonin Dvorak, directeur du Conservatoire de New York de 1892 à 1895. Michael Tilson Thomas dirige le RSO Berlin

5 novembre

Un compositeur américain d’origine russe, Alexei Haieff` (1914-1994) qui m’était complètement inconnu avant que je le découvre dans le gros coffret RCA des rééditions de Charles Munch (1891-1968). La 2ème symphonie de Haieff a été créée le 11 avril 1958 par Munch et le Boston Symphony Orchestra

6 novembre

Pour rester dans la sphère américaine, cette étonnante pépite de la discographie du vénérable chef britannique Adrian Boult (1889-1983) qui, à 80 ans passés, enregistre un bouquet de marches, dont la célébrissime « Stars and Stripes forever » de John Philip Sousa (1854-1932) – lire America is beautiful

7 novembre

Le grand Fritz Reiner (1888-1963) délaisse son orchestre de Chicago pour enregistrer, en 1962, à Londres, avec le Royal Philharmonic Orchestra, une extraordinaire Quatrième symphonie de Brahms, celle que je place au sommet de ma discographie de l’oeuvre. Une version rare, superbement enregistrée par Kenneth Wilkinson au Walthamstow Town Hall, publiée par Chesky Records

8 novembre

Clin d’oeil au nouveau président élu, Joe Biden, à la nouvelle vice-présidente élue, Kamala Harris,la plus surprenante des versions de l’ouverture de « Candide » de Bernstein… ou quand le grand chef russe Evgueni Svetlanov (1928-2002) se déchaîne en public à la tête du London Symphony Orchestra au Festival d’Edimbourg le 28 août 1978.

9 novembre

Le 9 novembre 1989 le mur érigé en 1961 entre Berlin Ouest et Berlin Est cédait sous la ferveur populaire.Le 25 décembre, dans la superbe salle du Konzerthaus (à l’époque à Berlin-Est), Leonard Bernstein – qui allait mourir dix mois plus tard – dirigeait la Neuvième symphonie de Beethoven, dont le finale était rebaptisé « Ode an die Freiheit » (Ode à la liberté). Ce concert réunissait autour de l’orchestre de la Radio bavaroise des musiciens des orchestres de Paris, Dresde, Londres, New York et Leningrad (Kirov), les choeurs de la radio bavaroise, de la radio de Berlin-Est et le choeur d’enfants de Dresde, ainsi que quatre solistes June Anderson (USA), Sarah Walker (Grande-Bretagne), Klaus König (RDA) et Jan-Hendrik Rootering (Pays-Bas)

10 novembre

Dans le prolongement de l’élection présidentielle américaine, cette absolue rareté dans la discographie pourtant très abondante d’Antal Dorati, un disque intitulé « Be Glad then America! » et cette oeuvre de Robert Russell Bennett (1894-1981), une commande de l’orchestre National de Washington pour le bicentenaire de l’Indépendance en 1976 : « The fun and faith of William Billings, American ».William Billings (1746-1800) est considéré comme le père de la musique chorale américaine

11 novembre

Le chef suisse Ernest Ansermet est né le 11 novembre 1883 (et mort le 20 février 1969). Il a réalisé l’essentiel de ses enregistrements pour Decca avec l’ OSR – Orchestre de la Suisse Romande qu’il avait fondé en 1918. Ici il dirige, le 17 mars 1966 (à 83 ans), avec une énergie juvénile, un répertoire où il était moins attendu, la Troisième symphonie de Brahms à la tête de l’Orchestre symphonique de la Radio bavaroise Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks

Voici ce que j’écrivais le 8 avril 2016 – On aime Brahms

Quant à la 3ème symphonie, depuis que François Hudry me l’avait fait découvrir, je mets au premier rang un chef qu’on n’associe pas spontanément à Brahms (et qui a pourtant réalisé une très belle intégrale – méconnue – chez Decca avec « son » Orchestre de la Suisse romande)Ernest Ansermet, avec l’orchestre de la Radio bavaroise, un « live » de 1966. Tout simplement exceptionnel !

La nostalgie des météores

Allez savoir pourquoi, cette semaine se termine dans la mélancolie…

Une visite à ma vieille mère à Nîmes, qui suivait un coup de téléphone où s’entendait toute la lucidité déprimée d’une tête parfaitement alerte dans un corps que les forces abandonnent lentement mais inexorablement ? L’évocation de mon passage dans le berceau familial (lire L’été 69), la vue de la maison abandonnée, mais aussi le rappel de cette amitié d’enfance – presque 90 ans ! – avec Hildegard, la fille de l’hôtel d’en face qui existe toujours ! Quelques heures, un thé, des tartes aux fraises, et une brève escapade en fauteuil roulant au Carrefour Market d’à côté, et tout sembla aller mieux… Jusqu’à la prochaine fois.

Retour aussi à Montpellier, équipe réduite mais à la tâche, heureuse de lire ce qu’Alain Lompech a écrit dans le Classica de septembre à propos des festivals, et de celui de Radio France en particulier :

« Le Festival Radio France Occitanie Montpellier qui avait été l’un des derniers à annuler le 24 avril, sera l’un des premiers à organiser un « festival autrement », plus léger, plus inventif avec la création d’une radio faite par le festival pour commencer puis l’organisation de concerts en plein air dès la sortie du confinement. Pas moins de treize concerts ont ainsi été captés, pas moins de 30 heures de direct ont été diffusées, et pas moins de 60 heures d »émissions originales ont été produites pour pas moins de 480 heures de diffusion ! Voilà qui nous a ramenés aux origines d’une manifestation dont les premières éditions, voici bientôt 40 ans, étaient d’une originalité qui tenait en une formule – faire jouer les tubes du répertoire par les jeunes et les oeuvres oubliées par des grands noms – et doublaient les concerts par des journées entières d’émissions en direct sur l’antenne de France Musique. Heureux temps où l’argent et les moyens techniques coulaient à flots ! Mais la crise nous démontre que, sans grands moyens, un grand festival décentralisé dans la métropole occitane peut inventer de nouvelles méthodes de travail, reprendre une programmation de zéro… Tope là ! » Merci Alain !

Et puis, comme s’il fallait alimenter cette mélancolie, la réécoute, la redécouverte même de deux musiciens, de ceux qu’on porte dans son coeur plus encore que dans sa mémoire, destins brisés, météores qui continuent de briller longtemps après que ces poètes ont disparu : Youri Egorov (1954-1988) et Rafael Orozco (1946-1996)

Sur l’un et l’autre j’ai déjà écrit, tenté d’établir une discographie (Eternels présents, Un grand d’Espagne)

Dans le dernier numéro de BBC Music Magazine, un article rappelle qui était ce pianiste russe, passé à l’Ouest en 1976, mort du SIDA à Amsterdam à 34 ans. Et les enregistrements miraculeux qu’il a laissés pour EMI et dans les archives des radios hollandaises.

Ce Carnaval de Schumann, un remède à la mélancolie ?

Pour ce qui est de Rafael Orozco, la situation discographique n’a guère évolué depuis mon article d’août 2015 !

La bonne surprise – signalée par Alain Lompech (!) et quelques autres mordus sur Facebook – c’est la réédition digitale d’un disque Brahms réalisé pour EMI en 1970, avec la 3ème sonate et quelques intermezzi. Lompech compare le jeune Orozco à Nelson Freire ou Bruno Leonardo Gelber dans la même oeuvre. C’est exactement ça !

Magnifique prise de son (que les sites de téléchargement comme Qobuz ou Idagio restituent parfaitement)

Naissance d’un théâtre

Méprise

Il y a trois mois, j’évoquais ici même, avec enthousiasme, la réédition des Mémoires de l’un des plus grands musiciens du XXème siècle, le chef d’orchestre Désiré-Emile Inghelbrechtdes Mémoires publiés en 1947 sous le titre Mouvement Contraire, Souvenirs d’un musicien.

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Avant-hier je découvrais, par hasard, sur Facebook que l’éditeur de ce magnifique ouvrage me prenait à partie en des termes peu amènes :

« Content de lire (avec retard) cette chronique du blog du directeur bien connu du Festival de Radio France sur les souvenirs d’Inghelbrecht, mais gageons que l’illustre Monsieur Rousseau n’a pas ouvert le livre publié par la Coopérative : sinon il se serait aperçu que la 4e de couverture du livre ne dit pas que D.E. Inghelbrecht est le « plus grand chef d’orchestre français de sa génération », ce qui serait évidemment faux (d’Ansermet à Désormières, c’est une génération fabuleuse), mais « l’un des plus grands », ce qui est en revanche incontestable. La phrase pour laquelle il nous traite de « présomptueux » ne figurait que sur notre site internet… (et nous l’avons rectifiée depuis). Il trouve la couverture moche, c’est son droit, mais sans doute n’a-t-il pas reconnu le conservatoire de Paris longuement évoqué dans le livre, avec sa porte battante qui faillit tuer Ambroise Thomas. Mais tout en décalquant quelques phrases de notre argumentaire sur notre site, il ne dit pas que ce volume, par rapport à l’édition originale (celle qu’il possède, c’est certain), est enrichi de plus de 35 photos et documents qui ne s’y trouvaient pas (Inghelbrecht se plaignait que son éditeur trop économe lui ait refusé beaucoup d’illustrations), ni que nous avons établi la discographie d’Inghelbrecht la plus complète à ce jour, avec quelques références qui ne se trouvent même pas à la Bibliothèque nationale.
Bref, le livre ne risque guère de se vendre, dit-il, et il est bien placé pour le savoir : il ne l’a jamais eu entre les mains. Contrairement à ce qu’il annonçait, il n’est d’ailleurs pas revenu sur ce livre. »

Nous nous sommes, depuis, expliqués sur ce réseau social. Evidemment, contrairement à ce qu’écrivait M. Masson, j’ai acheté ce livre, chez un de mes libraires parisiens – car j’achète toujours mes livres chez un libraire, et je ne demande jamais de « service de presse » ! – j’en ai déjà lu maints chapitres, mais j’ai, je le concède, failli à la promesse que j’avais faite à la fin de mon article du 15 décembre dernier : « Je reviendrai sur plusieurs chapitres de ces Mémoires « à l’envers », et des pages savoureuses, par exemple sur le concert inaugural du Théâtre des Champs-Elysées, sa première rencontre avec Debussy, ses démêlés à l’Opéra-Comique, etc. ».

D’allure assyrienne

Le chapitre XV de Mouvement contraire est sobrement intitulé 1912-1913 Le Théâtre des Champs-Elysées.

D’abord cette description savoureuse de l’un des personnages les plus importants de la vie parisienne du tournant du siècle Gabriel Astruc (1864-1938)

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« De forte corpulence et d’allure assyrienne, Astruc était généralement vêtu avec l’élégance qu’on nommait alors celle du boulevardier. À la belle saison, il coiffait hardiment le chapeau melon ou le haut-de-forme gris des turfistes. Son goût inné des bijoux se révélait à la perle de sa cravate, aux lourdes bagues gemmées qu’il portait au petit doigt velu de chacune de ses mains, aux émeraudes de ses manchettes et à l’épaisse gourmette d’or qui entourait son poignet droit. Sa boutonnière était invariablement ornée d’un oeillet pourpre qu’il abandonna dès qu’il put le remplacer par un ruban de la Légion d’honneur, longuement convoité.

Journaliste, chroniqueur parlementaire de 1885 à 1895, Gabriel Astruc a fondé en 1897 une société d’éditions musicales, d’abord chez son beau-père Wilhelm Enoch, puis à son propre compte. Comme éditeur, il publie notamment Shéhérazade et le Quatuor de Maurice Ravel, avant de céder ces deux œuvres aux éditions musicales Durand en 

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Concert inaugural

Inghelbrecht avait eu une première collaboration avec Astruc en 1906. Le chef d’orchestre reconnaît que la cordialité de ses relations avec l’intrépide impresario n’était pas étrangère au fait qu’il était le gendre d’un vieil ami d’Astruc, le peintre, sculpteur, affichiste suisse Théophile Steinlen (Colette Steinlein, après ce premier mariage de 1910 à 1920 avec Inghel, épousera en secondes noces un autre chef d’orchestre Roger Désormière !).

C’est au jeune Désiré-Emile que Gabriel Astruc confie la lourde mission de recruter l’orchestre et les choeurs du futur théâtre des Champs-Elysées:

« Jusqu’ici, pour les Grandes Saisons, il était fait appel aux choristes et aux musiciens d’une grande association parisienne. Cette collaboration ne pouvait plus être envisagée désormais, le nouveau théâtre lyrique devant s’assurer, aussi bien que l’Opéra et l’Opéra-Comique, de l’exclusivité de son personnel…. »

La suite mérite une lecture attentive… et instructive. Les démêlés, les négociations du chef « recruteur » avec les syndicats, les représentants des musiciens, les questions de cumul, d’exclusivité, de salaires…en 1913, tels qu’Inghelbrecht les relate, sont encore d’une étonnante actualité ! Comme si rien n’avait changé en un siècle…

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« C’est par miracle que l’on put être prêt quand même à la date fixée pour le concert inaugural – le 2 avril 1913 – à l’occasion duquel Astruc n’avait pas craint de réunir – pour deux heures – dans une apparente union sacrée, les plus illustres musiciens d’alors. Saint-Saëns, Fauré, d’Indy, Debussy et Dukas se succédèrent au pupitre, tandis que m’était échu de diriger l’Ode à la Musique de Chabrier et le Scherzo de Lalo. »

La reine Beatrice

Alain Lompech (sur Facebook) : Beatrice Rana vient de publier un disque fabuleux… Perlemuterorichtérogilelsien… Elle sait tout de l’art du piano et de la musique… On s’incline… et on applaudit à tout rompre…

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Jean-Charles Hoffelé (sur FB aussi, bientôt dans Classica) : Fabuleux et renversant.

Alain Lompech, encore : Elle est incroyable : la science de l’alchimie sonore et la perfection de l’analyse  plus la domination totale du clavier – alla Richter ou dans un genre différent Lipatti -, plus le son rond, ample, profond qui fait entrer tout le piano en transe sonore…
Ses Goldberg m’avaient bien sûr beaucoup plu, mais beaucoup moins que celles récentes de Gabriel Stern, je l’avais entendue en concert – malheureusement bridée par Krivine dans le 3ème de Prokofiev, entendue en récital… mais là d’un coup, elle ouvre grand ses ailes et, sans jamais faire l’intéressante, se hisse aux premiers rangs des pianistes de son temps…

J’ai téléchargé ce nouveau disque dès vendredi. Je serais bien incapable d’user de tous les qualificatifs que lui attribue Alain Lompech, je les partage complètement. Il faut aussi, et peut-être d’abord, ajouter que le programme de ce CD est d’une intelligence rare, et que c’est, à ma connaissance, la première fois que se côtoient Ravel et Stravinsky dans un disque de piano solo. Oui, tout ici est miraculeux. Finalement conforme à ce que j’ai aimé chez cette pianiste (tout juste 26 ans!) dès que je l’ai entendue en concert.

Le dimanche 26 janvier 2014, Beatrice Rana était la soliste d’un de ces concerts dominicaux qui font la joie d’un public familial à Paris. Fayçal Karoui dirigeait les Concerts Lamoureux et la jeune pianiste italienne jouait le 2ème concerto de Saint-Saëns. Subjugué, je fus immédiatement subjugué : la simplicité, l’absence de posture de la pianiste devant son clavier, une virtuosité et une maîtrise confondantes, sans esbroufe, le chic, l’allure qu’il faut dans cette oeuvre (qui commence comme Bach et finit comme Offenbach selon le bon mot de George Bernard Shaw).

Quelques mois plus tard, je retrouvais Beatrice Rana, complice du Quatuor Modigliani, au Festival d’Auvers-sur-Oise (Une fête de la musique) :

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« En seconde partie… le quintette pour piano et cordes de Schumann – on manque de superlatifs pour le qualifier ! et l’entrée en lice de Beatrice Rana, une musicienne de 22 ans dont j’ai déjà dit et écrit qu’elle a déjà tout ce qui fait d’elle une grande, une très grande artiste. Qui n’a besoin ni d’esbroufe ni de look savamment étudié pour imposer une présence. Au début du Schumann, on la trouvait presque effacée, trop discrète, face à ses compères du Modigliani, et puis on a vite compris que, mine de rien, c’est elle qui menait le train de ces quatre mouvements sublimes et suspendus de musique pure »

Il fallait absolument que j’invite Beatrice Rana au Festival Radio France à Montpellier. Elle y était déjà venue dans la série des jeunes solistes en 2012, mais cette fois je voulais qu’elle ouvre le festival dans la grande salle Berlioz du Corum. Le 11 juillet 2016. Et avec une première pour elle ! Rien moins que les Variations Goldberg de BachC’est à Montpellier qu’elle les donnerait pour la première fois en public, avant une tournée de récitals qui allait déboucher sur le premier disque de l’artiste italienne chez Warner.

Dans Le Monde du 12 juillet 2016, Marie-Aude Roux écrit : « Beatrice Rana n’a certes rien à prouver sur le plan technique. Mais sa maturité sereine et son sens architectonique impressionnent, qui font de cette œuvre monumentale – plus d’une heure et quart de musique – une véritable pierre de Rosette. Le thème initial de l’« Aria » semble en effet se poser comme une énigme. Elégance du phrasé, fluidité du jeu, sonorité d’une rondeur charnelle, Rana prendra le temps de dévoiler une à une les solutions proposées par chacune des variations ».

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Le 16 juillet 2018, Beatrice Rana revenait à Montpellier, encore pour une première pour elle : le 4ème concerto de Beethoven (« Lorsque je joue Beethoven, je ressens une grande responsabilité. C’était le cas pour ce concert ici à Montpellier, je jouais ce concerto pour la première fois, c’était beaucoup d’adrénaline ».

Entre-temps, elle avait publié son premier disque concertant, couplage à nouveau inédit, et toutes les qualités qu’on reconnaît à Beatrice Rana.

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Merci, chère Beatrice, de démontrer que virtuosité, maîtrise époustouflante du clavier peuvent se marier à la musicalité la plus pure, et que vous n’avez besoin d’aucun artifice, de ne cultiver aucun look provocateur ou aguicheur, pour avoir le public à vos pieds. Restez ce que vous êtes, une très belle personne, une très grande artiste !

 

Journal 15/09/19

Au fil des années – j’ai commencé mon premier blog en janvier 2007 ! – ce blog a perdu de son caractère de journal, pas nécessairement intime, et donc une certaine spontanéité dans la réaction aux événements et à l’actualité.

Sans doute parce qu’à quelques occasions on m’a fait observer que liberté de ton et spontanéité n’étaient pas compatibles avec mes fonctions professionnelles.

Compatible ?

Je me rappelle – il y a prescription – ainsi un papier il y a une bonne dizaine d’années intitulé « Lamentable » où je dénonçais l’attitude du tout puissant patron d’une entreprise publique de Liège à l’égard des salariés et des syndicats de ladite entreprise, patron par ailleurs étiqueté socialiste. Un journaliste avait repris certains termes de ce billet qui s’étaient retrouvés dans Le Vif/L’Express. Le jour de la parution de l’hebdomadaire j’avais eu plusieurs réunions à Bruxelles, sur la route du retour dans ma voiture s’affichaient plusieurs appels manqués et messages… Mes propos n’avaient pas plu et on me demandait, plus ou moins aimablement, de m’en expliquer. Sans rien en renier, j’en fus quitte pour mettre une sourdine à ce genre de réactions d’humeur.

Je vais donc reprendre, à mon rythme et en fonction de l’actualité, le fil d’un journal de bord. En toute liberté.

Balkany

Ecrit ceci sur Facebook :

Je n’ai et n’ai jamais eu aucune espèce de sympathie pour le sieur Balkany et sa dame. Ils représentent à peu près tout ce que j’exècre en matière de comportement personnel et politique.
Mais le déchaînement de joie mauvaise qui a surgi dans les tous médias et sur tous les reseaux sociaux à l’annonce de son incarcération immédiate me révulse. Condamnés pour les mêmes faits et quasiment aux mêmes peines de prison que Balkany, les hautes figures morales que sont l’ancien ministre socialiste Cahuzac et l’ex-humoriste Dieudonné M’Bala M’Bala non seulement n’ont pas « bénéficié » d’un infamant mandat de dépôt à l’audience, mais ont échappé à la case prison.
Quelqu’un veut bien m’expliquer ?

La même justice pour tous ? Voire.

Recyclage

J’ai failli me décourager. Pas aidé par les responsables de la collection, qui avaient fini par me recommander de me tourner vers Amazon ! Chez chacun de mes libraires habituels, impossible de trouver les trois ouvrages parus avant l’été sous l’égide de Via Appia. Jeudi à la FNAC Rennes, j’ai finalement trouvé In Memoriam

915+NAFDMFLComme c’est l’auteur lui-même qui signe la « présentation de l’éditeur », je ne me risque pas à le paraphraser ;

« Pendant plus de dix ans, Sylvain Fort a assuré sur Forumopera.com une garde dont personne ne voulait : celle d’embaumeur. Quand un chanteur d’opéra venait à s’éteindre et qu’il avait été cher à son coeur, c’est dans l’énergie de l’émotion qu’il lui rendait hommage. Dans les rédactions, pourtant, la terrible logique des  » viandes froides  » veut qu’on ait pour chaque artiste prêt à rejoindre son créateur un bel obituaire tout encarté de pourpre. Ces hommages, composés alors que la victime bat encore le pavé, rappellent les albums de Noël opportunément enregistrés au mois de juillet. C’est au contraire dans l’immédiat silence de la disparition que Sylvain Fort composa le catafalque de ceux qu’il admira depuis sa plus tendre jeunesse. Ainsi, In Memoriam n’est pas un recueil d’hommages raisonnés, c’est le témoignage d’un mélomane épouvanté de voir glisser ses idoles dans un silence définitif.

Lecture agréable, une fois qu’on a intégré le style volontiers lyrique de celui qui fut la plume inspirée d’Emmanuel Macron pour certains des grands discours « mémoriels » du président de la République. On y reviendra. Défilent Bergonzi, Schwarzkopf, Fischer-Dieskau, Jurinac, et d’autres moins attendus.

Ode à la famille

Olivia de Lamberterie est le visage aimable et gourmand de la critique littéraire dans Télématin sur France 2 et la voix qui ne paraît jamais à court d’enthousiasmes du Masque et la Plume sur France Inter.

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Quand, il y a un an, elle a publié son premier livre, j’ai pensé qu’elle succombait à son tour à la tentation de la notoriété.

La présentation qu’elle en faisait me semblait habile, mais pas indispensable :

Les mots des autres m’ont nourrie, portée, infusé leur énergie et leurs émotions. Jusqu’à la mort de mon frère, le 14 octobre 2015 à Montréal, je ne voyais pas la nécessité d’écrire. Le suicide d’Alex m’a transpercée de chagrin, m’a mise aussi dans une colère folle. Parce qu’un suicide, c’est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux.
Moi, je ne voulais pas me taire.
Alex était un être flamboyant, il a eu une existence belle, pleine, passionnante, aimante et aimée. Il s’est battu contre la mélancolie, elle a gagné. Raconter son courage, dire le bonheur que j’ai eu de l’avoir comme frère, m’a semblé vital. Je ne voulais ni faire mon deuil ni céder à la désolation. Je désirais inventer une manière joyeuse d’être triste.

Et j’ai acheté ce livre, dans son édition de poche. Pressentais-je que j’allais aimer cette histoire, la sienne, parce qu’elle évoque la famille, la vie de famille, telle que j’ai cessé de la connaître à la mort de mon père (Dernière demeure). Sans toujours en avoir eu conscience, je me suis souvent attaché à des ouvrages, romans ou récits, qui convoquent la figure du père, aimé ou honni, présent ou absent.

Olivia de Lamberterie dépasse la tragédie de la mort de son frère pour dire, d’une plume pudique et légère, enjouée et tendre, jamais exhibitionniste ni racoleuse, les joies multiples de la famille. Ce livre m’a fait un bien fou, c’est déjà ça !

Bruckner à Vienne

Pendant que je lisais Sylvain Fort, j’écoutais un compositeur dont je crois savoir qu’il le déteste ! Sur Idagio, avec une qualité de son, une définition exceptionnelles, je retrouvais, regroupées dans un coffret Decca/Eloquence, des versions des symphonies de Bruckner que je connaissais, isolées, qui ont pour point commun l’Orchestre philharmonique de Vienne. 

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Il faudra que j’y consacre un billet spécifique.

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Claudio Abbado (1), Horst Stein (2,6), Karl Böhm (3,4), Lorin Maazel (5), Georg Solti (7,8) et Zubin Mehta (9) se partagent le travail. Réussites inégales, mais comparaison passionnante.

 

Le golfe du Bengale, Pivot, Mauriac et Sibelius

Après avoir crapahuté au milieu des plants de thé (Ma tasse de thé), sur les hauteurs de Horton Plains (Dans les Highlands cingalaisêtre redescendu voir les éléphants (La grâce des éléphants) puis remonté à 1000 mètres d’altitude passer une nuit au milieu d’une Rain Forest, je profite d’un week-end de farniente (même si ce terme n’a plus de sens depuis qu’on est connecté partout et tout le temps !) au bord de la mer du Bengale.

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IMG_2033Loin de toute concentration touristique, au gré des départs et des retours des embarcations de pêche.

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J’ai emporté quelques livres, téléchargés pour les plus volumineux, « physiques » pour les plus légers. Comme souvent, des livres commencés en parallèle, dont j’interromps et reprends la lecture selon l’humeur du moment.

Comme ces faux mémoires de Bernard Pivot.

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Des souvenirs par bribes, la nostalgie parfois d’un journalisme qui fut longtemps le sien et qui n’est plus.

De son professeur au Centre de formation des journalistes :  » Je lui dois ma méfiance pour le premier mot qui vient vite sous la plume, un autre étant peut-être plus exact ou moins convenu. Je lui sais gré de m’avoir appris à commencer un article par une phrase qui intrigue ou bouscule le lecteur… »

Je souriais en lisant ce « conseil ». En des termes presque identiques, et sans avoir jamais été journaliste moi-même, je n’ai cessé de le prodiguer (jusqu’au harcèlement ?) à celles et ceux avec qui je travaille. Même pour un banal communiqué de presse, un texte de présentation, une notice de programme. Ou pour un article de blog ! Combien de fois ai-je renoncé à un papier, parce que je ne trouvais pas l’entame, le premier mot, la première phrase ! (ah ces premières phrases dont Laurent Nunez a fait un excellent bouquin L’énigme des premières phrases). 

Je reviendrai au bouquin de Pivot. Parfait pour les vacances. On l’ouvre à une page au hasard : en quelques lignes, il dessine un univers, met en scène un personnage, une époque.

C’est l’un de ses chapitres – Mauriac ou le denier du culte  – qui m’a d’ailleurs donné envie d’ouvrir l’imposante biographie de Mauriac signée Jean-Luc Barré. Pivot raconte que, pour les 80 ans de l’illustre académicien, « le sacre du dernier grand écrivain régnant » (Jean-Luc Barré), Le Figaro avait décidé d’offrir un cadeau à son chroniqueur : Tous les collaborateurs du journal furent priés de verser leur obole afin que le présent témoignât d’une admiration et d’une affection collectives. Admiration, oui, affection, non : je refusai de participer à la collecte/…/L’auteur des Nouveaux mémoires intérieurs était un fameux journaliste. Mais aussi un confrère distant et froid/…./Pas une seule fois, en six ou sept années, il ne poussa la porte du salon du premier étage où étaient réunis les rédacteurs de son journal, celui dans lequel il écrivait chaque semaine : Le Figaro Littéraire/…../Je crois qu’il n’avait pour nous que de l’indifférence…

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Plongé dans mes lectures, quand je ne me baigne pas dans une mer aussi chaude que l’air, j’écoute la musique téléchargée sur mon téléphone portable… et je lis les échanges souvent savoureux, parfois musclés, de mes amis critiques sur Facebook. À propos de l’intégrale des symphonies de Sibelius qui vient de sortir – et que je n’ai pas écoutée -, la première d’un orchestre français, celle de Paavo Järvi avec l’Orchestre de Paris. 

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Extraits : JCH Enfin reçu, mais pas convaincu par la 3e Symphonie que je viens d’entendre….

HM Faut dire que la 3e est sans doute celle qui convient le moins à Järvi. Barbirolli y a, de toute manière, réglé la question.

PB J’ai trouvé que c’était celle qui lui convient le moins mal …

MC Berglund/Bournemouth et Blomstedt/San Francisco (très sous-évalué)

GR Pour la Sibelius-3, de mon avis à écouter la version magnifique de Mravinsky/Leningrad et enrégistré en 1963.

PYL La 3è de Sibelius de Mravinsky est l’un des trésors les plus surcotés de toute la discographie sibélienne. C’était vraiment pas son truc, Sibelius.

JPR Histoire de relancer le sujet 🙂 quelqu’un sait pourquoi c’est la seule symphonie de Sibelius ( la 3ème) que Karajan n’a jamais enregistrée ?

PYL il ne la sentait pas cette symphonie intermédiaire, comme beaucoup de sibéliens de la première heure tel Ormandy.

RL C’est curieux cette manière de surinterpréter: Karajan a d’abord laissé la place à Okko Kamu, qui avait gagné le prix Karajan (il en a même été le premier récipiendaire en 1969). Les quatre disques de Kamu chez DG, avec Berlin ou Helsinki, sont superbes, dans mon souvenir.

PYL Le plus grand interprète de cette 3e reste Tauno!

RL « le plus grand », « le plus grand », ça veut dire quoi ? C’est juste ta version préférée 🙂

On ne s’ennuie pas sur Facebook quand on aborde un sujet aussi sérieux que la 3ème symphonie de Sibelius !

J’ai donc réécouté deux versions de cette symphonie que j’ai sur mon smartphone. Celle du jeune Okko Kamu – dont il est question dans l’échange ci-dessus – plutôt rustaud, moins intéressant que dans mon premier souvenir.

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Et puis surtout, celle de Lorin Maazel gravée à Vienne au mitan des années 60, qui fut pour moi celle de la découverte des symphonies de Sibelius, un coffret que j’avais trouvé, il y a plus de quarante ans, dans une véritable caverne d’Ali Baba aux Puces de Saint-Ouen.

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Maazel a refait une intégrale Sibelius à Pittsburgh au début des années 90. Il est de bon ton de la trouver moins réussie que la viennoise. Voire.

Le piano venu de l’Est (I) : Peter Rösel

C’est Alain Lompech, spécialiste ès piano, auteur d’un ouvrage de référence sur Les Grands pianistes du XXème siècle (on attend avec impatience un deuxième tome)

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débatteur infatigable, qui, sur Facebook, braquait avant-hier le projecteur sur lui : Voici ce qu’on appelle un maître ! Peter Rösel (prononcer : Reu-zeul), pianiste allemand formé à Moscou, assurément scandaleusement négligé par le milieu musical. 

Et, à propos d’une autre vidéo, Lompech ajoutait : Où l’on voit que l’on peut jouer vite, clair et articulé sans lever les doigts au plafond ! Peter Rösel, grand, grand artiste et pianiste… Le minimum de gestes pour le maximum de résultat. Et son Mendelssohn avec Masur est splendide.

Voilà bien longtemps que, pour ma part, j’admire ce très grand musicien, sans malheureusement l’avoir jamais entendu en concert. Il fait partie de cette cohorte d’artistes de grande envergure qui, par choix ou par obligation, n’ont jamais pu ou voulu faire carrière en dehors du bloc soviétique. Heureusement pour nous mélomanes, les remarquables micros de la VEB Deutsche Schallplatten Berlin, dans des prises de son remarquables de précision et d’aération, ont capté tous ces musiciens, et le label Berlin Classics, qui a pris le relais d’Eternanous a restitué la majeure partie de cet inestimable legs discographique.

Pour ce qui est de Peter Rösel, deux beaux coffrets ont documenté ses jeunes années. Tout y est admirable, avec des sommets comme ses concertos de Rachmaninov avec Kurt Sanderling, les Weber avec Blomstedt, le 2ème concerto de Prokofiev évoqué par Alain Lompech, son anthologie Brahms, mais aussi des Beethoven, Schumann, Debussy, d’exceptionnels Tableaux d’une exposition, etc.

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Peter Rösel est toujours en activité, sa discographie s’est enrichie ces dernières années d’une intégrale des Sonates de Beethoven notamment.

Pour ce qui est des coffrets ci-dessus, on les trouve facilement sur le site allemand d’Amazon (amazon.de).